• Inégalités : comment expliquer l’hypocrisie de la gauche ? (Louis Maurin, Observatoire des Inégalités)
    https://www.inegalites.fr/Inegalites-comment-expliquer-l-hypocrisie-de-la-gauche

    Le débat sur les #inégalités en France est marqué par une profonde hypocrisie. Les grandes envolées lyriques, souvent à gauche de l’échiquier politique, cachent mal une indifférence au sort des #catégories_populaires.
    […]
    Si l’hypocrisie existe en matière d’#inégalités_sociales, elle vient donc de la gauche, et plus précisément d’une forme de « #bourgeoisie_culturelle ». Diplômée, elle occupe les centres de pouvoir au niveau national comme au niveau local, dans l’univers politique, médiatique, associatif ou professionnel. […] Mais tout en tenant un discours très virulent contre les inégalités, elle s’intéresse surtout à l’école de ses enfants (la #reproduction des inégalités dans le temps), à ses loisirs (la maîtrise de son temps) ou à son environnement (bien manger, bien respirer, etc.). Le sort des ouvriers qui travaillent à la chaîne ou des caissières n’est pas vraiment son problème. Elle célèbre la « #mixité » (sociale, ethnoculturelle, etc.) tant qu’elle s’applique aux autres catégories et n’envahit pas ses quartiers.

    Pour défendre leurs #privilèges, ces bourgeois culturels jouent sur plusieurs registres […]. Tout d’abord, ils mettent en avant les inégalités qui ne bousculent pas leur pouvoir en tant que groupe social : écarts entre les sexes, les générations, les inégalités territoriales et les #discriminations. Redécouvertes, ces « nouvelles inégalités » envahissent les discours et occupent le terrain pour faire paravent aux inégalités entre groupes sociaux. Ensuite, cette bourgeoisie de gauche joue les victimes. La dramatisation des discours qu’elle tient, autour de la #crise et de la #précarité, a une fonction. Si précarité, #déclassement, mauvaises #conditions_de_travail et #chômage touchent tout le monde, ils ne touchent plus personne en particulier. […] Enfin, une part croissante de ces privilégiés est sensible aux #discours_xénophobes sur l’incompatibilité culturelle d’une partie des #immigrés (les Arabes et les noirs, disons les choses clairement) et l’exprime plus ou moins ouvertement.
    […]
    L’#embourgeoisement des organisations qui représentaient le camp de l’égalité sociale est la première explication qui vient à l’esprit. […] Cette explication a une portée limitée. Elle idéalise le bon vieux temps de la politique alors que les instances dirigeantes des partis n’ont jamais été représentatives de la société. Surtout, elle débouche sur une question similaire : pourquoi ces organisations se sont-elles embourgeoisées ?
    […]
    Le transfuge récent d’une partie des élites de la gauche vers La République en marche constitue une forme de « coming out » qui réduit l’hypocrisie de cette composante de la bourgeoisie culturelle. Elle n’a plus besoin de faire semblant de s’opposer aux inégalités, elle est passée aux « premiers de cordée » qui doivent montrer l’exemple de la #réussite_individuelle. Une partie de la gauche est passée du camp social démocrate au camp libéral (au sens économique).

    L’hypocrisie actuelle repose également sur d’autres ressorts. Des facteurs idéologiques : si l’on met autant en avant les « nouvelles inégalités », c’est que la brutalité du raisonnement marxiste d’hier les a longtemps occultées. […] Toute une partie des inégalités, de genre ou liées à la couleur de peau notamment, était passée sous silence. Elles s’invitent d’autant plus fortement dans le débat. L’ampleur du mouvement actuel contre la domination masculine s’explique par la violence de cette #domination. […]

    C’est plus que cela. Les transformations sociales accélérées depuis les années 1970 ont débouché sur une grande confusion. […]

    Les catégories sociales les plus favorisées veulent profiter pleinement de l’avènement de la #société_de_consommation tout en la critiquant. Pour cela, elles ont notamment besoin du temps des autres, qu’elles achètent sous des formes très variées : femmes de ménage, gardes d’enfants, hôtellerie, restaurants, transports, commerces, etc. Elles profitent d’avoir une main d’œuvre #flexible et dont les temps sociaux sont désynchronisés, qui constitue le cœur des catégories populaires.
    […]
    En même temps, la stagnation de l’activité économique rend les choix de répartition des #revenus tendus. En période de progrès, on pouvait donner un peu plus aux plus démunis tant que sa propre part augmentait. Depuis 2008, le revenu global stagne et le combat pour récupérer sa part devient de plus en plus âpre. Quand il faut trancher, ce que l’un gagne, l’autre le perd. […]
    Un dernier facteur joue, plus rarement évoqué, celui du rôle de l’#école. […] Cette bourgeoisie culturelle fait tout ce qu’elle peut pour occulter le rôle du #capital_culturel en matière de domination sociale. […] On comprend que cette bourgeoisie culturelle bloque toute réforme scolaire d’ampleur. […] Son crédo est « l’#élitisme_républicain », qui n’a jamais été autre chose qu’un #élitisme_social accompagné de quelques figures méritantes bien mises en avant. […]

    […] De la lutte pour la #démocratisation de l’école au soutien aux populations migrantes en passant par le combat contre le mal-logement, la #résistance existe grâce à l’investissement d’une frange de cette bourgeoisie culturelle, souvent la moins favorisée. Des associations à l’enseignement, un grand nombre d’acteurs s’investissent tous les jours pour réduire les écarts entre les milieux populaires et les plus défavorisés, même si c’est rarement eux que l’on entend le plus. Enfin, une partie de la jeunesse est certes diplômée mais détient des titres dévalués sur le #marché_du_travail. Elle se trouve sévèrement déclassée et exprime sa #frustration.
    […]
    Méprisées, écartées pour partie du progrès des revenus et de l’école, les catégories populaires se manifestent de plus en plus en soutenant l’extrême droite, comme en témoigne la montée en puissance progressive du Front national. […]