Israël réoccupe le Liban-Sud par les airs - L’Orient-Le Jour
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Par Mohanad HAGE ALI et Mohamad Najem
Après le déclenchement de la guerre entre le Hezbollah et Israël le 8 octobre 2023, les deux camps ont déployé des drones pour diverses missions, allant de la reconnaissance et la diffusion de messages à l’espionnage et aux assassinats ciblés. Israël a poursuivi cette pratique depuis le cessez-le-feu conclu avec le Hezbollah le 27 novembre 2024. À bien des égards, le Liban-Sud est devenu un terrain d’essai pour les nouvelles capacités des systèmes de drones, telles que l’occupation de territoires à distance au lieu de déployer des troupes sur le terrain, une mesure qui exposerait ces forces à des attaques et à des pertes humaines. L’utilisation intensive des drones a, en effet, modifié la dynamique de l’usure, plaçant ceux qui subissent l’occupation dans une situation encore plus défavorable.
Israël a maintenu une occupation de 22 ans du Liban-Sud entre 1978 et 2000, s’appuyant sur des forces terrestres soutenues par sa supériorité aérienne. Cependant, cette présence a eu un coût élevé, avec plus de 900 soldats israéliens tués. Afin de réduire leurs pertes, les Israéliens ont formé l’Armée du Liban-Sud, composée d’auxiliaires libanais, comptant environ 3 000 combattants. L’occupation à distance actuelle, qui utilise des drones, est beaucoup moins coûteuse et a épargné à l’armée israélienne les dangers d’une exposition directe sur le champ de bataille.
Guerre psychologique et mécanismes d’adaptation
Depuis le cessez-le-feu, Israël a mené des attaques quotidiennes qui ont tué environ 300 personnes, dont plus de 100 civils. Beaucoup d’entre elles étaient des frappes de drone. Les drones ont également mené des opérations de recherche régulières dans des villes du sud du Liban telles que Khiam. Dans un cas, un drone a arrêté une voiture aux vitres teintées, ordonnant au conducteur de les baisser pour inspection. Dans un autre, une femme de la région, architecte d’intérieur, a reçu l’ordre d’un drone d’arrêter de marcher dans la rue afin que son sac puisse être fouillé. Bon nombre de ces incidents impliquent des civils et semblent destinés à les intimider et à leur rappeler qu’ils sont constamment surveillés. Un message Facebook largement diffusé décrit un drone entrant dans la maison d’une famille et leur demandant : « Vous buvez du Nescafé ? » Par ailleurs, un jeune homme a documenté la façon dont les drones le suivent pendant ses exercices quotidiens, même lorsqu’il se rend sur la tombe de son frère. Israël a lui-même diffusé une vidéo montrant un renard se cachant dans une maison détruite, rappel symbolique de la capacité de l’État hébreu à observer chaque détail dans le sud du Liban.
En réponse à la présence omniprésente des drones, les habitants ont développé des mécanismes d’adaptation. Ils changent notamment de sujet lorsqu’ils discutent de politique si un drone survole leur tête et évitent de communiquer par téléphone portable pendant l’activité des drones. En effet, ces petits appareils volants sont devenus un rappel quotidien de la guerre en cours et de ses dangers. Cela a un impact émotionnel sur la population locale, qui doit supporter le bourdonnement incessant et la perte des signaux de télévision lorsqu’un drone est à proximité.
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Dans le cadre de ses tactiques d’intimidation collective et de guerre psychologique, Israël a largement abandonné la pratique traditionnelle consistant à larguer des tracts au profit du déploiement de drones équipés de puissants haut-parleurs qui transmettent des messages aux habitants des villes du Sud. Récemment, l’un de ces drones a diffusé un avertissement à l’intention de Tareq Mazraani, un ingénieur du sud du Liban impliqué dans la reconstruction. Le message l’accusait de collaborer avec le Hezbollah, une allégation qu’il a depuis publiquement démentie, et mettait en garde les autres contre toute collaboration avec lui. Le ciblage de Mazraani s’inscrit dans le cadre d’une politique apparente visant à empêcher plus de 100 000 Libanais de retourner dans leurs foyers dans la région frontalière, ce qui témoigne de l’intérêt d’Israël à maintenir une zone tampon dépeuplée. Dans le même objectif, Israël a utilisé des drones pour entraver la reconstruction en détruisant régulièrement les bulldozers chargés de déblayer les décombres dans la région frontalière.
Automatisation
Compte tenu des multiples capacités des drones, les hypothèses des habitants concernant leur grande capacité à espionner et à extraire des données ne sont pas loin de la réalité. Les drones israéliens tels que les Hermes 450 et 900 peuvent fonctionner comme des capteurs aériens qui collectent passivement des signaux radio et réseau. Cette pratique, connue sous le nom de renseignement d’origine électromagnétique (Sigint en anglais), comprend la collecte de métadonnées de base à partir d’appareils situés à proximité et l’interception de différentes fréquences et longueurs d’onde telles que le Wi-Fi, le GPS, les échanges de réseaux mobiles et les bipeurs. La mine d’informations ainsi obtenue peut être utilisée pour cartographier les modèles de comportement et, grâce à l’intelligence artificielle, être recoupée avec les données déjà disponibles. Le Sigint peut également soutenir des méthodes de surveillance numérique plus avancées, permettant aux opérations de renseignement de cibler des zones ou des appareils spécifiques avec une plus grande précision.
Des drones ont également été déployés pour aider les services de renseignement humains sur le terrain. Un drone aurait été utilisé pour escorter un espion libanais à travers la frontière afin qu’il rencontre ses supérieurs sur le territoire israélien. Selon l’armée libanaise, qui a ensuite arrêté cet homme, il avait été recruté via les réseaux sociaux. Il aurait affirmé que le drone l’avait non seulement guidé à travers la frontière sans être détecté, mais lui avait également fourni une protection pendant son déplacement.
Le Liban-Sud est donc devenu un théâtre de guerre dans lequel les drones ne sont pas seulement des instruments d’attaque, mais aussi des outils de surveillance, d’intimidation et de contrôle de la population. Grâce à des missions de reconnaissance, des frappes ciblées, des opérations psychologiques et l’interception de données, les drones ont transformé la nature même de l’occupation. Ce qui nécessitait autrefois une présence militaire permanente et un engagement direct est désormais exécuté à distance, avec un risque minimal pour les soldats israéliens. Cette évolution marque un passage à un modèle de contrôle exercé depuis les airs, sans présence terrestre, mais qui n’en touche pas moins profondément la vie quotidienne et l’espace privé des personnes vivant en dessous. La contre-insurrection et l’occupation sont désormais automatisées.
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