#faire_des_humains_des_robots

  • « Je n’avais plus le droit de parler avec mes collègues, ensuite ils m’ont supprimé ma pause pipi »
    http://www.bastamag.net/Entretien-avec-deux-ex-preparateurs-de-commandes-chez-Chronodrive

    Faire ses courses en ligne, pour une livraison rapide, c’est bien pratique. Sauf que, dans les rayons des entrepôts, une autre course se déroule, pour préparer au plus vite les produits achetés. Découvrez les coulisses des hypermarchés connectés, grâce aux #Témoignages étonnants de deux employés de l’enseigne Chronodrive de l’agglomération toulousaine, une chaîne de cybermarchés lancée en 2004 par le groupe Auchan. Rebecca et Julien, 20 ans, étudiants en médecine à Toulouse, en quête d’un revenu pour payer (...)

    Témoignages

    / #Conditions_de_travail, #Société_de_consommation, A la une

  • Dans les « drive » des supermarchés, l’exploitation des corps sous les ordres des machines
    http://larotative.info/dans-les-drive-des-supermarches-l-1062.html

    Derrière la multiplication des drive, service qui propose aux clients des supermarchés de faire leurs courses en ligne avant de les récupérer en voiture, se cache de nouvelles formes d’exploitation. Les travailleurs — en l’occurrence, surtout des travailleuses —, courent toute la journée pour accomplir leurs tâches sous les ordres des machines. Extraits d’une enquête de Marie Gueguen à Guichen, en Ille-et-Vilaine.

    « Dans le service Courses U de Guichen, quelque 600 commandes sont traitées chaque semaine. C’est-à-dire, pour un panier moyen de 50 articles, plus de 30 000 articles collectés et scannés, par une petite dizaine d’employées à temps plein payées au smic. A une telle échelle, on a du mal à imaginer ce que peut représenter un tel nombre de marchandises attrapées en rayon, portées, rangées, encaissées, chargées dans le coffre des voitures, par des petites mains qui n’en finissent pas de répéter les mêmes gestes.

    Chacun sait en quoi consiste leur activité pour s’y être soi-même livré en faisant ses courses dans un supermarché. A la différence qu’elles le font dix ou quinze fois par jour, en manipulant packs de bière, barils de lessive et sacs de terreau de 10 kilogrammes. Car l’un des principaux atouts du service proposé (faire ses courses en un clic), c’est de s’épargner la corvée de trimballer les charges des produits lourds ou volumineux. C’est ainsi que, sans toujours le mesurer, les clients se déchargent du poids de leurs courses sur les épaules des employées qui vont les prélever pour eux dans les rayons, les portent jusqu’au chariot, puis les acheminent jusqu’au coffre de leur voiture, sous les ordres d’une machine, avec la contrainte de boucler la listes des courses au plus vite dès que le chronomètre est lancé. Avant de recommencer.

    [...]

    D’un côté, le rêve du physicien réalisé : toutes les variables sont précisément mesurées et rapportées au paramètre « temps », toutes les trajectoires sont parfaitement déterminées, impeccablement géométrisées. De l’autre, l’utopie du manager rendue concrète : toutes les données pertinentes sont extraites, analysées, maîtrisées, en vue d’un accroissement continu de la productivité. Science et management réunis, pour un nouveau management scientifique essentiellement basé sur les nouvelles technologies. (...) L’homme est la variable d’ajustement d’un système qui existe en dehors de lui, à qui il n’apporte que sa force de travail, jusqu’à ce que son corps le lâche et qu’il soit remplacé.

    Car les machines ont encore besoin d’humains pour exécuter les tâches qu’elles prescrivent. A Guichen, le drive repose sur neuf femmes. (...) Ces neufs femmes sont parmi les plus courageuses et les plus endurantes que j’aie rencontrées, résistant au turnover constant des employés occasionnels (étudiants pour la plupart). A leur corps défendant : quatre ont dû prendre un arrêt maladie longue durée lors des six derniers mois. »

  • Rencontre avec Rémy, ouvrier-robot et révolté
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=733

    C’était une rencontre, le 2 mai dernier, lors d’un rassemblement à Grenoble, contre la construction du Center Parcs de Roybon, dans l’Isère. Un aparté en marge d’un débat sur « Chantage à l’emploi, croissance illimitée, informatisation globalisée… ». Au nom de « la convergence des luttes », les organisateurs avaient invité un ingénieur de chez Soitec, militant CGT et Front de gauche, à s’exprimer. A Grenoble, quel que soit le sujet - mais surtout s’il est question de défense de l’environnement et de critique du progrès techno-scientifique - il ne faut jamais longtemps avant que des technologistes progressistes ne viennent noyauter ; défendre leurs intérêts ; ceux de leurs entreprises et leur activité en général. (Cf. Le Laboratoire grenoblois) Leurs éléments de langage sont assez répétitifs. « La (...)

    #Nécrotechnologies
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/Entretien_avec_Re_my-2.pdf

    • Bref, « convergence des luttes », la formule capable de transformer magiquement et abstraitement des contradictions objectives, irréductibles, en idylles politiques. La convergence des dindes et du boucher. Les dindes ravies de la bonne volonté du boucher, de ses états d’âme, de ses dissonances cognitives et autres prises de conscience. Bien sûr qu’on ne va pas lui enlever le couteau des mains ! De quoi vivrait-il ? Comment mettrait-il des panneaux solaires sur son toit et des batteries électriques dans sa voiture ?

