Conseils d’intellectuels de gauche et d’humanistes prodigués dans le journal de l’extrême-centre, suite : « Il incombe à Emmanuel Macron de faire refluer l’abstention qui menace de faire passer Marine Le Pen »
Une quinzaine d’intellectuels de gauche parmi lesquels la directrice de la revue « Esprit » Anne-Lorraine Bujon et l’historien Benjamin Stora, affirment, dans une tribune au « Monde », qu’ils voteront pour Emmanuel Macron au second tour, mais l’appellent à revoir son programme pour éviter « la catastrophe ».
Tribune. Le Rassemblement national est aux portes du pouvoir. Dimanche 24 avril, Marine Le Pen peut gagner l’élection présidentielle. On peut aussi craindre que le second tour soit marqué par un fort taux d’abstention. Bien entendu, on peut comprendre les motivations de celles et ceux que cet affrontement ne passionne pas, et qui voudraient se retirer du jeu. Mais, qu’ils ou elles le veuillent ou non, ils ou elles en sont partie prenante, et l’abstention viendra mécaniquement renforcer le score du mieux placé des deux candidats. C’est pourquoi si, comme le dit justement Jean-Luc Mélenchon, « pas une voix ne doit aller à Marine Le Pen », cela ne suffit néanmoins pas. C’est pourquoi nous voterons Emmanuel Macron au deuxième tour de l’élection présidentielle.
Mais c’est à ce dernier qu’il incombe au premier chef de faire refluer l’abstention qui menace de faire passer Marine Le Pen : en 2002, Jacques Chirac a fait mine de ne pas voir que son immense succès du second tour ne valait pas soutien à sa personne et à son programme, mais signifiait le rejet de son adversaire. Même chose avec Emmanuel Macron en 2017, qui a cru pouvoir confondre légitimité institutionnelle du président élu et soutien à son programme. Il ne peut en être de même en 2022, sauf à courir à la catastrophe.
S’adresser à tous
Dans tous les pays démocratiques, c’est à une large coalition des démocrates que l’on assisterait, comme on l’a vu plusieurs fois en Allemagne notamment. La logique institutionnelle française n’étant pas la même, une telle coalition n’est pas possible. Mais il faut que le candidat s’adresse à toutes et tous, alors que les gauches toutes confondues font 30 % des votants.
En revanche, s’enferrer dans la défense de « son » projet, comme c’est le cas d’Emmanuel Macron et de ses représentants, c’est être aveugle à la nécessité de rassembler bien au-delà de son camp, pour la défense des valeurs de la démocratie et de l’Etat de droit. Pourtant, c’est la seule base sur laquelle peuvent se rassembler toutes celles et tous ceux qui refusent la perspective néfaste d’une victoire du Rassemblement national.
Cela veut dire mettre l’accent sur la démocratisation de nos institutions, la reconnaissance du Parlement (ce qui signifie en finir avec l’absurde calendrier électoral actuel qui place les législatives dans la foulée de l’élection présidentielle, et revenir d’une manière ou d’une autre à des législatives à mi-mandat), faire confiance aux diverses collectivités territoriales, et faire vivre la démocratie sociale, en s’appuyant sur des partenaires sociaux, et/ou en inventant des formes nouvelles de consultation, comme aurait pu l’être la convention citoyenne pour le climat, si elle avait été suivie d’effets.
Sur les retraites, dégager un consensus
Consolider l’avenir des retraites – même si, selon le diagnostic du Conseil d’orientation des retraites, il n’y a pas péril imminent – exige de mettre les propositions des uns et des autres sur la table et de dégager un consensus, sans verrouiller le débat d’emblée par une proposition non discutable sur l’âge de départ.
Même chose pour la question de l’insertion : on ne peut faire porter la responsabilité de l’insertion sur les seuls allocataires du RSA [revenu de solidarité active, croit devoir expliquer Le Monde]. Enfin, sur le chantier écologique et de lutte contre le réchauffement, les propositions de la convention citoyenne sur le climat, en 2020, sont la bonne référence, actualisée en fonction de la nécessité de se passer en Europe de l’apport du gaz et du pétrole russes.
Rajoutons que la fin de toute subordination du parquet à l’exécutif et une gestion enfin apaisée de l’ordre public sont signes indispensables ; tout comme une France ouverte et apaisée, inclusive avec nos concitoyens musulmans, et ouverte à l’accueil des réfugiés, d’où qu’ils viennent.
Ce ne sont là que quelques pistes : dans une telle situation, la consultation démocratique n’est pas une option mais la condition même de la réussite de réformes qui ne soient pas des armes de guerre des uns contre les autres. Au contraire, s’en passer serait confondre la nécessité de l’action avec une précipitation mal venue, et croire que la constance est identique à l’obstination.
Pour faire barrage à Marine Le Pen, Emmanuel Macron doit faire le nécessaire afin de donner envie de voter et faire baisser l’abstention.
Signataires : Olivier Abel, philosophe ; Anne-Lorraine Bujon, directrice de la revue Esprit ; Françoise Diehlmann, germaniste ; Jacques Donzelot, sociologue ; Bernard Manin, politologue, Philippe Marlière, politologue ; Jean-Pierre Mignard, avocat ; Hélène Milet, sociologue, Olivier Mongin, ancien directeur de la revue Esprit, Yann Moulier-Boutang, économiste, Joël Roman, philosophe ; Jean-Louis Schlegel, éditeur ; Lucile Schmid, politologue ; Benjamin Stora, historien ; Georges Vigarello, historien.
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