• L’état d’urgence sanitaire et l’état du droit du travail
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    Parmi la litanie des mesures adoptées sans débat par le gouvernement sous couvert d’état d’urgence sanitaire, figure un nouveau toilettage de printemps pour le droit du travail. Pour décoder les « mesures d’urgence » élaborées en la matière, nous avons questionné Emmanuel Dockès, professeur de droit à l’Université de Nanterre. En suivant le fil qui va de l’allongement de la durée du travail à l’obligation de poser des congés, en passant par les injonctions à ne pas cesser le travail dans certains secteurs « clefs », on mesure à quel point la réglementation d’exception est sans rapport avec la lutte contre le virus. Jusqu’où le gouvernement a-t-il poussé la logique libérale mortifère pour distordre le droit du travail au nom de la sécurité sanitaire ? Source : Lundi (...)

    • Travail, entreprise, économie, dictatorship is easyer

      « L’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, adoptée en quelques jours dans un cabinet ministériel sans aucun débat d’aucune sorte, autorise la destruction de la plupart des limitations du temps de travail prévues par la loi ou les conventions collectives. L’ordonnance simplifie notamment le passage aux 12 heures de travail par jour, ou même par nuit, au 60 heures par semaine, à la réduction du temps de repos minimal à 9 heures de repos consécutives (trajets inclus), la suppression du repos dominical...

      Ces mesures ne sont pas des mesures de sécurité sanitaire. Elles n’ont pas pour objectif de sauver des vies. Selon l’ordonnance, ces destructions de protections sont possibles jusqu’au 31 décembre 2020, dans tous les « secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale ». La formule est volontairement très ouverte. La quasi-totalité des « secteurs » d’activité existant sont a priori nécessaires soit à la sécurité, soit à la vie économique soit à la vie sociale, soit il ne servent pas à grand chose. [...] Tout va donc reposer sur l’adverbe « particulièrement » : les salarié.es ne pourront être contraint.es au surtravail jusqu’à épuisement que dans les secteurs « particulièrement » nécessaires à la sécurité, l’économique ou le social. Cette limitation de papier n’est pas « particulièrement » rassurante, surtout dans un contexte où les juges ne contrôlent plus rien. Le domaine de la destruction dépasse donc très largement ce qui pourrait être imaginé comme nécessaire à la lutte contre le Covid 19. Mieux, partout où un surtravail est utile à cette lutte, les textes prévoyaient déjà de possibles dérogations aux protections.

      [...] Ces secteurs utiles avaient donc déjà toute latitude pour augmenter le temps de travail. L’ordonnance n’est utile que pour les secteurs qui ne sont pas utiles à cette lutte. L’Etat d’urgence sanitaire prévoit de nombreuses mesures inutiles dans la lutte contre le virus. Les mesures relatives aux temps de travail font mieux : elle ne contiennent que des mesures inutiles dans la lutte contre le virus. C’est une curiosité. » [...]

      Les exceptions aux protections antérieures avaient besoin d’être ou bien justifiées - par la situation exceptionnelle, l’urgence, le sauvetage, la continuité…- ou bien prévues par une convention collective. Les exceptions prévues par l’ordonnance peuvent être ordonnées par l’employeur seul, sans aucune justification ni convention collective, pourvu que le Premier ministre ait pris un décret labellisant son secteur d’activité comme « particulièrement » nécessaire à quelques chose (n’importe quoi). L’effet de l’ordonnance n’est donc pas de permettre de nouvelles dérogations lorsqu’elles sont consenties ou justifiées. C’est en cela qu’elle est originale. Elle permet des dérogations, sur simple ordre de l’employeur, même lorsqu’elles ne sont ni justifiées, ni consenties .[...]

      La période de confinement forcé est une période de tension, de stress. Ce n’est pas une période de repos. Clairement, après un long confinement dans des conditions souvent très difficiles, la sensation sera plus celle du besoin de vacances que celle d’un retour de congé. Pourtant, un certain nombre de mesures permettent aux employeurs d’imposer la prise de jours de « repos » pendant la période du confinement, de jours de RTT, de compte épargne temps, une semaine de congés payés si une convention le prévoit… C’est une manière de faire porter sur les salarié.es une partie du coût du coronavirus en les privant de véritable repos.

      Cette volonté de ne pas faire s’arrêter l’économie productrice de profit a été très forte au sein du Gouvernement, y compris en plein pic épidémique. On en a vu toutes sortes d’exemples effarants. La priorité donnée à Airbus pour avoir des masques de protections pour leurs salariés, dans une période où tous les avions étaient cloués au sol ; les menaces faites aux patrons du BTP qui voulaient protéger leurs salariés de priver cette branche du bénéfice du chômage partiel ; les instructions données aux inspecteurs du travail de ne plus exercer leurs fonctions qui sont de veiller au respect des règles de sécurité, … Très clairement, dans de nombreux cas, la santé a été pensée comme secondaire par le Gouvernement, la priorité étant la poursuite de l’activité économique. Il s’agit de positions qui sont relativement proches de celles des dirigeants les plus caricaturaux de la planète, comme Trump ou même Bolsonaro.

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