• Comment l’Europe sous-traite à l’#Afrique le contrôle des #migrations (1/4) : « #Frontex menace la #dignité_humaine et l’#identité_africaine »

    Pour freiner l’immigration, l’Union européenne étend ses pouvoirs aux pays d’origine des migrants à travers des partenariats avec des pays africains, parfois au mépris des droits humains. Exemple au Sénégal, où le journaliste Andrei Popoviciu a enquêté.

    Cette enquête en quatre épisodes, publiée initialement en anglais dans le magazine américain In These Times (https://inthesetimes.com/article/europe-militarize-africa-senegal-borders-anti-migration-surveillance), a été soutenue par une bourse du Leonard C. Goodman Center for Investigative Reporting.

    Par une brûlante journée de février, Cornelia Ernst et sa délégation arrivent au poste-frontière de Rosso. Autour, le marché d’artisanat bouillonne de vie, une épaisse fumée s’élève depuis les camions qui attendent pour passer en Mauritanie, des pirogues hautes en couleur dansent sur le fleuve Sénégal. Mais l’attention se focalise sur une fine mallette noire posée sur une table, face au chef du poste-frontière. Celui-ci l’ouvre fièrement, dévoilant des dizaines de câbles méticuleusement rangés à côté d’une tablette tactile. La délégation en a le souffle coupé.

    Le « Universal Forensics Extraction Device » (UFED) est un outil d’extraction de données capable de récupérer les historiques d’appels, photos, positions GPS et messages WhatsApp de n’importe quel téléphone portable. Fabriqué par la société israélienne Cellebrite, dont il a fait la réputation, l’UFED est commercialisé auprès des services de police du monde entier, notamment du FBI, pour lutter contre le terrorisme et le trafic de drogues. Néanmoins, ces dernières années, le Nigeria et le Bahreïn s’en sont servis pour voler les données de dissidents politiques, de militants des droits humains et de journalistes, suscitant un tollé.

    Toujours est-il qu’aujourd’hui, une de ces machines se trouve au poste-frontière entre Rosso-Sénégal et Rosso-Mauritanie, deux villes du même nom construites de part et d’autre du fleuve qui sépare les deux pays. Rosso est une étape clé sur la route migratoire qui mène jusqu’en Afrique du Nord. Ici, cependant, cette technologie ne sert pas à arrêter les trafiquants de drogue ou les terroristes, mais à suivre les Ouest-Africains qui veulent migrer vers l’Europe. Et cet UFED n’est qu’un outil parmi d’autres du troublant arsenal de technologies de pointe déployé pour contrôler les déplacements dans la région – un arsenal qui est arrivé là, Cornelia Ernst le sait, grâce aux technocrates de l’Union européenne (UE) avec qui elle travaille.

    Cette eurodéputée allemande se trouve ici, avec son homologue néerlandaise Tineke Strik et une équipe d’assistants, pour mener une mission d’enquête en Afrique de l’Ouest. Respectivement membres du Groupe de la gauche (GUE/NGL) et du Groupe des Verts (Verts/ALE) au Parlement européen, les deux femmes font partie d’une petite minorité de députés à s’inquiéter des conséquences de la politique migratoire européenne sur les valeurs fondamentales de l’UE – à savoir les droits humains –, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Europe.

    Le poste-frontière de Rosso fait partie intégrante de la politique migratoire européenne. Il accueille en effet une nouvelle antenne de la Division nationale de lutte contre le trafic de migrants (DNLT), fruit d’un « partenariat opérationnel conjoint » entre le Sénégal et l’UE visant à former et équiper la police des frontières sénégalaise et à dissuader les migrants de gagner l’Europe avant même qu’ils ne s’en approchent. Grâce à l’argent des contribuables européens, le Sénégal a construit depuis 2018 au moins neuf postes-frontières et quatre antennes régionales de la DNLT. Ces sites sont équipés d’un luxe de technologies de surveillance intrusive : outre la petite mallette noire, ce sont des logiciels d’identification biométrique des empreintes digitales et de reconnaissance faciale, des drones, des serveurs numériques, des lunettes de vision nocturne et bien d’autres choses encore…

    Dans un communiqué, un porte-parole de la Commission européenne affirme pourtant que les antennes régionales de la DNLT ont été créées par le Sénégal et que l’UE se borne à financer les équipements et les formations.

    « Frontex militarise la Méditerranée »

    Cornelia Ernst redoute que ces outils ne portent atteinte aux droits fondamentaux des personnes en déplacement. Les responsables sénégalais, note-t-elle, semblent « très enthousiasmés par les équipements qu’ils reçoivent et par leur utilité pour suivre les personnes ». Cornelia Ernst et Tineke Strik s’inquiètent également de la nouvelle politique, controversée, que mène la Commission européenne depuis l’été 2022 : l’Europe a entamé des négociations avec le Sénégal et la Mauritanie pour qu’ils l’autorisent à envoyer du personnel de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex, patrouiller aux frontières terrestres et maritimes des deux pays. Objectif avoué : freiner l’immigration africaine.

    Avec un budget de 754 millions d’euros, Frontex est l’agence la mieux dotée financièrement de toute l’UE. Ces cinq dernières années, un certain nombre d’enquêtes – de l’UE, des Nations unies, de journalistes et d’organisations à but non lucratif – ont montré que Frontex a violé les droits et la sécurité des migrants qui traversent la Méditerranée, notamment en aidant les garde-côtes libyens, financés par l’UE, à renvoyer des centaines de milliers de migrants en Libye, un pays dans lequel certains sont détenus, torturés ou exploités comme esclaves sexuels. En 2022, le directeur de l’agence, Fabrice Leggeri, a même été contraint de démissionner à la suite d’une cascade de scandales. Il lui a notamment été reproché d’avoir dissimulé des « pushbacks » : des refoulements illégaux de migrants avant même qu’ils ne puissent déposer une demande d’asile.

    Cela fait longtemps que Frontex est présente de façon informelle au Sénégal, en Mauritanie et dans six autres pays d’Afrique de l’Ouest, contribuant au transfert de données migratoires de ces pays vers l’UE. Mais jamais auparavant l’agence n’avait déployé de gardes permanents à l’extérieur de l’UE. Or à présent, Bruxelles compte bien étendre les activités de Frontex au-delà de son territoire, sur le sol de pays africains souverains, anciennes colonies européennes qui plus est, et ce en l’absence de tout mécanisme de surveillance. Pour couronner le tout, initialement, l’UE avait même envisagé d’accorder l’immunité au personnel de Frontex posté en Afrique de l’Ouest.

    D’évidence, les programmes européens ne sont pas sans poser problème. La veille de leur arrivée à Rosso, Cornelia Ernst et Tineke Strik séjournent à Dakar, où plusieurs groupes de la société civile les mettent en garde. « Frontex menace la dignité humaine et l’identité africaine », martèle Fatou Faye, de la Fondation Rosa Luxemburg, une ONG allemande. « Frontex militarise la Méditerranée », renchérit Saliou Diouf, fondateur de l’association de défense des migrants Boza Fii. Si Frontex poste ses gardes aux frontières africaines, ajoute-t-il, « c’est la fin ».

    Ces programmes s’inscrivent dans une vaste stratégie d’« externalisation des frontières », selon le jargon européen en vigueur. L’idée ? Sous-traiter de plus en plus le contrôle des frontières européennes en créant des partenariats avec des gouvernements africains – autrement dit, étendre les pouvoirs de l’UE aux pays d’origine des migrants. Concrètement, cette stratégie aux multiples facettes consiste à distribuer des équipements de surveillance de pointe, à former les forces de police et à mettre en place des programmes de développement qui prétendent s’attaquer à la racine des migrations.

    Des cobayes pour l’Europe

    En 2016, l’UE a désigné le Sénégal, qui est à la fois un pays d’origine et de transit des migrants, comme l’un de ses cinq principaux pays partenaires pour gérer les migrations africaines. Mais au total, ce sont pas moins de 26 pays africains qui reçoivent de l’argent des contribuables européens pour endiguer les vagues de migration, dans le cadre de 400 projets distincts. Entre 2015 et 2021, l’UE a investi 5 milliards d’euros dans ces projets, 80 % des fonds étant puisés dans les budgets d’aide humanitaire et au développement. Selon des données de la Fondation Heinrich Böll, rien qu’au Sénégal, l’Europe a investi au moins 200 milliards de francs CFA (environ 305 millions d’euros) depuis 2005.

    Ces investissements présentent des risques considérables. Il s’avère que la Commission européenne omet parfois de procéder à des études d’évaluation d’impact sur les droits humains avant de distribuer ses fonds. Or, comme le souligne Tineke Strik, les pays qu’elle finance manquent souvent de garde-fous pour protéger la démocratie et garantir que les technologies et les stratégies de maintien de l’ordre ne seront pas utilisées à mauvais escient. En réalité, avec ces mesures, l’UE mène de dangereuses expériences technico-politiques : elle équipe des gouvernements autoritaires d’outils répressifs qui peuvent être utilisés contre les migrants, mais contre bien d’autres personnes aussi.

    « Si la police dispose de ces technologies pour tracer les migrants, rien ne garantit qu’elle ne s’en servira pas contre d’autres individus, comme des membres de la société civile et des acteurs politiques », explique Ousmane Diallo, chercheur au bureau d’Afrique de l’Ouest d’Amnesty International.

    En 2022, j’ai voulu mesurer l’impact au Sénégal des investissements réalisés par l’UE dans le cadre de sa politique migratoire. Je me suis rendu dans plusieurs villes frontalières, j’ai discuté avec des dizaines de personnes et j’ai consulté des centaines de documents publics ou qui avaient fuité. Cette enquête a mis au jour un complexe réseau d’initiatives qui ne s’attaquent guère aux problèmes qui poussent les gens à émigrer. En revanche, elles portent un rude coup aux droits fondamentaux, à la souveraineté nationale du Sénégal et d’autres pays d’Afrique, ainsi qu’aux économies locales de ces pays, qui sont devenus des cobayes pour l’Europe.

    Des politiques « copiées-collées »

    Depuis la « crise migratoire » de 2015, l’UE déploie une énergie frénétique pour lutter contre l’immigration. A l’époque, plus d’un million de demandeurs d’asile originaires du Moyen-Orient et d’Afrique – fuyant les conflits, la violence et la pauvreté – ont débarqué sur les côtes européennes. Cette « crise migratoire » a provoqué une droitisation de l’Europe. Les leaders populistes surfant sur la peur des populations et présentant l’immigration comme une menace sécuritaire et identitaire, les partis nationalistes et xénophobes en ont fait leurs choux gras.

    Reste que le pic d’immigration en provenance d’Afrique de l’Ouest s’est produit bien avant 2015 : en 2006, plus de 31 700 migrants sont arrivés par bateau aux îles Canaries, un territoire espagnol situé à une centaine de kilomètres du Maroc. Cette vague a pris au dépourvu le gouvernement espagnol, qui s’est lancé dans une opération conjointe avec Frontex, baptisée « Hera », pour patrouiller le long des côtes africaines et intercepter les bateaux en direction de l’Europe.

    Cette opération « Hera », que l’ONG britannique de défense des libertés Statewatch qualifie d’« opaque », marque le premier déploiement de Frontex à l’extérieur du territoire européen. C’est aussi le premier signe d’externalisation des frontières européennes en Afrique depuis la fin du colonialisme au XXe siècle. En 2018, Frontex a quitté le Sénégal, mais la Guardia Civil espagnole y est restée jusqu’à ce jour : pour lutter contre l’immigration illégale, elle patrouille le long des côtes et effectue même des contrôles de passeports dans les aéroports.

    En 2015, en pleine « crise », les fonctionnaires de Bruxelles ont musclé leur stratégie : ils ont décidé de dédier des fonds à la lutte contre l’immigration à la source. Ils ont alors créé le Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique (EUTF). Officiellement, il s’agit de favoriser la stabilité et de remédier aux causes des migrations et des déplacements irréguliers des populations en Afrique.

    Malgré son nom prometteur, c’est la faute de l’EUTF si la mallette noire se trouve à présent au poste-frontière de Rosso – sans oublier les drones et les lunettes de vision nocturne. Outre ce matériel, le fonds d’urgence sert à envoyer des fonctionnaires et des consultants européens en Afrique, pour convaincre les gouvernements de mettre en place de nouvelles politiques migratoires – des politiques qui, comme me le confie un consultant anonyme de l’EUTF, sont souvent « copiées-collées d’un pays à l’autre », sans considération aucune des particularités nationales de chaque pays. « L’UE force le Sénégal à adopter des politiques qui n’ont rien à voir avec nous », explique la chercheuse sénégalaise Fatou Faye à Cornelia Ernst et Tineke Strik.

    Une mobilité régionale stigmatisée

    Les aides européennes constituent un puissant levier, note Leonie Jegen, chercheuse à l’université d’Amsterdam et spécialiste de l’influence de l’UE sur la politique migratoire sénégalaise. Ces aides, souligne-t-elle, ont poussé le Sénégal à réformer ses institutions et son cadre législatif en suivant des principes européens et en reproduisant des « catégories politiques eurocentrées » qui stigmatisent, voire criminalisent la mobilité régionale. Et ces réformes sont sous-tendues par l’idée que « le progrès et la modernité » sont des choses « apportées de l’extérieur » – idée qui n’est pas sans faire écho au passé colonial.

    Il y a des siècles, pour se partager l’Afrique et mieux piller ses ressources, les empires européens ont dessiné ces mêmes frontières que l’UE est aujourd’hui en train de fortifier. L’Allemagne a alors jeté son dévolu sur de grandes parties de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique de l’Est ; les Pays-Bas ont mis la main sur l’Afrique du Sud ; les Britanniques ont décroché une grande bande de terre s’étendant du nord au sud de la partie orientale du continent ; la France a raflé des territoires allant du Maroc au Congo-Brazzaville, notamment l’actuel Sénégal, qui n’est indépendant que depuis soixante-trois ans.

