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  • #Ernesto_Ricou : « Mon sentiment profond, c’est qu’on dérange à #Lausanne »

    Depuis le 1er janvier 2016 et le #déménagement forcé du centre interculturel #Casa_Mundo, le #Musée_de_l’immigration_de_Lausanne vit entre quatre murs derrière une petite porte en bois défraîchi d’une arrière-cour de l’avenue Tivoli.

    En ce matin d’hiver 2016, Ernesto Ricou reçoit à l’heure du café, dans ce musée qu’il dirige depuis 18 ans. La poignée de main ferme, le visage rayonnant et la moustache frétillante, cette figure lausannoise entame chaleureusement la conversation, comme à son habitude. Aujourd’hui plus qu’hier, il semble apaisé, heureux, soulagé. Dès mon arrivée, il me présente Alexandre, celui par qui la lumière jaillira d’ici peu dans ce petit cocon dédié à l’immigration. Alexandre est électricien. Un énième bienfaiteur pour le musée, dont Ernesto dira qu’il « fait déjà partie de la famille ». Grâce à Alexandre, même si la lumière extérieure peine à percer à travers les rideaux les jours de beaux temps, le maître des lieux pourra enfin mettre dans la lumière les centaines d’oeuvres disséminées dans ce bric-à-brac rempli d’humanité. « Il y aura des prises un peu partout, des lampes, des néons, sans oublier deux chauffages d’appoint », ajoute Ernesto avec passion.

    Aujourd’hui Alexandre, et demain ? Ce matin-là, Ernesto Ricou ne sait pas de quoi demain sera fait, mais il parvient désormais à croire en un avenir meilleur pour son musée : « Je ne pouvais pas tout arrêter, pas maintenant, pas avec tout ce qu’il se passe en ce moment avec les immigrés. » Le ton a radicalement changé par rapport à nos premières rencontres. Lui qui rêve toujours de locaux spacieux pour accueillir les personnes dans le besoin, d’étagères remplies de livres qui formeraient « un labyrinthe symbolisant les difficultés des migrants », d’un jardin avec des bancs disposées en cercle pour former une sorte de place de village, se recroqueville pour l’heure derrière cette porte en bois chancelante d’un bleu azur en attendant un signe.

    31 décembre 2015. Pour la plupart d’entre nous, cette date est synonyme de repas gargantuesque, verres qui trinquent et meilleurs voeux. Pour Ernesto, le 31 décembre 2015 restera toujours ce jour où il a rendu les clés de son centre associatif et interculturel sis au 14 avenue de Tivoli à Lausanne. Ce soir-là, une porte se ferme sur presque vingt années de partages, de rencontres et d’histoires humaines. Une clé, une poignée de main, et au revoir monsieur Ricou. Fin de l’histoire. Lui qui se démène pour les autres depuis tant d’années termine 2015 seul, par un état des lieux chargé d’émotion. Un long moment, alors que le gérant neuchâtelois échange avec les nouveaux locataires des lieux, Ernesto reste seul, en retrait, le regard dans le vide, perdu dans ses pensées : « Le gérant était très gentil et avenant. Il m’a demandé « ça va Ernesto ? ». Je ne savais pas quoi lui répondre sur le moment. » Ernesto « va ». Ni bien, ni mal. Il sent juste que ce lieu qu’il a tant apprécié malgré la froideur de ses murs blancs lui échappe définitivement. Après tant de semaines à tout vider et tout nettoyer, parfois accompagné mais le plus souvent seul, un chapitre de sa vie se referme, sur lequel il ne manque toutefois pas d’humour : « Ils me connaissent bien maintenant dans les déchetteries ! J’ai même sympathisé avec un agent de service équatorien grâce à mes allées et venues. On ne se refait pas vous savez ! » Combien de trajets faits pour débarrasser le plancher ? Une bonne dizaine sûrement, sans compter tout ce qu’Emmaüs a emporté et les quelques objets achetés par des visiteurs pour quelques dizaines de francs qui finiront dans la tirelire du musée, sans doute pour payer la maigre facture d’électricité. « J’ai tenté une négociation sur le loyer comme un dernier baroud d’honneur, mais mes demandes auprès de la gérance ont toutes été refusées. Le prix du mètre carré dans ce quartier est assez cher, et il y a 120m2, ça vaut beaucoup d’argent. Je ne sais pas ce qu’ils veulent en faire car l’endroit est vétuste. Il y a besoin de travaux, il n’y a pas de chauffage. Ici, nous avons tenu presque vingt ans sans chauffage, vous vous rendez compte ? »

