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  • Des femmes pour l’excuse sécuritaire La Brique Lille - Stella, Mona - 9 mars 2017

    Il a bon dos, le « plan de lutte national contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun » ! Ou comment une occasion de « bien faire » se transforme en opportunité de « faire bien ». À Lille, dans le secteur des deux gares, une marche participative a lieu courant novembre. Mais ce n’est ni notre sécurité effective, ni même un entrebâillement émancipateur pour les femmes que recherchent in fine les entreprises qui l’organisent, Keolis1, la SNCF et la SPL Euralille2. L’objectif suprême, c’est d’attirer davantage de clientes3. Sans surprise.

    Nous avons participé aux premiers temps du protocole : la réunion préparatoire, la marche exploratoire et la réunion de bilan. Une restitution auprès des élu.es locaux est prévue, mais pas avant janvier. Le taux de participation est dérisoire : une dizaine de femmes arrive péniblement à la réunion de préparation – il faut dire que même le personnel de la gare a du mal à nous indiquer la salle. On en retrouve moins du double à la marche ; quant à la réunion de bilan, le score plafonne à six ! Le projet aurait pourtant pu faire l’objet d’une communication massive : ces entreprises ont des pouvoirs de communication titanesques... Mais on n’est jamais mieux servi que par soi-même : dans cette mascarade pseudo-participative, à part nous et quelques autres femmes, toutes les participantes bossent soit pour Keolis, soit pour Citéo5. Lors de la première réunion, ces collègues se disent « intéressées par la démarche ». Elles veulent « voir si elles peuvent s’en inspirer » dans leurs services respectifs. Nous sommes tombées en pleine réunion de famille ! Et comme s’en réjouissent celles et ceux qui mènent la réunion : après le caractère expérimental des marches exploratoires vient le temps d’une véritable « industrialisation » du concept. Pour le meilleur du pire des mondes ?



    Merci papa

    C’est un homme qui ouvre la réunion préparatoire. Normal, pour introduire le projet d’une marche non-mixte. Ce monsieur, c’est le responsable du pôle sûreté de la SNCF de Lille. Comme c’est le chef, il nous explique comment ça va se passer. Il rappelle le cadre dans lequel s’inscrit l’action de son entreprise : le plan de lutte, sorti l’été dernier. Il évoque vite fait et sans lien le cas des frotteurs dans le métro parisien pour énoncer quelques secondes plus tard le prétendu objectif : réduire le sentiment d’insécurité des femmes dans les transports publics et aux abords des gares de Lille.

    Pour l’atteindre, trois étapes : diagnostiquer les points forts et les points faibles de la gare Lille Flandres et ses abords et établir un parcours ; ensuite, la marche aidant, proposer des solutions pratiques ; et enfin changer le regard des femmes sur les transports en commun. Par contre, le chef nous prévient : « Pour pas que vous soyez déçues... C’est pas parce que vous proposez quelque chose qu’on va le mettre en place. Les propositions sont examinées, évaluées... Et on demande à ce que ce soit réaliste parce que si vous me dites : "À cet endroit-là faut mettre 8 caméras et 20 spots halogènes", ça va pas le faire ». Forcément, pour lui, seul l’arsenal sécuritaire est une réponse envisageable. Et si nous voulons nous inspirer des propositions faites par d’autres femmes, dans d’autres quartiers ou d’autres villes ?

    Élodie Longuemart, chargée de mission pour l’égalité femmes-hommes à la mairie de Lille, s’apprête à dire oui, réjouie à l’idée de partager son travail. Mais le chef l’arrête d’un geste du bras. « Vous comprenez, on préfère que vous ne soyez pas influencées ». Non, on ne comprend pas : ça pourrait nous aider à ouvrir les yeux sur le terrain, de voir sur quels éléments d’autres femmes avant nous ont été vigilantes. Faire évoluer l’outil des marches exploratoires, s’en emparer. Comprendre ce que les femmes ont proposé pour renforcer le sentiment de sécurité... Sentiment ? C’est cette approche affective qu’on nous demande d’avoir. La philosophie de la marche est précisément fondée sur le « sentiment d’insécurité », terreau fertile de la propagande sécuritaire. Nous sommes là pour légitimer l’action des flics et élargir encore un peu plus les normes du contrôle. C’est compris, les filles ? Papa a dit : on ne réfléchit pas, on ressent !

    Au nom de la liberté, mon cul !

    Le processus est sexiste en lui-même, comment pourrait-il peser contre le harcèlement ou les violences sexuelles dans les transports ? Tout est misé sur les stéréotypes lourds et faciles de « demoiselle en détresse » et de « maman respectable ». On est en train de nous dire que nous fantasmons le danger, et que ce sont nos sentiments qui nous empêchent de mettre le nez dehors – et de biper nos tickets à puce RFID. Pas qu’on serait retenues à la maison par les tâches domestiques ou familiales, notre éducation, ou encore par des expériences fâcheuses...

    Keolis a déjà organisé des marches participatives dans le métro, en s’arrêtant particulièrement sur les stations Porte de Valenciennes à Lille, et Gare Lebas à Roubaix. Héloïse Gerber, coordinatrice prévention chez Keolis, nous diffuse alors un petit clip documentaire de Keolife5. On y voit quelques-unes des participantes à ces marches-là, ainsi que leurs motivations. Parmi elles, l’une des cheffes de La Redoute, ravie de participer pour que ses employées puissent aller et venir plus sereinement sur leur lieu de travail, sans se faire apostropher par les relous du quartier. Ah ! Le bien-être des salarié.es, c’est la performance possible, la confiance retrouvée dans sa hiérarchie ! Et puis cette madame Transpole aussi, qui sort clairement de ses habitudes en venant sur son propre terrain pour « comprendre » pourquoi elle compte moins de clientes que de clients. Après la vidéo, on s’attache à déterminer un parcours.



    Des sentiments et des gommettes

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