    L’externalisation actuelle des frontières européennes n’est pas un cas totalement unique. Les trois derniers gouvernements américains ont abreuvé le Mexique de millions de dollars pour empêcher les réfugiés d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud d’atteindre la frontière américaine, et l’administration Biden a annoncé l’ouverture en Amérique latine de centres régionaux où il sera possible de déposer une demande d’asile, étendant ainsi de facto le contrôle de ses frontières à des milliers de kilomètres au-delà de son territoire.

    Cela dit, au chapitre externalisation des frontières, la politique européenne en Afrique est de loin la plus ambitieuse et la mieux financée au monde.

    https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/06/comment-l-europe-sous-traite-a-l-afrique-le-controle-des-migrations-1-4-fron

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    • Comment l’Europe sous-traite à l’Afrique le contrôle des migrations (2/4) : « Nous avons besoin d’aide, pas d’outils sécuritaires »

      Au Sénégal, la création et l’équipement de postes-frontières constituent des éléments clés du partenariat avec l’Union européenne. Une stratégie pas toujours efficace, tandis que les services destinés aux migrants manquent cruellement de financements.

      Par une étouffante journée de mars, j’arrive au poste de contrôle poussiéreux du village sénégalais de #Moussala, à la frontière avec le #Mali. Des dizaines de camions et de motos attendent, en ligne, de traverser ce point de transit majeur. Après avoir demandé pendant des mois, en vain, la permission au gouvernement d’accéder au poste-frontière, j’espère que le chef du poste m’expliquera dans quelle mesure les financements européens influencent leurs opérations. Refusant d’entrer dans les détails, il me confirme que son équipe a récemment reçu de l’Union européenne (UE) des formations et des équipements dont elle se sert régulièrement. Pour preuve, un petit diplôme et un trophée, tous deux estampillés du drapeau européen, trônent sur son bureau.

      La création et l’équipement de postes-frontières comme celui de Moussala constituent des éléments clés du partenariat entre l’UE et l’#Organisation_internationale_pour_les_migrations (#OIM). Outre les technologies de surveillance fournies aux antennes de la Division nationale de lutte contre le trafic de migrants (DNLT, fruit d’un partenariat entre le Sénégal et l’UE), chaque poste-frontière est équipé de systèmes d’analyse des données migratoires et de systèmes biométriques de reconnaissance faciale et des empreintes digitales.

      Officiellement, l’objectif est de créer ce que les fonctionnaires européens appellent un système africain d’#IBM, à savoir « #Integrated_Border_Management » (en français, « gestion intégrée des frontières »). Dans un communiqué de 2017, le coordinateur du projet de l’OIM au Sénégal déclarait : « La gestion intégrée des frontières est plus qu’un simple concept, c’est une culture. » Il avait semble-t-il en tête un changement idéologique de toute l’Afrique, qui ne manquerait pas selon lui d’embrasser la vision européenne des migrations.

      Technologies de surveillance

      Concrètement, ce système IBM consiste à fusionner les #bases_de_données sénégalaises (qui contiennent des données biométriques sensibles) avec les données d’agences de police internationales (comme #Interpol et #Europol). Le but : permettre aux gouvernements de savoir qui franchit quelle frontière et quand. Un tel système, avertissent les experts, peut vite faciliter les expulsions illégales et autres abus.

      Le risque est tout sauf hypothétique. En 2022, un ancien agent des services espagnols de renseignement déclarait au journal El Confidencial que les autorités de plusieurs pays d’Afrique « utilisent les technologies fournies par l’Espagne pour persécuter et réprimer des groupes d’opposition, des militants et des citoyens critiques envers le pouvoir ». Et d’ajouter que le gouvernement espagnol en avait parfaitement conscience.

      D’après un porte-parole de la Commission européenne, « tous les projets qui touchent à la sécurité et sont financés par l’UE comportent un volet de formation et de renforcement des capacités en matière de droits humains ». Selon cette même personne, l’UE effectue des études d’impact sur les droits humains avant et pendant la mise en œuvre de ces projets. Mais lorsque, il y a quelques mois, l’eurodéputée néerlandaise Tineke Strik a demandé à voir ces études d’impact, trois différents services de la Commission lui ont envoyé des réponses officielles disant qu’ils ne les avaient pas. En outre, selon un de ces services, « il n’existe pas d’obligation réglementaire d’en faire ».

      Au Sénégal, les libertés civiles sont de plus en plus menacées et ces technologies de surveillance risquent d’autant plus d’être utilisées à mauvais escient. Rappelons qu’en 2021, les forces de sécurité sénégalaises ont tué quatorze personnes qui manifestaient contre le gouvernement ; au cours des deux dernières années, plusieurs figures de l’opposition et journalistes sénégalais ont été emprisonnés pour avoir critiqué le gouvernement, abordé des questions politiques sensibles ou avoir « diffusé des fausses nouvelles ». En juin, après qu’Ousmane Sonko, principal opposant au président Macky Sall, a été condamné à deux ans d’emprisonnement pour « corruption de la jeunesse », de vives protestations ont fait 23 morts.

      « Si je n’étais pas policier, je partirais aussi »

      Alors que j’allais renoncer à discuter avec la police locale, à Tambacounda, autre grand point de transit non loin des frontières avec le Mali et la Guinée, un policier de l’immigration en civil a accepté de me parler sous couvert d’anonymat. C’est de la région de #Tambacounda, qui compte parmi les plus pauvres du Sénégal, que proviennent la plupart des candidats à l’immigration. Là-bas, tout le monde, y compris le policier, connaît au moins une personne qui a tenté de mettre les voiles pour l’Europe.

      « Si je n’étais pas policier, je partirais aussi », me confie-t-il par l’entremise d’un interprète, après s’être éloigné à la hâte du poste-frontière. Les investissements de l’UE « n’ont rien changé du tout », poursuit-il, notant qu’il voit régulièrement des personnes en provenance de Guinée passer par le Sénégal et entrer au Mali dans le but de gagner l’Europe.

      Depuis son indépendance en 1960, le Sénégal est salué comme un modèle de démocratie et de stabilité, tandis que nombre de ses voisins sont en proie aux dissensions politiques et aux coups d’Etat. Quoi qu’il en soit, plus d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté et l’absence de perspectives pousse la population à migrer, notamment vers la France et l’Espagne. Aujourd’hui, les envois de fonds de la diaspora représentent près de 10 % du PIB sénégalais. A noter par ailleurs que, le Sénégal étant le pays le plus à l’ouest de l’Afrique, de nombreux Ouest-Africains s’y retrouvent lorsqu’ils fuient les problèmes économiques et les violences des ramifications régionales d’Al-Qaida et de l’Etat islamique (EI), qui ont jusqu’à présent contraint près de 4 millions de personnes à partir de chez elles.

      « L’UE ne peut pas résoudre les problèmes en construisant des murs et en distribuant de l’argent, me dit le policier. Elle pourra financer tout ce qu’elle veut, ce n’est pas comme ça qu’elle mettra fin à l’immigration. » Les sommes qu’elle dépense pour renforcer la police et les frontières, dit-il, ne servent guère plus qu’à acheter des voitures climatisées aux policiers des villes frontalières.

      Pendant ce temps, les services destinés aux personnes expulsées – comme les centres de protection et d’accueil – manquent cruellement de financements. Au poste-frontière de Rosso, des centaines de personnes sont expulsées chaque semaine de Mauritanie. Mbaye Diop travaille avec une poignée de bénévoles du centre que la Croix-Rouge a installé du côté sénégalais pour accueillir ces personnes expulsées : des hommes, des femmes et des enfants qui présentent parfois des blessures aux poignets, causées par des menottes, et ailleurs sur le corps, laissées par les coups de la police mauritanienne. Mais Mbaye Diop n’a pas de ressources pour les aider. L’approche n’est pas du tout la bonne, souffle-t-il : « Nous avons besoin d’aide humanitaire, pas d’outils sécuritaires. »

      La méthode de la carotte

      Pour freiner l’immigration, l’UE teste également la méthode de la carotte : elle propose des subventions aux entreprises locales et des formations professionnelles à ceux qui restent ou rentrent chez eux. La route qui mène à Tambacounda est ponctuée de dizaines et de dizaines de panneaux publicitaires vantant les projets européens.

      Dans la réalité, les offres ne sont pas aussi belles que l’annonce l’UE. Binta Ly, 40 ans, en sait quelque chose. A Tambacounda, elle tient une petite boutique de jus de fruits locaux et d’articles de toilette. Elle a fait une année de droit à l’université, mais le coût de la vie à Dakar l’a contrainte à abandonner ses études et à partir chercher du travail au Maroc. Après avoir vécu sept ans à Casablanca et Marrakech, elle est rentrée au Sénégal, où elle a récemment inauguré son magasin.

      En 2022, Binta Ly a déposé une demande de subvention au Bureau d’accueil, d’orientation et de suivi (BAOS) qui avait ouvert la même année à Tambacounda, au sein de l’antenne locale de l’Agence régionale de développement (ARD). Financés par l’UE, les BAOS proposent des subventions aux petites entreprises sénégalaises dans le but de dissuader la population d’émigrer. Binta Ly ambitionnait d’ouvrir un service d’impression, de copie et de plastification dans sa boutique, idéalement située à côté d’une école primaire. Elle a obtenu une subvention de 500 000 francs CFA (762 euros) – soit un quart du budget qu’elle avait demandé –, mais peu importe, elle était très enthousiaste. Sauf qu’un an plus tard, elle n’avait toujours pas touché un seul franc.

      Dans l’ensemble du Sénégal, les BAOS ont obtenu une enveloppe totale de 1 milliard de francs CFA (1,5 million d’euros) de l’UE pour financer ces subventions. Mais l’antenne de Tambacounda n’a perçu que 60 millions de francs CFA (91 470 euros), explique Abdoul Aziz Tandia, directeur du bureau local de l’ARD. A peine de quoi financer 84 entreprises dans une région de plus d’un demi-million d’habitants. Selon un porte-parole de la Commission européenne, la distribution des subventions a effectivement commencé en avril. Le fait est que Binta Ly a reçu une imprimante et une plastifieuse, mais pas d’ordinateur pour aller avec. « Je suis contente d’avoir ces aides, dit-elle. Le problème, c’est qu’elles mettent très longtemps à venir et que ces retards chamboulent tout mon business plan. »

      Retour « volontaire »

      Abdoul Aziz Tandia admet que les BAOS ne répondent pas à la demande. C’est en partie la faute de la bureaucratie, poursuit-il : Dakar doit approuver l’ensemble des projets et les intermédiaires sont des ONG et des agences étrangères, ce qui signifie que les autorités locales et les bénéficiaires n’exercent aucun contrôle sur ces fonds, alors qu’ils sont les mieux placés pour savoir comment les utiliser. Par ailleurs, reconnaît-il, de nombreuses régions du pays n’ayant accès ni à l’eau propre, ni à l’électricité ni aux soins médicaux, ces microsubventions ne suffisent pas à empêcher les populations d’émigrer. « Sur le moyen et le long termes, ces investissements n’ont pas de sens », juge Abdoul Aziz Tandia.

      Autre exemple : aujourd’hui âgé de 30 ans, Omar Diaw a passé au moins cinq années de sa vie à tenter de rejoindre l’Europe. Traversant les impitoyables déserts du Mali et du Niger, il est parvenu jusqu’en Algérie. Là, à son arrivée, il s’est aussitôt fait expulser vers le Niger, où il n’existe aucun service d’accueil. Il est alors resté coincé des semaines entières dans le désert. Finalement, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) l’a renvoyé en avion au Sénégal, qualifiant son retour de « volontaire ».

      Lorsqu’il est rentré chez lui, à Tambacounda, l’OIM l’a inscrit à une formation de marketing numérique qui devait durer plusieurs semaines et s’accompagner d’une allocation de 30 000 francs CFA (46 euros). Mais il n’a jamais touché l’allocation et la formation qu’il a suivie est quasiment inutile dans sa situation : à Tambacounda, la demande en marketing numérique n’est pas au rendez-vous. Résultat : il a recommencé à mettre de l’argent de côté pour tenter de nouveau de gagner l’Europe.

      https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/07/comment-l-europe-sous-traite-a-l-afrique-le-controle-des-migrations-2-4-nous
      #OIM #retour_volontaire

    • Comment l’Europe sous-traite à l’Afrique le contrôle des migrations (3/4) : « Il est presque impossible de comprendre à quoi sert l’argent »

      A coups de centaines de millions d’euros, l’UE finance des projets dans des pays africains pour réduire les migrations. Mais leur impact est difficile à mesurer et leurs effets pervers rarement pris en considération.

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      Au chapitre migrations, rares sont les projets de l’Union européenne (UE) qui semblent adaptés aux réalités africaines. Mais il n’est pas sans risques de le dire tout haut. C’est ce que Boubacar Sèye, chercheur dans le domaine, a appris à ses dépens.

      Né au Sénégal, il vit aujourd’hui en Espagne. Ce migrant a quitté la Côte d’Ivoire, où il travaillait comme professeur de mathématiques, quand les violences ont ravagé le pays au lendemain de l’élection présidentielle de 2000. Après de brefs séjours en France et en Italie, Boubacar Sèye s’est établi en Espagne, où il a fini par obtenir la citoyenneté et fondé une famille avec son épouse espagnole. Choqué par le bilan de la vague de migration aux Canaries en 2006, il a créé l’ONG Horizons sans frontières pour aider les migrants africains en Espagne. Aujourd’hui, il mène des recherches et défend les droits des personnes en déplacement, notamment celles en provenance d’Afrique et plus particulièrement du Sénégal.

