• Sur le climat, les frontières, la subsistance, le soin et la lutte | Out of the Woods
    https://cabrioles.substack.com/p/sur-le-climat-les-frontieres-la-subsistance

    Ainsi, nous devons penser l’organisation contre le changement climatique en prenant en compte le fait qu’il est médiatisé par un monde dominé par le capital colonial et hétéropatriarcal. La violence est organisée et différenciée par ces structures, et c’est par la lutte contre ces structures qu’il nous sera possible de subsister. Nous pouvons nous faire une image précise de ce qui a toujours été fait dans les luttes contre les catastrophes — des luttes reposant sur le soin, la reproduction sociale et l’hospitalité. Ce sont ces choses qui ont toujours permis aux gens de survivre aux catastrophes. Même si les choses vont de pis en pis, ça ne s’arrête pas là ; il y a toujours de la place pour la lutte collective.

    Out of the Woods est un collectif international de recherche partisane qui s’attelle, depuis 2014, à penser la #crise_écologique dans une perspective communiste, décoloniale, féministe et queer.

    · Notes de Cabrioles : Les éditions Présence(s) ont récemment traduit et publié L’Utopie Maintenant ! Perspectives communistes face au désastre écologique [https://presences-editions.me/utopie-maintenant ], le receuil des écrits d’Out the Woods, un collectif dont les analyses et perspectives résonnent particulièrement avec le travail que nous avons mené ici. Cette publication est importante et riche de la variété des thèmes abordés. L’entretien qui suit, réalisé en 2017, en est extrait. Nous remercions chaleureusement les éditions Présence(s) de nous avoir confié cette publication ·

    #présent_catastrophique #covid #écologie #migrants_climatiques #climat #racisme #environnementalisme #frontière #nécropolitique #expertise_populaire #dystopies #luttes #communisme_de_désastre #planification_fugitive #soin #reproduction_sociale #hospitalité #travail_reproductif #traitre #indigène #Terre_cyborg #nation_indigène

    • Ce à quoi nous devons résister ici, c’est au romantisme colonial occidental — il faut absolument le détruire, et il ne s’agit pas d’une sorte de problème littéraire abstrait, il est ce qui impulse une grande partie du mouvement écologiste au Royaume-Uni à l’heure actuelle. Il existe encore un imaginaire populaire d’une sorte de nature originelle que l’on retrouve aussi bien chez les membres de la Société royale pour la protection des oiseaux (Royal Society for the Protection of Birds) que chez les militants écologistes purs et durs, et il faut à tout prix le refuser. Et dans le même temps, nous devons nous assurer de ne pas devenir des technofuturistes prêts à embrasser l’idée d’une invasion technologique de tout ce qui existe, sans tenir compte du paradigme colonial et du développement de la technologie européenne comme arme et arbitre du « progrès » colonial. D’un certain point de vue, nous sommes ici coincés entre le marteau et l’enclume, entre l’idéalisation de la wilderness et l’idéalisation de la technologie, aussi néfastes l’une que l’autre.

      Mérite un dialogue avec l’œuvre de Charbonneau, qu’illes ne connaissent peut-être pas.

      une adhésion à la possibilité antinationaliste d’une Terre cyborg — qui ne nie pas en même temps la possibilité d’une nation indigène — est le genre de contradiction sur lequel nous devons travailler

      Par contre je ne sais pas ce qu’illes entendent pas là, ayant parlé plusieurs fois au cours de la conversation d’écologie cyborg (mmmh ?) sans définir ce que c’est (seulement « voir le chapitre XXX plus loin »). Donc soit faut lire le bouquin en entier, soit faut trouver une explication ailleurs du concept et de ce que ça implique.

  • Sénamé Koffi Agbodjinou : « Les villes africaines sont un terrain d’#expérimentation pour les #Gafam »

    L’architecte togolais mène une réflexion sur les conséquences de l’#urbanisation fulgurante du continent africain. Il alerte sur les #dystopies qui se préparent dans les #mégapoles du continent investies par les Gafam.

    L’AfriqueL’Afrique comptera demain parmi les plus grandes métropoles du monde. L’architecte et anthropologue togolais Sénamé Koffi Agbodjinou réfléchit à l’avenir de ces villes héritières d’une histoire heurtée par la colonisation et construites sur le modèle occidental, en porte-à-faux avec la tradition africaine. Des métropoles que les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ont aussi érigées ces dernières années en terrains d’expérimentation.

