• Elections municipales : l’inévitable imbroglio
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/03/municipales-l-inevitable-imbroglio_6035410_3232.html

    Editorial. La crise due au Covid-19 a coupé en deux les élections municipales de mars. L’incertitude demeure sur la date du second tour, créant des situations ubuesques, dans un relatif consensus.

    Editorial du « Monde ». La bonne organisation des élections, garantie par la stricte application des textes, est un des piliers de la démocratie. A cet égard, la succession d’aléas que rencontre la tenue du scrutin municipal, initialement prévu les 15 et 22 mars, n’est pas à prendre la légère. On sait quand ce scrutin a commencé, mais on ignore quand il prendra fin, et on découvre que les règles qui le régissent dérogent à l’ordinaire. L’état d’urgence sanitaire en vigueur depuis le 23 mars ne bouscule pas seulement l’équilibre entre l’exécutif et le Parlement, il ne restreint pas seulement l’exercice des libertés publiques, il influence aussi le déroulement de la vie communale.

    Le premier tour des élections a bien eu lieu le 15 mars, mais sur fond d’abstention record, reflet de la profonde réticence des citoyens à accomplir leur devoir électoral dans des conditions de sécurité sanitaire qui ne semblaient plus garanties. Quelques jours plus tôt, le président de la République avait annoncé la fermeture des écoles et des universités et, la veille, son premier ministre avait décrété celle des restaurants, cafés, cinémas et commerces non essentiels, afin de limiter la propagation du virus. Le soir du dépouillement, l’évidence sautait aux yeux : le second tour ne pourrait se tenir comme prévu. Il fallait le reporter.

    Depuis, ce second tour joue l’Arlésienne. La date du 21 juin a été avancée, mais elle ne semble plus d’actualité. Au cours d’une visioconférence jeudi avec les élus, le premier ministre, Edouard Philippe, n’a pas caché qu’un nouveau report était probable, « peut-être en octobre, voire après », en raison des incertitudes qui pèsent sur la date du déconfinement et ses modalités. Une fois encore, beaucoup dépendra de l’avis des experts scientifiques, qui fourniront un rapport sur la situation épidémique le 23 mai.

    Reporter la totalité d’un scrutin en raison de circonstances exceptionnelles n’a rien d’évident. Le couper en deux relève de la gageure, car aucun texte ne précise le mode d’emploi. Peut-on conserver les résultats du premier tour pour n’organiser que le second, ou faut-il au contraire rejouer l’intégralité de l’élection ?

    Erreur collective
    Consultés, les constitutionnalistes sont apparus divisés, si bien que le gouvernement a dû trancher, sous le contrôle du Conseil d’Etat puis du Parlement : avant l’été, il n’y aurait pas lieu de refaire un premier tour ; après l’été, il serait en revanche nécessaire, afin de garantir la sincérité du scrutin, mais dans les seules communes où les conseils municipaux sont incomplets.

    Autrement dit, les maires élus dès le premier tour le resteront, quoi qu’il arrive. Cela concerne la très grande majorité des communes (30 000 sur 35 000) et cela donne lieu sur le terrain à des situations ubuesques : les nouveaux élus n’ont en effet pas été autorisés à entrer en fonctions. Ce sont les anciennes équipes battues qui restent aux commandes.

    On peut s’étonner du relatif consensus dans lequel cet imbroglio électoral se déroule, au risque de déboucher sur de nombreux recours lorsque le scrutin sera définitivement clos. C’est que chacun s’emploie à réparer l’erreur collective qui a consisté à vouloir maintenir coûte que coûte le premier tour du scrutin, alors même que la situation sanitaire se dégradait à vue d’œil. L’opposition tenait à sa revanche et l’exécutif craignait de se voir accusé d’un coup de force. La crise sanitaire était là, mais personne n’était prêt à admettre qu’elle allait tout changer.