      En 2019, Boubacar Sèye s’est procuré un document détaillant comment les fonds des politiques migratoires de l’UE sont dépensés au Sénégal. Il a été sidéré par le montant vertigineux des sommes investies pour juguler l’immigration, alors que des milliers de candidats à l’asile se noient chaque année sur certaines des routes migratoires les plus meurtrières au monde. Lors d’entretiens publiés dans la presse et d’événements publics, il a ouvertement demandé aux autorités sénégalaises d’être plus transparentes sur ce qu’elles avaient fait des centaines de millions d’euros de l’Europe, qualifiant ces projets de véritable échec.

      Puis, au début de l’année 2021, il a été arrêté à l’aéroport de Dakar pour « diffusion de fausses informations ». Il a ensuite passé deux semaines en prison. Sa santé se dégradant rapidement sous l’effet du stress, il a fait une crise cardiaque. « Ce séjour en prison était inhumain, humiliant, et il m’a causé des problèmes de santé qui durent jusqu’à aujourd’hui, s’indigne le chercheur. J’ai juste posé une question : “Où est passé l’argent ?” »

      Ses intuitions n’étaient pas mauvaises. Les financements de la politique anti-immigration de l’UE sont notoirement opaques et difficiles à tracer. Les demandes déposées dans le cadre de la liberté d’information mettent des mois, voire des années à être traitées, alors que la délégation de l’UE au Sénégal, la Commission européenne et les autorités sénégalaises ignorent ou déclinent les demandes d’interviews.

      La Division nationale de lutte contre le trafic de migrants (DNLT, fruit d’un partenariat entre le Sénégal et l’UE), la police des frontières, le ministère de l’intérieur et le ministère des affaires étrangères – lesquels ont tous bénéficié des fonds migratoires européens – n’ont pas répondu aux demandes répétées d’entretien pour réaliser cette enquête.
      « Nos rapports doivent être positifs »

      Les rapports d’évaluation de l’UE ne donnent pas de vision complète de l’impact des programmes. A dessein ? Plusieurs consultants qui ont travaillé sur des rapports d’évaluation d’impact non publiés de projets du #Fonds_fiduciaire_d’urgence_de_l’UE_pour_l’Afrique (#EUTF), et qui s’expriment anonymement en raison de leur obligation de confidentialité, tirent la sonnette d’alarme : les effets pervers de plusieurs projets du fonds sont peu pris en considération.

      Au #Niger, par exemple, l’UE a contribué à élaborer une loi qui criminalise presque tous les déplacements, rendant de fait illégale la mobilité dans la région. Alors que le nombre de migrants irréguliers qui empruntent certaines routes migratoires a reculé, les politiques européennes rendent les routes plus dangereuses, augmentent les prix qu’exigent les trafiquants et criminalisent les chauffeurs de bus et les sociétés de transport locales. Conséquence : de nombreuses personnes ont perdu leur travail du jour au lendemain.

      La difficulté à évaluer l’impact de ces projets tient notamment à des problèmes de méthode et à un manque de ressources, mais aussi au simple fait que l’UE ne semble guère s’intéresser à la question. Un consultant d’une société de contrôle et d’évaluation financée par l’UE confie : « Quel est l’impact de ces projets ? Leurs effets pervers ? Nous n’avons pas les moyens de répondre à ces questions. Nous évaluons les projets uniquement à partir des informations fournies par des organisations chargées de leur mise en œuvre. Notre cabinet de conseil ne réalise pas d’évaluation véritablement indépendante. »

      Selon un document interne que j’ai pu me procurer, « rares sont les projets qui nous ont fourni les données nécessaires pour évaluer les progrès accomplis en direction des objectifs généraux de l’EUTF (promouvoir la stabilité et limiter les déplacements forcés et les migrations illégales) ». Selon un autre consultant, seuls les rapports positifs semblent les bienvenus : « Il est implicite que nos rapports doivent être positifs si nous voulons à l’avenir obtenir d’autres projets. »

      En 2018, la Cour des comptes européenne, institution indépendante, a émis des critiques sur l’EUTF : ses procédures de sélection de projets manquent de cohérence et de clarté. De même, une étude commanditée par le Parlement européen qualifie ses procédures d’« opaques ». « Le contrôle du Parlement est malheureusement très limité, ce qui constitue un problème majeur pour contraindre la Commission à rendre des comptes, regrette l’eurodéputée allemande Cornelia Ernst. Même pour une personne très au fait des politiques de l’UE, il est presque impossible de comprendre où va l’argent et à quoi il sert. »

      Le #fonds_d’urgence pour l’Afrique a notamment financé la création d’unités de police des frontières d’élite dans six pays d’Afrique de l’Ouest, et ce dans le but de lutter contre les groupes de djihadistes et les trafics en tous genres. Or ce projet, qui aurait permis de détourner au moins 12 millions d’euros, fait actuellement l’objet d’une enquête pour fraude.
      Aucune étude d’impact sur les droits humains

      En 2020, deux projets de modernisation des #registres_civils du Sénégal et de la Côte d’Ivoire ont suscité de vives inquiétudes des populations. Selon certaines sources, ces projets financés par l’EUTF auraient en effet eu pour objectif de créer des bases de #données_biométriques nationales. Les défenseurs des libertés redoutaient qu’on collecte et stocke les empreintes digitales et images faciales des citoyens des deux pays.

      Quand Ilia Siatitsa, de l’ONG britannique Privacy International, a demandé à la Commission européenne de lui fournir des documents sur ces projets, elle a découvert que celle-ci n’avait réalisé aucune étude d’impact sur les droits humains. En Europe, aucun pays ne possède de base de données comprenant autant d’informations biométriques.

      D’après un porte-parole de la Commission, jamais le fonds d’urgence n’a financé de registre biométrique, et ces deux projets consistent exclusivement à numériser des documents et prévenir les fraudes. Or la dimension biométrique des registres apparaît clairement dans les documents de l’EUTF qu’Ilia Siatitsa s’est procurés : il y est écrit noir sur blanc que le but est de créer « une base de données d’identification biométrique pour la population, connectée à un système d’état civil fiable ».

      Ilia Siatitsa en a déduit que le véritable objectif des deux projets était vraisemblablement de faciliter l’expulsion des migrants africains d’Europe. D’ailleurs, certains documents indiquent explicitement que la base de données ivoirienne doit servir à identifier et expulser les Ivoiriens qui résident illégalement sur le sol européen. L’un d’eux explique même que l’objectif du projet est de « faciliter l’identification des personnes qui sont véritablement de nationalité ivoirienne et l’organisation de leur retour ».

      Quand Cheikh Fall, militant sénégalais pour le droit à la vie privée, a appris l’existence de cette base de données, il s’est tourné vers la Commission de protection des données personnelles (CDP), qui, légalement, aurait dû donner son aval à un tel projet. Mais l’institution sénégalaise n’a été informée de l’existence du projet qu’après que le gouvernement l’a approuvé.

      En novembre 2021, Ilia Siatitsa a déposé une plainte auprès du médiateur de l’UE. En décembre 2022, après une enquête indépendante, le médiateur a rendu ses conclusions : la Commission n’a pas pris en considération l’impact sur la vie privée des populations africaines de ce projet et d’autres projets que finance l’UE dans le cadre de sa politique migratoire.

      Selon plusieurs sources avec lesquelles j’ai discuté, ainsi que la présentation interne du comité de direction du projet – que j’ai pu me procurer –, il apparaît que depuis, le projet a perdu sa composante biométrique. Cela dit, selon Ilia Siatitsa, cette affaire illustre bien le fait que l’UE effectue en Afrique des expériences sur des technologies interdites chez elle.

      https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/08/comment-l-europe-sous-traite-a-l-afrique-le-controle-des-migrations-3-4-il-e

  • Chevaux de course à Churchill Downs Arthur FIRSTENBERG - revue3emillenaire

    Les chevaux de course font partie des créatures les plus finement réglées et les plus délicatement sensibles de la planète. Que se passe-t-il lorsque vous leur donnez à tous des téléphones portables à porter pendant une course ? Ils commencent à tomber comme... des chevaux.

    C ’est exactement ce qui s’est passé ce printemps à Churchill Downs, à Louisville, où se déroule le célèbre Derby du Kentucky. Churchill Downs organise chaque année trois « rencontres » au cours desquels des courses de chevaux ont lieu quatre à cinq jours par semaine : une rencontre de printemps qui dure tout le mois de mai et le mois de juin, une rencontre de septembre et une rencontre d’automne qui dure tout le mois de novembre. Cette année, la rencontre de printemps a commencé le 29 avril et devait se poursuivre jusqu’au 3 juillet. À partir du 29 avril, et lors de chaque course, chaque jour, tous les chevaux ont été équipés d’un dispositif qu’ils n’avaient jamais porté auparavant. Il s’agit d’un appareil sans fil, de la forme d’un iPhone, qui s’insère dans le tissu situé sous la selle, sur le dos du cheval. Les chevaux ont également commencé à porter ces dispositifs au printemps lors des entraînements matinaux.


    Le cheval Lost in Limbo meurt à Churchill Downs

    Ce dispositif STRIDESafe surveille les mouvements du cheval 2 400 fois par seconde tout au long de la course, en envoyant 2 400 impulsions de radiofréquences (RF) chaque seconde à travers le corps du cheval. Il contient également un composant GPS qui communique avec les satellites de positionnement global. Il communique également avec la puce RFID implantée sur le côté gauche du cou de chaque cheval, en veillant à ce que la puce émette également des rayonnements tout au long de la course. Et comme chaque cheval de course porte des fers à cheval en aluminium, qui est l’un des meilleurs conducteurs, les fréquences émises par le dispositif STRIDESafe et la puce RFID à travers le corps du cheval sont absorbées et rediffusées par ses quatre fers. Chaque cheval porte donc non pas une, mais six antennes rayonnant en permanence tout au long de chaque course à Churchill Downs. Ainsi, avec 14 chevaux participant normalement à chaque course, il y a 84 antennes parmi les animaux qui courent à proximité les uns des autres sur l’hippodrome.


    Et le 29 avril 2023, les chevaux qui courent à Churchill Downs ont commencé à mourir pendant les courses ou à subir des blessures si graves qu’ils ont été euthanasiés. Le nombre de chevaux morts ce printemps est tel que le 2 juin, il a été annoncé que la rencontre de printemps à Churchill Downs serait suspendue à partir du 10 juin. Les responsables de Churchill Downs sont paniqués parce que les chevaux qui y courent sont morts en bien plus grand nombre ce printemps que jamais auparavant. En 2022, dans l’ensemble du pays, on a enregistré environ 1,25 décès pour 1 000 chevaux prenant le départ. Mais depuis le 29 avril 2023, 12 décès sont survenus pour seulement 1 600 départs à Churchill Downs, soit une multiplication soudaine et sans précédent par 8 de la mortalité des chevaux de course.

    Les responsables ont soigneusement inspecté la piste et chaque partie du terrain de course et n’ont constaté aucun changement par rapport aux rencontres précédentes ni aucune raison pour que les chevaux soient plus susceptibles de se blesser ou de s’effondrer. Mais ils ont le même angle mort que le reste de la société : ils traitent les appareils sans fil et les rayonnements qu’ils émettent comme s’ils n’existaient pas.

    Le cheval nommé Parents Pride s’est simplement effondré et est mort sans raison apparente lors d’une course le 29 avril. Aucune drogue n’a été trouvée dans son système ni aucun poison. Il courait normalement avant la course. Aucune anomalie n’a été décelée dans son cœur, son cerveau ou ses poumons.

    Code of Kings s’est cassé le cou au paddock (enclos) juste avant une course et a été euthanasié, également le 29 avril. Le paddock, également appelé l’anneau de parade, est l’endroit où les chevaux sont présentés avant une course afin que les spectateurs puissent les voir de près.

    Take Charge Briana a subi des dommages catastrophiques à sa patte avant droite lors d’une course le 2 mai et a été euthanasiée.

    Chasing Artie a terminé sa course le 2 mai, puis s’est effondré et est mort sur le chemin de l’aire de desselage, sans raison apparente.

    Chloe’s Dream a subi une « blessure catastrophique » au genou droit lors d’une course le jour du Derby, le 6 mai, et a été euthanasié.

    Freezing Point s’est fracturé le membre antérieur gauche lors d’une course le jour du Derby, le 6 mai, et a été euthanasié. Son jockey a déclaré qu’il n’avait pas été secoué pendant la course et que la piste était en bon état.

    Bosque Redondo a terminé sa course le 13 mai, mais a été emmené dans une ambulance pour chevaux et a été euthanasié en raison de blessures non spécifiées.

    Rio Moon se trouvait sur la ligne d’arrivée d’une course le 14 mai lorsqu’il a subi une « blessure catastrophique » à la patte avant gauche et a été euthanasié.

    Swanson Lake a terminé sa course le 20 mai, mais a été immédiatement emmené chez un vétérinaire où il a été euthanasié en raison d’une « blessure importante » à la patte arrière gauche.

    Lost in Limbo, le cheval photographié en haut de cette lettre d’information, a été retiré de la piste vers la fin d’une course le 26 mai. Il s’était écrasé le nez le premier sur la piste et gisait dans la terre. Il était si nerveux avant même la course qu’il a jeté son jockey avant qu’elle ne commence et s’est enfui. Après la course, un vétérinaire a constaté une « blessure importante » à sa patte avant gauche et il a été euthanasié.

    Kimberley Dream s’est rompu un ligament de la patte avant gauche lors d’une course le 27 mai et a été euthanasiée.

    Et deux jours avant le début du meeting de printemps, alors qu’il s’entraînait sur l’hippodrome le 27 avril, Wild on Ice s’est cassé la patte arrière gauche et a été euthanasié.

