Quarante ans après les premières études féministes qui ont contribué à « politiser » l’intime (Delphy, 1975), le rôle du logement dans la production des rapports de pouvoir entre les femmes et les hommes n’est, aujourd’hui, plus étudié. D’un côté, avec l’institutionnalisation des recherches sur le genre, les sociologues, démographes et politistes sortent de l’espace domestique et de l’intimité des couples pour majoritairement saisir les rapports de pouvoir dans les écoles, les entreprises, les partis politiques, la sphère publique (Clair, 2012 ; Bereni et al., 2012). De l’autre côté, les sociologues de l’urbain tiennent peu compte du genre dans l’analyse de la production de l’espace résidentiel et de ses usages. Certains, dans la tradition de l’Ecole de Chicago, privilégient l’analyse des processus migratoires et des rapports sociaux de race (Park et Burgess, 1925 ; Grafmeyer et Joseph, 1984). D’autres, dans le courant de la sociologie urbaine marxiste qui s’est développée en France dans les années 1970, font des rapports de production et de l’appartenance de classe la principale grille de lecture (Amiot, 1989 ; Topalov, 1987, 2013).
L’objectif de ces journées d’études est, ainsi, d’analyser la manière dont le logement contribue à la (re)production des identités sexuées et à la recomposition des rapports de pouvoir entre les femmes et les hommes, à l’aune des transformations qui affectent la société française contemporaine : progression des divorces et des familles recomposées, reconnaissance juridique des unions de même sexe, mais aussi crise du logement dans les grandes agglomérations, montée des inégalités socio-économiques dans la sphère du travail et de l’emploi. Considérant le logement dans ses différentes dimensions – matérielles, symboliques, économiques -, ces journées doivent permettre de dresser un état des lieux des travaux empiriques et théoriques qui articulent logement et rapports de genre, pour éclairer les formes de recomposition des inégalités entre les femmes et les hommes et proposer de nouvelles perspectives de recherche.
Jusqu’au milieu du XXe siècle, les femmes étaient essentiellement définies par leur rôle d’épouse et de mère. Le logement constituait le lieu d’un travail domestique invisible, entre tâches ménagères et soin aux enfants, alors que, dégagés de ces contraintes, les hommes pouvaient s’investir dans la sphère publique et professionnelle, symboliquement plus valorisante et financièrement plus rentable. « Le statut de l’homme, c’est celui de son travail ; le statut de la femme, c’est celui de son foyer » résument les anthropologues de la parenté à propos de la société anglaise industrielle d’après-guerre (Willmott et Young, 1957).