• Enrayer la mécanique populiste qui s’est emparée de l’éducation
    https://www.cafepedagogique.net/2024/01/26/259236

    Stéphane Germain, principal de collège et auteur en éducation, revient sur les groupes de niveaux annoncés par voie de presse mais dont les textes d’application tardent à être publiés. « La communication médiatique n’est que de la communication médiatique, qui n’a aucune valeur, tant qu’elle ne se matérialise pas dans la Loi » rappelle-t-il. « Aussi, un fonctionnaire doit naturellement s’interroger sur la normalité de ses actes, lorsqu’on lui demande de faire appliquer des éléments de communication qui n’ont aucune valeur légale. La loi par anticipation, cela n’existe pas. Certains semblent avoir oublié ce principe ». Selon lui, cet exemple est assez significatif du mode de gouvernance actuel. « En matière d’éducation, le gouvernement a délibérément fait le choix de basculer dans le registre populiste et de s’affranchir des procédés républicains de la décision publique. En revendiquant des postures qui vont à l’encontre des valeurs et des principes du service public, les décideurs actuels affichent clairement leur intention de sortir de la logique républicaine. La question qui se pose est de savoir si les acteurs de l’éducation vont les suivre ? »

    #Éducation_Nationale #fonctionnaires

  • Comment l’austérité paralyse l’université

    [Rentrée sous tension à la fac] Pour dénoncer leur manque de #reconnaissance, des enseignants démissionnent de leurs #tâches_administratives, alors que le projet de loi de finances 2024 risque d’aggraver les difficultés financières de l’université.

    Les présidents d’université l’ont mauvaise. La raison ? Le #projet_de_loi_de_finances (#PLF) 2024, qui n’est pas à la hauteur des besoins de leurs établissements. Déjà fortement impactées par la hausse des prix en général et des coûts de l’énergie en particulier, les universités vont en effet devoir financer pour 2023 et 2024 une partie de la hausse des #salaires décidée en juin par le ministre de la Fonction publique Stanislas Guérini. « Une très mauvaise nouvelle », a réagi France Universités dans un communiqué du 19 octobre :

    « Pour les universités, cela signifie qu’elles devront financer 120 millions d’euros [sur un coût total d’environ 400 millions d’euros, NDLR], soit par prélèvement sur leurs fonds de roulement, soit par réduction de leur campagne d’emplois. Cela équivaut à 1 500 #emplois de maîtres de conférences en moins, non ouverts au recrutement, dénonce l’association, qui fédère l’ensemble des présidents d’universités. Encore une fois, les universités font les frais de la #politique_budgétaire du gouvernement qui considère l’#enseignement_supérieur et la #recherche comme une variable d’ajustement et non comme un investissement en faveur de la jeunesse », ajoute le communiqué.

    La situation est, il est vrai, particulièrement difficile, avec de nombreuses universités au #budget_déficitaire ou en passe de le devenir. Et un gouvernement qui n’entend rien leur concéder.

    Chute de la dépense par étudiant

    Début septembre, #Emmanuel_Macron expliquait, dans un échange avec le Youtubeur Hugo Travers, qu’il n’y avait « pas de problème de moyens » dans l’enseignement supérieur public, dénonçant une forme de « #gâchis_collectif » puisque, à ses yeux, il y aurait « des formations qui ne diplôment pas depuis des années » et d’autres qui se maintiennent « simplement pour préserver des postes d’enseignants ».

    Dans la foulée, la ministre #Sylvie_Retailleau, exigeait de libérer leurs #fonds_de_roulement – cet « argent public qui dort » d’après elle – estimés à un milliard d’euros, et qui permettrait de financer une partie des mesures en faveur du pouvoir d’achat des #fonctionnaires décidées cet été. Seulement, arguent les chefs d’établissements, ces fonds sont destinés aux rénovations énergétiques des bâtiments ou aux équipements de laboratoires de recherches.

    Déjà peu élevée par rapport aux autres pays d’Europe, la #dépense_par_étudiant décroche en réalité nettement depuis 2010. À l’université, le nombre d’inscrits a augmenté de 25 %, et le budget d’à peine 10 %. Le nombre d’enseignants a, lui, baissé de 2 %.

    « Pour retrouver les #taux_d’encadrement de 2010, il faudrait créer 11 000 postes dans les universités », a calculé Julien Gossa, maître de conférences en sciences informatiques à l’université de Strasbourg et fin observateur des questions liées à l’enseignement supérieur.

    Dans le détail, ces chiffres masquent des #inégalités : tous les établissements ne sont pas dotés de la même manière. Difficile d’obtenir des données officielles à ce sujet, mais celles produites par Julien Gossa révèlent des écarts allant parfois du simple au double.

    A L’université de Créteil, qui a vu ses effectifs exploser ces dernières années et devrait atteindre un #déficit de 10 millions d’euros cette année, l’Etat débourse en moyenne 6 750 euros par étudiant. À Aix-Marseille, le montant s’élève à 10 000 euros. À la Sorbonne, celui-ci est de 13 000 euros, soit presque deux fois plus qu’à Nantes (7 540 euros). Et largement plus qu’à Nîmes (5 000 euros). « Ces grandes différences ne peuvent s’expliquer uniquement par des frais de structures », souligne Hervé Christofol, membre du bureau national du Snesup-FSU.

    La #concurrence s’est aggravée en 2007 avec la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (#LRU). Réforme majeure du quinquennat de #Nicolas_Sarkozy, elle a transféré aux établissements universitaires la maîtrise de leurs budgets, et de leurs #ressources_humaines, qui revenait jusqu’ici à l’Etat.

    « On nous a vendu l’idée selon laquelle les universités seraient plus libres de faire leurs propres choix en s’adaptant à leur territoire. Mais en réalité, le gouvernement s’est tout simplement déresponsabilisé », tance Julien Gossa.

    Manque de profs titulaires

    Concrètement, pour fonctionner à moyens constants, les présidents d’universités sont contraints de mener des politiques d’austérité. Conséquences : les #recrutements d’#enseignants_titulaires sont gelés dans plusieurs universités, comme à Créteil, et celles et ceux en poste accumulent les #heures_supplémentaires.

    En 2022, le nombre d’ouvertures de postes de maîtres de conférences a augmenté de 16 %, mais cela ne suffit pas à rattraper la stagnation des dernières années. Le Snesup-FSU, syndicat majoritaire, avait d’ailleurs identifié la date du 26 janvier comme le « #jour_du_dépassement_universitaire », autrement dit le jour à compter duquel les titulaires ont épuisé les heures correspondant à leurs obligations de service pour l’année en cours.

    Au-delà, tous les enseignements sont assurés en heures supplémentaires, ou bien par le recrutement de #contractuels ou #vacataires – des #contrats_précaires qui interviennent de façon ponctuelle, sans que l’université ne soit leur activité principale. Les syndicats estiment qu’ils sont entre 100 000 et 130 000. Leur #rémunération : à peine 40 euros bruts de l’heure, contre environ 120 euros bruts pour un titulaire.

    Les problématiques de rémunération ont d’ailleurs créé la pagaille lors de la rentrée dans un certain nombre d’universités. À Paris-Est-Créteil, les étudiants de première année de la filière sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) ont vu leur rentrée décalée de deux semaines. Puis les cours ont démarré, mais dans une situation pour le moins dantesque : pas préparés en amont, les groupes de TD ont été créés dans la panique par des agents administratifs déjà débordés… Sans tenir compte des options souhaitées par les étudiants.

    Une quinzaine d’enseignants ont en effet démissionné d’une partie de leurs responsabilités : ils continuent d’assurer leurs cours, mais refusent d’effectuer leurs tâches administratives ou pédagogiques non statutaires pour dénoncer ce qu’ils qualifient d’un « manque de reconnaissance » de l’État. À Rouen, ils sont 57 à en avoir fait de même. Même son de cloche à l’IUT Sciences de gestion de l’Université de Bordeaux, ou à celui de Chimie d’Aix-Marseille.

    « Cela impacte tout le monde, insiste Gabriel Evanno, représentant du bureau des élèves de Staps à Créteil. Pour l’instant, nous ne savons même pas si les partiels de cet hiver pourront avoir lieu puisqu’il n’y a plus de surveillants d’examens. Nous ne savons pas non plus qui sera en mesure de signer nos conventions de stages étant donné que les enseignants qui étaient en mesure de le faire n’y sont plus habilités depuis leurs démissions de ces tâches. »

    L’étudiant soutient, malgré tout, la protestation des enseignants.

    Mobilisations des « ESAS »

    Ces #démissions_massives sont le fruit d’une #mobilisation démarrée il y a un an à l’initiative du collectif 384 regroupant près de 2 000 enseignants au statut particulier, les #enseignants_du_secondaire_affectés_dans_le_supérieur (#ESAS) : des professeurs agrégés, d’autres certifiés, d’autres issus de lycées professionnels. Au nombre de 13 000, ces enseignants se trouvent majoritairement dans les instituts universitaires de technologie (IUT), les filières Staps ou les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé).

    Toutes et tous assurent 384 heures de cours par an, soit deux fois plus que les enseignants-chercheurs, sans compter le suivi des étudiants.

    Or, début 2022, un nouveau système de #primes pouvant atteindre d’ici 2027 6 400 euros par an a été mis en place, pour inciter à prendre en charge des tâches administratives et pédagogiques. Le problème, c’est qu’il a été réservé aux enseignants-chercheurs, alors même que les ESAS remplissent tout autant ce genre de missions.

