• L’industrie des demandeurs d’asile : l’exemple de #Nauru

    Je présente ici une étude passionnante de Julia Caroline Morris, Asylum and Extraction in the Republic of Nauru, Cornell University Press, 2023, qui intéressera non seulement les chercheurs en anthropologie des migrations, ceux qui travaillent sur les politiques d’internement, de déplacement et d’externalisation des réfugiés, mais aussi les amateurs de Critical Geography Studies, ou spécialistes de l’extractivisme ou de néocolonialisme.

    La République de Nauru est un État insulaire de 21 km2, situé au Nord-Ouest des îles Salomon et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, à plus de 1000 kms tout de même, et plus loin encore des Fidji (plus au sud). C’est aussi un des États les plus densément peuplés au monde : cela peut sembler paradoxal quand on prend la mesure de son #isolement. Plus étonnant encore est la fluctuation du revenu par habitants : au milieu des années 70, le #PIB par habitant de Nauru est le second après celui de l’Arabie Saoudite. Trente années plus tard, le pays frôle la #faillite. Avant de retrouver une forme de #prospérité ces dix dernières années (bien que l’avenir demeure très incertain). Autre palmarès dans lesquels il se fait remarquer : le pays n’a quasiment aucune #autonomie_alimentaire, les terres arables ayant été rendues impropres à toute forme de culture, et les zones côtières, ainsi que le corail, ayant été pollués pour une très longue durée. Il importe donc tout ce dont il a besoin pour nourrir le population et ses taux d’#obésité et de #diabète, sont parmi les plus élevés au monde. Sans parler des autres maladies, cardio-vasculaires, affections respiratoires, dues à la toxicité de l’environnement. Et, c’est le sujet du livre de Julia Morris, ces dernières années, c’est le territoire qui compte le plus pourcentage le plus élevé de demandeurs d’asile et de réfugiés rapporté à la population totale.

    Les premiers habitants de l’île, dont il est très difficile de dater l’arrivée, des mélanésiens et des micronésiens, auxquels s’ajoutèrent probablement des voyageurs venus des côtes Philippines ou Chinoises, vécurent fort longtemps avant le débarquement des européens. Les Nauruans, organisés en douze tribus, vivaient des ressources locales, noix de coco, bananes, pandanus ou takamakas, et de poissons qu’ils pêchaient dans les lagunes. Marshall Sahlins parlerait sans doute ici de “#société_d’abondance”. La vérité c’est que nous ne savons quasiment rien de l’histoire précoloniale des Nauruans, parce que l’environnement de l’île fut totalement dévasté par l’#exploitation_industrielle du #phosphate, rendant vain le travail des archéologues.

    Approchée par les premiers européens à la toute fin du XVIIIè siècle, c’est-à-dire assez tardivement comparée aux autres territoires du Pacifique, refuge ponctuel pour des déserteurs et des contrebandiers, l’île ne fut véritablement soumise à l’emprise coloniale qu’un siècle plus tard. D’abord par les allemands, qui, “négociant” avec les autochtones, inscrivent Nauru sur la carte des flux de marchandises internationaux en commercialisant le #coprah, issu de la #noix_de_coco.

    Mais c’est la découverte d’énormes gisements de phosphates qui changera à tout jamais le destin de l’île. “Le phosphate, clé de la vie. Un miracle de la nature exploité par l’ingéniosité de l’homme pour le bénéfice de tous.” déclarait le bureau philatélique de Nauru en 1983. “Bénéfice de tous“, il faut le dire vite. L’#extraction massive du phosphate devient un enjeu pour les empires coloniaux compte tenu de l’accroissement démographique : il permet d’accroître les rendements au point qu’on peut parler, avec la découverte des #engrais phosphatés, d’une véritable #révolution_agricole, et de nourrir les populations métropolitaines. Les conséquences de ce rush colonial vers le phosphate, qui aura permis d’assurer la prospérité des nations coloniales, y compris l’Australie voisine, seront amères pour les Nauruans. Julia Morris le résume ainsi :