      Débattons, débattons. Cela fait des décennies que l’on débat cependant que l’industrie des semi-conducteurs, Soitec, STMicroélectronics et les autres start-up du Commissariat à l’Energie Atomique, transforment les paysages du Grésivaudan en zones high tech pour produire des puces électroniques. Elles ne produisent pas que cela, d’ailleurs, mais aussi le cybermonde ; le monde machine sous contention électronique. Et la technocratie ; la classe qui vit en symbiose avec cette technosphère et la défend comme les chasseurs cueilleurs ont défendu leurs forêts ; les paysans, leurs campagnes ; les ouvriers, leurs usines.

      #critique_techno #usine #ouvriers #ingénieurs

    • Visite guidée. Alarmes infra-rouge anti-intrusions. Entrée dans les locaux par lecteur d’empreinte digitale avec le malheureux avertissement de la CNIL dans le corridor. Le même dispositif sépare deux zones à l’intérieur même de l’entreprise. Caméras de surveillance à foison. Locaux aseptisé. Propreté clinique. Port de la blouse obligatoire. Disposition du parc de machines - outils de façon à rendre impossible tout échange verbal à distance. Ça, c’est pour les 60 autres pitres qui investissent les lieux quotidiennement.
      En ce qui me concerne, j’ai accès - malheureusement - au joyau, au nec plus ultra : la cellule (on ne rigole pas, c’est ainsi que se dénomme l’endroit au sein de l’atelier). Le grillage est là pour en
      attester. De l’autre coté de la grille, la machine : le robot de marque Fanuc (dont le cours des actions en bourse ne cesse d’exploser). De part et d’autre du robot deux centres de fraisage à « alimenter » en pièces. Pour stocker les pièces enattente d’usinage, deux magasins. Pour mettre les pièces dans le magasin, on les fixe sur des palettes. Lesquelles palettes sont « robotentionnées » jusqu’aux machines.
      Et pour connaître la position exacte des pièces afin qu’elles soient usinées, les palettes doivent passer sur un banc de palpage pour en faire le pré-réglage. Pour superviser le tout, gérer le flux de production, un attirail informatique hors du commun est à disposition. Aucune erreur possible, chaque intervenant peut contrôler les autres ; chaque « bug », pouvant arriver à n’importe quel moment, retarde irrémédiablement le déroulé de la journée de façon dramatique. Le tout avec des séquences de travail (préparation des pièces, palpage, ajout de programmes dans le logiciel dédié, usinage, recherche et montage d’outils) très rapides, de l’ordre de quelques secondes à quelques minutes et avec des cotes très précises à tenir (de l’ordre de 0.01mm, parfois moins).
      Alors que le climat interdit implicitement de sourire, espérer échanger un mot est vain.

      Au bout d’un moment, l’ouvrier, le technicien ne se sent pas seulement esclave mais bel et bien partie intégrante du dispositif technico-informatique. L’humain n’existe plus. Les ordres semblent tomber du ciel (il y aurait un « on » qui a décidé de quelque chose) et le terme « urgent » se décline entre « très urgent » et « très très très très très urgent ». Le travail en binôme est un cauchemar car les consignes ressemblent à des injonctions et à des ordres militaires. Le bruit ambiant n’aide pas la communication orale et la rapidité de l’exécution multiplie le stress. Il faut venir voir (de préférence le vendredi vers 15h) dans quel état psychique se trouve l’ouvrier chargé du lancement de la production pour le week-end. Comme le flux ne doit être arrêté sous aucun prétexte : travailler de 7h30 à 16h30 (en théorie, plus souvent 17h ou 17h30) n’est pas suffisant. La nuit, la machine et le robot bossent, eux. D’où la cerise sur le gâteau : un Blackberry - fourni par l’entreprise - est là en cas de « plantage ». Un système d’alarme à distance permet au Blackberry d’émettre une jolie sonnerie auprès de l’employé alors « en astreinte » (une semaine sur trois !). Qui gagne le droit de retourner à l’usine jusqu’à 20h pour remettre en route le dispositif sans savoir s’il en aura pour 15 minutes ou trois heures. Et même le week-end. À ce stade, l’ouvrier n’est plus esclave, il n’est plus humain, il n’est peut-être même plus animal ni vivant mais simple particule. Comme une particule d’ADN permettant à l’entreprise de vivre.

    • Le passage dans cette entreprise a été à la fois éprouvant et destructeur. Éprouvant car le tempo était très soutenu, couplé à une masse d’informations à gérer et à une pression liée à la précision des pièces à usiner. Destructeur car le stress s’accumule à la fatigue, le mode de communication - une sorte de braille oral où formuler une phrase relève du parcours du combattant - impacte les capacités de réflexion. Le fait d’être quasiment en permanence devant des situations impossibles à résoudre provoque une espèce de fracture du cerveau : comment, dans le même laps de quelques minutes, répondre à la question posée par l’individu A, ne pas oublier de passer la consigne à B, se demander ce que C vient faire par là afin d’essayer d’anticiper sa question et la réponse à apporter, contrôler à la loupe binoculaire un outil de 0.2mm de diamètre qui doit être placé dans la machine sans erreur, superviser une liste d’outils à vérifier, attendre les résultats du service de métrologie - ce qui influera sur une décision à prendre - et planifier le lancement de 48 heures de production, le tout sous des caméras de vidéo-surveillance ?

      […]

      Après plusieurs mois de ce régime, les sens sont touchés. Perte d’empathie (ne rien éprouver à la perte d’un proche), troubles du comportement, céphalées, capacités de réflexion atrophiées, écouter de la musique (chose vitale jusque-là pour moi) devient un calvaire et perte d’identité puisque la seule parade pour tenir le choc a été de me dire : « Ce n’est pas possible, ce n’est pas moi qui vais là-dedans ». Avec le recul, je désignerais bien l’ensemble du dispositif comme « Management par la privation sensorielle. »