    « En plus de nos heures de cours, nous assurons depuis longtemps des missions non statutaires, parfois délaissées par les enseignants-chercheurs : le suivi des stages, le recrutement des étudiants, ou encore l’élaboration des emplois du temps, énumère Nicolas Domergue, porte-parole du collectif et enseignant à l’IUT du Puy-en-Velay. Le tout pour la somme ridicule de 600 euros par an. On est surinvestis, et pourtant oubliés au moment des réformes. »

    Pour Guillaume Dietsch, enseignant en Staps de l’Université de Paris-Est-Créteil et « démissionnaire », cette exclusion des primes a été « la goutte d’eau de trop. Cette injustice a été perçue de façon symbolique comme un manque de reconnaissance plus large de notre travail. »

    Le Ministère de l’enseignement supérieur avait d’abord justifié cette différence de traitement par l’absence de mission de recherche des enseignants issus du second degré, avant de chercher un moyen de stopper la vague des démissions. Pour calmer la grogne, début septembre, le Ministère a débloqué 50 millions d’euros afin de revaloriser la prime des ESAS qui passera à 4 200 euros en 2027. Ce qui fait toujours 2 200 euros de moins que celle accordée aux enseignants-chercheurs.

    « Contrairement à ce que ce procédé laisse entendre, nous pensons que la formation des futurs actifs doit être reconnue au même niveau que la recherche », rétorque Nicolas Domergue.

    Au-delà de cette question de prime, se joue une autre bataille : celle de l’évolution de carrière. De par leur statut hybride, ces enseignants sont pris en étau entre deux ministères, celui de l’enseignement supérieur et de la recherche et celui de l’éducation nationale.

    « Notre carrière est quasiment à l’arrêt dès que l’on quitte le secondaire, regrette Céline Courvoisier, membre du collectif 384 et professeure agrégée de physique à l’IUT d’Aix-Marseille. Nous ne sommes plus évalués par le rectorat au motif que nous travaillons dans le supérieur. »

    Ces enseignants sont, de fait, exclus des primes dont peuvent bénéficier leurs collègues dans les collèges ou les lycées. Pour eux, c’est la double peine quand les effets de l’austérité budgétaire s’ajoutent à leur insuffisante reconnaissance salariale. Ainsi, depuis 2021, les IUT se font désormais en trois ans au lieu de deux auparavant.

    « Nous avons dû monter une troisième année à coûts constants alors que cela nécessite nécessairement des embauches, des salles… Comment est-ce possible ? », interroge Céline Courvoisier.

    Surtout, a-t-on envie de se demander, combien de temps cette situation va-t-elle pouvoir durer ?

    https://www.alternatives-economiques.fr/lausterite-paralyse-luniversite/00108494

    #austérité #université #ERS #France #facs #démission

  • #Accusée #à_tort d’avoir frappé un #policier, Ines est sauvée par une #vidéo et dépose #plainte pour faux | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/france/070723/accusee-tort-d-avoir-frappe-un-policier-ines-est-sauvee-par-une-video-et-d

    #Vidéastes_indépendants : filmez (et floutez) !

    À l’origine de la plainte d’Ines*, il y a une vidéo de 42 secondes qui a fait le tour des réseaux sociaux. Sur les images enregistrées le 29 juin à Nanterre (Hauts-de-Seine), on la voit jeter une canette de soda en direction de deux policiers, sans les toucher. La jeune femme porte un voile blanc que les forces de l’ordre tentent de lui arracher. Mais dans le procès-verbal d’interpellation, Ines est accusée d’avoir frappé un policier.

    Cette jeune femme, Mediapart l’a retrouvée par hasard samedi 1er juillet, jugée en comparution immédiate au tribunal de Nanterre, pour « violences volontaires sur personnes dépositaires de l’autorité publique ». Ce qui lui a permis d’éviter une peine de prison, c’est la vidéo : face aux images diffusées par l’avocate, les faits ont été requalifiés en simple « rébellion ».

    Et d’après nos informations, Me Shanna Benhamou a déposé plainte, mercredi 5 juillet, pour « faux en écriture publique par une personne dépositaire de l’autorité publique », contre le policier à l’origine du procès-verbal.

    https://twitter.com/CivicioY/status/1674494415421730824

    Au départ de cette affaire, il y a donc une tentative d’interpellation musclée, dans le quartier de Nanterre-Préfecture, à laquelle Mediapart a assisté. Ce jeudi 29 juin, la situation est tendue. En début d’après-midi, la marche en hommage à Nahel s’est déroulée dans le calme mais a été dispersée à l’aide de gaz lacrymogène et des affrontements ont aussitôt éclaté.

    Sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, il est près de 21 heures lorsqu’un incendie se déclenche dans les locaux d’une banque détruite un peu plus tôt. Un immeuble d’habitation menace de prendre feu.

    La vidéo filmée par un anonyme montre une jeune femme jeter une canette de soda en direction de deux policiers, à quelques mètres. La canette passe entre les deux #fonctionnaires, équipés de #LBD 40, de protections et de casques.

    L’un d’eux hésite un instant, puis se met à courir vers elle. Une fois à sa hauteur, il la saisit et tente de lui arracher son léger voile blanc, puis cherche à l’extraire du groupe dont elle fait partie. Des femmes s’interposent en criant. La jeune fille semble surprise, essaie de couvrir à nouveau ses cheveux. Dans la confusion, un deuxième #policier l’attrape par les bras. Elle tente cette fois de se soustraire à l’interpellation, en se débattant avec ses mains et ses pieds. 

    Tandis que plusieurs membres des forces de l’ordre parviennent à l’entraîner un peu à l’écart, un attroupement se forme, des gens hurlent, des projectiles sont lancés sur les policiers qui, pour disperser le groupe, font usage de gaz lacrymogène. L’un d’eux jette également une grenade assourdissante. La vidéo s’arrête et la jeune fille disparaît derrière un immeuble.

    « Deux coups de poing au niveau du visage et de la nuque »
    Elle est alors relâchée, sous nos yeux, par les policiers. Rejointe par ses amies, elle réajuste aussitôt son voile. Puis une heure plus tard, Ines est finalement interpellée dans une rue adjacente. 

    Lorsque Mediapart la retrouve en comparution immédiate, samedi 1er juillet, il est déjà près de 23 heures quand elle est amenée, les mains menottées dans le dos, dans la salle d’audience. Elle est habillée avec le même t-shirt noir que sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, le même pantalon, les mêmes chaussures, mais ne porte plus son léger voile blanc. Elle vient de passer 48 heures en garde à vue, au commissariat de Rueil-Malmaison.

    Terrorisée, elle a les larmes aux yeux, et ne cesse de faire et défaire son chignon. « Elle avait peur de finir en prison », confiera plus tard Me Shanna Benhamou.

    Âgée de 21 ans, Ines travaille aux côtés d’enfants handicapés et c’est la première fois qu’elle se retrouve devant un juge. Dans son procès-verbal (#PV) d’interpellation, que Mediapart a pu consulter, un policier de la BAC 92 (la brigade anticriminalité des Hauts-de-Seine) affirme qu’Ines s’est approchée de lui par le côté, qu’elle l’a agrippé par son uniforme, et qu’elle lui a mis « deux coups de poing au niveau du visage et de la nuque ». 

    Le policier parle d’une centaine de personnes rassemblées sur l’esplanade Charles-de-Gaulle, d’une « horde d’individus » et de « pillards » jetant des projectiles, de la présence de manifestants « style black bloc ». Rien de tout cela pourtant. S’il y a une urgence à ce moment-là, c’est l’incendie au rez-de-chaussée de la banque, qui risque de se propager. La seule préoccupation de la majorité des personnes présentes est d’ailleurs d’appeler les pompiers. Le PV d’interpellation mentionne pourtant une « situation à un niveau dégradé jamais vu auparavant ».

    Travaux d’intérêt général
    Après la lecture des faits par le tribunal, l’avocate d’Ines bondit et lance : « Tout est faux. Nous ne sommes pas face à une grande délinquante. Inès connaissait Nahel, elle était en colère, c’est vrai, mais elle était surtout triste. Ce qu’attendent aujourd’hui les citoyens, c’est une justice objective. »

    Me Benhamou se lève et s’approche du président du tribunal, Benjamin Deparis. L’ordinateur à bout de bras, elle déclenche la vidéo. Dans la salle d’audience résonnent les détonations, les cris. À la fin du film, le magistrat ne dit pas un mot. 

    Figée dans le box, Inès parle peu, cherche ses proches du regard. La jeune femme reconnaît avoir jeté la canette en direction des forces de l’ordre et un coup de pied lorsqu’ils ont tenté de l’interpeller. Le procureur de la République s’adresse à la prévenue : « Les policiers ne sont pas là pour être pris pour cible par des jets de canette. J’espère que vous saurez vous en souvenir. » Ce rappel fait, il renonce à requérir toute condamnation pour les supposés coups de poing et demande une requalification en « rébellion ».

    Le tribunal suit, condamnant aussi Ines pour « violences volontaires » s’agissant du jet de cannette, en tout à 105 heures de travaux d’intérêt général. Dans le box, Ines esquisse un léger sourire, mêlé à des sanglots. À la sortie, « elle était très choquée, j’ai vu une jeune femme très vulnérable, elle n’arrivait pas à trouver les mots », confie son avocate.

    « Sans cette vidéo, je n’aurais pas obtenu la requalification des faits, le tribunal n’avait aucun élément pour me donner raison, poursuit Me Benhamou. La seule chose que l’on a dans ce dossier, c’est ce PV qui affirme qu’elle a volontairement donné des coups de poing. » 

    L’infraction de faux nécessiterait un caractère intentionnel et la démonstration d’un décalage suffisamment important entre les faits et leur retranscription pour en constituer la matérialité.

    Le parquet de #Nanterre
    Dans cette procédure, en prime, il y a des erreurs dans le PV d’exploitation de la vidéo, dressé par d’autres fonctionnaires qui écrivent que la canette « atteint le policier de droite qui se retourne ». Sur les images, on voit pourtant qu’elle passe entre les deux hommes. « C’est encore faux », s’agace l’avocate.

    En France, le faux en écriture publique est un délit puni de dix ans d’emprisonnement. Commis par une personne dépositaire de l’autorité publique, c’est un crime passible de quinze ans.

