• « L’écocide dont résultent les mégafeux est aussi un ethnocide », Joëlle Zask est philosophe, maîtresse de conférences à l’université d’Aix-Marseille, autrice de Quand la forêt brûle (Premier Parallèle, 2019).

    Les mégafeux de forêt, ces signes les plus violents de la crise écologique, font rage : en Sibérie, un million et demi d’hectares, dont on parle trop peu, sont récemment partis en fumée. L’ouest des Etats-Unis et du Canada est en flamme. Tout le sud de l’Europe est menacé.

    Les causes environnementales des mégafeux sont identifiées. Il en va de même de leur impact écologique : nous savons que ces feux sont dus au dérèglement climatique dont les activités humaines sont responsables, qu’ils émettent autant de gaz à effet de serre que la circulation automobile, que les forêts qui en sont victimes sont durablement détruites, que des espèces qui y vivent disparaissent. La forêt amazonienne produit désormais plus de gaz carbonique qu’elle n’en capture. Récemment, les fumées dégagées par les feux qui sévissent dans l’Oregon et en Californie ont atteint New York, dont les habitants ont été asphyxiés. Le 30 juillet, Joe Biden a déclaré qu’il fallait voir dans les mégafeux la preuve de l’urgence à agir énergiquement pour le climat.

    Ce qui est moins connu est la corrélation entre le développement de ces feux extrêmes et la dégradation, voire la disparition des activités humaines compétentes dans les forêts, dont les feux dirigés ou écobuage, qui sont destinés, entre autres, à éviter les mégafeux. Les touristes et les « rurbains » qui se multiplient à la campagne en quête d’un lieu de séjour plus humain que la grande ville sont ignorants en la matière. Ils sont aussi négligents : 80 % des feux de forêt sont dus à des actes humains accidentels et, pour une proportion non négligeable, criminels.

    Peuples délogés et déculturés

    En revanche, les peuples et les individus qui connaissent la forêt, l’entretiennent et en prennent soin depuis des millénaires ont été massivement délogés et déculturés. Ainsi en va-t-il des peuples autochtones de l’Amérique du Nord, des Amérindiens du Brésil, des peuples aborigènes d’Australie ou des peuples nomades de Sibérie, mais aussi de nos paysans et forestiers européens qui savaient cultiver les forêts et les protéger des flammes.

    Le processus est simple : les forêts qui, au cours des millénaires, se sont adaptées aux activités humaines – dont le pastoralisme, l’agriculture paysanne, le traçage de voies de passage, les feux d’entretien – se referment et s’uniformisent. Elles s’encombrent de matière sèche et de strates intermédiaires de végétation qui sont pour les flammes autant de tremplins vers le houppier des grands arbres. Dans les circonstances actuelles de températures extrêmes, de longues sécheresses, de vents intenses et d’invasions de nuisibles, les priver de ces soins, souvent au nom d’une nature vierge qui n’existe quasiment pas, c’est les livrer aux flammes.

    Le sinistre cas de Fordlândia

    L’écocide dont résultent les mégafeux est aussi un ethnocide. Détruire la forêt, la compartimenter, la privatiser, l’exploiter ou la défricher sur d’immenses surfaces au profit de l’extraction minière, de l’élevage, du soja transgénique ou du palmier à huile, c’est en parallèle, et avec tout autant de violence, détruire culturellement les peuples qui y vivent.

    En 1928, le sinistre cas de Fordlândia atteste déjà cette corrélation. Afin de produire du caoutchouc, l’industriel américain Henry Ford met la main sur 10 000 kilomètres carrés près de Santarem, au Brésil, dont il chasse les habitants. Destinés à une plantation d’hévéas, ces hectares sont aspergés de kérosène et incendiés jusqu’à la racine. Aucun litre de latex n’a jamais été produit. Non seulement la forêt se ravine mais les arbres se contaminent les uns les autres.

    Quant aux travailleurs de la plantation recrutés parmi les Indiens brésiliens, les traitements qui leur sont infligés ne sont pas d’une nature fondamentalement différente de ceux que subit la forêt. La ville ouvrière prétendument « modèle » dans laquelle ils sont logés leur est parfaitement inadaptée. La tentative de colonisation culturelle qui les vise passe par le corned-beef et le hamburger, l’interdiction des femmes et de l’alcool, le port obligatoire d’un badge, des horaires stricts et autres contraintes du même acabit. Dès 1934, après moult révoltes et désertions, Fordlândia est abandonné.

    Savoirs patiemment élaborés durant des siècles

    Cet épisode bien décrit par l’historien américain Greg Grandin est l’un des premiers actes, certes avorté, d’un drame dont les actes suivants vont, quant à eux, triompher de l’adversité naturelle et de la prétendue « sauvagerie » humaine. Là où nous commençons à reconnaître des savoirs patiemment élaborés durant des siècles, on ne voit alors que de l’obscurantisme et de la superstition. Ainsi en va-t-il des peuples aborigènes d’Australie dont la situation est aujourd’hui emblématique de l’intrication entre la destruction de la nature et la destruction des formes de vie autochtones.