    “Nauru est un pays où l’industrie du phosphate et son cortège de #pollutions#déchets_toxiques, maladies respiratoires et alimentaires, #dépendance – sont palpables. Les effets de l’extraction du phosphate ne sont pas seulement ressentis par les personnes directement employées dans les champs d’extraction et les usines de traitement, comme Tony, mais s’étendent bien au-delà du point de production à forte intensité de main-d’œuvre. Depuis 1906, le #minerai_de_phosphate de Nauru est exploité et exporté vers les agriculteurs du monde entier. Paradoxalement, cela a laissé peu d’écosystèmes viables pour le développement agricole de Nauru. La richesse en phosphate aurait pu industrialiser Nauru, mais elle a laissé un cycle de dépendance à l’égard des fast-foods importés. Le système de santé de Nauru est marqué par les conséquences de l’interventionnisme colonial. Le dernier rapport publié par le ministère de la santé de Nauru (2011) indique que 77,8 % de la population de Nauru est en surpoids et que 45,6 % est obèse. En 1975, la prévalence du diabète à Nauru était de 34,4 %. Les Nauruans se classaient ainsi au deuxième rang mondial pour le taux de diabète le plus élevé jamais enregistré, tout en se plaçant au deuxième rang mondial pour le PIB par habitant, derrière l’Arabie saoudite. Aujourd’hui, le gouvernement consacrant environ 20 % de ses dépenses annuelles de santé au diabète, les chiffres ont légèrement baissé. Mais avec 30 %, Nauru conserve l’un des taux de diabète les plus élevés au monde. Ces taux sont associés à un éventail de maladies non transmissibles liées à l’alimentation, notamment les maladies cardiovasculaires, les accidents vasculaires cérébraux et les crises cardiaques. Les #cancers évitables, notamment le cancer gastro-intestinal, le cancer du col de l’utérus et le cancer du poumon, sont importants au sein de la population locale. Une espérance de vie de cinquante-cinq ans est l’un des sous-produits du changement de mode de vie de l’ère coloniale et le coût humain d’une économie basée sur l’extraction.” (Julia Morris, op. cit. p. 69-70).


    Dès le début des années 90, les réserves de phosphate s’épuisent, l’extraction, ayant creusé de plus en plus profondément les terres, laisse l’île dévastée, et la manne économique diminue drastiquement. S’ensuit une période chaotique, politiquement et socialement, où les dirigeants du pays, devenu indépendant en 1968, font le choix de transformer Nauru en #paradis_fiscal, spécialisé dans le #blanchiment_d’argent. Jusqu’au nouveau miracle, qu’on appellera la “#solution_Pacifique“, c’est-à-dire la mise en place par le gouvernement Australien d’une politique de “#remigration_offshore”, suite à l’affaire du #Tampa, un navire Norvégien qui avait recueilli 433 migrants 433 migrants afghans et irakiens en route pour l’Australie dérivant sur un bateau de pêche indonésien, migrants auxquels le gouvernement Howard refuse d’accorder l’asile. Nauru devient alors un des centres de rétention externalisée par l’Australie (avec la base navale de Lambrum à Manus en Papouasie-Nouvelle-Guinée) : avec cette nouvelle manne économique, l’argent australien contre l’internement des réfugiés “en attente d’une régularisation (très) éventuelle”, une véritable #industrie_des_réfugiés se déploie sur l’îlot. Elle se poursuit jusqu’à aujourd’hui, avec des intensités variables, quel que soit d’ailleurs la couleur politique des gouvernements Australiens (conservateurs ou travaillistes). On y construit tout un réseau d’infrastructures complexes, destinés aussi bien au contrôle et à la surveillance des réfugiés qu’à l’accueil d’une population très importante d’intervenants étrangers, chargés de la logistique et de la #militarisation de l’île, mais aussi des avocats, des médecins, des officiels australiens, des interprètes et de nombreux experts envoyés par les ONG.

    La plupart des études portant sur les zones d’internement des migrants, par exemple en Méditerranée, portent sur les conditions d’existence des réfugiés. Plus rarement sur les acteurs institutionnels de ce qu’on peut appeler une véritable industrie de la re-migration offshore. Mais on oublie souvent de s’intéresser aux populations autochtones qui habitent les territoires où sont édifiés les infrastructures de l’internement. En donnant alternativement la parole aux trois groupes d’acteurs directement engagés dans cette société organisée autour de l’industrie des réfugiés, les réfugiés et demandeurs d’asile mais aussi les travailleurs de cette industrie, et surtout les Nauruans eux-mêmes, Julia Morris échappe à l’attraction des narratifs du gouvernement australien tout autant qu’aux récits sensationnalistes qui critiquent ces politiques de répudiation offshore en invoquant la figure racisée du Nauruan “sauvage, barbare, cruel, intéressé” (cet argument qui critique la relégation des migrants dans des pays tiers, en dénonçant la barbarie et l’inhumanité des hôtes autochtones, se retrouve actuellement par exemple en Grande-Bretagne, autour du projet de remigration offshore au Rwanda)

    C’est l’immense mérite du livre décapant de Julia Morris, qui n’épargne pas les discours “humanistes” des opposants à ces politiques d’internement offshore (notamment dans la gauche Australienne), de donner la parole aux Nauruans eux-mêmes, piégés dans ces récits produits par l’imaginaire politique occidental.