    Face à la bétonisation croissante du continent, il défend une architecture « néovernaculaire », empruntant des formes qui ne contreviennent pas aux structures sociales africaines et s’appuyant sur des matériaux locaux, plus respectueux de l’environnement.

    Au sein de L’Africaine d’architecture, une plateforme de réflexion sur la ville et l’urbanisation, il a initié des projets à Lomé pour mettre les nouvelles technologies au service des citadins. Entretien.

    Encore peu urbanisé il y a 50 ans, le continent africain connaît un développement fulgurant de ses villes. Quels sont les défis politiques et sociaux posés par l’émergence de ces mégapoles ?

    Sénamé Koffi Agbodjinou : La population africaine va doubler dans les 30 prochaines années et les plus grandes villes du monde de demain seront en Afrique. Un humain sur quatre sera africain d’ici 2050 et un sur six vivra en ville.

    Bientôt, Lomé, où je vis, sera englouti dans une grande conurbation allant d’Abidjan à Lagos, une mégapole étalée sur cinq pays : la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo, le Bénin et le Nigeria.

    La ville attire toujours plus sur le continent. Je ne nie pas les bénéfices qu’il y a à vivre en ville : accès au confort, à la « modernité », mais tout mon engagement depuis dix ans est de réfléchir aux formes de l’urbain et d’alerter sur ce que cela engendre.

    Les villes construites sur le modèle occidental, héritage de la colonisation, remodèlent les structures sociales en Afrique.

    Or les villes africaines sont devenues un terrain d’expérimentation pour toutes les solutions que les Gafam ne peuvent pas tester en Occident, où il y a de nombreux dispositifs juridiques, un débat public sur les données, qui freinent leurs projets.

    En Afrique, sans même parler de la corruption, les gouvernements n’ont pas les moyens de résister à ces géants numériques et le continent pourrait devenir le laboratoire d’une formidable dystopie.

    Car si l’on n’y prend pas garde, l’émergence de ces mégapoles pourrait s’accompagner d’une nouvelle forme d’impérialisme, mais un impérialisme terminal, c’est-à-dire la forme la plus complexe d’assujettissement que l’humanité ait jamais connu.

    Une dystopie qui devrait intéresser l’Occident, car ce qui est expérimenté ici y reviendra forcément.

    Vous rappelez que la ville en Afrique a connu une histoire chaotique, marquée par le choc de la traite des esclaves et la colonisation.

    L’Afrique a amorcé il y a plusieurs décennies son urbanisation massive à mesure que se relançait sa démographie [au moment des indépendances, les urbains ne représentaient que 15 % de la population du continent – ndlr].

    La traite négrière, la colonisation ont provoqué un effondrement démographique sur le continent. Auparavant, l’Afrique était relativement peuplée et, jusqu’au XVIe siècle, il y avait de grandes villes en Afrique. Pour échapper aux razzias négrières, aux déportations, les Africains ont commencé à vivre de plus en plus éparpillés. Cela a fait tomber en déshérence les grands centres urbains.

    L’architecture a alors décliné. On est passé d’une architecture monumentale à une architecture plus légère, avec ce qui est devenu l’image un peu folklorique de la maison africaine : des cases avec le toit en paille. C’était le résultat d’un mode de vie où tout le monde se méfiait de tout le monde, où on ne pouvait plus investir dans des formes stables.

    La récente explosion démographique a conduit à une urbanisation extrêmement rapide et à une bétonisation un peu hors de contrôle.

    Vous analysez l’importation du modèle occidental de la ville en montrant qu’il informe en profondeur les structures sociales africaines.

    Au-delà des raisons économiques, de l’attraction pour les standards de confort en ville, l’urbanisation a d’autres causes profondes.

    Ce qui retient les populations dans les territoires ruraux, ce sont aussi des systèmes de pensée qui font que l’on croit en des dieux, qui sont attachés à un territoire particulier et qui s’incarnent dans le vivant. Les modes de vie traditionnels étant de plus en plus en déclin, l’attachement à la ruralité décline et on « monte » en ville.

    Le problème, c’est que les modes de vie ruraux sont plus soucieux de la préservation du potentiel environnemental du vivant, quand les modes de vie urbains mettent en crise toutes ces ressources-là.

    La ville sur le modèle occidental produit une structure sociale de plus en plus atomisée, individuelle. La forme urbaine prend en charge un certain mode de vie et quand vous changez de forme, vous changez les modes de vie.

