Élections législatives : les fans de pop peuvent-elles renverser le scrutin ? | Vogue France
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Alors que les élections législatives prévues pour le 30 juin et le 7 juillet prochains se présentent comme un enjeu crucial, les fans de pop s’organisent sur les réseaux pour contrer la montée de l’extrême-droite.
Par Lolita Mang
28 juin 2024
C’était le 15 juin 2024. À Paris, entre 75 000 (selon les autorités) et 250 000 personnes (selon la CGT) défilaient en réaction à la montée de l’extrême-droite en France. À chaque manifestation, ses pancartes. Celle-ci ne faisait pas exception, avec des accroches qui semblaient jusqu’ici inédites. Parmi elles, une en particulier, annonce que Taylor Swift, la plus grande pop star mondiale, et de surcroît américaine, allait voter pour le Nouveau Front Populaire, coalition des partis de gauche dont le Parti socialiste, La France Insoumise et Europe Écologie Les Verts. Un slogan qui pourrait résonner comme une blague – il semble peu probable que Taylor Swift s’intéresse aux intrications de la vie politique française – mais qui pourtant, reflète une réalité nouvelle. En effet, depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale par le président Emmanuel Macron, le 9 juin dernier, les fans de pop, de Taylor Swift à Beyoncé en passant par les groupes BLACKPINK et TWICE, s’organisent en ligne pour faire barrage à l’extrême-droite. Pour ce faire, elles (puisqu’il s’agit en grande majorité de jeunes femmes), innovent, et produisent de multiples montages et vidéos pour promouvoir certaines figures politiques, ou en ridiculiser d’autres. Une forme de militantisme flambant neuf, adapté aux nouveaux usages, et pensée pour séduire les électeur·ices les plus jeunes, en passant par leurs canaux de médiation favoris – TikTok, X et Instagram en tête. Mais faut-il y voir l’avènement d’une véritable force politique ?
X, Instagram et TikTok sont les plateformes privilégiées pour publier ces contenus. Marie, une étudiante de 23 ans installée à Bagnolet et qui vient de réaliser son premier edit, s’est inscrite sur Twitter en 2016. C’est elle qui le précise : en cultivant son amour pour la K-pop, elle a appris à se servir des outils à sa disposition pour s’informer et partager les informations accumulées. Une expérience qui n’est pas sans rappeler le meeting saboté de Donald Trump du 21 juin 2020. À l’époque, Trump est président des États-Unis en pleine campagne pour être réélu. Organisé à Tulsa, en Oklahoma, l’évènement voit ses chiffres de réservations exploser, dépassant le million. Pourtant, l’heure du meeting arrivée, le stade du Bok Center, d’une capacité de 20 000 places affiche de nombreux sièges vides… Les pompiers dénombrent seulement 6 200 spectateurs. S’il est impossible d’évaluer précisément les causes d’un tel désistement, de nombreuses adolescentes affirment avoir saboté l’événement en réservant des places sans avoir l’intention de s’y rendre. L’opération aurait débuté une semaine avant ledit meeting, grâce à une campagne sur TikTok et Snapchat. Certaines se sont même filmées en train de danser la Macarena devant une capture d’écran de leur réservation…
Une donnée suffisamment intéressante pour la soumettre à Franck Rebillard, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université Sorbonne-Nouvelle, en l’interrogeant sur l’influence des réseaux sociaux sur le vote : “Oui, les médias et les réseaux sociaux ont un rôle à jouer, mais dans quelles proportions ? En réalité, l’influence des technologies de communication et des médias sur le vote est très complexe à mesurer”. Tel que le précise l’auteur de l’ouvrage La Machine YouTube : contradictions d’une plateforme d’expression (C&F éditions, 2022), la participation électorale et surtout les choix des électeur·ices dépendent de multiples facteurs, dont d’autres sont bien plus lourds et structurels , comme l’âge, le genre, la catégorie sociale ou encore le revenu. Ainsi, sur le cas de l’extrême-droite, il rappelle que le profil des électeur·ices du Rassemblement National est le suivant : des personnes moins présentes dans les espaces urbains et davantage dans les espaces ruraux, moins diplômées et avec, souvent, des niveaux de vie plus faibles que la moyenne française. “Il n’y a pas une jeunesse mais plusieurs jeunesses, note-t-il. Il est possible que la présence de Jordan Bardella sur TikTok ait pu plaire à une jeunesse peu encline à s’intéresser à la vie politique”.
Selon Franck Rebillard, le rôle des fancams et des edits qui ont déferlé sur les réseaux sociaux n’est donc pas d’influencer les votes, mais plutôt d’apporter une notoriété nouvelle aux personnalités politiques mises en avant, comme l’ancien député de gauche Sébastien Delogu. Ce dernier a vu son canal Instagram gagner une popularité inédite, passant de moins de 20 000 abonnés à quasiment 100 000, en moins d’une semaine. Mais si les edits semblent apparaître comme une nouvelle forme de communication politique, Franck Rebillard nuance leur aspect novateur : “Je pense qu’on peut les rapprocher des émissions d’info-divertissement, nées à l’aube des années 2000”. En effet, pendant longtemps, les émissions politiques diffusées à la télévision sont composées de débats entre journalistes et politiques au pouvoir, ou en campagne. Avec l’éclosion de multiples émissions, menées par des figures comme Thierry Ardisson, Laurent Ruquier ou encore Michel Drucker, les politiques se trouvent invités aux côtés d’artistes, chanteurs ou comédiens. “On retrouve ça dans les fancams et les edits, remarque Rebillard. Notamment avec les éléments de pop culture, et la musique qui accompagne la vidéo”. Un mécanisme qui permet, comme le font les émissions d’info-divertissement, de mettre l’accent sur les traits de caractère, mais qui n’est pas sans limite. “Ça permet certes de toucher un public moins politisé pour lui faire découvrir de nouvelles personnalités, mais les programmes et les idées peuvent passer à côté” déplore Rebillard. Reda le confirme : sous ces vidéos, les commentaires pullulent, notamment pour demander l’identité des personnalités politiques représentées aux côtés des chanteuses de TWICE.