L’opération dans toute la France pour contrôler les sans-papiers, symbole de la « tolérance zéro » voulue par Bruno Retailleau
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L’opération dans toute la France pour contrôler les sans-papiers, symbole de la « tolérance zéro » voulue par Bruno Retailleau
Par Julia Pascual
« Ne venez pas en France, nous n’accepterons rien, c’est la tolérance zéro. » Planté au-dessus des quais de la gare du Nord, à Paris, le ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, martèle, jeudi 19 juin, un discours martial devant les micros des télés et radios conviées pour orchestrer la mise en scène d’une vaste opération nationale de contrôle d’identité. Etalée sur deux jours, les 18 et 19 juin, et intitulée de façon pléonastique « lutte contre l’immigration irrégulière et clandestine », elle aurait mobilisé pas moins de 4 000 policiers, gendarmes, douaniers et militaires de « Sentinelle » dans le but d’interpeller des « clandestins » aux abords des gares et dans les trains. A titre de comparaison, quelque 5 400 effectifs de forces de l’ordre avaient été requis à Paris en prévision de troubles éventuels, le 31 mai, lors de la finale de la Ligue des champions.
S’il était encore trop tôt, jeudi en début de soirée, pour connaître les premiers résultats de ce déploiement d’envergure, le ministère de l’intérieur expliquait, dans son instruction aux préfets diffusée le 12 juin, et dont Le Monde a obtenu copie, qu’une première opération nationale de contrôle a eu lieu les 20 et 21 mai, cette fois dans les bus internationaux à bas coût. Selon la Place Beauvau, alors que près de 900 bus ont été contrôlés, 759 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés. Des « résultats significatifs », souligne Bruno Retailleau, dans son instruction. Interrogés sur les suites des interpellations, les services du ministère de l’intérieur précisent que 245 obligations de quitter le territoire ont été prononcées, ainsi que 34 placements en rétention, et 72 réadmissions.
« C’est de l’esbroufe et de l’intimidation », dénonce Vincent Souty, avocat au barreau de Rouen et membre du Syndicat des avocats de France, qui souligne le fait que les centres de rétention administrative sont réservés en priorité aux personnes qui troublent l’ordre public. « Ça fait du chiffre de manière stupide », s’indigne l’avocate Cécile Madeline. Un de ses clients, un Algérien, a été arrêté mercredi alors qu’il rentrait chez lui. « Il n’a rien à faire dans un centre de rétention. Il est vendeur sur les marchés. Il a un appartement, une femme, trois enfants scolarisés et ne présente aucune menace pour l’ordre public. »
L’opération décidée par le ministre est inédite dans sa forme. « Depuis vingt-cinq ans que je fais du droit des étrangers, je n’avais jamais vu ça, témoigne Henri Braun, avocat parisien et membre du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). Pour moi, c’est un appel à une grande rafle pour mettre sur pied un climat de terreur. » « Attention ! Risque de rafle de personnes sans papiers (…) Prenez les transports le moins possible », mettaient en garde des petites affiches collées aux abords de la gare du Nord, dès mardi 17 juin, traduites en plusieurs langues. Un contexte qui n’est pas sans faire écho aux opérations d’arrestations massives menées aux Etats-Unis par l’administration de Donald Trump contre des immigrés sans papiers.Quatre organisations , dont le Syndicat des avocats de France, le Gisti et le Syndicat de la magistrature, ont déposé, mercredi 18 juin, devant le Conseil d’Etat, un recours en urgence demandant la suspension de l’instruction de Bruno Retailleau. La requête a été rejetée dans la soirée de jeudi pour défaut d’urgence, étant donné que l’opération avait touché à sa fin. Une requête au fond devait également être déposée dans les prochains jours, alors que le ministre explique dans son instruction vouloir que ces opérations « soient régulièrement organisées ». « C’est illégal, affirme Vincent Souty. Le déploiement de contrôles systématisés et généralisés pendant deux jours porte atteinte à la liberté fondamentale d’aller et venir et à la liberté personnelle. En outre, on demande aux policiers de contrôler les étrangers, mais sur quoi vont-ils se fonder pour cela ? Il s’agit de contrôles au faciès généralisés. C’est discriminatoire. »
Au ministère de l’intérieur, on explique que les contrôles ont été déployés soit en s’appuyant sur des réquisitions judiciaires de parquets, soit sur une base administrative dans les zones frontalières – dont les gares avec des destinations internationales font partie.Dans son instruction, Bruno Retailleau défend le caractère « dissuasif » de sa manœuvre, dans un contexte où, écrit-il, « les tentatives de départ vers le Royaume-Uni depuis les côtes françaises sont en forte progression depuis le début de l’année ».
Plus de 16 000 personnes ont réussi à rejoindre les côtes britanniques, en traversant la Manche à bord de canots pneumatiques de piètre facture depuis le début de l’année. Cela représente 4 000 traversées de plus qu’en 2024 à la même époque, soit un niveau record. Reste que la grande majorité des personnes qui parviennent au Royaume-Uni demandent et obtiennent l’asile. Mais le ministre français, sous la pression des autorités britanniques et qui martèle depuis son arrivée au gouvernement qu’il veut réduire l’immigration, le répète : « Les clandestins ne sont pas les bienvenus en France. » Interrogé, mercredi, sur Europe 1, il s’enorgueillissait du fait que 47 000 étrangers sans papiers avaient été interpellés depuis le début de l’année. Un chiffre qui ne dit rien des expulsions qui ont ensuite été menées à leur terme.
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