    Claude Lévi-Strauss a raconté les ruses des gouverneurs coloniaux aux Amériques, avec l’appui des missionnaires qui avaient observé les populations indiennes. Ils avaient compris que pour contrôler plus facilement ces populations, il fallait les faire sortir de leur organisation spatiale traditionnelle, souvent en cercle autour d’une place centrale. Passer de cette organisation à des maisons carrées leur faisait perdre tous leurs repères, car le plan du village permet de savoir où est la place de chacun. Si vous les faites habiter dans des grappes d’habitats carrés, c’est toute la structure sociale qui est bouleversée, toutes leurs capacités de mobilisation qui seront perdues.

    Retrouvez-vous cette « désorientation » dans la manière dont se développent les grandes villes en Afrique ?

    Au moment des indépendances, certains pays ont considéré qu’il fallait prouver à l’ancien colonisateur qu’ils pouvaient faire comme lui, aussi « complexe » que lui. Ces pays se sont lancés dans une course pour copier, singer la ville occidentale.

    Les mégapoles du continent, calquées sur la ville moderne occidentale, avec leurs constructions en béton et en verre, comme pour se couper de l’élément naturel, ne correspondent pas à la tradition africaine. La ville est là pour faire barrage à l’environnement, pour l’en isoler.

    Du point de vue de la forme, le béton impose des formes carrées, alors que l’architecture africaine traditionnelle a des formes plus courbes, qui ont un rôle structurant pour apaiser les conflits. Vous êtes dans un cercle : tous les points de vue convergent, il n’y a personne qui est au-dessus de l’autre. C’est une organisation plus démocratique, plus distribuée.

    Sur la durée, les Africains ont créé des dispositifs très subtils, y compris spatiaux, pour susciter ces délibérations. Les formes étant perdues, on perd aussi dans la capacité de faire société de manière horizontale.

    L’habitat rural fait beaucoup dans la production de la cohérence sociale. Quand on construit une maison dans un village, tout le village se réunit pour la construire. Ce qui fait que la maison n’appartient en réalité à personne. Tout le monde est le bienvenu.

    Dans le sillage du mouvement panafricaniste, des tentatives d’une modernité urbaine typiquement africaine, qui fasse avec les ressources du lieu, ont émergé, comme au Burkina Faso avec ce qu’a tenté Thomas Sankara. Mais c’est souvent resté au stade de l’expérimentation, car tous ceux qui ont essayé de mener ces projets alternatifs ont été systématiquement combattus, voire assassinés.

    Vous défendez une architecture plus conforme à la tradition africaine, avec un recours à des matériaux locaux pour construire les bâtiments. Mais est-ce que la course contre la bétonisation peut encore être remportée, compte tenu de la démographie du continent ?

    On ne pourra pas abandonner complètement le béton car il y a des performances qu’on ne peut atteindre qu’en béton. Si l’on veut éviter que les villes s’étalent à l’infini, il faut atteindre une certaine densité. La structure qui vous permet de construire en hauteur peut être en béton mais il est complètement aberrant de faire ce qu’on appelle du remplissage, c’est-à-dire de la maçonnerie, par exemple, en ciment ou en béton, alors qu’on peut remplir avec de la terre ou un matériau bio-sourcé.

    On retrouverait alors des performances thermiques de bon sens pour ce continent.

    Le béton est l’un des matériaux les plus polluants. Et si les lobbies du BTP ont intérêt à dire qu’il n’y a plus d’alternatives, c’est faux. La terre coûte beaucoup moins cher, même s’il faudrait toute une infrastructure pour produire massivement ces bâtiments.

    Mais il faut investir dans la recherche là-dessus, mettre en place des incitations pour les architectes qui travaillent sur ces pistes-là.

    L’attribution du prix Pritzker [considéré comme le prix Nobel d’architecture – ndlr] à Francis Kéré, un architecte burkinabè qui est un radical de la construction en terre, est un bon signal.

    Vous avez aussi très tôt tiré la sonnette d’alarme sur les projets des Gafam en Afrique, et ce que les projets de « smart city » pouvaient recouvrir.

    L’Afrique est un terrain d’expérimentation pour les Gafam qui y investissent massivement, et il est difficile de ne pas faire le parallèle avec ce qu’ont fait les laboratoires pharmaceutiques dans le Zaïre de Mobutu. La population du continent est jeune, fascinée par la modernité, et a une grande capacité à s’emparer des nouvelles technologies.