    Ernesto en fera d’ailleurs le constat lorsqu’il apprendra que d’un locataire à un autre, d’une main à une autre, rien qu’en donnant une clé, l’atelier avait vu son loyer mensuel bondir de plus de 500.-. « Nous ne pouvions plus payer le loyer de 1’200.- tous les mois. Il nous prenait presque toujours les deux tiers des sommes qu’on recevait chaque mois. En août, nous n’avions déjà plus d’argent, plus un centime dans les caisses », explique-t-il. L’homme à l’allure de druide n’avait donc aucune chance de demeurer entre ces murs devenus un manque à gagner trop important pour la riche propriétaire genevoise des lieux.

    Qu’une gérance souhaite récupérer un bien locatif, soit. Mais quid de l’attitude de la ville de Lausanne et du canton de Vaud ? « La ville de Lausanne, avec tout mes remerciements, nous a aidés en assurant le loyer de la salle d’activité jusqu’au 31 décembre 2015, mais mon sentiment profond, c’est qu’on dérange à Lausanne. J’ai l’impression que le Musée de l’immigration n’entre pas dans les plans de la municipalité lausannoise, et le chantier du nouveau musée cantonal des Beaux-Arts intéresse plus le canton et la ville que nos activités. Le Mudac et l’Elysée sont les grandes occupations des services culturels, pas le Musée de l’immigration. C’est comme ça. Notre musée, sur ce plan, il fait tache. Nous ne sommes pas intéressants pour eux. Les autres musées lausannois rapportent plus de prestige à la commune et à l’Etat que notre musée. On prête plus vite un million à un client d’une banque que 10’000.- à quelqu’un de “normal“ qui veut s’acheter une voiture ! C’est comme ça. Je remercie sincèrement l’Etat pour ce qu’ils ont fait pour nous dans le passé », confessait-il avant de se lancer dans son déménagement puis d’ajouter : « Je ne veux pas entrer dans une polémique sur ce dossier, car les services de la ville nous ont fait économiser des milliers de francs et que nous sommes une maison de paix et d’harmonie. On est en décalage avec le fonctionnement du BCI (Bureau cantonal pour l’intégration des étrangers et la prévention du racisme) et du BLI (Bureau lausannois pour les immigrés). Ils nous ont aidés au compte-gouttes, mais même avec ce très peu, nous faisions des miracles. Nous n’avons jamais eu autant d’activités depuis deux ans. »

    Dans les faits, le Musée de l’immigration et sa structure Casa Mundo ont organisé 32 événements sur l’année 2014 et prit part, notamment, à la Nuit des Musées de Lausanne et de Pully ces trois dernières années, pour un bilan qui dépassait les attentes du maître des lieux : « Le bilan de la Nuit des Musées 2015 a été très positif, puisque nous avons accueilli un nombre record de 440 visiteurs sur la journée (contre 212 en 2014 et 300 en 2013, et une moyenne annuelle des 700 visiteurs sur 100 jours d’ouverture à l’année, ndla).