    Nous savons depuis des décennies que la vie des chevaux est brisée par les ondes radio. Des auditions ont eu lieu à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, et l’entraîneuse de chevaux de course, Penny Hargreaves s’est exprimée dans une interview publiée en 1998. Une tour de radio FM à Ouruhia avait eu des effets si dévastateurs sur ses 90 chevaux qu’elle avait été obligée de les déplacer dans une autre région de Canterbury. Tous ses chevaux ont été touchés, certains plus que d’autres, et deux sont morts.

    « Ils étaient très nerveux et instables », a-t-elle déclaré. « Ils semblaient tous avoir mal aux pieds. Les chevaux qui avaient voyagé en remorque pendant des années perdaient l’équilibre pendant le voyage. Nous avons plusieurs zones sensibles autour de notre cour où les chevaux deviennent très instables et se blessent eux-mêmes et nous blessent.

    « Notre très précieux poulain avait de graves problèmes de santé et marchait comme s’il avait mal aux pieds. Il ne supportait pas d’être ferré. Nous avons fait appel à de nombreux vétérinaires pour tenter de résoudre ses problèmes, mais sans obtenir de réponse satisfaisante. Nous l’avons finalement mis dans un paddock avec une grande grange à foin et des arbres entre lui et la tour. Au bout d’un mois, il n’avait plus aucun problème. De retour dans son ancienne cour, le problème est réapparu.

    « Le maréchal-ferrant a témoigné lors de notre audition de l’effet des ondes radio sur les pieds de nos chevaux. L’aluminium conduit l’électricité et leurs pieds avaient changé de forme, présentaient d’énormes fissures à l’emplacement des clous et étaient très sensibles à l’intérieur.

    « Nous avons eu des problèmes hebdomadaires avec des infections que nous n’avions jamais eues auparavant, nos factures de vétérinaire étaient horribles ».

    Des chevaux de course nerveux et instables, avec des pieds douloureux et un manque de coordination. C’est exactement ce qui s’est passé à Churchill Downs lors de la réunion de printemps de cette année.

    Lorsque j’ai appris ce qui se passait à Churchill Downs ce printemps, j’ai envoyé un courriel au Dr Jennifer Durenberger, lui suggérant que les dispositifs STRIDESafe, qui ont été déployés à Churchill Downs pour la sécurité des chevaux, sont au contraire en train de les tuer. Elle n’a pas répondu. Le Dr Durenberger, vétérinaire, est directrice de la sécurité et du bien-être des équidés à la Horseracing Integrity and Safety Authority (HISA). Elle a dirigé l’examen des dossiers des chevaux décédés.

    Si vous êtes vétérinaire ou avez de l’expérience avec les chevaux et souhaitez apporter votre aide, envoyez-moi un courriel à arthur@cellphonetaskforce.org. Si nous parvenons à convaincre Churchill Downs, la HISA et les propriétaires des chevaux de course qui participent au Kentucky Derby de reconnaître ce qui se passe et de se débarrasser de ces nouveaux appareils sans fil, nous aurons l’occasion d’éduquer le reste du monde et de catalyser un changement de direction pour nous tous.

    Quelques sites sur les CEM en France : https://www.robindestoits.orghttps://www.criirem.orghttp://www.priartem.fr/accueil.htmlhttp://www.next-up.org/intro3.php
    https://www.echoearth.org/engagement

    #Chevaux #animaux #cruauté #gsm #rf #radiofréquence #RFID #expériences #expérimentations #CEM #Angleterre #FM

    Source : https://www.revue3emillenaire.com/blog/chevaux-de-course-a-churchill-downs-par-arthur-firstenberg

  • La Suisse a-t-elle joué un rôle dans le scandale des pensionnats autochtones au Canada ? Céline Fontannaz/fgn
    https://www.rts.ch/info/suisse/12332224-la-suisse-atelle-joue-un-role-dans-le-scandale-des-pensionnats-autochto

    Le scandale des pensionnats autochtones au Canada soulève des questions jusque chez nous. Des religieux suisses en mission là-bas pourraient en effet être impliqués dans des conversions forcées d’enfants enlevés à leur famille, comme le soutient un historien suisse.

    A ce stade, s’il est difficile de l’affirmer avec certitude, l’historien Manuel Menrath, spécialiste des missions suisses en Amérique du nord, juge fort probable que la Suisse ait joué un rôle dans le scandale des pensionnats autochtones canadiens. 

    Pour écrire son dernier livre paru en 2016, il a en effet rencontré de nombreux indigènes canadiens étant passés par ces internats. Et plusieurs d’entre eux lui ont confié avoir été convertis au catholicisme par des missionnaires suisses.

    Histoire semblable aux Etats-Unis
    Autre indice qui laisse penser que des religieux venus de notre pays pourraient être impliqués : la même histoire s’est jouée aux Etats-Unis à la même époque, et là, elle est documentée depuis 2016.

    Une des figures majeures du volet américain s’appelle Martin Marty. En 1860, ce moine bénédictin de l’abbaye d’Einsiedeln, dans le canton de Schwytz, était parti dans l’Etat de l’Indiana pour fonder Saint Meinrad, une abbaye encore existante. Devenu par la suite évêque dans l’Etat du Dakota, son rôle a notamment été de convertir les enfants sioux au christianisme, comme le relate Urban Federer, lʹactuel abbé du monastère bénédictin dʹEinsiedeln.

    « Martin Marty a aussi fondé des internats où les enfants ont été enlevés à leurs parents », raconte-t-il au micro de Forum, déplorant le sort qui leur était réservé. « Le traitement des indigènes est diamétralement opposé au message des Evangiles, car on a séparé les enfants des parents. L’Eglise, à mon avis, a adopté cette attitude car elle pensait que la culture occidentale était supérieure à la culture indigène », détaille-t-il, se distanciant clairement des agissements de son confrère.

    Pour Urban Federer, qui a préfacé le livre de Manuel Menrath sur le rôle des missionnaires suisses aux Etats-Unis, la lumière doit désormais être faite. Ne serait-ce que par respect pour les descendants des victimes.

    « C’est vrai que les victimes ne vivent plus aujourd’hui, mais les conséquences sont encore là. Par exemple, des indigènes aux Etats-Unis et au Canada souffrent aujourd’hui d’alcoolisme et de pauvreté à cause de cette histoire », souligne-t-il.

    Excuses attendues de l’Eglise
    Du côté de la Conférence des évêques de Suisse, elle ne se prononce pas et renvoie aux ordres religieux. Ce sont eux qui sont partis au milieu du 19e siècle craignant pour la survie de leurs monastères, au moment où s’opposaient conservateurs et radicaux dans notre pays.

    « C’est vrai que la Conférence des évêques de Suisse n’a jamais envoyé des missionnaires aux Etats-Unis et au Canada », confirme Urban Federer.

    Quoi qu’il en soit, les indigènes canadiens espèrent des excuses de l’Eglise. Urban Federer veut croire que le pape François trouvera le moment opportun pour présenter le mea-culpa de l’Eglise, comme il l’avait fait en 2015 en Amérique du Sud, lorsqu’il avait transmis ses excuses au nom de l’Église catholique pour les « péchés » et les « blessures » infligées aux peuples autochtones lors de l’arrivée des colons européens.

    #civilisation #canada #Suisse #conquête, #confinement, #destruction #Solution_Finale #génocide #stérilisation #indiens #innuits #femmes #enfants #hommes #tuberculose #stérilisation #pensionnats #sévices #viols #meurtres #expériences_médicales #églises #prêtres #moines #pasteurs #religieuses #docteurs #capitalisme #pensionnats #extermination

  • L’indescriptible histoire des pensionnats indiens Siwel
    Source : https://www.siwel.info/le-canada-demande-pardon-aux-peuples-autochtones-lindescriptible-histoire-de

    . . . . . . .
    1859 : le jésuite Paul Durieu, installé en Colombie Britannique, prévoit d’exterminer tous les chefs indiens non chrétiens. Un modèle qui a eu cours ensuite dans les Indian Residential School, des pensionnats pour les enfants indiens dont on va longuement reparler.

    1862-63  : épidémie de variole introduite par un missionnaire anglican, futur évêque, John Sheepshanks, qui a inoculé le virus à des enfants amérindiens. Cela, sous la couverture du gouvernement provincial et le commerce de fourrures de la compagnie Hudson Bay, qui parraine les premières missions protestantes chez les indiens. C’est aussi la première guerre bactériologique connue de l’histoire, et elle a permis à des chercheurs d’or de piller les terres de ces milliers d’indiens assassinés.

    1870  : la couronne anglaise donne les terres des indiens aux anglicans et autres missionnaires catholiques.

    1873  : on établit une force armée (la police montée) qui a parmi ses attributions de refouler tous les indiens dans des réserves, et cela tout le long de la voie ferrée qui traverse le pays.

    1876  : l’Indian Act retire aux indiens le statut de citoyens. Ils ne peuvent pas voter, sont considérés comme mineurs et ne peuvent aller en justice.

    1886  : les cérémonies indiennes sont interdites.

    1889  : les écoles indiennes sont interdites, les enfants doivent aller dans pensionnats destinés aux autochtones.

    1891  : premiers décès en masse d’enfants indiens dans les pensionnats à cause de tuberculose non soignée. Le gouvernement canadien ne s’en soucie pas.

    1905  : plus d’une centaine de ces pensionnats sont actifs au Canada.

    1907  : le Dr Peter Bryce qui est médecin chef aux Affaires Indiennes, fait une étude de la santé des enfants dans ces pensionnats. Il en ressort que plus de la moitié (entre 35 et 60%) des enfants meurent à cause de tuberculose qui y est introduite délibérément par le personnel. Le DrBryce parlait d’un « crime national »[1]. En parallèle, le chef des affaires indiennes Duncan Scott, cherchait une solution finale au « problème indien », ce peuple vu par lui comme une sous race.
    C’est d’ailleurs lui qui a fait passer le rapport Bryce à la trappe. Tout cela était donc intentionnel, et le virus était introduit exprès, afin d’éradiquer les indiens.

    1910  : Duncan Scott confie par contrat la gestion des pensionnats aux catholiques, anglicans, presbytériens et méthodistes.

    1919  : fin des examens médicaux dans les residential schools.

    1920  : tous les enfants de plus de 7 ans doivent être envoyés dans les pensionnats sinon les parents vont en prion et prennent une amende[2]. Là, la moitié de leurs enfants mouraient.

    1925  : création de l’Eglise unie du Canada pour christianiser tout le monde. Elle est financée par la couronne d’Angleterre. Elle hérite de tous les pensionnats et des terres volées par les méthodistes et les presbytériens.

    1928  : loi sur la stérilisation en Alberta, qui permet de stériliser les enfants des pensionnats à leur insu sur décision d’un curé. Au moins 2.800 enfants ont ainsi été mutilés. Une loi similaire est adoptée en 1933 en Colombie Britannique. Dans les années 30, c’est le boom des pensionnats, il y en aurait environ 130 dans le pays.

    Janvier 1939  : les enfants Cowichan servent de cobayes à des expériences menées par des médecins allemands au pensionnat Kuper Island à l’ile de Vancouver. Le foyer était tenu par des catholiques allemands. Dans les années qui suivent, un futur premier ministre canadien s’est occupé de définir le génocide de manière à ce que le génocide des amérindiens ne rentre pas dans ce cadre.

    1946-1952  : des centaines de médecins nazis et SS obtiennent la nationalité canadienne (projet Paperclip, dont les archives commencent à peine à sortir). Et beaucoup ont mené leurs expériences dans les pensionnats d’indiens, centres militaires et autres cliniques comme celle du Dr Ewen Cameron, qui a travaillé sur les projets de manipulation mentale de la CIA MK ultra et Monarch. Sur les patients, on teste l’usage de drogues, les électrochocs, la privation de sommeil, les chocs traumatiques, cela pour développer la manipulation mentale.


    1956  : un survivant de la Lincoln Royal Canadian Air Base à Calgary (Alberta) dit qu’un médecin qui avait un tatouage SS a torturé des enfants à mort, dont des enfants indiens amenés par les policiers du RMMP (la police montée canadienne royale), venant des pensionnats catholiques. Des survivants des bases militaires de Suffield en Alberta, de Nanaimo en Colombie Britannique, de l’hôpital psychiatrique Lakehead en Ontario évoquent des faits similaires.


    1962 – 1971  : des milliers d’enfants indiens sont enlevés à leurs familles dans le cadre du programme « sixties scoop » qui aurait concerné officiellement 20.000 enfants. Etrangement, on observe que le programme actuel d’adoptions forcées aux Etats-Unis ressemble beaucoup à « Sixties Scoop », ces rafles d’enfants qui pourraient n’avoir été qu’un test. Beaucoup de ces enfants sont morts et les circonstances ont été dissimulées.

    1970  : suite à des révoltes, le gouvernement cède l’éducation des enfants indiens aux communautés indiennes, petit à petit. En 1972, les affaires indiennes ordonnent la destruction de tous les dossiers personnels des indiens, y compris l’origine et les documents de propriété. En 1975, la majorité des pensionnats étaient sortis de l’orbite des catholiques. Pourtant, les abus ont continué dans de nombreux établissements passés aux autochtones, à savoir des écoles maternelles. Le dernier pensionnat ferme en 1996.

    1980  : suite à la pression des indiens, le gouvernement établit une assemblée fantoche de chefs non élus, qui ne cherche pas à enquêter sur les abus commis contre les indiens, ni à demander la souveraineté du peuple indien.

    1986  : l’église unie du Canada demande "pardon". Mais elle ne veut pas indemniser ses victimes.

    1989  : Nora Bernard, qui a survécu au pensionnat de New Brunswick, démarre les poursuites contre l’église catholique canadienne et le gouvernement. Elle a été assassinée en décembre 2007[3], juste avant les « excuses » du gouvernement pour les pensionnats. Nora Bernard a quand-même été à l’origine de la plus grosse ‘class action’ du Canada, représentant 79.000 survivants[4].