    Au Togo, le projet Novissi, lancé par le gouvernement togolais avec l’appui de la Banque mondiale et des chercheurs en intelligence artificielle de Berkeley, est assez emblématique de ce qui est en train d’être expérimenté. Le narratif du projet était qu’il fallait réussir à toucher les populations pauvres isolées pendant la pandémie.

    Novissi a identifié les personnes concernées en observant par satellite l’état des toitures, en couplant cela avec d’autres données, comme la baisse d’utilisation de crédits sur les téléphones portables.

    Le gouvernement togolais – qui a été épinglé pour son utilisation du logiciel espion Pegasus – a libéré les données des citoyens sans qu’il n’y ait eu aucun débat public et sans même en informer les Togolais.

    Maintenant que cette technologie a été testée au nom de la lutte contre la pauvreté, elle pourrait aussi être développée pour suivre des gens considérés comme marginaux ou qui ont des comportements considérés comme problématiques du point de vue de l’État.

    Vous avez monté, il y a dix ans, un projet baptisé « Hubcité » à Lomé. S’agissait-il pour vous de reprendre le contrôle sur le développement de la ville ?

    L’idée de ce projet était que les technologies sont maintenant assez démocratisées pour que n’importe qui puisse développer à l’échelle locale des formes presque aussi achevées que ce que peuvent faire les labos d’innovation de Google ou Facebook. Nous voulions créer de petits labos d’innovation que pourraient s’approprier les habitants dans les quartiers.

    Notre premier projet a été de construire une imprimante 3D, avec des produits électroniques recyclés, sur le modèle des « usinettes » prônées par Thomas Sankara, afin de distribuer dans les quartiers les moyens de production.

    Nous avons réussi à créer deux lieux sur ce modèle à Lomé, qui fonctionnent dans un rayon d’un kilomètre. N’importe qui dans ce périmètre peut souscrire à la plateforme que nous avons créée. Sur le ramassage des déchets, par exemple, on collecte vos déchets plastiques et pour chaque poubelle vous gagnez des points, qui correspondent à une sorte de monnaie locale qui ne marche que dans le rayon du « Lab ».

    Un autre projet vise à transformer toutes les zones urbaines abandonnées dans le rayon du « Lab » en potagers bio. La production est ensuite stockée et vous l’achetez dans la monnaie locale.

    Pour l’instant, je finance tout cela sur fonds propres et c’est parfois un peu acrobatique, mais je rêve qu’une municipalité teste cela avec de vrais moyens.

    Vous parlez parfois de la nécessité de recoloniser la ville par le village. Qu’est-ce que cela veut dire ? N’est-ce pas défendre un hypothétique retour en arrière ?

    Cela n’a rien de nostalgique. Dans le mouvement panafricain, beaucoup de gens avaient l’idée de retourner à l’Afrique d’avant. Ce n’est pas possible. En réalité, ce qu’il faut faire, ce n’est pas préserver les villages en les muséifiant. Il faut plutôt se dépêcher d’inventer un nouveau futur pour le village, en lui proposant une alternative à la ville telle qu’elle fonctionne aujourd’hui. Une alternative qui préserve ce que le village a de vertueux, tout en apportant au village le confort, la « modernité » qui fascine les villageois.

    À l’inverse, « recoloniser la ville par le village », c’est essayer de voir comment on peut recréer dans la ville du communal, du redistribué. Sur une ville déjà « en dur », c’est difficile de dire qu’on va tout refaire en terre : il faudrait tout raser. Mais on peut tenter au niveau politique de réintégrer l’ingénierie du mode de vie villageois à la ville.

    L’Afrique a basculé dans l’urbanisation sans complètement abandonner le mode de vie traditionnel. Si cela reste très contraint par la forme urbaine, il y a encore beaucoup de solidarité, de systèmes de réseaux informels, même dans une mégapole comme Dakar.

    Mais, même si les Africains sont très résilients, le mode de vie occidental finira par s’imposer, et ce qui va donner un coup final à cela, ce sont les technologies.

    Le béton impose une forme qui contraint la structure sociale mais que les Africains arrivent encore à « hacker ». Mais les technologies telles qu’elles sont développées en Occident ne s’accommodent pas du social. Elles ne se développent que contre le social.

    C’est-à-dire ?

    Les technologies du digital veulent faire du social à la place du social. Elles vont complètement écraser nos structures sociales. Elles ne peuvent pas se couler dans le moule des structures existantes.