    Questionné par Mediapart pour savoir si une enquête serait ouverte à la suite de cette audience, le parquet de Nanterre indiquait mardi : « Nous ignorons encore comment sera motivé le jugement sur cette affaire [il n’était pas encore connu – ndlr], donc nous étudierons cette option. En tout état de cause, l’infraction de faux nécessiterait un caractère intentionnel et la démonstration d’un décalage suffisamment important entre les faits et leur retranscription pour en constituer la matérialité. Or le tribunal a requalifié les faits et les a condamnés sur ce nouveau chef. »

  • Chez les #policiers, de la #fatigue, peu de débats et la crainte que les #émeutes ne soient pas terminées
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/05/chez-les-policiers-de-la-fatigue-peu-de-debats-et-la-crainte-que-les-emeutes

    Après des révélations du quotidien La Marseillaise, le parquet de Marseille a confirmé l’ouverture d’une information judiciaire pour « coups mortels avec usage ou menace d’une arme » à la suite de la mort d’un homme âgé de 27 ans dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 juillet, probablement à la suite d’un tir de Flash-Ball ou de lanceur de balles de défense (LBD). Et, à Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle), un homme circulant en voiture a été grièvement atteint, selon ses proches, par une munition antiémeute de type beanbag, un sachet de coton contenant de minuscules plombs, vendredi 30 juin, sans doute après un tir de l’antenne locale du RAID (unité de recherche, d’assistance, d’intervention et de dissuasion), l’une des unités d’élite de la police.

    [...]

    Cet avertissement n’a rien pour calmer la « fatigue intense des derniers jours après une longue séquence avec la crise des retraites, le tout dans un contexte de manque d’effectifs, analyse Patrice Caviggia, délégué syndical Unité SGP-Police-FO. Tout ça finit par peser. » Engagé avec la #CRS 45 à Cergy-Pontoise, ce policier expérimenté a découvert, ébahi, les modes d’action nouveaux, pensés, élaborés, des émeutiers. Des barricades pour bloquer des voies d’accès stratégiques. Des attaques sur les flancs. Des ballons de baudruche remplis de liquide inflammable et lancés dans les fourgons puis enflammés à distance par des tirs de #mortiers. « Ils ne craignaient pas du tout le contact, dit-il. Avec la volonté évidente de causer des #dégâts humains. » #Mobilité, #coordination : la #souplesse des assaillants a aussi contribué à épuiser les #forces_de_l’ordre.

    [...]

    Pour nombre d’entre eux, la rupture physique et nerveuse n’est pas loin. Au tribunal judiciaire de Lyon, lundi 3 juillet, comparaissait un jeune émeutier interpellé en possession d’un mortier d’artifice près de la médiathèque de Vaulx-en-Velin (Rhône). La procédure comporte la retranscription de l’enregistrement de la caméra piéton d’un membre de la compagnie d’intervention de Lyon. « J’en peux plus, j’en peux plus », souffle le policier à ses collègues, alors que la caméra tourne encore après l’arrestation. « Il a du mal à respirer et à reprendre sa respiration. Il semble très essoufflé. Au bord du malaise, un autre policier vient à son contact et l’aide à marcher », explique le rédacteur du procès-verbal. Le porteur de la caméra se tourne vers ses collègues et lâche : « Excusez-moi, j’en peux plus. »

    [...]

    Depuis le soir du 27 juin, début des heurts, 722 #fonctionnaires de police et gendarmes ont été blessés à des degrés divers – comme 35 sapeurs-pompiers. C’est près de cinq fois plus qu’en trois semaines d’incidents en 2005, après la mort de Zyed et Bouna, deux adolescents électrocutés dans un transformateur après une course-poursuite avec la #police.

  • #Fonctionnaires #grévistes : la #France rappelée à l’ordre pour des #retenues_de_salaires « disproportionnées » – Libération
    https://www.liberation.fr/economie/social/fonctionnaires-grevistes-la-france-rappelee-a-lordre-pour-des-retenues-de

    Fonctionnaires grévistes : la France rappelée à l’ordre pour des retenues de salaires « disproportionnées »
    Un organe du #Conseil_de_l’Europe a #épinglé la privation d’une journée entière de #salaire pour un agent de la #fonction_publique en #grève quel que soit son nombre d’#heures_débrayées dans la journée.

  • Réguler l’installation des médecins : la comparaison avec le cas allemand
    https://theconversation.com/reguler-linstallation-des-medecins-la-comparaison-avec-le-cas-allem

    L’Allemagne, voisin le plus proche géographiquement, est doté d’un système de régulation de l’installation parmi les plus stricts au monde. Pourtant, il est très peu évoqué dans le débat français. Au-delà de la barrière linguistique, la faible diffusion de l’évaluation des politiques en place outre-Rhin ne facilite pas les échanges d’expériences.

    Cet article décrypte le système allemand actuel, et son historique, et donne un aperçu des effets. En outre, il discute la transférabilité de ces enseignements vers la France.

    #déserts_médicaux #Allemagne #médecine #accès_aux_soins

    • L’article explique mal la situation. D’abord il faut savoir qu’en Allemagne le taux de remboursement des soins s’élève à 100 pour cent dans le cadre du régime général.

      Les médecins quant à eux font partie des professions libérales comme les psychologues, les avocats, les ingenieurs et les créateurs web. Ils sont tous libres d’exercer leurs métier où bien leur semble. Ils sont également autorisés à définir librement leurs prix.

      La régulation s’effectue par les associations des médecins sous le régime public (kassenärztliche Vereinigung). 89,74 pour cent des patients étant inscrits auprès des assurances maladie publiques (gesetzliche Krankenkassen) seulement 8,73 pour cent des patients sont patients privés et constituent la clientèle exclusive des médecins sans homologation auprès des associations kassenärztliche Vereinigung .

      Les médecins inscrits auprès des kassenärztliche Vereinigung essayent également d’attirer un maximum de patients privés en leur proposant un traitement de faveur par rapport au commun des assurés. Les assureurs privés autorisent de multiplier les tarifs des assurances publiques par 2,3. En conséquence on obtient des soins à deux vitesses chez les médecins « publiques ».

      La plupart des médecins et patients sont soumis au quasi monopole des associations kassenärztliche Vereinigung ce qui leur donne un pouvoir énorme face aux médecins individuels, assurances maladie et l’état. Les médecins « privés » s’installent alors prèsqu’exclusivement dans les régions et arrondissements riches et y contribuent à une meilleure disponibilité des soins pour leurs patients priviligiés.

      Ces médecins des riches gagnent une grande partie de leurs revenus grâce aux fonctionnaires d’état et des Länder qui sont priviligiés par rapport au commun des mortels. En règle générale les médecins privés facturent deux fois le taux de remboursement des assurance publiques et s’octroient un dépassement supplémentaires allant jusqu’à 350 pour cent pour les soins « compliqués ». Les soins qui ne sont pas remboursés par l’assurance publique sont facturés individuellement.

      Les « Beamte » (fonctionnaires de type allemand sans droit de grèvre et sans liberté d’expression à part entière qui jouissent en contrepartie de l’obligation de l’état de les « nourrir » pendant leur vie entière) ont droit au remboursement de 50 pour cent de leurs frais d’assurance maladie. Ensuite ils touchent des « Beihilfe » par soin ce qui leur permet de profiter de tarifs nettement moins chers que les membres des professions libérales et entrepreneurs qui choisissent l’assurance maladie privée.

      Depuis toujours la gauche revendique l’abolition de ces privilèges et l’intégration des Beamte et des indépendants dans le régime public d’assurance et pour la retraite et pour les soins médicaux. C’est la signification de la revendication d’une « Bürgerversicherung » par le parti de gauche Die Linke soutenu par une grande partie des membres du SPD.

      Nous nous moquons du parti FDP en l’appellant le parti des dentistes car il lutte pour le maintiens des privilèges et pour leur extension.

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      Voici la meilleure stratégie pour les patients qui ne font pas partie des millionaires. Demandez aussi aux conseillers spécialisés mais faites attention de ne pas tomber sur un vendeur de contrats d’assurance. Ces conseils se payent :

      1. Restes dans l’assurance publique même si au premier abord elle a l’air plus chère que l’assurance privée. En fin de compte tu en profiteras.
      2. Pour chaque risque qui n’est plus couvert par les assurances publiques (prothèses dentaires !) tu choisiras une assurance supplémentaires à laquelle tu souscriras le plus tôt possible.
      3. Prends garde de ne jamais sortir du régime général, on rend de plus en plus difficile la possibilité d’y retourner quand tu dois renoncer à l’assurance privée.
      4. Etablis un rhythme régulier pour tes visites chez le médecin et le dentiste, ton assurance même publique t’en félicitera et t’offrira des avantages ensuite.

