Les fichiers de police ont fait l’objet de nombreuses analyses et la dangerosité de certains, le STIC notamment, est établie : conçus pour la surveillance et la recherche, ce sont parfois aussi des menaces pour les libertés. En regard, les fichiers créés par l’éducation nationale sur les élèves semblent bien inoffensifs. Pourtant, plutôt que d’être cantonnés à une fraction de la population considérée comme suspecte, les fichiers scolaires portent exhaustivement sur toute la jeunesse ; pourtant, alors que les premiers fichent des adultes, les seconds fichent des mineurs, voire des enfants. Cela change bien des choses : c’est l’âge des essais et des erreurs et, alors que tout change ou peut changer d’un moment à l’autre, catégoriser et coder des informations pour les enregistrer dans des machines pour des années ou des décennies entraine des risques d’interprétation qui peuvent être tout à fait contraires à « l’intérêt supérieur de l’enfant » comme le dit la Convention Internationale des Droits de l’enfant que la France a ratifiée.
Probablement conçus dans les meilleures intentions, ces fichiers frappent d’abord par leur ampleur, ampleur que la « discrétion » de l’éducation nationale dissimule autant que possible aussi bien aux parents d’élèves qu’aux enseignants eux-mêmes.
Un système tentaculaire, invisible et secret
Tout enfant, dès sa première inscription dans une école, se voit attribué un identifiant national d’élève (INE) qui va le suivre tout au long de sa scolarité c’est à dire pendant 10 ou 20 ans s’il va dans le supérieur. Un « répertoire national des identifiant élèves » (RNIE) [1] contiendra à terme la liste de tous les élèves, apprentis, étudiants, du privé, du public, etc. avec leur état civil complet (nom, prénoms, date et lieu de naissance) et l’établissement scolaire dans lequel ils se trouvent. Avec ce numéro, chaque établissement d’enseignement de la maternelle au supérieur va créer et mettre à jour en permanence une « base élèves établissement » (BEE) qui contiendra des informations sur chacun de ses élèves. En maternelle et en primaire, il s’agit surtout d’informations administratives mais, à partir du collège et jusqu’à la fin du lycée, tout (ou presque) de ce qui peut être connu d’un élève est enregistré : évidemment sa classe et ses options, ses notes, les appréciations de ses enseignants, sa photo, ses « compétences », (et donc, du même coup, ses « incompétences »), ses absences, punitions et sanctions éventuelles, sa santé et, le cas échéant, ses handicaps, ses « préférences alimentaires » s’il utilise la cantine, les adresses (postales, téléphoniques et internet) et professions des père et mère, leur revenus si l’élève est boursier … Tous les établissements n’enregistrent pas autant de choses, le chef d’établissement ayant un certain pouvoir d’inclure ou d’exclure certains types de données. Ceux qui utilisent un « environnement numérique de travail » (ENT) recourent à des logiciels d’éditeurs privés qui rivalisent d’imagination dans l’utilisation de l’informatique pour « administrer » les différentes fonctions de l’établissement [2]. Par ailleurs, tout ne marche pas aussi bien que veulent bien le dire les informaticiens du ministère ou les éditeurs : les pannes sont nombreuses, la grogne fréquente, les retours en arrière inévitables, … Néanmoins, il est clair que, d’années en années, les procédures s’installent, les fichiers se remplissent et les utilisations se multiplient.