    1993 – 1995  : des indiens parlent publiquement de meurtres d’enfants à l’école St Andrews de Port Alberni, qui était gérée par l’Eglise catholique du Canada. C’est là qu’officie Kevin Annett, ce pasteur qui est tombé sur une transaction foncière entre le gouvernement et l’église qui achetait, concernant des terres volées aux indiens. Annett est renvoyé à la suite de son indignation publique au sujet de cette magouille. Puis un autre parle d’enfants battus à mort dans un autre pensionnat.

    1996 – 1998  : Annett rend publics des centaines de témoignages rapportant des crimes dans les pensionnats. A partir de là, il a plein d’ennuis (divorce, procès…). Des procès intentés par des survivants suivent malgré tout. Des indemnités commencent à tomber pour les 86.000 survivants, écœurés de voir qu’on tente d’acheter leur mémoire. Et des millions de dollars de subventions diverses et variées pleuvent sur les réserves indiennes. Mais l’argent a été très mal réparti, et souvent accaparé par les chefs tribaux et autres administrations.

    2000  : comme 10.000 survivants avaient porté plainte, l’église du Canada a demandé au gouvernement de restreindre le cadre des poursuites et d’assumer la responsabilité première pour les crimes commis dans les pensionnats. De nombreux tribunaux refuseront d’ailleurs aux indiens le droit de poursuivre l’Eglise.

    2002  : l’Eglise mène une campagne de propagande pour dire qu’elle sera ruinée si elle doit assumer les conséquences des poursuites. Du coup, le gouvernement a pris l’entière responsabilité des crimes, y compris les compensations financières.

    2005  : des survivants désignent à Annett des lieux de sépultures de masse, autrement dit des charniers, proches d’anciens pensionnats de Colombie Britannique. On monte alors « Friends and relatives of the disappeared » (amis et proches des disparus). Le film Unrepentant est réalisé à partir des travaux d’Annett.

    2007  : le gouvernement met en place une commission de réconciliation et de vérité, qui refuse de dédommager plus de la moitié des survivants.

    Juin 2008  : sous la pression, le gouvernement « s’excuse » pour les crimes, tout en cherchant à les minimiser. Il n’est toujours pas question de faire payer l’Eglise.

    2009  : un témoin de meurtre d’enfant, Johnny “Bingo” Dawson, est assassiné par la police, qui l’avait menacé au cas où il parlait.

    2010  : les contacts entre les survivants de l’Eglise canadiens, irlandais, italiens, allemands et anglais se nouent. Il apparaît clairement que Ratzinger, le pape, a œuvré toute sa vie pour dissimuler ces abus au public.

    2012  : pendant que le gouvernement fait encore mine de faire de la « réconciliation » et de la « vérité », les actions en Justice vont démarrer sérieusement. Au passage, précisons que les survivants des résidential school conchient littéralement la « Truth and reconciliation commission » qui tente de les enfumer depuis quelques années déjà, à grands coups de subventions. Et aujourd’hui, on ne connait toujours pas le nombre d’enfants qui sont passés dans ces pensionnats. On parle officiellement de 100.000 à 200.000 enfants.


    2. Le génocide

    On peut parler de génocide par bien des aspects. Notamment parce qu’on retrouve dans celui des indiens du Canada les trois phases habituelles : conquête, confinement, destruction. Mais celui des indiens a duré longtemps et a fonctionné par vagues successives, sous le couvert de la religion et de l’éducation. Les survivants parlent de camps de concentration chrétiens.

    En 1910, la plupart de la centaine de pensionnats (les residential school) dans lesquels sont envoyés les enfants indiens du Canada est dans le giron de l’Eglise catholique romaine. Ces pensionnats étaient de véritables mouroirs, où le taux de décès était encore pire que dans les camps de concentration nazis : d’après les chiffres disponibles, il apparaît que plus de la moitié des enfants y mouraient chaque année, et cela durant un bon demi siècle (contre 15 à 20% par an dans les camps de concentration). Duncan Scott l’a écrit en 1910 : les décès massifs de ces enfants indiens dans les pensionnats sont « en accord avec la politique du ministère, qui est orientée vers la Solution Finale du problème Indien ».

    Et cette Solution Finale a été assez efficace : entre 1900 et 1960, le taux de mortalité des enfants indiens de ces pensionnats oscillait entre 40 et 60% par an. Pendant soixante ans, ce taux est resté le même, malgré les « progrès de la médecine » et la fertilité des terres sur lesquelles étaient installées ces « écoles ». Bien sûr, l’Etat a tout fait pour dissimuler cette réalité. Quelques années plus tard, ce concept de « Solution Finale » a été repris par les Nazis.
    De plus, de 1920 à 1930, en plein cœur du massacre, les inspections médicales ont carrément été suspendues dans les pensionnats. Au total, entre 1890 et 1996, ce sont de 50 à 100.000 enfants qui sont morts dans ces endroits lugubres.

    Et puis, il y a eu cette politique de stérilisation[5]. Des centres de stérilisation ont existé, dans lesquels les jeunes gens étaient drogués et stérilisés, surtout s’ils n’étaient pas chrétiens. Mais tous les registres concernant ces stérilisations ont été détruits à partir de 1995, quand l’enquête de l’Etat a démarré. Les garçons étaient parfois mis devant des rayons X intensifs afin d’être rendus stériles, ou bien on leur faisait boire des poisons.

    Et quand les bébés, souvent le fruit de viols par les pasteurs et compagnie, naissaient quand-même, on les tuait.


    Toutefois, ce processus de stérilisation n’a pas pris fin avec les écoles résidentielles. Royce White Calf, un ancien Lakhota qui a été juge au Tribunal concernant ces pensionnats en juin 1998 à Vancouver, estime qu’entre un tiers et la moitié de toutes les femmes aborigènes du Canada Ouest et de l’Alaska ont été stérilisées par des méthodes intrusives physiques ou chimiques autour de 1980.

    Le taux de stérilisations chimiques administrées sous couvert de vaccins parmi les indigènes a en fait augmenté depuis cette époque, particulièrement dans le tiers monde, sous des programmes relativement secrets conduits par l’OMS et les Nations Unies. Même après 1980, les stérilisations ont continué, mais de manière plus cachée encore.

    Aujourd’hui, on « vaccine ». Mais dans le vaccin, il n’y a parfois que du produit stérilisant. Annett explique « En 2004, on a découvert que l’Organisation Mondiale de la Santé a administré pendant des années des substances stérilisantes en même temps que les vaccins contre la grippe et la polio, aux femmes indigènes des Philippines et de nombreux pays d’Afrique. De la même façon, plus de 40.000 hommes et femmes Inuits ont été rendus infertiles par le Département de la Santé des USA (US Health Department) entre 1986 et 1993 après qu’on leur ait administré un sérum nommé Heptavax, une drogue de stérilisation interdite dans la plupart des pays du monde ».

    Accessoirement, la définition du génocide, révisée par le canadien Raphael Lemkin, a fini par insister sur la notion d’intention : pas de génocide si l’intention de faire un génocide n’est pas clairement prouvée. Ce qui permettait à celui des indiens de passer à la trappe de l’histoire. Même la dernière loi concernant le crime de génocide passée en 2000 au canada interdit toute poursuite contre l’Etat canadien si le génocide imputé date d’avant 2000. Si bien qu’avant 2000, le génocide était légal au Canada, comme sous le IIIe Reich.
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    Source : https://www.siwel.info/le-canada-demande-pardon-aux-peuples-autochtones-lindescriptible-histoire-de

    Notes
    [1] En fait, Bryce n’a parlé de crime national dans un rapport publié après sa retraite, en 1922.

    [2] Cette obligation vient probablement du fait qu’autrement, les enfants s’échappaient dès qu’ils le pouvaient pour retourner dans leurs villages.
    [3] On a d’abord dit qu’elle était morte de causes naturelles, avant d’accuser son petit fils, qui a été envoyé en prison.
    [4] Le Canada a réglé les poursuites en 2005 pour 5 milliards de dollars.
    [5] Mais la stérilisation des populations indiennes a également lieu aux Etats Unis, au Perou et en Asie. Cela, ce sont les faits connus et prouvés. Sommes-nous certains qu’on n’est pas victimes du même processus en Europe, où certaines études montrent qu’un tiers des hommes sont stériles dans certains pays. On a appris aussi que des indiens guatémaltèques ont été contaminés avec des maladies comme la syphilis pour ensuite rentrer chez eux et permettre de voir comment évolue la maladie.
    [6] Sur une liste de 250.000 décès depuis le XIXe siècle, ce qui laisse penser que plus de 200.000 enfants sont passés dans ces pensionnats.
    [7] Cela a été confirmé par des recherches dans les archives militaires, effectuées par le sergent Gasseau du National Investigation Service de l’armée en 1994. Bizarrement, ce militaire a ensuite nié tout ce qu’il avait dit auparavant. Sara a même été menacée de poursuites par le gouvernement, afin de la dissuader de demander réparation. Aujourd’hui, elle et son mari doivent vivre cachés et sont harcelés par le gouvernement.
    [8] Deux juges de la cour suprême de la Province avaient été un peu embêtés pour avoir violé des enfants indiens, mais finalement ce sont ceux qui les avaient poursuivis qui ont été détruits.
    [9] Les toutes premières disparitions remontaient 1978, mais la gendarmerie n’a commencé à enquêter qu’en 1999.
    [10] Ce fut le cas par exemple pour Danielle Larue, disparue à 25 ans début 2003. Il a fallu plus de six mois pour que la police s’interroge. Ses ancêtres étaient des chefs héréditaires de la tribu Neskonlith, chassés par l’Etat. Son père a été dans les pensionnats où il a été maltraité, et il été parmi les premiers à signer le recours collectif contre l’Etat. Mais, il est devenu alcoolique et délinquant. La grand-mère paternelle de Danielle a été assassinée quand son père était encore bébé. Danielle, son frère et sa sœur ont donc été placés et séparés très jeunes, car leur père alcoolique était violent. La mère est partie, mais il était déjà trop tard pour récupérer ses enfants. Les trois enfants ont été violés et maltraités dans ces centres, si bien que Danielle a fini par les enlever pour les protéger, alors qu’elle avait seulement 10 ans. Peu après, de retour en foyer, Danielle a commencé à se prostituer pour avoir un peu d’argent. Puis elle est tombée dans l’héroïne, de même que sa jeune sœur. A ce moment, Danielle n’avait pas 18 ans. Les choses se sont sérieusement gâtées quand Danielle a commencé à aller chercher de la drogue dans la banlieue pauvre de Downtown Eastside à Vancouver. Là d’où viennent beaucoup de disparues. Quant à leur frère, il affichait déjà plus de 18 condamnations à 19 ans.
    [11] Un serial killer a qui on a imputé quelques unes des disparitions du highway 16, mais il ne serait certainement pas le seul à avoir sévi dans le coin même si on le soupçonne d’une soixantaine de disparitions. Arrêté en 2002, il vient d’une famille de dingues, et ses frères Steve, Dave et Willie ne sont pas en reste. Mais là encore, l’enquête est des plus poussives : pas mal de témoins ont vu des flics amener des victimes dans la ferme familiale de 17 ha, semble-t-il, et il travaillait, semble-t-il encore, avec beaucoup de monde. Ajoutons aussi que Pickton tuait déjà des prostituées dans les années 90 – 2000, mais bien sûr la police ne l’a pas arrêté.
    Source AFP & Wikisrik / Canada : le massacre du peuple indien passe par la destruction et l’exploitation de leurs enfants

    #civilisation #canada #conquête, #confinement, #destruction #Solution_Finale #génocide #stérilisation #indiens #innuits #femmes #enfants #hommes #vaccins #polio #Heptavax #tuberculose #stérilisation #pensionnats #sévices #viols #meurtres #expériences_médicales #églises #prêtres #moines #pasteurs #religieuses #docteurs #capitalisme #pensionnats #extermination

    • Deux églises catholiques brûlées sur des terres autochtones en Colombie-Britannique

      Deux églises catholiques installées dans des territoires autochtones de Colombie-Britannique ont été détruites dans la nuit de dimanche à lundi lors d’incendies « suspects », a annoncé lundi 21 juin la police fédérale canadienne, qui a lancé une enquête.
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      Ces deux incendies interviennent quelques semaines après la découverte des restes de 215 enfants près d’un ancien pensionnat autochtone géré par l’Église catholique à Kamloops, dans cette province de l’Ouest canadien. Cette découverte a relancé les appels au pape et à l’Église à présenter des excuses pour les abus et violences dont ont souffert les élèves de ces pensionnats, où ils étaient enrôlés de force pour être assimilés à la culture dominante.
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      Source : https://www.lefigaro.fr/international/deux-eglises-catholiques-brulees-sur-des-terres-autochtones-en-colombie-bri

  • À la croisée de l’art et de la science : la #cartographie_sensible comme dispositif de #recherche-création

    À travers l’étude de pratiques cartographiques actuelles, cet article s’intéresse à la « cartographie sensible » comme émergence d’une nouvelle modalité cartographique permettant de tracer et révéler les #expériences de l’espace. Restituant une démarche d’enquête auprès d’artistes contemporains, de paysagistes, d’architectes et d’urbanistes pratiquant ce type de démarche, cet article montre comment ils inscrivent leur pratique dans la relation avec les lieux et les personnes, exprimant souvent une dimension invisible des lieux, celle du #sensible, et révélant des situations quotidiennes. Cette cartographie contemporaine suscite des renouvellements tant scientifiques que transversaux à l’#art et à l’#aménagement, dans la mesure où la carte n’est plus seulement un outil de visualisation de l’espace, mais en elle-même, un dispositif d’#expérience_spatiale ouvrant vers une nouvelle #géographie_du_vécu.

    https://journals.openedition.org/mappemonde/5346

    #Elise_Olmedo #cartographie #visualisation #cartoexperiment

    ping @visionscarto @reka

  • #Intersectionnalité : une #introduction (par #Eric_Fassin)

    Aujourd’hui, dans l’espace médiatico-politique, on attaque beaucoup l’intersectionnalité. Une fiche de poste a même été dépubliée sur le site du Ministère pour purger toute référence intersectionnelle. Dans le Manuel Indocile de Sciences Sociales (Copernic / La Découverte, 2019), avec Mara Viveros, nous avons publié une introduction à ce champ d’études. Pour ne pas laisser raconter n’importe quoi.