    Après avoir connu des périodes difficiles début 2016, Ernesto Ricou s’est pris à croire de nouveau aux miracles, lui l’homme de foi : « Ma vie, c’est un apostolat. Je me rends compte maintenant que je suis un grand-père, que depuis 42 ans j’ai accumulé des compétences qui me permettent d’avoir le courage de dire cela. Il faut une grande dose de détermination, d’amour du prochain et de bonté pour venir ici depuis 18 ans avec des conditions de travail difficiles, sans structure réelle ni secrétariat, ni ligne téléphonique fixe, avec une photocopieuse qui marche au ralenti et sans chauffage ! »

    Encouragé et reboosté par la nouvelle génération qu’il voit s’investir dans cette cause migratoire, le descendant de Huguenots reprend finalement du poil de la bête. « Un jour, l’une de nos directrices à Casa Mundo, Rosemarie Andrey, me dit que sa fille et trois de ses amies voulaient monter une association humanitaire et qu’elles souhaitaient absolument que cette association soit lancée officiellement dans nos locaux. » Lassé et usé, Ernesto hésite, prend le temps de réfléchir et d’écouter son corps. Physiquement, cette période l’a fatigué, mais un brin de force est toujours là, « cette force qu’ont les Portugais du nord comme moi, cette force granitique ! », lâche t’il en en bombant le torse avec son sourire malicieux. Séduit par le projet des jeunes Vaudoises, il décide donc de relever un nouveau défi, comme un dernier tour de piste. Le lancement de cette nouvelle structure associative, baptisée Individuals United, a donc eu lieu le 11 décembre 2015 à l’Atelier Casa Mundo. A force de travail, d’acharnement et d’entraide comme à chaque fois que quelque chose se passe dans ces murs.

    « Ces filles sont complètement folles, tellement folles ! C’est sans doute l’innocence qui les perd ! » Il en rigolerait presque. « Voir cette soirée de lancement ici, c’était presque irréel ! » Pour que tout devienne bien réel, Aurélia Fischer et ses amies mettent les petits plats dans les grands : « Une des filles travaillait à la communication du Lausanne Hockey Club, et c’est comme ça que le club s’est retrouvé impliqué dans cette aventure folle. Ils ont apporté des tables, des sièges en cuir, monté un bar, mis des guirlandes lumineuses, fait venir un traiteur libanais. Il y avait même des filles du club en uniforme pour accueillir les gens ! » Les filles parviennent à tout cacher, tout décorer, pour que les objets entassés dans chaque recoin de la salle et attendant leur voyage à la déchetterie n’importunent pas les invités. L’espace d’une soirée, tout disparait comme par enchantement et l’atelier d’artistes insalubre et non chauffé devient un véritable carré VIP, laissant le moustachu au grand coeur sans voix. « C’était tout simplement féérique, » dira-t-il avec des étoiles plein les yeux. Résultat : près de 4’000 francs collectés. Dans les mois qui viennent, Ernesto suivra de très près l’aventure d’Individuals United, et nul besoin de lui poser la question, il est certain qu’il les aidera du mieux qu’il pourra le moment venu. Toujours avec l’humilité qui le caractérise tant, cette humilité qui va de paire avec une envie de repartir de l’avant et de relancer des projets qu’il avait enterré.

    « Ces derniers mois ont été difficiles. J’ai contacté tout le monde pour essayer de sauver le centre interculturel : l’UNESCO, l’ONU, quelques consulats et ambassades, des responsables municipaux, cantonaux….C’était très dur, car je gardais l’espoir de trouver encore une petite aide. Nous allons donc resté dans la précarité, exactement comme les migrants que nous accueillons ici. » Malgré cette instabilité, Ernesto l’assure, les hommes et les femmes du Musée de l’immigration continueront leur mission jusqu’à ce que les autorités en ait « ras-le-bol » et ferment les locaux. « Par la nature de notre travail, nous sommes plus que jamais dans l’actualité, alors nous allons garder cela tant que nous le pouvons, comme nous le pouvons, avec toutes nos forces et qui sait ? Un miracle peut se passer, quelqu’un peut se dire « c’est le moment d’aider cette équipe ! » »

    https://sept.club/ernesto-ricou-mon-sentiment-profond-cest-quon-derange
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