    En Afrique, on a toujours fait du Uber, du Airbnb, etc. Quand vous arrivez dans un quartier africain, tout le quartier va se battre pour avoir l’honneur de vous loger. Ce n’est pas que les Africains sont « sympas » mais ils savent qu’ils appartiennent à un réseau et que lorsqu’ils auront un problème, ce réseau se mobilisera.

    Le réflexe, demain, cela va être de passer par Airbnb, car ce sera plus « facile ».

    On a vu au Togo s’implanter très rapidement l’équivalent d’Uber, développé par une entreprise française, et c’est très difficile à contrer car ce sont des technologies invasives.

    Pourtant, si je vais voir mon voisin pour lui demander de m’accompagner quelque part, il va le faire et, en le faisant, va créer une valeur autre. Nos liens se seront renforcés. Ce n’est pas une valeur quantifiable. Le chauffeur Gozem [le Uber togolais – ndlr] est rémunéré mais pas à la même hauteur.

    Il faut développer de nouveaux Uber et Airbnb qui n’écrasent pas la valeur sociale par la valeur de comptabilité. C’est ce qu’on fait dans notre projet de « Hubcité ».

    Ce Uber-là doit être développé par les gens du quartier eux-mêmes et pas par des chercheurs de la Silicon Valley qui ne connaissent pas les subtilités de notre anthropologie et qui travaillent pour des entreprises dont le but est de faire de l’argent avant tout.

    Ils créent des solutions pour des gens atomisés et, en retour, nous allons devenir des sociétés atomisées.

    On doit prendre la structure sociale comme crible et si la technologie l’écrase, on la met à distance. Ces technologies doivent nous aider à faire du social, pas à nous émanciper du social.

    Vous pensez que l’homme de la « smart city » pourrait être en réalité asservi comme jamais par les nouvelles technologies.

    On pense souvent à l’homme augmenté comme à un homme avec de grands bras en métal, avec des puces sur tout le corps, mais en fait l’homme augmenté, c’est un homme réduit au minimum. C’est quelqu’un dans son fauteuil avec des algorithmes qui pensent pour lui, avec des capteurs dans le mur qui sentent à sa place pour savoir s’il faut fermer ou pas les fenêtres. Il n’utilise même plus son interterface-corps.

    S’il veut faire un prêt, ce qu’il peut expliquer au banquier n’a aucune valeur : ses données parlent pour lui, racontent s’il a des habitudes dangereuses ou pas.

    Il utilise de moins en moins ses capacités, y compris physiques, et n’a plus besoin d’interactions.

    Le monde du digital fait de grandes coupes dans le lien social parce qu’il sait que ce lien empêche de faire de l’argent.

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/040922/sename-koffi-agbodjinou-les-villes-africaines-sont-un-terrain-d-experiment

    #villes #urban_matter #technologie #Afrique #villes_africaines #dystopie #urbanisme #géographie_urbaine #architecture
    #TRUST #master_TRUST

    ping @reka @fil

  • Quand le cyberpunk était un laboratoire du technocapitalisme… | Le blog de Yannick Rumpala
    https://yannickrumpala.wordpress.com/2020/12/07/quand-le-cyberpunk-etait-un-laboratoire-du-technocapitalis

    En attendant une parution plus substantielle sous forme de livre l’année prochaine, le texte qui suit, également disponible sur le site du magazine Diacritik, profite de l’actualité et du buzz autour d’un certain jeu vidéo pour rappeler quelques dimensions importantes du cyberpunk qui ont marqué leur époque. Et peut-être encore la nôtre…
    *

    Actualité du cyberpunk ? La sortie fortement promue du jeu vidéo Cyberpunk 2077 ajoute à ce sentiment. Pas tellement pour l’esthétique, qui peut paraître un peu datée, mais pour les thématiques peut-être surtout… Certes, ce type de jeu, avec d’autres, confirme que le cyberpunk est devenu un produit de consommation, aux inspirations largement puisées dans un recyclage de tropes qui finit par être très prévisible. Mais ce qui les a nourris, cette espèce d’anxiété sur les conséquences de l’entrée dans un nouveau technocapitalisme, conserve un intérêt comme matière à réflexion, voire mérite d’être restauré dans sa dimension potentiellement critique.