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      Sources

      Anzahl der Mitglieder und Versicherten der gesetzlichen und privaten Krankenversicherung in den Jahren 2016 bis 2022 https://de.statista.com/statistik/daten/studie/155823/umfrage/gkv-pkv-mitglieder-und-versichertenzahl-im-vergleich

      Voici un article pour médecins qui explique comment trouver des patients privés.

      https://www.zwp-online.info/zwpnews/wirtschaft-und-recht/praxismanagement/privatpatienten-wer-sie-sind-und-wo-man-sie-wie-findet

      15.05.2017 Praxismanagement - Privatpatienten : Wer sie sind und wo man sie wie findet

      Wie kann ich mehr Privatpatienten gewinnen? Dies beschäftigt viele Zahnärzte. Und vermutlich ebenso viele Zahnärzte werden die Erfahrung gemacht haben: Man findet nur wenige konkrete Antworten auf diese Frage, wenn man einmal von den grundsätzlichen Ratschlägen – stimmige Außendarstellung, gutes Google-Ranking, gute Be­wertungen, optimale Patientenbetreuung – absieht. Die erfolgreiche Akquise von Privatpatienten beginnt jedoch früher. Und zwar mit den Fragen: Wer sind Privatpatienten und wie und wo erreiche ich sie?
      ...
      Mitgliederstruktur der privaten Krankenversicherung

      Gruppe Anteil in %

      Beamte und Pensionäre 42,0
      Nichterwerbstätige (inkl. Kinder) 19,9
      Selbstständige 15,7
      Angestellte 11,6
      Rentner 7,5
      Studenten 2,9
      Arbeitslose 0,2

      Les dépassments prévus par les assureurs privés
      https://www.dgpar.de/blog/steigerungssatz

      Beitragssteigerungen in der PKV – ein Mythos oder ein wahrer Schrecken ?
      https://www.finanzberatung-bierl.de/leistungen/krankenversicherung/beitragssteigerungen-pkv-vs-gkv

      Wähle keine PKV aufgrund der Beitragsrückerstattungen aus!
      Wie kann ich dafür sorgen, dass die Beiträge stabil (er) bleiben?
      A: Es werden 10 % Deines Beitrages als Altersrückstellung entnommen
      B: Du kannst schon jetzt einen Beitragentlastungstarif auswählen
      C: Spare einfach privat an. Ob Fondssparplan, ETF Lösung oder ggf. eine Basisrente
      D: Der vielleicht wichtigste Rat – Augen auf bei der Wahl der richtigen Gesellschaft & Tarif!

      Gebührenordnung für Ärzte
      https://www.gesetze-im-internet.de/go__1982
      Ces règles donnent un cadre général pour les prix des soins mais aucun médecin ne suit ce texte. Les négotiation entres associations, assurances et l’état ne s’y réfèrent aussi peu.

      „Gebührenordnung für Ärzte in der Fassung der Bekanntmachung vom 9. Februar 1996 (BGBl. I S. 210), die zuletzt durch Artikel 1 der Verordnung vom 21. Oktober 2019 (BGBl. I S. 1470) geändert worden ist“

      #Allemagne #maladie #santé #assurance #fonctionnaires

  • Le #dégel du #point_d’indice, ou l’art d’offrir ce qui est dû

    C’est l’une des mesures phares proposées par le gouvernement pour parer à l’érosion du #pouvoir_d'achat des #fonctionnaires. Toute la question est de savoir si ce geste est aussi généreux qu’il prétend l’être.

    Alors, commençons par le commencement : le point d’indice, c’est tout simplement la valeur de base à partir de laquelle sont calculés tous les salaires des fonctionnaires. C’est cet outil qu’a choisi d’utiliser le gouvernement pour faire face à la hausse brutale de l’#inflation, comme le rappelle Stanislas Guerini, le ministre de la Fonction publique, lundi 6 juin sur franceinfo. « Dans le texte que nous sommes en train de préparer pour le pouvoir d’achat des Français, il y aura aussi le dégel du point d’indice, confirme Stanislas Guerini. La #revalorisation du point d’indice. C’est un geste de reconnaissance du travail, évidemment. De reconnaissance aussi des difficultés avec le retour de l’inflation. On a cette situation inédite. » Le dégel du point d’indice serait un geste de reconnaissance des difficultés liées à l’inflation, et de #reconnaissance du travail fourni par les fonctionnaires.

    L’érosion du pouvoir d’achat

    On peut, me semble-t-il, hausser au moins un sourcil face à cette argumentation. Le point d’indice, c’est avant tout l’outil permettant d’ajuster les salaires des fonctionnaires par rapport à l’inflation. Entre 1995 et 2010, il a été revalorisé 24 fois pour que le pouvoir d’achat des fonctionnaires ne diminue pas en raison de la hausse des prix ! Puis, en 2010, il est gelé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, et il le restera pendant la présidence de François Hollande, pour l’essentiel, et pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, intégralement.

    Conséquence : des économies substantielles pour l’État, et une érosion du pouvoir d’achat pour les fonctionnaires. Selon un rapport de l’INSEE publié en août 2021, les salaires dans la fonction publique, corrigés de l’inflation, ont diminué de 0,7% entre 2009 et 2019. Dans le même temps, les salaires du privé, eux, augmentaient de près de 5%.

    En apparence l’érosion est limitée, mais en apparence seulement, car elle masque de très fortes disparités. Dans une tribune parue en mars dernier dans Le Monde, l’économiste Philippe Askenazy explique que les gouvernements successifs ont rendu une partie des crédits économisés sur le point d’indice par le biais de ce que l’on a appelé « la #politique_catégorielle ». Pour faire simple, certains corps de la fonction publique ont été augmentés au détriment des autres. Les grands corps techniques, l’#Ena, la #police ont vu le gel du point compensé, voir surcompensé. En revanche, les #enseignants et les « petits » fonctionnaires, les fonctionnaires de catégorie C, ont été de grands perdants.

    Il y a donc un certain cynisme à entendre Stanislas Guerini nous dire que le dégel du point d’indice serait une « reconnaissance du travail fourni par les fonctionnaires » Non, ce n’est pas un cadeau de la part du gouvernement, c’est un dû pour compenser l’érosion de leur pouvoir d’achat, du fait des décisions prises, notamment, par ce même gouvernement.

    Des solutions floues

    Le gouvernement ne se concentre pas uniquement sur le salaire des fonctionnaires. #Stanislas_Guerini est également sensible à une autre dimension, le #sens et la #mission. « Il faut faire un petit peu faire respirer les carrières des agents de la fonction publique. Leur permettre de retrouver du sens, de l’action. C’est vrai qu’il y a un enjeu de sens. Mois c’est ça qui me frappe beaucoup, il faut redonner le sens à la mission des services publiques. Au fond, la raison d’être d’une certaine façon des services publiques. »

    Il faut « redonner le sens de la mission du service public. » Alors oui, certes. Mais comment ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que les solutions avancées par Stanislas Guerini sont floues… En revanche, on peut trouver une piste dans un article publié en 2015 par la chercheuse Florence Audier et ses collègues. Ils reviennent sur la multiplication des #primes à la #performance, qui font partie des mesures décidées pour compenser le gel du point d’indice. Et ils expliquent que ces primes à la performance contribuent à déconstruire le sens de la mission dans la fonction publique, en l’éloignant de son idéal : celui d’agents désintéressés, au service de l’#intérêt_général. La « #crise_de_sens » dont s’émeut Stanislas Guerini viendrait donc, en partie au moins, d’une politique suivie par son propre gouvernement. Après avoir proposé d’offrir une hausse de salaires qui était due, le voilà donc désormais qui cherche à compenser ce qu’ils ont eux-mêmes abîmé.

    https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/entre-les-lignes/le-degel-du-point-dindice-ou-lart-doffrir-ce-qui-est-du_5176270.html#xt
    #salaire #salaires #fonction_publique #travail

  • Toujours le mammouth
    https://laviedesidees.fr/Toujours-le-mammouth.html

    À propos de : Émilien Ruiz, Trop de #fonctionnaires ? Histoire d’une obsession française (XIXe-XXIe siècle), Fayard. La réduction du nombre des fonctionnaires revient à chaque élection. Pourquoi cet antifonctionnarisme, alors même qu’on vante le service public ? Pourquoi une telle hostilité, alors même qu’une fois les campagnes électorales passées, elle est rarement suivie d’effet ?

    #Société #libéralisme #services_publics
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20220208_fonctionnaires-2.docx
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20220208_fonctionnaires.pdf

  • Haro sur les ronds-de-cuir
    https://laviedesidees.fr/Haro-sur-les-ronds-de-cuir.html

    À propos de : Émilien Ruiz, Trop de #fonctionnaires ? Histoire d’une obsession française (XIXe-XXIe siècle), Fayard. La réduction du nombre des fonctionnaires revient à chaque élection. Pourquoi cet antifonctionnarisme, alors même qu’on vante le service public ? Pourquoi une telle hostilité, alors même qu’une fois les campagnes électorales passées, elle est rarement suivie d’effet ?

    #Société #libéralisme #services_publics
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/202202_fonctionnaires.docx

  • #Salaire des #fonctionnaires : « On entre dans une logique de #contractualisation et de #liberté »

    Selon le spécialiste de la réforme de l’Etat #Luc_Rouban, la #conférence_sur_les_perspectives_salariales des fonctionnaires qui s’ouvre mardi pourrait acter la mise en place d’une nouvelle architecture de la fonction publique.

    Alors que la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin, ouvre, mardi 21 septembre, une conférence sur les #perspectives_salariales des fonctionnaires, le spécialiste de la réforme de l’Etat Luc Rouban, directeur de recherches au CNRS, chercheur au Centre d’études de la vie politique française de Sciences Po (Cevipof), montre que cela sous-tend une transformation profonde de la #fonction-publique.

    A six mois de la présidentielle, ouvrir une conférence de six mois sur la rémunération des fonctionnaires, est-ce un gadget politique ou le début d’un vrai travail de fond ?

    C’est le début d’un vrai travail de fond. S’il s’agissait d’un gadget politique, le calendrier serait particulièrement mal choisi. Des promesses faites aujourd’hui n’engagent à rien… Ce serait même plutôt un mauvais calcul politique.

    Là, il s’agit de régler un problème de fond. La disparition d’un certain nombre de #corps (celui des préfets, des inspections, etc.) amorce une réforme plus large de la fonction publique française. Celle-ci sort d’un #modèle_corporatif et se dirige vers un #modèle_d’emploi, comme dans la plupart des pays européens.

    C’est-à-dire ?

    L’existence de corps fait que le parcours des fonctionnaires est prévu à l’avance. Là, on fait sauter le #verrou_corporatif, et une nouvelle architecture de la fonction publique se met en place, avec une relation plus individualisée entre l’agent et l’employeur. Cela permet une plus grande #mobilité pour les fonctionnaires. Mais cela remet aussi en cause tout le système de #rémunération et de #progression. Il faut donc d’autres règles générales pour encadrer cette nouvelle situation, situation dans laquelle le jeu stratégique entre les #syndicats et le #gouvernement est brouillé.

