Cette très belle émission me rappelle, notamment, les questionnements que nous nous posions à l’époque de la crèche parentale dans laquelle nous avons accompagné notre fils, de 93 à 95, avec d’autres parents et des professionnels. La « parentalité » fut le thème de mon premier site web, en 1996 :-)
Les témoignages des enfants et ceux du collectif des parents concernant l’ambiance catastrophique des centres de loisirs municipaux et du périscolaire sont d’un réalisme saisissant.
On retrouve, dans ces structures, des agents peu qualifiés qui enchaînent des journées de travail infernales (jusqu’à des semaines de 10 heures quotidienne en période de congés scolaires) et le plus souvent en sous-effectif.
Dans ces conditions s’instaure rapidement des logiques de gestion de flux d’énergie d’enfants dont l’objectif consiste essentiellement à obtenir l’obéissance et la discipline, POUR AVOIR LA PAIX ; le projet pédagogique venant alors en guise de faire-valoir du service public.
Comme souvent dans l’administration, la logique de travail en centre de loisirs concourt à la pratique de l’ouverture du parapluie et de la justification. On aime rien tant que montrer les « réalisations des enfants » : merci aux smartphones des animateurs ouverts en permanence pour capturer « les photos et les vidéos des enfants » à l’aide du compte WhatsApp, à usage indistinctement pro-perso (les équipes encadrantes ayant le réflexe d’y recourir également pour communiquer avec les anims). On aime rien tant que montrer « ce que les enfants ont fait », quitte à le faire (plus ou moins) à leur place, en ignorant que le plus important réside dans la démarche plus que dans le résultat. Mais la hiérarchie aime le résultat. C’est ce qu’il y a de plus pratique à fournir à la strate supérieure pour justifier de son activité. Et à la fin ça fait des belles images sur le site web de l’employeur et dans le journal municipal.
J’ai travaillé en tant qu’animateur multimédia tous les mercredis en centre de loisirs municipal. J’étais employé sur deux ateliers spécifiques de deux heures chacun (un le matin, dans une école, l’autre l’après-midi, dans « ma salle ») en présence d’enfants de 9 à 11 ans. Deux heures d’animation d’activité informatique pour des enfants est un temps largement suffisant (j’ai refusé d’animer des ateliers informatiques en périscolaire le soir, jusqu’à 18:30... il est incroyable qu’on me l’ait proposé !).
En plus, de l’animation (présence auprès des enfants) j’avais une heure pour préparer la salle du matin avant et après l’atelier ; vu l’état de la salle informatique de l’école, ce n’était pas du luxe. L’atelier de l’après-midi ne nécessitait aucune installation car c’était la salle dans laquelle j’animais la plupart de mes autres activités et elle était toujours clean.
En plus du temps d’installation matérielle, j’avais un temps de préparation pédagogique spécifique, intégré au temps global de préparation de toutes les activités que j’animais sur la ville.
Il n’était évidemment pas question que je travaille gratuitement, d’où ce décompte précis du temps : animation, préparation et installation.
Cette remarque pourrait sembler incongrue mais elle vaut d’être explicitement formulée car elle nous renvoie directement à la problématique évoquée dans l’émission : il faut savoir que beaucoup d’animateurs n’ont ni de temps de formation ni temps de préparation comptés sur leur temps de travail ; beaucoup étant contractuels à des taux de travail parfois inférieurs à 50% d’un temps complet. En conséquence, nombre de ces jeunes animateurs n’ont d’autres choix que de prendre sur leur temps personnel pour préparer leurs activités et pour se former, s’ils ont la conscience professionnelle de ne pas vouloir être livrés à eux-même et improviser la façon dont ils vont conduire leur présence auprès des enfants.
Le temps de travail global (prépa, installation et animation) que j’ai obtenu pour animer ces ateliers informatiques en centre de loisirs est donc exceptionnel. Il correspond à ce qui me semblait raisonnable et normal pour travailler avec des enfants. Mon positionnement syndical mais surtout professionnel m’a permis d’imposer ces conditions : alors que j’étais fonctionnaire pour d’autres services sur la collectivité, je suis venu travailler sur le centre de loisirs, en tant que « prestataire interne », au même titre qu’une association, au moment de la réforme des rythmes scolaires (2013), pour animer les temps dit « péri-éducatifs » et j’y suis resté une fois que la réforme (sociétale et clientéliste de Hollande) a été mise au placard. C’est donc mon positionnement, en tant « qu’agent extérieur au service périscolaire », qui m’a permis d’assurer des conditions acceptables des ces ateliers pour moi et surtout pour les enfants. À méditer.
Je suis convaincu que la plupart des activités en centre de loisirs et en périscolaire devraient être organisées sur le principe de temps réellement construits sur le plan pédagogique (avec des temps distincts de préparation pédagogique, d’installation et d’animation). C’est probablement la seule solution qui permettrait d’éviter ces séquences trop longues de professionnels peu qualifiés qui conduisent inévitablement aux pratiques dites « occupationnelles » (terme dépréciatif que j’ai entendu, provenant d’autres professionnels du service public, appartenant au secteur « information jeunesse », qui travaillent sur la tranche d’âge 16-25 ans).
Même si ce n’est pas agréable à entendre (je peux en témoigner), force est de reconnaître que les agents des centre de loisirs sont assujettis à des pratiques de garderie. La responsabilité de cette réalité ne leur incombe que de façon marginale car c’est un problème structurel : tant que les grilles indiciaires des adjoints d’animation (le gros de la troupe, placés auprès des enfants) seront aussi basses, tant que ces agents correspondront aux statuts les plus précaires et les moins formés de la fonction publique, il n’y a aucune raison que l’accueil des enfants en périscolaire soit amélioré.
Au-delà du périscolaire, les pratiques des professeurs des écoles devraient être fondamentalement réorganisées pour éviter les logiques de saturation, de routine et d’évitement des professionnels, même s’il y a des magnifiques pratiques enseignantes dans les écoles publiques. Je trouve qu’il est aberrant qu’il n’y ait qu’une seule personne sur laquelle repose l’année scolaire d’une classe, parfois de plus d’une vingtaine d’enfants et que cela soit reconduit d’année en année, jusqu’à l’épuisement de l’enseignant.
Enfin, le lien entre l’oppression des enfants et l’oppression patriarcale, énoncé très explicitement dans cette émission, me semble totalement pertinent.
Les problématiques concernant la violence institutionnelle à l’encontre des enfants devraient sortir des milieux, socialement privilégiés, dans lesquels on a l’habitude de les trouver.