    Une force de l’imaginaire cyberpunk est de mettre ensemble des dynamiques qui font système et de les rendre presque sensibles. En poussant plus loin la densité technique, cet imaginaire esquisse les transformations possibles de la condition humaine, harnachée, augmentée, décorporée même, au point de paraître devenir de plus en plus post-humaine. En plongeant dans la complexité des réseaux d’un monde multiplement globalisé (économiquement, médiatiquement, financièrement, etc.), il signale et métaphorise des puissances à l’œuvre, celles d’un nouvel ordre qui peut être appelé « technocapitalisme » à défaut de trouver une meilleure dénomination[2]. En les rendant plus saillants, il donne une manière de saisir les effets structurants que contiennent certaines trajectoires technologiques et les transformations qu’elles induisent, autant dans les champs d’expérience des individus que dans les agencements collectifs. Avec une forte tonalité de désenchantement en plus… Les atmosphères paraissent souvent sombres et violentes ; les environnements sociaux, marqués par une insécurité latente, semblent troublés et menaçants.

    Le futur décrit est un futur reconnaissable parce qu’il comporte beaucoup d’éléments familiers. Il emprunte ces traits pour les accentuer, de manière presque monstrueuse parfois, au point effectivement de les rapprocher d’une semblance dystopique. Plutôt qu’un changement de système ou de société, les évolutions technologiques en renforceraient certains aspects, et singulièrement ceux qui pouvaient paraître les plus pathologiques : non seulement les expansions cybernétiques et machiniques pénètrent tout, des intimités corporelles (sous la forme de prothèses, d’implants, etc.) jusqu’aux fonctionnements sociaux, mais leurs effets semblent encore renforcés par une dérégulation presque complète. Dans les représentations produites, tout se passe comme si les pires tendances du libéralisme économique et du transhumanisme s’étaient combinées pour ne laisser qu’un horizon menaçant…

    _ Par les contrastes qu’elle donne, la dystopie est une forme qui prend sens non pas tellement du dedans, mais par l’extérieur, comme point de comparaison. Elle décale l’attention par rapport à des situations présentes implicitement connues et elle montre comment des conditions sont susceptibles d’évoluer jusqu’à rendre les existences humaines difficilement enviables. C’est notamment ce qui fait sa valeur heuristique : par cet assemblage de représentations, elle ouvre un espace où peut se réaliser une forme de déconstruction. Sur un mode analogue à celui des expériences de pensée, l’accentuation des trajectoires révèle des traits qui étaient plus difficilement visibles, mais les reprend surtout dans un registre particulier qui est celui de l’anxiété. Comme un rappel qu’il n’y a jamais de garantie pour un futur radieux et, en même temps, l’invitation implicite à se demander ce qui s’est passé avant pour en arriver à la situation dépeinte. _

    Sherryl Vint faisait remarquer que la technologie est une des principales voies par lesquelles le capitalisme s’étend pour remplir tous les espaces de la vie privée qui n’étaient pas marchandisés, et tous les équipements personnels sont chacun un petit vecteur[10]. Dans la manière dont il est présenté et décrit dans Neuromancien, Case le talentueux pirate informatique n’est plus rien que l’ombre de lui-même sans sa console, à tel point même qu’il ne pourra résister au mystérieux coup qui lui est proposé. De même, la jeune Kumiko dans Mona Lisa s’éclate paraît presque perdue sans sa platine qui lui sert d’assistant virtuel. Devenus parties intégrantes des milieux de vie, les réseaux et univers informatiques apparaissent comme les réceptacles de nouvelles dépendances, typiquement le besoin nouveau de rester connecté au « cyberespace ». La matrice imaginée dans les œuvres d’hier préfigurait les data centers d’aujourd’hui, qui sont effectivement parvenus à absorber une part croissante des vies humaines en les numérisant.

    Dans un tel contexte où les interventions sur les corps ne semblent plus guère avoir de limites, le sens du mot humanité a multiplement implosé. Les facteurs d’inégalité jouant logiquement pour les améliorations physiques et les remplacements des matériaux organiques, c’est la voie d’une post-humanité non pas unique mais multiple qui paraît ainsi tracée. Loin d’une uniformisation, elle apparaît marquée par la variété des possibilités, en fonction des choix : par exemple, transformer son corps en arme et s’extraire de son destin de prostituée comme Molly Millions avec ses prothèses oculaires et ses lames rétractables au bout des doigts dans Neuromancien. Mais aussi et peut-être surtout en fonction des ressources, dont la répartition largement déséquilibrée tend là aussi à faire sentir ses effets. La condition cyborg agit alors comme un révélateur supplémentaire de ce qu’une aspiration à l’égalité pourrait avoir d’incongru dans ces mondes.