    Car on sort également de l’habitude du grand rendez-vous salarial annuel tournant autour de la question de l’augmentation générale du #point_d’indice, avec une application corps par corps. On entre dans une logique de #contractualisation et de #liberté. Le poids de l’#avancement pèse sur le fonctionnaire à titre individuel beaucoup plus qu’avant : ce sera à lui de se préparer, de chercher des formations, de rédiger un bon CV, de solliciter un autre ministère ou un autre établissement public, d’accepter d’être mis en #concurrence avec d’autres agents ou des candidats venant du privé.

    On se rapproche de la logique du privé. C’est plus compliqué pour le fonctionnaire, mais les corps conduisent aussi à ce qu’après quelques années, on se retrouve bloqué dans son avancement. Vous arrivez à 45, 50 ans et vous n’avez plus beaucoup d’avenir. Il est souvent impossible d’accéder à l’#indice_salarial le plus élevé, et cela nourrit de la #frustration et du #mécontentement.

    Le système est donc bien à bout de souffle, comme le dit #Amélie_de_Montchalin ?

    Jusqu’à Nicolas Sarkozy, on faisait des augmentations générales, et on s’arrangeait avec les #primes. C’est une fausse #individualisation. Le système est bloqué et s’auto-reproduit : la #hiérarchie, des grands corps au sommet jusqu’aux fonctionnaires de catégorie C, est figée. Pourtant, la crise sanitaire a mis en lumière le caractère essentiel des #emplois_d’exécution. On commence donc à s’interroger sur la #hiérarchie_sociale et l’#utilité relative des uns et des autres dans la fonction publique.

    Dans la perspective de la présidentielle, tout cela représente-t-il un atout pour Emmanuel Macron afin de séduire les 5,6 millions de fonctionnaires, quand la socialiste Anne Hidalgo propose de doubler le salaire des enseignants ?

    Il peut se démarquer face à la proposition d’Anne Hidalgo, qui reste quantitative et très spécifique, en proposant une refonte qualitative concernant l’ensemble des fonctionnaires qui associe la question des #rémunérations à celle du déroulement des #carrières, des #qualifications et des #conditions_de_travail. Cela lui permet de faire du « en même temps » puisqu’il peut aussi se présenter comme quelqu’un de responsable qui cherche à préserver les équilibres budgétaires ou, du moins, à limiter les déséquilibres.

    En mécontentant donc l’électorat de droite, essentiel pour le candidat Macron, qui souhaite diminuer la dépense publique ?

    L’électorat de droite n’est pas totalement néolibéral… Même à droite, on défend le service public et l’Etat-providence. Le patronat a applaudi les mesures exceptionnelles qui ont protégé les entreprises et les salariés. Les Français ont conscience que le #service_public assure un minimum de #cohésion_sociale, ne serait-ce que par les forces de sécurité. Il existe une demande très forte de protection et d’intervention publique. La droite parlementaire fait une erreur stratégique en reprenant la logique néolibérale de 2017. Elle dit qu’il faut diminuer les dépenses, et donc, le nombre de fonctionnaires, mais sans proposer de réflexion sur l’architecture interne de la fonction publique et sur ses métiers. C’est donc un moyen pour Emmanuel Macron de se démarquer, ici aussi.

    https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/09/20/salaire-des-fonctionnaires-on-entre-dans-une-logique-de-contractualisation-e
    #fonctionnariat #néo-libéralisme

  • Au ministère de l’#Écologie, les #fonctionnaires souffrent et constatent leur impuissance
    https://reporterre.net/Au-ministere-de-l-Ecologie-les-fonctionnaires-souffrent-et-constatent-le

    Les fonctionnaires du ministère de la #Transition_écologique n’en peuvent plus : surcharge de travail, services désorganisés, sous-effectif durable, hiérarchie aux abonnés absents, efforts vains quand #Bercy remporte tous les arbitrages... Beaucoup s’interrogent sur le sens de leur emploi lorsque les politiques menées sont totalement en deçà de ce qu’exige l’urgence climatique.

    #climat #Fonction_publique_d'État #conditions_de_travail

  • « La déconsidération des universités par le milieu politique est un élément structurel »

    Pour #Mathias_Bernard, président de l’université Clermont Auvergne, la promulgation de la #loi_de_programmation_de_la_recherche (#LPR) est une « #occasion_manquée ». Il revient sur la LPR pour « Libération », mais aussi sur dix ans de politique des universités.

    Ça y est. La si polémique loi de programmation de la recherche a été promulguée le jeudi 24 décembre, et publiée ce samedi au journal officiel. Elle lisse sur dix ans une hausse de 5 milliards d’euros du #budget annuel de la recherche et prévoit une hausse des #primes des personnels scientifiques. Mais plusieurs éléments sont critiqués par la communauté universitaire.

    L’une des mesures les plus contestée, la pénalisation des #mobilisations_étudiantes, a été retoquée par le Conseil constitutionnel le 21 décembre. Les « sages » ont aussi émis des réserves sur la proposition d’une nouvelle voie de #recrutement_dérogatoire pour les #professeurs, les « #chaires_de_professeurs_juniors », qui permettrait aux présidents d’université de s’immiscer dans l’appréciation des mérites des futurs candidats.

    Pour le reste, le texte accentue la #compétition entre les chercheurs et entre les établissements en prolongeant la logique de financement par #appels_à_projets, en vogue depuis plus de dix ans. Président de l’université Clermont Auvergne, Mathias Bernard connaît bien le sujet. Pour Libération, il revient sur ce texte et sur les réformes successives des universités depuis plus de dix ans.

    La loi de programmation de la recherche a été promulguée. Quel est votre sentiment sur ce texte ?

    C’est une occasion manquée. Quand l’annonce d’une loi de programmation a été faite, en février 2019 par le Premier ministre, je me suis réjoui, comme beaucoup de collègues. Notre secteur a besoin de #stabilité pour se projeter dans le temps long. J’espérais que cette loi permette de rééquilibrer la part des #financements_récurrents par rapport à ceux distribués par appels à projets. Ce n’est pas le cas. Les nouveaux #moyens sont en majorité conditionnés.

    C’est problématique. Cette loi n’aborde ni la question des #investissements en #équipements_scientifiques ni celle de l’#emploi. Les seules mesures de #ressources_humaines visent à faciliter le recrutement de #contractuels. C’est une #déception.

    Dans quelle mesure la LPR s’inscrit-elle dans le train de #réformes_universitaires depuis dix, quinze ans ?

    La LPR est clairement dans la ligne de ce qui se fait depuis le milieu des années 2000 avec la création de l’#Agence_nationale_de_la_recherche [chargée d’animer la politique d’appels à projets, ndlr]. Ce qui est prôné, c’est la différenciation des universités. L’Etat nous demande de mettre en avant « la #signature » de l’établissement. Cela passe par la réponse aux appels à projets nationaux, internationaux, territoriaux… Le nombre de guichets s’est multiplié.

    En parallèle de cela, notre #dotation_de_base stagne alors que le nombre d’étudiants augmente. Je ne dis pas qu’il y a quinze ans le système était idéal, mais le point d’équilibre est largement dépassé.

    Quelles sont les conséquences pour les établissements ?

    C’est d’abord un #coût. Nous avons besoin de recruter des équipes pour suivre ces appels et aider nos chercheurs à y répondre. J’ai plusieurs dizaines de personnes qui travaillent à cela.

    Ensuite, c’est un changement dans le #statut des personnes employées. Si ma dotation de base stagne, je ne peux pas recruter de #fonctionnaires. La progression du nombre d’employés des universités augmente uniquement grâce aux contractuels. Là encore, avoir une part de contractuels dans nos personnels n’est pas problématique mais ils sont recrutés pour conduire des missions pérennes.

    C’est notamment le cas pour des #contrats_d’enseignants qui, il faut bien le reconnaître, sont payés au lance-pierre.

    La stagnation des financements récurrents attribués aux universités n’est-elle pas la conséquence d’une défiance du milieu politique vis-à-vis du monde académique ?

    Je dirais une #défiance et une #méconnaissance. Les deux vont de pair. Cela vient d’un système de formation des #élites qui ne les amène jamais à l’université. Ils la connaissent mal et en ont une représentation fantasmée et négative.

    Le secteur a dû aborder beaucoup de lois, en 2007, 2013, 2018 et maintenant 2020, et pourtant, aucune n’a reconnu les universités pour ce qu’elles sont, à savoir les opérateurs principaux en matière d’#enseignement_supérieur et de #recherche. Les arbitrages ne nous sont jamais favorables et ce quelle que soit la législature. Les moyens de l’Etat sont dispersés sur une multitude d’opérateurs. Malheureusement, le fait d’avoir une ministre, #Frédérique_Vidal, issue de nos rangs, n’a rien changé au problème de la #déconsidération des universités par le milieu politique qui est un élément structurel.

    La #loi_LRU de 2007 promettait l’#autonomie des universités…

    Mais cette promesse n’a jamais été tenue. L’autonomie a consisté à déléguer la gestion des mécontentements. S’est installée une forme de #bureaucratisation qui subordonne le conseil d’administration des universités à d’autres instances, comme les jurys des appels à projets ou l’administration du ministère, qui s’est investie dans une forme de #micro-management.
    Vous faites référence à la création par ce gouvernement des #recteurs_académiques_de_région qui sont aux universités ce que le recteur est à l’enseignement scolaire. Comment ce micromanagement s’illustre-t-il ?

    Par exemple, pendant la crise sanitaire, les universités ont le droit d’ouvrir des séances de travaux pratiques. Si je décide d’ouvrir un TP d’optique pour 20 étudiants le mardi de 17 heures à 19 heures, je dois obtenir un arrêté du recteur académique à Lyon. Je lui ai, en tout, transmis plusieurs centaines de demandes d’autorisation. C’est de la #bureaucratisation inutile.