    « Les féministes intersectionnelles, en rupture avec l’universalisme, revendiquent de ne pas se limiter à la lutte contre le sexisme. »

    Marianne, « L’offensive des obsédés de la race, du sexe, du genre, de l’identité », 12 au 18 avril 2019

    Une médiatisation ambiguë

    En France, l’intersectionnalité vient d’entrer dans les magazines. Dans Le Point, L’Obs ou Marianne, on rencontre non seulement l’idée, mais aussi le mot, et même des références savantes. Les lesbiennes noires auraient-elles pris le pouvoir, jusque dans les rédactions ? En réalité si les médias en parlent, c’est surtout pour dénoncer la montée en puissance, dans l’université et plus largement dans la société, d’un féminisme dit « intersectionnel », accusé d’importer le « communautarisme à l’américaine ». On assiste en effet au recyclage des articles du début des années 1990 contre le « politiquement correct » : « On ne peut plus rien dire ! » C’est le monde à l’envers, paraît-il : l’homme blanc hétérosexuel subirait désormais la « tyrannie des minorités ».

    Faut-il le préciser ? Ce fantasme victimaire est démenti par l’expérience quotidienne. Pour se « rassurer », il n’y a qu’à regarder qui détient le pouvoir dans les médias et l’université, mais aussi dans l’économie ou la politique : les dominants d’hier ne sont pas les dominés d’aujourd’hui, et l’ordre ancien a encore de beaux jours devant lui. On fera plutôt l’hypothèse que cette réaction parfois virulente est le symptôme d’une inquiétude après la prise de conscience féministe de #MeToo, et les révélations sur le harcèlement sexiste, homophobe et raciste de la « Ligue du Lol » dans le petit monde des médias, et alors que les minorités raciales commencent (enfin) à se faire entendre dans l’espace public.

    Il en va des attaques actuelles contre l’intersectionnalité comme des campagnes contre la (supposée) « théorie du genre » au début des années 2010. La médiatisation assure une forme de publicité à un lexique qui, dès lors, n’est plus confiné à l’univers de la recherche. La polémique a ainsi fait entrevoir les analyses intersectionnelles à un public plus large, qu’articles et émissions se bousculent désormais pour informer… ou le plus souvent mettre en garde. Il n’empêche : même les tribunes indignées qui livrent des noms ou les dossiers scandalisés qui dressent des listes contribuent, à rebours de leurs intentions, à établir des bibliographies et à populariser des programmes universitaires. En retour, le milieu des sciences sociales lui-même, en France après beaucoup d’autres pays, a fini par s’intéresser à l’intersectionnalité – et pas seulement pour s’en inquiéter : ce concept voyageur est une invitation à reconnaître, avec la pluralité des logiques de domination, la complexité du monde social.

    Circulations internationales

    On parle d’intersectionnalité un peu partout dans le monde – non seulement en Amérique du Nord et en Europe, mais aussi en Amérique latine, en Afrique du Sud ou en Inde. Il est vrai que le mot vient des États-Unis : c’est #Kimberlé_Crenshaw qui l’utilise d’abord dans deux articles publiés dans des revues de droit au tournant des années 1990. Toutefois, la chose, c’est-à-dire la prise en compte des dominations multiples, n’a pas attendu le mot. Et il est vrai aussi que cette juriste afro-américaine s’inscrit dans la lignée d’un « #féminisme_noir » états-unien, qui dans les années 1980 met l’accent sur les aveuglements croisés du mouvement des droits civiques (au #genre) et du mouvement des femmes (à la #race).

    Cependant, ces questions sont parallèlement soulevées, à la frontière entre l’anglais et l’espagnol, par des féministes « #chicanas » (comme #Cherríe_Moraga et #Gloria_Anzaldúa), dans une subculture que nourrit l’immigration mexicaine aux États-Unis ou même, dès les années 1960, au Brésil, au sein du Parti communiste ; des féministes brésiliennes (telles #Thereza_Santos, #Lélia_Gonzalez et #Sueli_Carneiro) développent aussi leurs analyses sur la triade « race-classe-genre ». Bref, la démarche intersectionnelle n’a pas attendu le mot intersectionnalité ; elle n’a pas une origine exclusivement états-unienne ; et nulle n’en a le monopole : ce n’est pas une « marque déposée ». Il faut donc toujours comprendre l’intersectionnalité en fonction des lieux et des moments où elle résonne.

    En #France, c’est au milieu des années 2000 qu’on commence à parler d’intersectionnalité ; et c’est d’abord au sein des #études_de_genre. Pourquoi ? Un premier contexte, c’est la visibilité nouvelle de la « #question_raciale » au sein même de la « #question_sociale », avec les émeutes ou révoltes urbaines de 2005 : l’analyse en termes de classe n’était manifestement plus suffisante ; on commence alors à le comprendre, pour les sciences sociales, se vouloir aveugle à la couleur dans une société qu’elle obsède revient à s’aveugler au #racisme. Un second contexte a joué un rôle plus immédiat encore : 2004, c’est la loi sur les signes religieux à l’école. La question du « #voile_islamique » divise les féministes : la frontière entre « eux » et « nous » passe désormais, en priorité, par « elles ». Autrement dit, la différence de culture (en l’occurrence religieuse) devient une question de genre. L’intersectionnalité permet de parler de ces logiques multiples. Importer le concept revient à le traduire dans un contexte différent : en France, ce n’est plus, comme aux États-Unis, l’invisibilité des #femmes_noires à l’intersection entre féminisme et droits civiques ; c’est plutôt l’hypervisibilité des #femmes_voilées, au croisement entre #antisexisme et #antiracisme.

    Circulations interdisciplinaires

    La traduction d’une langue à une autre, et d’un contexte états-unien au français, fait apparaître une deuxième différence. Kimberlé Crenshaw est juriste ; sa réflexion porte sur les outils du #droit qu’elle utilise pour lutter contre la #discrimination. Or aux États-Unis, le droit identifie des catégories « suspectes » : le sexe et la race. Dans les pratiques sociales, leur utilisation, implicite ou explicite, est soumise à un examen « strict » pour lutter contre la discrimination. Cependant, on passe inévitablement de la catégorie conceptuelle au groupe social. En effet, l’intersectionnalité s’emploie à montrer que, non seulement une femme peut être discriminée en tant que femme, et un Noir en tant que Noir, mais aussi une femme noire en tant que telle. C’est donc seulement pour autant qu’elle est supposée relever d’un groupe sexuel ou racial que le droit peut reconnaître une personne victime d’un traitement discriminatoire en raison de son sexe ou de sa race. Toutefois, dans son principe, cette démarche juridique n’a rien d’identitaire : comme toujours pour les discriminations, le point de départ, c’est le traitement subi. Il serait donc absurde de reprendre ici les clichés français sur le « communautarisme américain » : l’intersectionnalité vise au contraire à lutter contre l’#assignation discriminatoire à un groupe (femmes, Noirs, ou autre).

    En France, la logique est toute différente, dès lors que l’intersectionnalité est d’abord arrivée, via les études de genre, dans le champ des sciences sociales. La conséquence de cette translation disciplinaire, c’est qu’on n’a généralement pas affaire à des groupes. La sociologie s’intéresse davantage à des propriétés, qui peuvent fonctionner comme des variables. Bien sûr, on n’oublie pas la logique antidiscriminatoire pour autant : toutes choses égales par ailleurs (en l’occurrence dans une même classe sociale), on n’a pas le même salaire selon qu’on est blanc ou pas, ou la même retraite si l’on est homme ou femme. Il n’est donc pas ou plus possible de renvoyer toutes les explications à une détermination en dernière instance : toutes les #inégalités ne sont pas solubles dans la classe. C’est évident pour les femmes, qui appartiennent à toutes les classes ; mais on l’oublie parfois pour les personnes dites « non blanches », tant elles sont surreprésentées dans les classes populaires – mais n’est-ce pas justement, pour une part, l’effet de leur origine supposée ? Bien entendu, cela ne veut pas dire, à l’inverse, que la classe serait soluble dans une autre forme de #domination. En réalité, cela signifie simplement que les logiques peuvent se combiner.

    L’intérêt scientifique (et politique) pour l’intersectionnalité est donc le signe d’une exigence de #complexité : il ne suffit pas d’analyser la classe pour en avoir fini avec les logiques de domination. C’est bien pourquoi les féministes n’ont pas attendu le concept d’intersectionnalité, ni sa traduction française, pour critiquer les explications monocausales. En France, par exemple, face au #marxisme, le #féminisme_matérialiste rejette de longue date cette logique, plus politique que scientifique, de l’« ennemi principal » (de classe), qui amène à occulter les autres formes de domination. En 1978, #Danièle_Kergoat interrogeait ainsi la neutralisation qui, effaçant l’inégalité entre les sexes, pose implicitement un signe d’égalité entre « ouvrières » et « ouvriers » : « La #sociologie_du_travail parle toujours des “#ouvriers” ou de la “#classe_ouvrière” sans faire aucune référence au #sexe des acteurs sociaux. Tout se passe comme si la place dans la production était un élément unificateur tel que faire partie de la classe ouvrière renvoyait à une série de comportements et d’attitudes relativement univoques (et cela, il faut le noter, est tout aussi vrai pour les sociologues se réclamant du #marxisme que pour les autres. »

    Or, ce n’est évidemment pas le cas. Contre cette simplification, qui a pour effet d’invisibiliser les ouvrières, la sociologue féministe ne se contente pas d’ajouter une propriété sociale, le sexe, à la classe ; elle montre plus profondément ce qu’elle appelle leur #consubstantialité. On n’est pas d’un côté « ouvrier » et de l’autre « femme » ; être une #ouvrière, ce n’est pas la même chose qu’ouvrier – et c’est aussi différent d’être une bourgeoise. On pourrait dire de même : être une femme blanche ou noire, un garçon arabe ou pas, mais encore un gay de banlieue ou de centre-ville, ce n’est vraiment pas pareil !

    Classe et race

    Dans un essai sur le poids de l’#assignation_raciale dans l’expérience sociale, le philosophe #Cornel_West a raconté combien les taxis à New York refusaient de s’arrêter pour lui : il est noir. Son costume trois-pièces n’y fait rien (ni la couleur du chauffeur, d’ailleurs) : la classe n’efface pas la race – ou pour le dire plus précisément, le #privilège_de_classe ne suffit pas à abolir le stigmate de race. Au Brésil, comme l’a montré #Lélia_Gonzalez, pour une femme noire de classe moyenne, il ne suffit pas d’être « bien habillée » et « bien élevée » : les concierges continuent de leur imposer l’entrée de service, conformément aux consignes de patrons blancs, qui n’ont d’yeux que pour elles lors du carnaval… En France, un documentaire intitulé #Trop_noire_pour_être_française part d’une même prise de conscience : la réalisatrice #Isabelle_Boni-Claverie appartient à la grande bourgeoisie ; pourtant, exposée aux discriminations, elle aussi a fini par être rattrapée par sa couleur.

    C’est tout l’intérêt d’étudier les classes moyennes (ou supérieures) de couleur. Premièrement, on voit mieux la logique propre de #racialisation, sans la rabattre aussitôt sur la classe. C’est justement parce que l’expérience de la bourgeoisie ne renvoie pas aux clichés habituels qui dissolvent les minorités dans les classes populaires. Deuxièmement, on est ainsi amené à repenser la classe : trop souvent, on réduit en effet ce concept à la réalité empirique des classes populaires – alors qu’il s’agit d’une logique théorique de #classement qui opère à tous les niveaux de la société. Troisièmement, ce sont souvent ces couches éduquées qui jouent un rôle important dans la constitution d’identités politiques minoritaires : les porte-parole ne proviennent que rarement des classes populaires, ou du moins sont plus favorisés culturellement.

    L’articulation entre classe et race se joue par exemple autour du concept de #blanchité. Le terme est récent en français : c’est la traduction de l’anglais #whiteness, soit un champ d’études constitué non pas tant autour d’un groupe social empirique (les Blancs) que d’un questionnement théorique sur une #identification (la blanchité). Il ne s’agit donc pas de réifier les catégories majoritaires (non plus, évidemment, que minoritaires) ; au contraire, les études sur la blanchité montrent bien, pour reprendre un titre célèbre, « comment les Irlandais sont devenus blancs » : c’est le rappel que la « race » ne doit rien à la #biologie, mais tout aux #rapports_de_pouvoir qu’elle cristallise dans des contextes historiques. À nouveau se pose toutefois la question : la blanchité est-elle réservée aux Blancs pauvres, condamnés à s’identifier en tant que tels faute d’autres ressources ? On parle ainsi de « #salaire_de_la_blanchité » : le #privilège de ceux qui n’en ont pas… Ou bien ne convient-il pas de l’appréhender, non seulement comme une compensation, mais aussi et surtout comme un langage de pouvoir – y compris, bien sûr, chez les dominants ?

