• « Je veux marcher à côté des mères, des salopes, des grosses »
    http://www.liberation.fr/societe/2014/03/07/je-veux-marcher-a-cote-des-meres-des-salopes-des-grosses_985440

    L’unité dans le féminisme, c’est possible ?

    Quand le cortège du 8 mars, il y a une dizaine d’années, a refusé pour la première fois que les femmes voilées se joignent à la manifestation, je faisais partie de celles que ça a choqué. Ne sont-elles pas assez blanches pour se considérer comme des femmes ? Je ne suis pas une fanatique de la manifestation du 8 mars, mais si j’y vais, je ne vais pas vérifier auprès des meufs, une par une, si elles sont bien athées… j’ai envie de marcher à côté des mères au foyer, des femmes mariées, des travailleuses précaires, des transsexuelles, des salopes, des cadres supérieures, des lesbiennes, des grosses, des vieilles… Car au finale, nous partageons une identité : nous sommes les victimes « naturelles ». Quand un homme est torturé et tué en raison de la couleur de sa peau ou de sa religion on dit « attention, malheur, atteinte aux droits de l’homme, crime politique ! » Quand tous les jours des femmes sont torturées ou tuées parce qu’elles sont des femmes on dit « ah la la, les hommes, qu’est-ce qu’ils sont méchants ». Mais ce n’est pas politique ? Ah non, ça, c’est hormonal. Et très vite, le problème devient « mais elle faisait un jogging toute seule » ou « elle attendait le bus toute seule ». Bref, elle était dehors, elle était une femme et chacune d’entre nous doit se souvenir qu’elle n’est pas en sécurité, dehors.

    Pourquoi de telles dissensions ?

    Les questions qui divisent les féminismes nous séparent d’une façon particulièrement hostile. Cette violence est assez étonnante, car enfin, il n’y a pas beaucoup d’argent à se disputer, ni de postes de pouvoir, alors pourquoi sommes-nous incapables d’avoir des échanges qui nous enrichiraient ? Perso, le féminisme des « bonnes mamans » ne me concerne pas, mais ça m’intéresse de les écouter. Le féminisme musulman, je ne vais pas sauter de joie à chacune de leurs déclarations, mais ça m’intéresse. Ecouter les unes et les autres ne m’empêche pas de savoir où je me situe - par exemple, du côté de celles qui n’ont pas fait d’enfants. On est encore embourbées dans un délire de destin biologique. On a donné l’argent des écoles aux banques, on n’a pas ouvert de structures d’accueil pour les handicapés, il n’y a pas de travail, on va tailler dans les aides aux plus démunis - mais faites des enfants, sinon vous passerez à côté de votre destin biologique. Autant dire : enfoncez-vous le plus possible dans la merde. Je crois qu’il faut valoriser la position des femmes qui ne s’intéressent pas à la maternité. Ceaucescu appelait « les déserteuses » les Roumaines qui ne donnaient pas les cinq enfants exigés pour la patrie. Valoriser cette position, ce n’est pas mépriser les autres. On peut être mère de famille nombreuse et être en accord avec ce qu’on vit, et on peut aussi être une quadragénaire nullipare qui se félicite tous les jours de son choix. Ce qui n’empêche pas d’être solidaire des luttes pour la PMA (procréation médicalement assistée) pour toutes. Etre féministe, justement, ça pourrait être de dire : est-ce qu’on pourrait arrêter de définir à notre place ce qu’est la féminité ?