    De même, dans le cadre de ce que nous appelons le « #dialogue_stratégique_de_gestion » que nous menons avec l’Etat, une petite partie du budget est conditionnée à la manière dont l’université met en œuvre les #politiques_publiques.

    Pourquoi n’êtes-vous ni membre de l’#Alliance_des_universités_de_recherche_et_de_formation (#Auref) ni de l’#Udice, qui réunit les dix universités dites « de recherche » de France ?

    Je suis contre l’idée d’un système universitaire à #deux_vitesses. Il me semble donc dangereux de l’institutionnaliser à travers des associations. Je suis très attaché aux dimensions de #formation et de recherche des universités. Nous devons concilier une mission de #service_public et une exigence d’#excellence. Le risque avec l’existence de ces deux associations est d’encourager les pouvoirs publics à acter cette division, et à différencier les moyens budgétaires et les outils législatifs attribués aux établissements en fonction de leur appartenance à une organisation ou à une autre.

    Cette différenciation pourrait passer, par exemple, par des droits d’inscription différenciés ?

    On sent bien que cela va être tenté. Une brèche a été entrouverte par le gouvernement en introduisant un droit d’entrée différencié pour les #étudiants_internationaux. Une mesure qui pourrait profiter économiquement à un petit nombre d’universités, qui ont la notoriété pour justifier des droits plus élevés. Mais elle pourrait vider les autres établissements de leurs étudiants internationaux.

    C’est une première tentative qui pourrait être prolongée par une différenciation des #droits_d’entrée pour les étudiants français. Certains présidents pourraient y voir une ressource supplémentaire. Pour ma part, je suis attaché à notre modèle d’un accès le plus ouvert possible à l’enseignement supérieur.

    Vos étudiants, justement, comment vont-ils ?

    Mal. Si j’en juge par le nombre d’entre eux qui se signalent auprès de notre bureau d’accompagnement psychologique, je dirais qu’il y a beaucoup de souffrances.

    Pourtant, dans le plan de #déconfinement du gouvernement, les universités sont les dernières à rouvrir. Comment expliquez-vous cela ?

    Cette annonce a suscité beaucoup d’émotion au sein de la communauté. C’est révélateur d’une forme de #déconsidération des universités qui ne rouvrent qu’après les lycées, les classes prépa, les églises…

    Le principal problème pour nous, dans cette gestion de crise, c’est le décalage systématique entre les décisions gouvernementales, qui créent de l’attente, et la notification précise de leur application. Cela nous met, nous, présidents, en porte-à-faux. Par exemple, il y a eu des annonces sur le recrutement de tuteurs pour accompagner les étudiants en difficulté en janvier, mais nous n’avons reçu ni les budgets ni les modalités avant les congés de fin d’année. De même, l’Etat s’est engagé à soutenir la prolongation des contrats doctoraux décalés par le Covid-19. Nous avons fait les avances dès septembre, mais les crédits ne sont arrivés qu’en toute fin d’année.

    https://www.liberation.fr/france/2020/12/26/la-deconsideration-des-universites-par-le-milieu-politique-est-un-element

    #université #ESR #France #LPPR

    Métaliste sur la LPPR :
    https://seenthis.net/messages/820330

  • Interrogeons-nous sur la place des services publics. Qu’est-ce qui fait problème ? Leur rôle ? Les fonctionnaires ? #services_publics #fonctionnaires #état

    https://sms.hypotheses.org/11366

    “La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts” : de sketchs en tweets, et blogs journalistiques, le succès de cette petite phrase attribuée à Clémenceau témoigne de la persistance d’une vision de la fonction publique réduite à un coût pour le contribuable. De là, probablement, la surenchère de certaines promesses électorales, et le soutien que les politiques de réduction du nombre des fonctionnaires semblent obtenir dans « l’opinion publique ».

    Début mars 2018, comme plusieurs autres avant lui, un sondage réalisé pour Libération faisait ainsi apparaître que 45 % des personnes interrogées considéraient que « de manière générale il y a trop de fonctionnaires » en France, tandis que 54 % seraient favorables à la réforme de leur statut via « rémunération au mérite, recours aux contractuels et plan de départs volontaires » (...)

  • « La limitation de la casse économique ne doit pas prévaloir sur la limitation de la #casse_sanitaire »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/20/la-limitation-de-la-casse-economique-ne-doit-pas-prevaloir-sur-la-limitation

    La limitation de la casse économique ne doit pas prévaloir sur la limitation de la casse sanitaire »
    TRIBUNE
    Collectif

    Pour que le confinement soit efficace, des fonctionnaires de la santé, des affaires sociales et de l’économie appellent le gouvernement à imposer aux entreprises non essentielles l’arrêt de leur activité.

    Tribune. Depuis désormais quelques semaines, nous savons que la progression de la pandémie du Covid-19 (coronavirus) est inéluctable et qu’elle aura des conséquences gravissimes. Pourtant, malgré un discours martial, notre gouvernement temporise. L’urgence est cependant bien là : tant qu’il est encore temps, arrêtons l’économie ordinaire.

    Emmanuel Macron et Edouard Philippe affichent une prise de conscience de la gravité de la crise mais, « en même temps », ils ne se donnent pas les moyens de tout faire pour l’arrêter

    Dans une économie de « guerre » contre le virus, comme le répètent les pouvoirs publics, ne devraient plus exister que trois objectifs : équiper les personnes qui sont devant, approvisionner celles qui sont derrières, et protéger tout le monde. C’est tout le paradoxe de l’utilisation de cette image par Emmanuel Macron et Edouard Philippe : ils affichent une prise de conscience de la gravité de la crise mais, « en même temps », ils ne se donnent pas les moyens de tout faire pour l’arrêter.

    On le sait, les mesures de confinement sont le seul outil efficace dont nous disposons pour lutter contre la propagation de l’épidémie. Certes, le confinement a été partiellement mis en place, mais celui-ci repose sur une ligne directrice annoncée très clairement : la « responsabilité individuelle ». Les salariés non indispensables à l’économie ne sont pas tenus de s’arrêter, et l’impossibilité de télétravail est même un des motifs de laissez-passer officiel. Des travailleurs du bâtiment, de l’industrie, des banques, de l’artisanat sont encouragés à venir sur leur lieu de travail alors que leur activité n’a rien d’essentiel dans la crise que nous vivons. Chaque activité professionnelle présentielle maintenue fragilise pourtant le dispositif de « distanciation sociale » mis en place.

    Tension à son paroxysme
    Dans le même temps, on laisse les travailleurs des secteurs essentiels – agroalimentaire, traitement des déchets, chaînes logistiques alimentaires – continuer à travailler sans sécuriser leurs modalités de travail. Le maintien de ces activités renforce les inégalités déjà présentes habituellement : là où la majorité des cadres peut télétravailler, les autres salariés sont sommés de se rendre sur leur lieu de travail. Cette décision accroît en outre la tension, aujourd’hui à son comble, sur les biens sanitaires de première nécessité : masques, gel hydroalcoolique, gants, etc.

    Lire aussi Coronavirus : suivez la propagation de la pandémie en France et dans le monde
    Cette tension arrive à son paroxysme chez les soignants. Dans les hôpitaux, les cabinets médicaux du pays, tous n’ont qu’une seule demande : pouvoir exercer leur métier sans se mettre en danger, et donc sans mettre en danger leurs patients. Ils et elles demandent des masques. Ceux-ci n’arrivent – au mieux – qu’au compte-gouttes et avec retard, accroissant encore la tension et le risque. On ne sait jamais quand, on ne sait jamais combien. Et tant que n’existera pas un discours clair au plus haut niveau de l’Etat, cela sera toujours trop tard et pas assez. Le dire devient urgent et indispensable : nous allons devoir gérer une pénurie grave. Et tous les moyens disponibles vont devoir être orientés vers la santé.

    Trois mesures pourraient être prises immédiatement
    Il est urgent d’inverser les priorités : la limitation de la casse économique ne doit pas continuer à prévaloir sur la limitation de la casse sanitaire. Trois mesures pourraient pourtant être prises immédiatement :

    Réquisitionner les moyens de production des entreprises capables de produire masques, gels hydroalcooliques, respirateurs et autres matériels sanitaires.
    Définir les secteurs d’activité qui ne sont pas essentiels à la vie de la nation et imposer aux entreprises concernées l’arrêt de leur activité le temps d’enrayer l’épidémie.
    Contrôler strictement le respect des règles sanitaires et des mesures de protection des salariés dans les entreprises et les services essentiels à la vie de la nation.
    Ce qui est particulièrement inquiétant, c’est que le gouvernement est vraisemblablement conscient qu’il faudra finalement s’y résoudre. Mais il retarde ses décisions et les prend au compte-gouttes, comme si gagner un jour ou deux d’ouverture des magasins ou un tour d’élections municipales avait la moindre importance et ne mettait pas gravement la population en danger.

    Nous avons déjà changé de monde et le gouvernement fait mine de ne pas le voir

    Nous avons déjà changé de monde et le gouvernement fait mine de ne pas le voir. Que les Bourses dévissent n’a aucune espèce d’importance : pendant cette crise, le marché est à l’arrêt et c’est la logistique qui a déjà pris le dessus afin d’organiser la distribution à la population des biens de première nécessité. Que la production et la consommation décrochent est une évidence, cela devrait devenir un quasi-objectif : plus nous resterons chez nous, plus nous ferons plonger l’activité économique, mais surtout plus vite nous contrôlerons l’épidémie.

    Lire aussi Coronavirus : comment l’Europe est devenue l’« épicentre » de la pandémie
    Bien sûr, il faut soutenir les entreprises : elles sont la condition d’une reprise, demain. Le maintien des collectifs de travail est une nécessité. Le maintien de leur activité est également souhaitable, mais si et seulement si il n’aggrave pas la crise et ne met pas inutilement en danger la santé des travailleurs et des travailleuses. Dans tous les cas où l’activité doit se faire en présentiel et n’est pas strictement indispensable à la lutte contre la propagation du virus ou aux besoins essentiels de la population, il faut arrêter l’économie. Garantir totalement le maintien dans l’emploi, garantir les salaires, garantir tous les minima sociaux et revenus de remplacement, mais arrêter l’activité. Mettre l’économie sous perfusion, creuser la dette publique, mais endiguer la progression du virus.

