#fin_de_l'europe

  • L’Europe menacée d’effondrement

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/01/28/la-nuit-europeenne_5070492_3232.html

    Inquiets, les Allemands surveillent la scène politique française. Si la France bascule dans le populisme en mai, l’Allemagne sera terriblement fragilisée. Tout le projet européen en payera le prix.

    La scène se passe, jeudi 26 janvier, sous les lambris du Quai d’Orsay. Le ministre allemand des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, qui va devenir « le président Steinmeier » en succédant à Joachim Gauck à la tête de l’Etat en février, fait ses adieux à la diplomatie française.

    Officiellement, M. Steinmeier est là pour le lancement de la Nuit des idées, rafraîchissante initiative de la culture française pour beau temps. Ce qui devrait être un moment léger, purement formel, prend soudain un tour grave. En fait de Nuit des idées, M. Steinmeier a visiblement des idées noires.
    En allemand, il évoque les élections françaises à venir, souligne qu’elles seront déterminantes non seulement pour la France, mais aussi pour l’Allemagne – et pour l’Europe. Puis il passe au français pour implorer son auditoire : « S’il vous plaît, ne cédez pas aux sirènes du populisme. »

    Un peu plus tôt, à la Sorbonne, le président Gauck est lui aussi venu faire ses adieux. Il y prononce un discours émouvant ; il y est question d’amour, de littérature et puis d’Europe bien sûr, l’Europe dont il rappelle qu’elle a « engendré beaucoup d’horreurs ». « Il n’y a nullement lieu de glorifier l’Europe, poursuit-il. Elle n’a jamais connu d’âge d’or et n’en connaîtra jamais. Elle est uniquement le théâtre d’une incessante lutte pour l’humanité, la liberté et le droit, la justice et la démocratie. »

    Peu d’alliés

    Cela ressemble à un tir groupé : le même jour à Berlin, le successeur de M. Steinmeier au ministère des affaires étrangères, Sigmar Gabriel, qui vient de renoncer à diriger le Parti social-démocrate (SPD), tire la sonnette d’alarme au Bundestag. « Après le Brexit, lance-t-il, si les ennemis de l’Europe marquent encore des points aux Pays-Bas et en France, alors le plus grand projet civilisationnel du XXe siècle, l’Union européenne, risque de s’effondrer. »

    En ce début 2017, l’Europe est assiégée. Nulle part la menace n’est ressentie de manière aussi aiguë qu’à Berlin. A l’ouest, Trump. A l’est, Poutine. Au sud, Erdogan.
    Ces hommes forts ont une culture politique à l’opposé de la nôtre, clament leur hostilité au projet européen qu’ils voudraient voir dépecé, célèbrent le Brexit, encouragent ceux qui seraient tentés de suivre le Royaume-Uni.

    Jeudi, l’homme qui se présente comme le prochain ambassadeur américain auprès de l’UE, Ted Malloch, a expliqué à la BBC que dans un poste précédent, il avait contribué à l’effondrement de l’Union soviétique, ajoutant : « Il semble qu’il y ait une autre Union qui ait besoin d’être un peu neutralisée. » Quant au président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a dit M. Malloch, « il paraît qu’il a été un bon maire d’une petite ville du Luxembourg : il devrait y retourner ».
    Avec des amis pareils, qui a besoin d’ennemis ? Au-delà, hormis l’exception canadienne et le lointain Japon, l’Europe compte peu d’alliés.

    Panique à Berlin

    Si la Chine de Xi Jinping s’intéresse beaucoup à elle, c’est clairement plus pour ses entreprises que pour le « projet civilisationnel » qu’elle représente. L’Inde de Narendra Modi, politiquement plus proche, reste un abîme de complexité. Le Moyen-Orient est un volcan dont l’éruption touche maintenant directement l’Europe. L’Afrique, continent de toutes les promesses, est aussi celui d’où partent les flux migratoires, qui, incontrôlés, déstabilisent le Vieux Continent.
    Malgré elle, l’Europe se retrouve dépositaire de l’héritage des Lumières, cible de toutes les attaques. Elle-même n’est pas vaccinée contre ce virus, dont elle n’est que trop familière et qui se manifeste déjà sur son flanc oriental.

    C’est précisément ce qui sème la panique à Berlin en ce début 2017 ; l’année écoulée a été éprouvante pour les dirigeants allemands, tout particulièrement pour la chancelière Angela Merkel, soudain sacrée porte-étendard des valeurs européennes. Et cet étendard, elle ne veut pas le porter seule, encerclée par l’incendie, au moment où elle affronte une nouvelle campagne électorale, à l’automne, en vue d’un quatrième mandat.

    Tout naturellement, Berlin se tourne donc vers Paris. Mais le spectacle français inquiète les dirigeants allemands ; à trois mois du premier tour de la présidentielle, la présidente du Front national, Marine Le Pen, reste en tête des sondages avec un bon quart des intentions de vote, et les deux grands partis de gouvernement, à droite et à gauche, sont au bord de l’implosion.

    Scénario noir, scénario rose

    Imprudemment – après avoir commis la même erreur en 2012 avec Nicolas Sarkozy –, Angela Merkel s’est affichée avec François Fillon, aujourd’hui mis en difficulté par le « Penelope Gate ». Voilà pourquoi MM. Steinmeier, Gauck et Gabriel sonnent le tocsin.

    Si la France bascule dans le populisme en mai, l’Allemagne sera terriblement fragilisée. Et si l’Allemagne bascule à l’automne, c’est l’Europe qui s’effondre. « Ne sous-estimez surtout pas l’impact que vos élections ont de l’autre côté du Rhin, nous a confié un haut responsable de l’UE. Tout le monde vous regarde. Cette élection française est capitale, pour toute l’Europe. »

    C’est le scénario noir. Le scénario rose, le voici : le 7 mai, les Français élisent un président démocrate, européen, et donnent, après les Autrichiens en décembre 2016, un coup d’arrêt à la vague des scrutins insurrectionnels. Elu sur un programme novateur, ce président a pris la mesure de la révolte des laissés-pour-compte.

    Les Allemands ont, eux aussi, senti le vent du boulet ; cessant de s’arc-bouter sur la doctrine Schaüble, ils assouplissent leur politique économique. Le social-démocrate Martin Schulz et/ou Angela Merkel (démocratie chrétienne, CDU) forment un gouvernement.

    Ensemble, Paris et Berlin relancent le moteur franco-allemand et font repartir une Europe refondée, resserrée, renforcée. La seule capable de tenir tête aux délires de Donald Trump, s’il ne s’est pas calmé d’ici là, et de servir de boussole à ceux qui résistent.