De l’amour des femmes, Andrea Long Chu – Les guérillères
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Ce qui m’a frappé n’était pas tant l’extrémisme révolutionnaire dont faisait preuve Solanas que la désinvolture avec laquelle elle le justifiait : vivre sous le joug masculin n’était pas seulement être opprimée, exploitée ou injustement appropriée, c’était aussi chiant à en crever. Pour Solanas, qui aspirait à la dramaturgie, résidait à l’origine de la politique une appréciation esthétique. C’est parce que pour elle, #masculin et #féminin sont essentiellement des styles, deux mouvements esthétiques antagonistes que leurs prismes singuliers distinguaient respectivement. Les hommes sont réservés, coupables, dépendants, stupides, passifs, brutaux, maladroits, couards, envieux, futiles, superficiels et faibles. Les femmes sont quant à elles fortes, dynamiques, déterminées, affirmées, intelligentes, indépendantes, confiantes, perfides, violentes, égoïstes, déchaînées, aventureuses et arrogantes, mais avant tout géniales et inspirantes.
Alors que je me replongeais dans la lecture du manifeste en vue de préparer mon cours, j’ai eu la surprise de redécouvrir qu’en dépit de toute la haine qu’elle avait pour les hommes, Solanas était assez clémente dans sa stratégie d’anéantissement : d’une part, les femmes inspirantes et émancipées qui composeraient l’infanterie révolutionnaire du SCUM (qui signifierait Society for Cutting Up Men, « Société pour Émasculer les Hommes ») épargneraient tout homme choisissant de rejoindre sa troupe auxiliaire masculine où il déclarerait être « un étron, un étron tristement abject ». D’autre part, on permettrait généreusement aux quelques hommes survivants de finir leur vie travestis ou drogués à paître dans les champs ou devant la télévision, vivant par procuration le quotidien grisant des femmes en action. Et puis il y a ceci :
« Si les hommes étaient sages, ils chercheraient à devenir d’authentiques femmes, mèneraient d’intensives recherches en biologie pour pouvoir, par des opérations du cerveau et du système nerveux, à se transformer tant physiquement que psychologiquement en femmes. »
Cette phrase m’a bouleversé. Elle faisait de la transsexualité un séparatisme, de la transition MtF quelque chose qui exprimait non seulement un refus de la masculinité, mais une désertion de classe. Une transition est comme une révolution, pensée par l’esthétique, comme si les femmes trans transitionnaient non pour affirmer une identité mais parce qu’être un homme était stupide et chiant.