    Inverser drastiquement nos priorités
    C’est un appel grave et solennel que nous faisons : prenons la mesure de la gravité de la crise qui est devant nous. Mettons de côté les croyances et les dogmes liés au « bon fonctionnement du marché », et mettons tout au service de la sortie de crise. Entrer réellement en guerre contre le virus nécessite d’inverser drastiquement nos priorités et de n’en conserver que trois : la santé, avant tout autre chose, l’approvisionnement, qui permet l’effort sanitaire et garantit une vie décente pour la population confinée, et la protection des personnes qui soignent et qui approvisionnent. Toute notre énergie doit être dirigée vers ces seuls objectifs, par exigence de justice et par souci d’efficacité. Toutes les autres activités ne sont pas seulement inutiles, elles sont dangereuses. Il est urgent de les arrêter.

    Léa Guessier est le pseudonyme d’un collectif de #fonctionnaires et de #hauts_fonctionnaires – tenus au devoir de réserve – en poste dans des ministères, collectivités et établissements publics des secteurs de l’#économie et des #finances, de la #santé et des affaires sociales, de la sécurité sociale, du #travail et de l’#emploi.

  • Via fb de #guillaume_Duval alternatives économique

    Via Marie-Laure Basilien-Gainche :

    Témoignage de Bruno Canard, chercheur du #CNRS spécialiste des #Corona #virus, lu au moment du départ de la manifestation #facsetlabosenlutte

    "Je suis Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à Aix-Marseille. Mon équipe travaille sur les virus à ARN (acide ribonucléique), dont font partie les coronavirus. En 2002, notre jeune équipe travaillait sur la dengue, ce qui m’a valu d’être invité à une conférence internationale où il a été question des coronavirus, une grande famille de virus que je ne connaissais pas. C’est à ce moment-là, en 2003, qu’a émergé l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) et que l’Union européenne a lancé des grands programmes de recherche pour essayer de ne pas être pris au dépourvu en cas d’émergence. La démarche est très simple : comment anticiper le comportement d’un virus que l’on ne connaît pas ? Eh bien, simplement en étudiant l’ensemble des virus connus pour disposer de connaissances transposables aux nouveaux virus, notamment sur leur mode de réplication. Cette recherche est incertaine, les résultats non planifiables, et elle prend beaucoup de temps, d’énergie, de patience.
    C’est une recherche fondamentale patiemment validée, sur des programmes de long terme, qui peuvent éventuellement avoir des débouchés thérapeutiques. Elle est aussi indépendante : c’est le meilleur vaccin contre un scandale Mediator-bis.
    Dans mon équipe, nous avons participé à des réseaux collaboratifs européens, ce qui nous a conduits à trouver des résultats dès 2004. Mais, en recherche virale, en Europe comme en France, la tendance est plutôt à mettre le paquet en cas d’épidémie et, ensuite, on oublie. Dès 2006, l’intérêt des politiques pour le SARS-CoV avait disparu ; on ignorait s’il allait revenir. L’Europe s’est désengagée de ces grands projets d’anticipation au nom de la satisfaction du contribuable. Désormais, quand un virus émerge, on demande aux chercheur·ses de se mobiliser en urgence et de trouver une solution pour le lendemain. Avec des collègues belges et hollandais·es, nous avions envoyé il y a cinq ans deux lettres d’intention à la Commission européenne pour dire qu’il fallait anticiper. Entre ces deux courriers, Zika est apparu…
    La science ne marche pas dans l’urgence et la réponse immédiate.
    Avec mon équipe, nous avons continué à travailler sur les coronavirus, mais avec des financements maigres et dans des conditions de travail que l’on a vu peu à peu se dégrader. Quand il m’arrivait de me plaindre, on m’a souvent rétorqué : « Oui, mais vous, les chercheur·ses, ce que vous faites est utile pour la société… Et vous êtes passionnés ».
    Et j’ai pensé à tous les dossiers que j’ai évalués.
    J’ai pensé à tous les papiers que j’ai revus pour publication.
    J’ai pensé au rapport annuel, au rapport à 2 ans, et au rapport à 4 ans.
    Je me suis demandé si quelqu’un lisait mes rapports, et si cette même personne lisait aussi mes publications.
    J’ai pensé aux deux congés maternité et aux deux congés maladie non remplacés dans notre équipe de 22 personnes.
    J’ai pensé aux pots de départs, pour retraite ou promotion ailleurs, et aux postes perdus qui n’avaient pas été remplacés.
    J’ai pensé aux 11 ans de CDD de Sophia, ingénieure de recherche, qui ne pouvait pas louer un appart sans CDI, ni faire un emprunt à la banque.
    J’ai pensé au courage de Pedro, qui a démissionné de son poste CR1 au CNRS pour aller faire de l’agriculture bio.
    J’ai pensé aux dizaines de milliers d’euros que j’ai avancé de ma poche pour m’inscrire à des congrès internationaux très coûteux.
    Je me suis souvenu d’avoir mangé une pomme et un sandwich en dehors du congrès pendant que nos collègues de l’industrie pharmaceutique allaient au banquet.
    J’ai pensé au Crédit Impôt Recherche, passé de 1.5 milliards à 6 milliards annuels (soit deux fois le budget du CNRS) sous la présidence Sarkozy.
    J’ai pensé au Président Hollande, puis au Président Macron qui ont continué sciemment ce hold-up qui fait que je passe mon temps à écrire des projets ANR.
    J’ai pensé à tou·tes mes collègues à qui l’ont fait gérer la pénurie issue du hold-up.J’ai pensé à tous les projets ANR que j’ai écrits, et qui n’ont pas été sélectionnés.
    J’ai pensé à ce projet ANR Franco-Allemande, qui n’a eu aucune critique négative, mais dont l’évaluation a tellement duré qu’on m’a dit de la re-déposer telle quelle un an après, et qu’on m’a finalement refusé faute de crédits.
    J’ai pensé à l’appel Flash de l’ANR sur le coronavirus, qui vient juste d’être publié.
    J’ai pensé que je pourrais arrêter d’écrire des projets #ANR.
    Mais j’ai pensé ensuite aux précaires qui travaillent sur ces projets dans notre équipe.
    J’ai pensé que dans tout ça, je n’avais plus le temps de faire de la #recherche comme je le souhaitais, ce pour quoi j’avais signé.
    J’ai pensé que nous avions momentanément perdu la partie.
    Je me suis demandé si tout cela était vraiment utile pour la société, et si j’étais toujours passionné par ce métier ?
    Je me suis souvent demandé si j’allais changer pour un boulot inintéressant, nuisible pour la société et pour lequel on me paierait cher ?
    Non, en fait.
    J’espère par ma voix avoir fait entendre la colère légitime très présente dans le milieu universitaire et de la recherche publique en général."

    • Message reçu via la mailing-list de lutte contre les réformes dans l’ESR... autour du #rapport :
      Le pilotage et la maîtrise de la masse salarialedes universités


      https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2019/58/6/IGAENR-IGF_Pliotage_maitrise_masse_salariale_universitespdf_1245586.pdf

      Dans le contexte actuel de mobilisation, le #MESRI va nous expliquer que c’est un rapport qui ne l’engage absolument pas et que tout peut être discuté. À sa lecture, on comprend bien que le Gouvernement, qui écoute plutôt Bercy que le MESRI, n’a pas besoin de la LPPR. Tout est déjà en place pour poursuivre la transformation des établissements en « #universités_entrepreneuriales » qui trouveront, sous la contrainte, des marges de gestion. Les universités ne manquent pas de moyens, elles sont seulement mal gérées.

      Le projet de #budget pour l’année 2021 mettra en place l’étape décisive demandée par Bercy : la non compensation du #GVT.

      –----------

      Quelques citations choisies du rapport rendu par les deux inspections, il y a presque un an. Remarques de Pierre Ouzoulias (signalées avec —>) :

      Bien que se situant, tout financement confondu, juste au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE les universités sont à ce jour globalement correctement dotées par le #budget de l’État pour couvrir leur masse salariale au regard de la situation des #finances_publiques. Les situations peuvent toutefois varier selon les établissements en raison soit des défaillances du mode d’allocation des ressources, soit de choix de gestion individuels.

      –-> Le budget de l’ESR est suffisant au regard de la réduction de la dépense publique

      La part des ressources propres dans les recettes des universités, toutes universités confondues, n’a pas évolué entre 2011 et 2017. Les universités fusionnées, les universités scientifiques ou médicales (USM) et les universités de droit, économie, gestion DEG ont un taux de ressources propres 2017 proche de 20 %, en augmentation d’un point depuis 2012. Les universités pluridisciplinaires, avec ou sans santé, connaissent un taux de ressources propres supérieur à 16 %, stable depuis 2013. Les universités de lettres et de sciences humaines (LSH) ont le plus faible taux de ressources propres, proche de 13 % depuis 2011.

      –-> La solution : les ressources propres, les mauvais élèves : les #SHS

      Le nombre d’équivalent temps plein travaillé (#ETPT) de l’enseignement supérieur a augmenté de + 3,6 % de 2010 à 2017. En retranchant le « hors plafond », l’évolution est de – 3,22 % ; jusqu’en 2013 la réduction est significative (les effectifs représentant à cette date 95,71 % de ce qu’ils étaient en 2010), puis l’augmentation est constante, les effectifs revenant en 2017 à 96,78 % de ce qu’ils étaient en 2010.