    S’il y a de la politique dans les artefacts techniques, les productions du cyberpunk interrogent d’une autre manière cette dimension pour les machines évoluées que sont les intelligences artificielles. Perce là aussi comme une appréhension inquiète si ce genre de création devient source de pouvoir, ou même un nouveau pouvoir. Une particularité de l’œuvre de William Gibson est toutefois que ce ne sont pas les intelligences artificielles qui sont à l’origine de ce qui pourrait ressembler à une dystopie. Plus largement, quand le cyberpunk semble exprimer une part d’anxiété diffuse par rapport à des machines pouvant devenir « intelligentes », celle-ci ne vient pas tellement (ou pas seulement) du fait qu’elles deviennent incontrôlables, mais aussi qu’elles deviennent comme des boîtes noires inaccessibles à la compréhension humaine.

    Nonobstant, ce que montre le cyberpunk, ce n’est pas tellement le remplacement des humains par les machines, mais plutôt les multiples hybridations, continuités, fusions, etc., susceptibles de bouleverser leurs rapports. Et si ces représentations sont de nature à engendrer un trouble, c’est parce que perce cette interrogation latente : les humains y gagnent-ils vraiment ?

    Ces compagnies, à l’image des zaibatsus de la Trilogie de la Conurb de William Gibson, ont quitté les rives de l’humanité pour devenir des espèces de monstres inhumains, où l’intérêt brut et la froideur cynique ont remplacé l’empathie. Pour ces firmes et leurs dirigeants (carrément fous ou pervers pour certains), les populations ne semblent plus être que quantités dérisoires.

    Le cyberpunk installe ainsi sa propre dialectique de l’ordre et du désordre. Il ne s’agit pas de chaos complet, mais d’un autre ordre social qui comporte aussi ses règles (même si elles prennent les apparences de la force brute). Et la classe la plus aisée parvient toujours à utiliser cet ordre à ses propres fins, celles de la domination économique et du contrôle qui va avec , et même celle encore plus ultime de pouvoir enfin réaliser la vieille obsession d’une vie éternelle. Quoi qu’il arrive, la richesse permet de mettre les risques à distance, de même que les populations indésirables. Y compris par la possibilité de partir vivre dans des stations orbitales pour les plus aisés, comme dans Neuromancien de William Gibson ou Câblé de Walter Jon Williams. Et malheur aux perdants et vaincus de ces luttes inégales…

    Le cyberpunk est une littérature de la désorientation. Mais c’est une désorientation qui tient moins à des fragilités psychologiques qu’aux conditions sociales dans lesquelles protagonistes et personnages sont amenés à se débrouiller. Tout se passe comme si l’idée de trouver sa place dans la société ne faisait plus sens. Cette désorientation, qui paraît là aussi systémique, est d’autant plus prégnante qu’elle traverse le vécu des protagonistes au fur et à mesure que les récits avancent

    Les supposés progrès technologiques n’apporteront pas de secours et deviennent même un autre vecteur d’anxiété. Dans le registre désenchanté qui lui est presque propre, le cyberpunk donnait de quoi relativiser et réduire par avance les espoirs qui ont été mis ensuite dans les « nouvelles technologies de l’information et de la communication » et Internet. Aucune redistribution des pouvoirs ou ouverture d’espaces de liberté n’était garantie. Au contraire… Dans cette variété de dystopie cybernétique, débrancher n’est plus une option.

    Sombres. Très sombres même… Les récits du cyberpunk ne laissent guère de place aux espérances. Ce faisant, par les voies de la fiction, ils questionnaient aussi et questionnent encore des trajectoires imaginables pour les sociétés du XXIe siècle. Le cyberpunk donnait à voir les effets d’un darwinisme social intégrant une forte composante technologique. Il était une manière de porter un regard sur le sort des perdants d’un libéralisme économique exacerbé et d’un système capitaliste complètement dérégulé. Sauf à faire partie de la classe favorisée de ces moments futurs, la prudence est de mise dans presque toutes les situations et le stress est quasi permanent. Dans ces mondes, l’artificialité est partout poussée encore plus loin, dans les corps comme dans les environnements.

    #Cyberpunk #William_Gibson #Imaginaires #Dystopies