    https://outsiderland.com/danahilliot/lindustrie-des-demandeurs-dasile-lexemple-de-nauru
    #Australie #externalisation #asile #réfugiés #migrations #extractiviste #industrie_agro-alimentaire #pacific_solution

    ping @karine4

    • Asylum and Extraction in the Republic of Nauru

      Asylum and Extraction in the Republic of Nauru provides an extraordinary glimpse into the remote and difficult-to-access island of Nauru, exploring the realities of Nauru’s offshore asylum arrangement and its impact on islanders, workforces, and migrant populations. Drawing on extensive fieldwork in Nauru, Australia, and Geneva, as well as a deep dive into the British Phosphate Commission archives, Julia Caroline Morris charts the island’s colonial connection to phosphate through to a new industrial sector in asylum. She explores how this extractive industry is peopled by an ever-shifting cast of refugee lawyers, social workers, clinicians, policy makers, and academics globally and how the very structures of Nauru’s colonial phosphate industry and the legacy of the “phosphateer” era made it easy for a new human extractive sector to take root on the island.

      By detailing the making of and social life of Nauru’s asylum system, Morris shows the institutional fabric, discourses, and rhetoric that inform the governance of migration around the world. As similar practices of offshoring and outsourcing asylum have become popular worldwide, they are enabled by the mobile labor and expertise of transnational refugee industry workers who carry out the necessary daily operations. Asylum and Extraction in the Republic of Nauru goes behind the scenes to shed light on the everyday running of the offshore asylum industry in Nauru and uncover what really happens underneath the headlines. Morris illuminates how refugee rights activism and #RefugeesWelcome-style movements are caught up in the hardening of border enforcement operations worldwide, calling for freedom of movement that goes beyond adjudicating hierarchies of suffering.

      https://www.cornellpress.cornell.edu/book/9781501765841/asylum-and-extraction-in-the-republic-of-nauru

      #livre

  • Forêts du Congo : des scientifiques dénoncent à leur tour le projet de l’Agence française de développement
    http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/07/24/forets-du-congo-des-scientifiques-denoncent-a-leur-tour-le-projet-de-l-agenc

    Deuxième revers pour l’Agence française de développement (#AFD, partenaire du Monde Afrique) : son projet de « gestion durable des forêts » a de nouveau été retoqué par la #Norvège, qui finance l’Initiative pour les #forêts d’#Afrique centrale (CAFI), lors d’une réunion organisée le 18 juillet à Kinshasa.

    Ce projet est dénoncé avec force par une coalition d’ONG internationales et plusieurs associations de la société civile congolaise. « Nous saluons cette décision, a déclaré Jules Caron de l’ONG britannique Global Witness. Ce projet menace la deuxième plus grande forêt tropicale du monde. Nous encourageons les efforts internationaux, dont ceux de CAFI, dans la lutte contre la #déforestation dans le bassin du Congo. Mais ces efforts ne doivent en aucun cas se baser sur un appui à l’#exploitation_industrielle des forêts qui, depuis cinquante ans en #RDC, n’a jamais généré les retombées économiques escomptées, ni contribué à une protection effective de l’environnement. Nous appelons le gouvernement français à retirer définitivement ce programme et à repenser sa politique d’appui à la gestion durable des forêts du bassin du Congo qui soit en droite ligne avec l’Accord de Paris et le Plan Climat récemment annoncé par le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot. »

    #bois

  • L’extraction de sable dans la baie de Lannion est provisoirement stoppée
    http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/09/13/segolene-royal-soutient-les-opposants-a-l-extraction-de-sable-dans-la-baie-d

    Les opposants ont eu gain de cause, au moins provisoirement : l’exploitation de la dune de #sable_coquillier immergée dans la baie de #Lannion (Côtes-d’Armor) est stoppée. « Dans un souci d’apaisement », la Compagnie armoricaine de navigation (CAN), une filiale du groupe Roullier, a annoncé, mardi 13 septembre, qu’elle « décidait de suspendre » jusqu’en novembre ses prélèvements. Elle venait tout juste de les commencer, les 5 et 6 septembre, dans la nuit.

    Ce début d’exploitation avait redoublé la #colère des habitants de la Côte de granit rose. Dimanche, à Lannion, ils étaient entre 4 000 et 5 000 à manifester bruyamment leur rejet de cette #exploitation_industrielle avec l’intention de faire entendre leur concert de casseroles « jusqu’à Rennes et Paris ».