    En particulier, si le regard « orientaliste » exotise l’autre et l’érotise en même temps, la #sexualisation n’est pas réservée aux populations noires ou arabes (en France), ou afro-américaines et hispaniques (comme aux États-Unis), bref racisées. En miroir, la #blanchité_sexuelle est une manière, pour les classes moyennes ou supérieures blanches, de s’affirmer « normales », donc de fixer la #norme, en particulier dans les projets d’#identité_nationale. Certes, depuis le monde colonial au moins, les minorités raciales sont toujours (indifféremment ou alternativement) hypo- – ou hyper- –sexualisées : pas assez ou bien trop, mais jamais comme il faut. Mais qu’en est-il des majoritaires ? Ils se contentent d’incarner la norme – soit d’ériger leurs pratiques et leurs représentations en normes ou pratiques légitimes. C’est bien pourquoi la blanchité peut être mobilisée dans des discours politiques, par exemple des chefs d’État (de la Colombie d’Álvaro Uribe aux États-Unis de Donald Trump), le plus souvent pour rappeler à l’ordre les minorités indociles. La « question sociale » n’a donc pas cédé la place à la « question raciale » ; mais la première ne peut plus servir à masquer la seconde. Au contraire, une « question » aide à repenser l’autre.

    Les #contrôles_au_faciès

    Regardons maintenant les contrôles policiers « au faciès », c’est-à-dire fondés sur l’#apparence. Une enquête quantitative du défenseur des droits, institution républicaine qui est chargée de défendre les citoyens face aux abus de l’État, a récemment démontré qu’il touche inégalement, non seulement selon les quartiers (les classes populaires), mais aussi en fonction de l’âge (les jeunes) et de l’apparence (les Arabes et les Noirs), et enfin du sexe (les garçons plus que les filles). Le résultat, c’est bien ce qu’on peut appeler « intersectionnalité ». Cependant, on voit ici que le croisement des logiques discriminatoires ne se résume pas à un cumul des handicaps : le sexe masculin fonctionne ici comme un #stigmate plutôt qu’un privilège. L’intersectionnalité est bien synonyme de complexité.

    « Les jeunes de dix-huit-vingt-cinq ans déclarent ainsi sept fois plus de contrôles que l’ensemble de la population, et les hommes perçus comme noirs ou arabes apparaissent cinq fois plus concernés par des contrôles fréquents (c’est-à-dire plus de cinq fois dans les cinq dernières années). Si l’on combine ces deux critères, 80 % des personnes correspondant au profil de “jeune homme perçu comme noir ou arabe” déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (contre 16 % pour le reste des enquêté.e.s). Par rapport à l’ensemble de la population, et toutes choses égales par ailleurs, ces profils ont ainsi une probabilité vingt fois plus élevée que les autres d’être contrôlés. »

    Répétons-le : il n’y a rien d’identitaire dans cette démarche. D’ailleurs, la formulation du défenseur des droits dissipe toute ambiguïté : « perçus comme noirs ou arabes ». Autrement dit, c’est l’origine réelle ou supposée qui est en jeu. On peut être victime d’antisémitisme sans être juif – en raison d’un trait physique, d’un patronyme, ou même d’opinions politiques. Pour peu qu’on porte un prénom lié à l’islam, ou même qu’on ait l’air « d’origine maghrébine », musulman ou pas, on risque de subir l’#islamophobie. L’#homophobie frappe surtout les homosexuels, et plus largement les minorités sexuelles ; toutefois, un garçon réputé efféminé pourra y être confronté, quelle que soit sa sexualité.

    Et c’est d’ailleurs selon la même logique qu’en France l’État a pu justifier les contrôles au faciès. Condamné en 2015 pour « faute lourde », il a fait appel ; sans remettre en cause les faits établis, l’État explique que la législation sur les étrangers suppose de contrôler « les personnes d’#apparence_étrangère », voire « la seule population dont il apparaît qu’elle peut être étrangère ». Traiter des individus en raison de leur apparence, supposée renvoyer à une origine, à une nationalité, voire à l’irrégularité du séjour, c’est alimenter la confusion en racialisant la nationalité. On le comprend ainsi : être, c’est être perçu ; l’#identité n’existe pas indépendamment du regard des autres.

    L’exemple des contrôles au faciès est important, non seulement pour celles et ceux qui les subissent, bien sûr, mais aussi pour la société tout entière : ils contribuent à la constitution d’identités fondées sur l’expérience commune de la discrimination. Les personnes racisées sont celles dont la #subjectivité se constitue dans ces incidents à répétition, qui finissent par tracer des frontières entre les #expériences minoritaires et majoritaires. Mais l’enjeu est aussi théorique : on voit ici que l’identité n’est pas première ; elle est la conséquence de #pratiques_sociales de #racialisation – y compris de pratiques d’État. Le racisme ne se réduit pas à l’#intention : le racisme en effet est défini par ses résultats – et d’abord sur les personnes concernées, assignées à la différence par la discrimination.

    Le mot race

    Les logiques de domination sont plurielles : il y a non seulement la classe, mais aussi le sexe et la race, ainsi que l’#âge ou le #handicap. Dans leur enchevêtrement, il est à chaque fois question, non pas seulement d’#inégalités, mais aussi de la #naturalisation de ces hiérarchies marquées dans les corps. Reste que c’est surtout l’articulation du sexe ou de la classe avec la race qui est au cœur des débats actuels sur l’intersectionnalité. Et l’on retrouve ici une singularité nationale : d’après l’ONU, les deux tiers des pays incluent dans leur recensement des questions sur la race, l’#ethnicité ou l’#origine_nationale. En France, il n’en est pas question – ce qui complique l’établissement de #statistiques « ethno-raciales » utilisées dans d’autre pays pour analyser les discriminations.

    Mais il y a plus : c’est seulement en France que, pour lutter contre le racisme, on se mobilise régulièrement en vue de supprimer le mot race de la Constitution ; il n’y apparaît pourtant, depuis son préambule de 1946 rédigé en réaction au nazisme, que pour énoncer un principe antiraciste : « sans distinction de race ». C’est aujourd’hui une bataille qui divise selon qu’on se réclame d’un antiracisme dit « universaliste » ou « politique » : alors que le premier rejette le mot race, jugé indissociable du racisme, le second s’en empare comme d’une arme contre la #racialisation de la société. Ce qui se joue là, c’est la définition du racisme, selon qu’on met l’accent sur sa version idéologique (qui suppose l’intention, et passe par le mot), ou au contraire structurelle (que l’on mesure à ses effets, et qui impose de nommer la chose).

    La bataille n’est pas cantonnée au champ politique ; elle s’étend au champ scientifique. Le racisme savant parlait naguère des races (au pluriel), soit une manière de mettre la science au service d’un #ordre_racial, comme dans le monde colonial. Dans la recherche antiraciste, il est aujourd’hui question de la race (au singulier) : non pas l’inventaire des populations, sur un critère biologique ou même culturel, mais l’analyse critique d’un mécanisme social qui assigne des individus à des groupes, et ces groupes à des positions hiérarchisées en raison de leur origine, de leur apparence, de leur religion, etc. Il n’est donc pas question de revenir aux élucubrations racistes sur les Aryens ou les Sémites ; en revanche, parler de la race, c’est se donner un vocabulaire pour voir ce qu’on ne veut pas voir : la #discrimination_raciste est aussi une #assignation_raciale. S’aveugler à la race ne revient-il pas à s’aveugler au racisme ?

    Il ne faut donc pas s’y tromper : pour les sciences sociales actuelles, la race n’est pas un fait empirique ; c’est un concept qui permet de nommer le traitement inégal réservé à des individus et des groupes ainsi constitués comme différents. La réalité de la race n’est donc ni biologique ni culturelle ; elle est sociale, en ce qu’elle est définie par les effets de ces traitements, soit la racialisation de la société tout entière traversée par la logique raciale. On revient ici aux analyses classiques d’une féministe matérialiste, #Colette_Guillaumin : « C’est très exactement la réalité de la “race”. Cela n’existe pas. Cela pourtant produit des morts. [...] Non, la race n’existe pas. Si, la race existe. Non, certes, elle n’est pas ce qu’on dit qu’elle est, mais elle est néanmoins la plus tangible, réelle, brutale, des réalités. »

    Morale de l’histoire

    A-t-on raison de s’inquiéter d’un recul de l’#universalisme en France ? Les logiques identitaires sont-elles en train de gagner du terrain ? Sans nul doute : c’est bien ce qu’entraîne la racialisation de notre société. Encore ne faut-il pas confondre les causes et les effets, ni d’ailleurs le poison et l’antidote. En premier lieu, c’est l’#extrême_droite qui revendique explicitement le label identitaire : des États-Unis de Donald Trump au Brésil de Jair Bolsonaro, on assiste à la revanche de la #masculinité_blanche contre les #minorités_raciales et sexuelles. Ne nous y trompons pas : celles-ci sont donc les victimes, et non pas les coupables, de ce retour de bâton (ou backlash) qui vise à les remettre à leur place (dominée).

    Deuxièmement, la #ségrégation_raciale que l’on peut aisément constater dans l’espace en prenant les transports en commun entre Paris et ses banlieues n’est pas le résultat d’un #communautarisme minoritaire. Pour le comprendre, il convient au contraire de prendre en compte un double phénomène : d’une part, la logique sociale que décrit l’expression #White_flight (les Blancs qui désertent les quartiers où sont reléguées les minorités raciales, anticipant sur la ségrégation que leurs choix individuels accélèrent…) ; d’autre part, les #politiques_publiques de la ville dont le terme #apartheid résume le résultat. Le #multiculturalisme_d’Etat, en Colombie, dessinerait une tout autre logique : les politiques publiques visent explicitement des identités culturelles au nom de la « #diversité », dont les mouvements sociaux peuvent s’emparer.

    Troisièmement, se battre pour l’#égalité, et donc contre les discriminations, ce n’est pas renoncer à l’universalisme ; bien au contraire, c’est rejeter le #communautarisme_majoritaire. L’intersectionnalité n’est donc pas responsable au premier chef d’une #fragmentation_identitaire – pas davantage qu’une sociologie qui analyse les inégalités socio-économiques n’est la cause première de la lutte des classes. Pour les #sciences_sociales, c’est simplement se donner les outils nécessaires pour comprendre un monde traversé d’#inégalités multiples.

    Quatrièmement, ce sont les #discours_publics qui opposent d’ordinaire la classe à la race (ou les ouvriers, présumés blancs, aux minorités raciales, comme si celles-ci n’appartenaient pas le plus souvent aux classes populaires), ou encore, comme l’avait bien montré #Christine_Delphy, l’#antisexisme à l’antiracisme (comme si les femmes de couleur n’étaient pas concernées par les deux). L’expérience de l’intersectionnalité, c’est au contraire, pour chaque personne, quels que soient son sexe, sa classe et sa couleur de peau, l’imbrication de propriétés qui finissent par définir, en effet, des #identités_complexes (plutôt que fragmentées) ; et c’est cela que les sciences sociales s’emploient aujourd’hui à appréhender.

    _____________

    Ce texte écrit avec #Mara_Viveros_Vigoya, et publié en 2019 dans le Manuel indocile de sciences sociales (Fondation Copernic / La Découverte), peut être téléchargé ici : https://static.mediapart.fr/files/2021/03/07/manuel-indocile-intersectionnalite.pdf

    À lire :

    Kimberlé Crenshaw, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur » Cahiers du Genre, n° 39, février 2005, p. 51-82

    Défenseur des droits, Enquête sur l’accès aux droits, Relations police – population : le cas des contrôles d’identité, vol. 1, janvier 2017

    Christine Delphy, « Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme », Nouvelles Questions Féministes, vol. 25, janvier 2006, p. 59-83

    Elsa Dorlin, La Matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, La Découverte, Paris, 2006

    Elsa Dorlin, Sexe, race, classe. Pour une épistémologie de la domination, Presses universitaires de France, Paris, 2009

    Didier Fassin et Éric Fassin (dir.), De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, La Découverte, Paris, 2009 [première édition : 2006]

    Éric Fassin (dir.), « Les langages de l’intersectionnalité », Raisons politiques, n° 58, mai 2015

    Éric Fassin, « Le mot race – 1. Cela existe. 2. Le mot et la chose », AOC, 10 au 11 avril 2019

    Nacira Guénif-Souilamas et Éric Macé, Les féministes et le garçon arabe, L’Aube, Paris, 2004

    Colette Guillaumin, « “Je sais bien mais quand même” ou les avatars de la notion de race », Le Genre humain, 1981, n° 1, p. 55-64

    Danièle Kergoat, « Ouvriers = ouvrières ? », Se battre, disent-elles…, La Dispute, Paris, 2012, p. 9-62

    Abdellali Hajjat et Silyane Larcher (dir.), « Intersectionnalité », Mouvements, 12 février 2019

    Mara Viveros Vigoya, Les Couleurs de la masculinité. Expériences intersectionnelles et pratiques de pouvoir en Amérique latine, La Découverte, Paris, 2018

    https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/050321/intersectionnalite-une-introduction#at_medium=custom7&at_campaign=10

    #définition #invisibilisation #antiracisme_universaliste #antiracisme_politique #racisme_structurel

    voir aussi ce fil de discussion sur l’intersectionnalité, avec pas mal de #ressources_pédagogiques :
    https://seenthis.net/messages/796554

  • Solidarity and Care during the COVID-19 Pandemic

    Solidarity and Care during the COVID-19 Pandemic is a public platform supported and produced by The Sociological Review that documents and reports on the lived experiences, caring strategies and solidarity initiatives of diverse people and groups across the globe during the COVID-19 pandemic.

    https://www.solidarityandcare.org

    #solidarité #covid-19 #coronavirus #expérience #expériences #vécu #care #storytelling

  • The U.S. is funding dangerous experiments it doesn’t want you to know about - The Washington Post
    https://www.washingtonpost.com/opinions/the-us-is-funding-dangerous-experiments-it-doesnt-want-you-to-know-about/2019/02/27/5f60e934-38ae-11e9-a2cd-307b06d0257b_story.html

    In 2014, U.S. officials imposed a moratorium on experiments to enhance some of the world’s most lethal viruses by making them transmissible by air, responding to widespread concerns that a lab accident could spark a global pandemic. Most infectious-disease studies pose modest safety risks, but given that these proposed experiments intended to create a highly contagious flu virus that could spread among humans, the government concluded the work should not go on until it could be approved through a specially created, rigorous review process that considered the dangers.

