Giorgia Meloni, Marine Le Pen : sur l’immigration, deux discours, deux stratégies
▻https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/03/giorgia-meloni-marine-le-pen-sur-l-immigration-deux-discours-deux-strategies
Giorgia Meloni, Marine Le Pen : sur l’immigration, deux discours, deux stratégies
Lorsque Marine Le Pen et Giorgia Meloni emploient le mot « immigration », elles ne parlent pas de la même chose. On aurait tort de prendre les deux dirigeantes d’extrême droite pour les interprètes d’un même discours. Pour la présidente du conseil italien, l’immigration est un phénomène de géographie humaine externe qui doit être contrôlé, sa régulation offrant des opportunités en matière de politique étrangère.
En revanche, quand le terme est employé par les chefs de file du Rassemblement national [RN], il évoque tout autre chose. On ne parle plus d’un phénomène quantifiable. On convoque plutôt, au moyen de non-dits, un imaginaire anxieux faisant référence moins à des flux réels qu’à des tensions et à des malaises identitaires intérieurs, produits de la longue histoire coloniale et migratoire qui a façonné la société française contemporaine.
Il est donc question d’autre chose. Dans ce discours confus mais efficace, la notion d’immigration sert de liant à un ensemble d’angoisses nationales, identifiant le terrorisme islamiste, les révoltes des banlieues, les fraudes sociales, la criminalité et, depuis le 7 octobre 2023, l’antisémitisme, à la figure d’un migrant imaginaire. Le discours du RN vise en réalité les citoyens appartenant aux minorités, en particulier ceux de confession musulmane.En Italie, dans le discours de Giorgia Meloni, ce sous-texte est inexistant. Le thème de l’immigration ne sert pas à camoufler un discours sur une réalité intérieure qu’elle laisse à ses alliés de la Ligue et aux franges les plus droitières du spectre politique. Il désigne un phénomène extérieur.
Dans les discours de la présidente du conseil, le migrant est une victime « désespérée » dont le « droit à ne pas émigrer » a été bafoué du fait de carences de développement économique imputables aux politiques jugées prédatrices de puissances extérieures. C’est alors la France qui est visée. Il est surtout victime de « trafiquants d’êtres humains » à combattre en puisant dans le savoir-faire italien de la lutte antimafia. Dès lors, la politique migratoire de Rome est devenue un vecteur d’action diplomatique. Depuis le début de son mandat, Giorgia Meloni a posé les jalons d’un discours prônant une coopération renouvelée avec les Etats africains. Ayant organisé un sommet Italie-Afrique à Rome en janvier, elle met en avant un récit selon lequel l’Italie serait porteuse d’une approche « d’égal à égal », socle d’une coopération en matière migratoire avec les Etats de départ et de transit.
Cette politique s’est traduite par des accords avec l’Egypte, la Libye et la Tunisie conditionnant des aides financières à un contrôle plus efficace des flux, au prix de violations des droits humains au sud de la Méditerranée. De fait, le nombre d’arrivées irrégulières par la mer a considérablement baissé avec 41 181 personnes enregistrées fin août pour l’année 2024 contre 113 877 personnes à la même période en 2023.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a été partie prenante de cet effort italien et Mme Meloni a pour l’instant abandonné le discours selon lequel l’Union européenne [UE] était complice d’une immigration illégale bouleversant les équilibres communautaires. La présidente du conseil a préféré présenter à ses électeurs l’Italie comme une force motrice en matière migratoire, se félicitant que Bruxelles se soit réapproprié son raisonnement. Mme Meloni a d’ailleurs soutenu le Pacte européen sur la migration et l’asile adopté en mai, farouchement combattu par le Rassemblement national.
La poursuite de cette dynamique dépendra de l’évolution des relations entre Rome et Bruxelles. Soucieuse de ne pas abandonner trop d’espace à droite à son allié Matteo Salvini de la Ligue, Giorgia Meloni s’est en effet abstenue au Conseil européen lors de l’élection pour un deuxième mandat d’Ursula von der Leyen. Le parti de la cheffe de l’exécutif italien, Fratelli d’Italia, a annoncé avoir voté au Parlement contre sa reconduction à la tête de la Commission.
Au-delà de l’UE, la diplomatie migratoire de Giorgia Meloni s’est également traduite par un accord inédit avec l’Albanie censé aboutir à l’ouverture de centres de rétention pour demandeurs d’asile. Ces structures de droit italien qui seront installées en territoire albanais ont été présentées comme propres à dissuader les candidats à l’exil. La présidente du conseil veut voir dans ce projet bilatéral une preuve de l’influence retrouvée de l’Italie sur la scène internationale.
Elle a trouvé en son homologue à Tirana, Edi Rama, un italophone avec lequel elle entretient des relations d’une cordialité démonstrative. Ce dernier est en effet toujours prêt à flatter l’orgueil italien en rappelant avec reconnaissance l’accueil dont ont bénéficié les migrants albanais venus s’installer en Italie dans les années 1990. Le gouvernement de Mme Meloni a aussi fait preuve de pragmatisme en confirmant l’ouverture de l’Italie à la migration régulière dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et de déclin démographique prononcé. En 2023, un décret organisant l’entrée dans le pays de 452 000 travailleurs étrangers d’ici à la fin de 2025 a ainsi été adopté.Cet été, la question de l’accès à la nationalité a été rouverte. Le vice-président du conseil, Antonio Tajani, chef de file de Forza Italia (centre droit), partenaire de Mme Meloni au sein de la coalition au pouvoir, s’est en effet prononcé en faveur d’un assouplissement des règles de naturalisation pour les enfants d’immigrés scolarisés en Italie. Sa proposition, rejetée par de la Ligue et par Fratelli d’Italia, faisait suite aux succès d’athlètes italiens qui, aux Jeux olympiques de Paris, ont donné à voir une nouvelle fois à l’Italie, pays d’émigration devenu terre d’immigration, sa diversité déjà bien installée.
#Covid-19#migration#migrant#italie#albanie#egypte#afrique#tunisie#libye#UE#politiquemigratoire#economie#demographie#sante#migrationreguliere