    • Les marchands de #sable s’attaquent au #littoral

      Face à la colère des milliers d’opposants à l’exploitation du sable coquillier en baie de Lannion (Côtes d’Armor), qui ont manifesté dimanche, la Compagnie armoricaine de navigation (CAN), a décidé, mardi 13 septembre, de suspendre jusqu’en novembre ses prélèvements, qu’elle venait tout juste de lancer. La victoire, cependant, n’est que provisoire. C’est le 4 juillet 2016, que le préfet des Côtes-d’Armor, Pierre Lambert avait annoncé que le projet d’extraction en baie de #Lannion allait vraisemblablement se concrétiser dès septembre. Et cela a effectivement été le cas, puisque l’extraction a commencé, en pleine nuit, entre mardi et mercredi 7 septembre. Un camouflet pour les deux associations et les treize communes qui, depuis plus de cinq ans, défendent âprement le fragile écosystème littoral. Cette annonce fait logiquement suite à la décision prise en septembre 2015 par le Premier ministre Manuel Valls et le ministre de l’Économie Emmanuel Macron d’accorder pour vingt ans à la CAN — filiale du groupe international Roullier — une concession sur cette côte du nord de la Bretagne, afin notamment de fournir aux agriculteurs de quoi amender leurs terres pour en atténuer l’acidité. De fait, les navires aspirateurs de sable — appelés « mariessalopes » du fait de leur travail jugé « sale » — ont commencé à prélever le précieux matériau d’une dune sous-marine située à moins de dix kilomètres de la côte et à une quarantaine de mètres de profondeur. Problème : cette accumulation de débris de coquilles est une zone de reproduction et de naissance des jeunes poissons et d’anguilles des sables, bien connue des pêcheurs. D’où leur inquiétude : avec la mise en route du projet d’extraction, tous les organismes vivant au sein de la dune sont condamnés à être déchiquetés. Cette frayère alimente également les colonies de fous de Bassan et de macareux moines de la réserve naturelle nationale des Sept-Iles, situées à proximité.

      http://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/developpement-durable/20160912.OBS7880/les-marchands-de-sable-s-attaquent-au-littoral.html

    • Lannion (Côtes-d’Armor) : Contre l’extraction de sable, le local PS incendié
      https://attaque.noblogs.org/post/2016/09/14/lannion-cotes-darmor-contre-lextraction-de-sable-le-local-ps-incendie/#more-10104

      À #Lannion, la permanence du Parti socialiste a été la cible d’un engin incendiaire qui a sérieusement endommagé la porte d’entrée. Les faits remonteraient à la nuit de dimanche à lundi durant laquelle une inscription en breton contre l’extraction de sable en baie de Lannion a aussi été taguée sur la façade.

      C’est un passant qui a alerté le maire, Paul Le Bihan (PS), ce mardi matin vers 8 h. Il venait de constater que la porte d’entrée de la permanence du Parti socialiste, rue de Kergariou, en plein centre-ville de Lannion, avait été endommagée par une explosion ou un engin incendiaire. Ce matin, on découvrait un trou au bas de la porte noircie par les flammes. Il n’y a pas de dégâts à l’intérieur mis à part des projections de verre.

      Il semblerait que les faits remontent à la nuit de dimanche à lundi, où vers 3 h 30 du matin, plusieurs habitants de la ville ont entendu un bruit d’explosion. Il pourrait s’agir de l’explosion du double vitrage de la porte sous l’effet de la chaleur. Mais personne n’avait donné l’alerte avant ce mardi matin. Il est vrai que bon nombre de voisins de la permanence reconnaissaient, ce matin, n’avoir rien entendu.

      C’est durant cette même nuit de dimanche à lundi qu’a été taguée une inscription en breton sur la façade de la permanence, protestant contre l’extraction de sable en baie de Lannion. Son ou ses auteurs pourraient être à l’origine des dégâts sur le bâtiment.
      Les élus socialistes qui se sont rendus sur place, ce matin, ont, en tout cas fait le lien et fait part de leur indignation. « C’est vraiment scandaleux, on manifestait ensemble le matin même contre l’extraction de sable, et le soir même on nous prend pour cible. »

  • En partenariat avec les collectifs anti-mines, L’âge de faire publie un cahier spécial de 4 pages sur les nombreux projets miniers existant sur le territoire français, qui ont en commun une recherche de productivisme au mépris de l’environnement, de l’économie locale et des habitants des territoires. Il s’agit d’un support d’information conçu pour une large diffusion au grand public.
    http://www.lagedefaire-lejournal.fr/collectifs-mines
    http://alternatives-projetsminiers.org


    #environnement #extractivisme #mines #exploitation_industrielle