    Apparently, the government has decided the research should now move ahead. In the past year, the U.S. government quietly greenlighted funding for two groups of researchers, one in the United States and the other in the Netherlands, to conduct transmission-enhancing experiments on the bird flu virus as they were originally proposed before the moratorium. Amazingly, despite the potential public-health consequences of such work, neither the approval nor the deliberations or judgments that supported it were announced publicly. The government confirmed them only when a reporter learned about them through non-official channels.

    This lack of transparency is unacceptable. Making decisions to approve potentially dangerous research in secret betrays the government’s responsibility to inform and involve the public when approving endeavors, whether scientific or otherwise, that could put health and lives at risk.

    #expériences #infection #etats-unis

  • Retour – décevant – sur l’expérience de Milgram
    http://www.internetactu.net/a-lire-ailleurs/retour-decevant-sur-lexperience-de-milgram

    Difficile, lorsqu’on s’intéresse à la #psychologie, de passer à côté de la fameuse expérience de Stanley Milgram, un véritable classique. Rappelons brièvement son déroulement : un chercheur expliquait aux participants qu’il s’agissait d’une étude sur l’apprentissage. Une personne assise sur une chaise et bardée d’électrodes devait répondre à une série de (...)

    #A_lire_ailleurs #Recherches #économie_comportementale #science

  • #Frise_chronologique. Histoire des luttes des immigrations

    La frise chronologique « Histoires de luttes des immigrations » est un outil multimédia de valorisation des #expériences collectées dans les ateliers de récits de vie « Petits Histoires- Grandes Histoires ».

    Cette mini-encyclopédie est nourrie des #souvenirs des participant-e-s, leurs expériences, leurs #parcours_familiaux et migratoires, avec des événements qui font le lien entre l’histoire personnelle, locale, nationale et internationale.


    https://asso-contrevent.org/frise-chronologique-histoire-de-luttes-immigrations
    #visualisation #migrations #mémoire #time-line #timeline #témoignages #parcours_migratoires #Grenoble #travailleurs_immigrés #travailleurs_étrangers

  • Israël : des tombes vont être ouvertes dans une affaire d’enfants disparus
    Libération, le 24 janvier 2018
    http://www.liberation.fr/planete/2018/01/24/israel-des-tombes-vont-etre-ouvertes-dans-une-affaire-d-enfants-disparus_

    La justice israélienne a autorisé l’ouverture de tombes d’enfants juifs décédés dans les années 1950 ainsi que des analyses génétiques pour tenter de faire la lumière sur une affaire très controversée, a indiqué mercredi le ministère de la Justice.

    Des militants des droits de l’Homme et des familles d’immigrants arrivés peu après la création d’Israël en 1948 affirment que des milliers de bébés auraient été enlevés à leurs parents biologiques, principalement parmi des familles juives yéménites ou venues d’autres pays arabes et des Balkans.

    Ils assurent que ces bébés auraient été ensuite donnés à des couples juifs ashkénazes (originaires d’Europe de l’est), en mal d’adoption, en Israël et à l’étranger.

    Cette histoire a donné lieu à des accusations de racisme et de « discrimination » formulées par les séfarades (juifs originaires des pays arabes) à l’encontre de « l’establishment » contrôlé par les ashkénazes, qui ont fondé l’Etat.

    Les militants affirment que les autorités faisaient croire aux parents que leurs enfants étaient morts mais ne leur auraient jamais remis les dépouilles.

    Pour tenter de clore ce dossier très sensible, la justice a accédé à la demande de 17 familles dont des enfants ont été déclarés décédés et qui ont demandé à pratiquer des analyses génétiques sur les restes de ces présumés proches.

    Ces familles soupçonnent les autorités de leur avoir menti sur l’identité des défunts pour cacher le « trafic d’enfants ».

    « Cette décision a été prise afin de faire avancer la recherche sur la mort et l’enterrement de mineurs originaires du Yémen, de pays arabes et des Balkans dont les familles ont reçu l’annonce de leur décès dans les années qui ont suivi la création de l’Etat », a affirmé le ministère dans un communiqué.

    Au fil des ans, plusieurs enquêtes officielles ont conclu que la majorité des enfants disparus étaient morts, mettant en avant les mauvaises conditions sanitaires dans les camps où avaient été accueillis leurs familles. Peu après la création d’Israël, les autorités avaient installé des camps pour gérer l’afflux de nouveaux juifs immigrants, essentiellement venus des pays arabes, dont 30.000 yéménites.

    Mais les enquêtes officielles n’ont pas réussi à dissiper les doutes.

    L’association Amram, qui accuse les autorités de l’enlèvement de milliers d’enfants dans les années 1950 a exprimé son scepticisme sur l’efficacité des examens qui vont être effectués.

    « Cette affaire est très complexe et nous pensons que l’Etat doit reconnaître qu’un crime a été commis pour faire avancer les choses », a affirmé Naama Katihi, membre de l’association, citée par le quotidien Maariv.

    L’Etat d’Israël a accepté en décembre 2016 d’ouvrir les archives de cette époque tout en s’engageant à donner des réponses aux familles.

    Articles plus anciens sur le sujet :
    https://seenthis.net/messages/559618
    https://seenthis.net/messages/596154
    https://seenthis.net/messages/612358
    https://seenthis.net/messages/615430
    https://seenthis.net/messages/616163
    https://seenthis.net/messages/621702

    #enfants_placés #enfants_volés #enfants #bébés #expériences_médicales #cobayes_humains #israel #yéménites #tombes #analyses_génétiques

  • #Yéménites disparus : une affaire d’Etat longtemps étouffée en #Israël

    http://www.liberation.fr/planete/2017/08/10/yemenites-disparus-une-affaire-d-etat-longtemps-etouffee-en-israel_158933

    Des enfants évanouis dans la nature, placés dans des familles ou utilisés comme #cobayes lors d’ #expérimentations_médicales à leur arrivée dans le pays. Cinquante ans après les faits, sous la pression des médias et des familles, le gouvernement ouvre enfin ses archives, accablantes.

    Yona Yossef reprend espoir. Aujourd’hui âgée de 85 ans, cette grand-mère juive d’origine yéménite est persuadée qu’elle apprendra bientôt ce qu’est devenue sa petite sœur, Saada, mystérieusement disparue au début des années 50, peu après l’arrivée de sa famille en Israël. Et qu’elle aura peut-être la chance de la serrer dans ses bras.

    Ce bébé disparu fait partie des milliers d’enfants en bas âge évaporés peu après l’arrivée de leurs parents en « Terre promise ». Officiellement, ils seraient morts de ne pas avoir supporté leur vaccination ou d’avoir contracté une maladie inconnue. Mais l’histoire n’est pas si simple. Peu après la création d’Israël en 1948, des centaines de milliers de juifs originaires des pays arabes et du bassin méditerranéen se sont installés dans l’Etat hébreu. Parce que leur nouveau pays était en guerre, que ses institutions, fraîchement créées, étaient désorganisées et que son économie était au bord de la faillite, ils y ont été mal reçus. Mais aussi parce que ces olim (nouveaux arrivants) étaient des mizrahim (issus des pays orientaux) et que l’establishment constitué d’ashkénazes (originaires d’Europe) les méprisait.

  • « #Banlieues » : entre imaginaires et expériences

    Ce numéro propose des interrogations concernant les #représentations contemporaines des banlieues et des #espaces_périurbains. Si, à l’origine, la « #banlieue » désigne un espace géographique et administratif, il renvoie toutefois depuis longtemps à son usage métaphorique comme « inscription territoriale d’une question sociale ». C’est du moins la lecture que nous en donnent les médias, une lecture qui tend à superposer à ce terme des représentations souvent partielles et partiales de ce que l’on nomme les « #quartiers_sensibles ». Contre l’uniformisation et la généralisation d’un tel usage de ce terme, il nous a semblé urgent d’en interroger le sens, en mettant en regard les #imaginaires et les #expériences qui lui sont associés. Prendre en considération la polysémie du mot « banlieues » est une manière de rendre justice non seulement à la diversité des réalités auxquelles il renvoie, mais aussi à la multiplicité des représentations dont il est l’objet. Le numéro aborde ces questions en développant des points de vue différents : celui des géographes, des sociologues et des urbanistes, celui des écrivains et des artistes.

    https://itineraires.revues.org/3509
    #revue #urban_matter #géographie_urbaine #villes #périurbain

  • France/Monde | #Enfants disparus : Israël lève le voile sur son terrible secret
    http://www.ledauphine.com/france-monde/2017/07/18/enfants-disparus-israel-leve-le-voile-sur-son-terrible-secret

    Au milieu de rapports sur des expériences destinées à prouver ou non que les Yéménites avaient « du sang nègre », la trace d’au moins quatre enfants sur lesquels un « traitement expérimental actif » a été testé. Morts peu après, ils ont été enterrés à la va-vite, on ne sait où.

    À la création d’Israël, en 1948, des centaines de milliers de Juifs du Proche-Orient affluent en « Terre Promise »... mais sont souvent méprisés par les ashkénazes, ces Juifs d’Europe « originels » de l’État hébreu.

  • La ville a perdu son cri. –
    Jadis, on l’entendait
    tous les jours dans les rues. –
    L’homme qui poussait le cri
    marchait toujours seul
    en pleine chaleur. –
    L’homme qui poussait le cri
    marchait tête baissée,
    sans voir les passants. –
    Le cri qu’il poussait le précédait,
    il surgissait devant nous
    au coin d’une rue
    et puis partait en courant. –
    Le cri, c’était les nuages noirs
    qui grossissaient au-dessus de l’océan. –
    Le cri, c’était les chiens errants
    qui couraient à travers la ville. –
    Le cri, c’était des fantômes
    qui apparaissaient sur les murs. –
    Le cri, c’était l’homme furieux
    qui traversait les maisons. –
    Le cri, c’était les pauvres
    qui se cachaient dans des cases en ruines. –
    Mais la ville a perdu son cri. –
    Les chiens errants ont été euthanasiés. –
    Les fantômes sur les murs ont été effacés. –
    L’homme furieux qui traversait les maisons est mort. –
    Les cases en ruines ont été rasées. –
    Et l’homme qui poussait le cri a disparu. –
    Reste le mendiant qui ricane
    assis sur le trottoir. –
    Reste la femme noire en colère
    postée aux arrêts de bus. –
    Reste le mendiant indien
    qui tourne en rond face à l’océan. –
    Restent tous les hommes
    et leur silence. –
    La ville a perdu son cri. –

    http://www.oeuvresouvertes.net/spip.php?article3697

    ...

    #Expériences

  • Comment l’#employabilité a-t-elle tué le temps libre ? | InternetActu.net
    http://www.internetactu.net/2016/11/02/comment-lemployabilite-a-t-elle-tue-le-temps-libre

    En plus de la tendance du #travail à coloniser notre #vie de tous les jours, les individus ont maintenant la responsabilité d’améliorer leurs perspectives professionnelles en acquérant de nouvelles #compétences, en se faisant de nouveaux réseaux, en apprenant de nouvelles #expériences de vie… L’incertitude du #marché du travail, l’absence de #sécurité de l’#emploi ou l’amoindrissement des filets de sécurité en cas de période d’inactivité (notamment pour les travailleurs de l’économie des plateformes ou dans certains pays moins dotés en protections sociales) font que l’individu doit sans cesse travailler à son employabilité : regarder des séries en VO permet de travailler son anglais, faire un tour du monde en vélo montre que l’on est débrouillard et curieux, contribuer à Wikipédia, faire du bénévolat ou participer à un Hackathon fait toujours bien sur un #CV. Cette expression (« ça fera bien sur mon CV ») a d’ailleurs été utilisée par un enfant de 12 ans à qui David Frayne avait demandé s’il avait apprécié assister à un programme contre le tabac. Ce qui lui fait dire que l’employabilité occupe même l’esprit des enfants… Dans un climat « d’insécurité généralisée » qu’évoquait le philosophe André Gorz, la culture de l’employabilité devient une réponse des individus à la #précarité instituée.

  • FIGURER LES ENTRE-DEUX MIGRATOIRES
    Pratiques cartographiques expérimentales entre chercheurs, artistes et voyageurs

    Entre mai et juin 2013 s’est tenu à #Grenoble un atelier de cartographie participatif et expérimental, à la croisée des sciences humaines et de l’art. Douze #voyageurs, alors #demandeurs_d’asile ou réfugiés, trois #artistes et deux géographes se sont réunis pour aborder la cartographie comme technique créative de relevé d’#expériences. Les #cartes produites avec et par les participant.e.s évoquent des #souvenirs d’#entre-deux_migratoires et de #franchissements_frontaliers. Cette expérience participative cherche à se démarquer d’un positivisme narratif des itinéraires migratoires -caractéristique notamment des administrations en charge du droit d’asile-, en mobilisant des outils de médiation visuels et artistiques. Les acteurs de ce projet reviennent ici sur les intentions de construire un terrain de recherche indisciplinaire, fondé sur une pratique cartographique critique et créative. Les cartes ont constitué des entre-deux méthodologiques au service des relations entre les participants, tandis que s’élaboraient des récits référentiels et non-référentiels des entre-deux migratoires.

    http://www.carnetsdegeographes.org/carnets_terrain/terrain_07_01_Mekdjian.php
    #cartographie_radicale #cartographie_critique #migration #asile #réfugiés #parcours_migratoire #Sarah_Mekdjian #cartographie_participative #itinéraire_migratoire #frontière #cartographie_créative #narration #cartographies_traverses
    cc @reka