    Si le bush est victime de mégafeux qu’aucune technologie humaine, si sophistiquée qu’elle soit, ne peut dominer, c’est aussi que ces peuples, qui s’occupent de la forêt depuis cinquante mille ans, ont perdu, quand ils n’ont pas été décimés, la possibilité d’entretenir la biodiversité et de « nettoyer le paysage », lequel a pourtant évolué de manière à avoir besoin de leurs soins.

    Aujourd’hui, face à l’impuissance absolue de la rationalité occidentale, ce sont les rangers aborigènes, mais aussi les Amérindiens, les forestiers corses, les éleveurs californiens, les peuples sibériens qu’on appelle à l’aide pour enseigner ce qu’ils savent et organiser la lutte qui convient contre les mégafeux. Espérons que leur « culture du feu » et leurs sciences de la nature auront mieux résisté aux assauts de la « civilisation » que la nature en flamme.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/11/l-ecocide-dont-resultent-les-megafeux-est-aussi-un-ethnocide_6091129_3232.ht

    #feux #mégafeux #écologie #ethnocides

    • #massif_des_Maures, un feu tout a fait inhabituel, Joëlle Zask
      https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/incendie/incendies-dans-le-var-il-faut-prendre-la-mesure-qu-on-rentre-dans-un-no

      ... , il faut prendre la mesure qu’on rentre dans un nouveau régime de feux. C’est déjà avéré ailleurs dans le monde, comme à l’ouest des États-Unis et du Canada. En France, je pense que le phénomène nous atteint aussi.

      « Un méga-feu se définit par son intensité, sa vitesse de propagation, par le fait aussi qu’il dégrade durablement la végétation, contrairement aux feux saisonniers et de surface. »

      Ce qui caractérise également ces méga-feux c’est qu’on ne peut rien faire. La technologie humaine s’avère impuissante et ce sont des feux qui meurent de cause naturelle, quand il n’y a plus de vent, ou quand il pleut. Donc c’est vraiment particulier et il est probable que le métier de pompier soit amené à changer.

      Est-ce qu’on connaît les causes ? Qu’est-ce qui fait qu’un feu se transforme en méga-feu ?

      Il y a deux séries de cause : il y a évidemment le dérèglement climatique, avec des températures extrêmes, qui nous apportent des périodes de sécheresse, et des vents endiablés. Là, il y a une responsabilité humaine qui est tout à fait considérable, ce qui se voit aussi au niveau des plantations, c’est-à-dire que l’on a des forêts uniformes. On note la disparition de certains arbres qui agissent comme retardateurs de feu, comme les cyprès en Méditerrannée. Et puis il y a une autre série de causes, en lien avec des politiques d’interdiction des feux, d’extinction des feux à la première étincelle. Finalement, ces politiques sont un peu tournées vers nos paysans, nos forestiers et nos éleveurs.

      « On détruit aussi les gens qui savent y faire avec la forêt, on détruit la culture du feu et donc on ne sait plus faire. »

      En fait, il faut réapprendre à protéger la forêt, à l’entretenir, à la maintenir ouverte. Il y a toute une pratique de la forêt qui la protège des flammes, on savait le faire depuis la nuit des temps, les aborigènes en Australie par exemple. Ce sont des savoirs indispensables aujourd’hui pour prévenir les méga-feux.

  • Unesco : le bassin d’Arcachon, prochaine victime ?
    http://www.ladepechedubassin.fr/actualite/Unesco%20:-le-bassin-d-Arcachon,-prochaine-victime%20-2771.html

    Souvent une étonnante compréhension du milieu et de ses contraintes avait généré ces productions originales que les habitants avaient su développer : architecture, lieux de travail, formes d’agriculture, pêche, façons de vivre, musique. Les dernières décennies du XXe siècle auront vu la destruction de ces cultures et de ces sociabilités. Si la responsabilité de ces #ethnocides maintenant bien décrits, incombe à la mondialisation, il faut bien avoir à l’esprit que l’effet Unesco est l’un des outils de cette mondialisation. Un outil planétaire et insidieux car il se pare de discours convenus, un jargon maintenant bien maîtrisé par les élus et les fameuses « élites », où s’articulent pêle-mêle la biodiversité, le développement durable, la protection du patrimoine, la reconnaissance nationale, pourquoi pas la création d’emploi, et autre arguments promotionnels magiques. La réalité est beaucoup plus triviale et ces bons mots servent souvent à recouvrir les activités prédatrices. Parmi elles, l’impact du #tourisme international.