      –-> Un constat partagé : la #masse_salariale augmente grâce à la #précarisation

      Un principe participatif est au fondement du fonctionnement des universités. Les élus qui représentent le corps enseignant, les personnels et les étudiants participent à la gestion et à l’organisation des activités des établissements. Le conseil d’administration ne compte que huit personnalités extérieures à l’établissement pour 24 à 36 membres. Il détermine la politique de l’établissement, approuve le contrat d’établissement, vote le budget et fixe la répartition des emplois.
      Les unités de formation et de recherche (#UFR) sont dirigées par un directeur élu par un conseil de gestion, lui-même élu, dans lequel le poids des personnels reste important.
      Dès lors, les mesures correctives en matière de gestion de masse salariale, qui conduisent nécessairement à remettre en cause des situations acquises sont difficiles à prendre pour un élu et interviennent trop souvent tardivement. La mission a constaté qu’elles s’imposent plus facilement en situation de crise que dans le cadre d’une gestion prévisionnelle visant à construire un modèle économique stable.

      –-> Les élu-e-s : un obstacle à une gestion efficiente des #ressources_humaines

      Trois comportements universitaires types en matière de maîtrise de la masse salariale :
      -- Une partie des universités a recours à une #régulation, plus qu’à une #optimisation, de la masse salariale. […] Elles mobilisent leurs #ressources_propres afin de ne pas avoir à engager des actions de recherche d’efficience jugées déstabilisantes.
      -- D’autres établissements se caractérisent par une volonté d’optimiser la masse salariale, condition nécessaire au déploiement du projet d’établissement. […] Les universités associées à ce deuxième comportement type sont en constante recherche d’#efficience.
      -- Enfin, certaines universités privilégient une recherche de la structure d’emploi conforme aux modèles économiques choisis. […] Ce troisième comportement type est celui d’universités que l’on peut qualifier « d’entrepreneuriales » avec des taux d’encadrement relativement élevés et des modèles économiques atypiques.

      –-> Le modèle : les « #universités_entrepreneuriales »

      Le lien entre masse salariale et stratégie doit passer par une #gestion_prévisionnelle_des_emplois et des compétences se traduisant dans un schéma directeur pluriannuel des #emplois. Celui-ci requiert de s’adosser à une réflexion interne pour établir une doctrine en matière de choix des statuts adaptés aux activités et à leurs évolutions anticipées, compatibles avec la situation financière et sociale d’ensemble de l’établissement et cohérents avec le projet d’établissement.

      –-> Le recours aux précaires : un instrument de gestion efficace

      Les prévisions de #départs_en_retraite des #titulaires montrent que les universités ne sont pas dépourvues de possibilités en termes de #gel, d’annulation ou/et de #redéploiements d’emplois par statut et catégorie.
      Pour conserver un rapport raisonnable, il faudrait combiner l’absence de remplacement d’un poste pour trois départs d’enseignants et d’un poste pour quatre départs de #BIATSS. Cela reviendrait à la suppression de 2 497 emplois de BIATSS et 992 emplois d’enseignants pour un impact de masse salariale hors charges patronales respectivement de 76 M€ et 41 M€.
      Ces chiffres ne sauraient constituer une cible ; ils n’ont d’autre objet que de montrer que les départs en retraite offrent des possibilités de redéploiement et de #repyramidage sous réserve de conserver une structure d’emploi cohérente et de ne pas affaiblir les activités de formation et de recherche qui constituent les points forts de chaque établissement.

      –-> Le non remplacement des retraités : un moyen efficace d’augmenter la part des non-statutaires

      Les universités ne pilotent cependant pas toujours de manière suffisamment précise cette évolution de structure. En effet, les emplois sous plafond et hors plafond sont suivis de manière distincte. Ils relèvent d’une logique différente pour les seconds qui sont rapportés aux ressources propres et non à l’équilibre économique d’ensemble de l’université. Le nombre d’enseignants contractuels lié aux #PIA s’inscrit notamment dans une logique particulière et augmente de manière significative. À terme, une partie de ces emplois sera inévitablement pérennisée dans la masse salariale de l’université.

      –-> Éviter la titularisation des contractuels financés par les PIA

      Par ailleurs, le recours aux #contractuels reste pour l’essentiel fondé sur les articles 4 et suivants de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État. Les universités n’ont que marginalement utilisé l’article L-954 du #code_de_l’éducation qui offre des possibilités plus souples de #recrutement de contractuels (contrat dits « LRU »). En 2016, la moitié des universités comptait moins de trois ETP en contrat #LRU, au moins une sur quatre n’en employant aucun.
      Le recours aux contractuels peut permettre une meilleure #adaptation des effectifs aux besoins. Les personnels recrutés peuvent en effet être permanents ou temporaires, être enseignants – chercheurs, chercheurs ou enseignants ; ou bien cadres administratifs ou techniques. En outre, les universités ont une plus grande maîtrise de leurs situations salariales et de carrière que pour les titulaires dans la mesure où c’est le conseil d’administration qui statue sur les dispositions qui leur sont applicables.
      Dès lors que la plupart des besoins peuvent être indifféremment couverts par des contractuels ou des titulaires, compte tenu de la similitude de leurs profils, l’augmentation de la proportion d’#emplois_contractuels dans les effectifs d’une université a pour conséquence de lui donner davantage de leviers pour piloter ses ressources humaines, sa masse salariale et son #GVT.
      Ensuite, la transformation des #CDD en #CDI doit être maîtrisée pour ne pas résulter uniquement de la règle de #consolidation_des_contrats au bout de six ans. Par exemple, dans certaines universités rencontrées par la mission, la transformation d’un contrat temporaire en CDI est réalisée après examen par une commission vérifiant notamment que le contrat permanent correspond à des besoins structurels.

      –-> Les universités n’utilisent pas encore assez les contractuels

      Ces chiffres montrent que les choix des établissements en matière de #charge_d’enseignement ont un impact significatif sur les effectifs enseignants et donc sur la masse salariale et justifient un pilotage du temps de travail des enseignants. La #responsabilité doit en être partagée entre les composantes de l’université en charge de l’organisation des enseignements et l’échelon central responsable du pilotage économique et de la conformité des choix aux projets de l’établissement. Le pilotage trouve naturellement sa place dans le cadre du dialogue de gestion interne dont la nécessité a été décrite ci-dessus au paragraphe 2.

      –-> Un autre levier : le temps de travail des enseignants

      Compte tenu de ses effets contre-productifs, la mission considère que la compensation du GVT n’a plus lieu d’être s’agissant d’#opérateurs_autonomes, qui sont libres de leurs choix de structure d’emploi ; qu’il revient aux pouvoirs publics de limiter la compensation sur l’impact de la #déformation de la masse salariale des titulaires à la seule compensation des mesures fonction publique relatives au point d’indice ou se traduisant par une déformation des grilles (#PPCR par exemple), et, pour les universités disposant d’un secteur santé, à la compensation des #PUPH en surnombre ; que la maîtrise des universités en matière de recrutement, de #promotion et de gestion individuelle des carrières devrait être renforcée ; que le dialogue de gestion doit permettre à chaque établissement de faire valoir sa trajectoire de masse salariale.

      –-> Le non compensation du GVT : un outil efficace pour obliger les universités à s’adapter

      Il serait préférable d’en revenir au respect de la #trajectoire_LPFP, et de ne s’en écarter, en plus ou moins, qu’au vu de variations significatives constatées (et non anticipées) sur les dépenses ou les recettes des établissements. Cela semble une condition de la pluri annualité et de l’autonomie des opérateurs.

      –-> La loi de programmation des finances publiques est la seule référence

      Proposition n° 9 : connecter la #modulation des moyens à l’évaluation de l’activité et de la #performance universitaires ;

      –-> Où l’on retrouve l’#évaluation !

      La mission constate également que les universités visitées ont fait des progrès dans leurs modalités de gestion depuis le passage aux #RCE et qu’une marche supplémentaire peut désormais être franchie sous réserve que les outils, notamment informatiques, à disposition soient améliorés.
      Elles disposent de réelles marges de manœuvre leur permettant de gérer leurs effectifs de manière plus efficiente. Ces marges de manœuvre s’inscrivent cependant dans des logiques de #pilotage à moyen et long terme compte tenu de la #faible_plasticité_naturelle_des_effectifs. Pour pouvoir être mises en œuvre, elles supposent une capacité à construire des schémas d’#effectifs_cibles à trois ou quatre ans.
      En conséquence, la mission préconise, d’une part d’entamer une #refonte du système actuel de #répartition_des_crédits largement fondé sur la reconduction des enveloppes acquises lors du passage aux RCE, d’autre part, de mettre en place une #contractualisation État/université dans le cadre de #contrats_de_performance, d’objectifs et de moyens pluriannuels, enfin, de développer une architecture d’information permettant d’instaurer une véritable transparence entre les acteurs et en leur sein.

      –-> Conclusion : c’est mieux, mais il faut accélérer !

      #flexibilité #plasticité #performance

    • #Frédérique_Vidal arrive aux journées sciences humaines et sociales de L’Agence nationale de la recherche. Mais que va-t-il donc pouvoir se passer ?


      Intervention des facs et labos en lutte

      « Nous nous rallions à la revendication votée par la coordination des facs et labos en lutte, et demandons la suppression de l’ANR et l’affectation de la totalité de ses crédits et de son personnel là où ils sont nécessaires : dans les universités et établissements de recherche »
      Elle annonce ce qu’il y aura dans la LPPR : programmer budgétairement, sécuriser l’investissement, en arrêtant d’avoir l’objectif incantatoire de 3% du PIB. Favoriser l’#attractivité (c’est vrai qu’avec 100+ candidat.e.s par poste, l’attractivité est un vrai problème)
      #Vidal veut renforcer l’#ANR pour la mettre au niveau des agences des autres pays. Pour ça, réaffectation des crédits des labos pour soutenir les #projets (hop, moins de financements récurrents).
      L’idée est lâchée, Vidal annonce la modulation des services : les porteurs de projets ANR pourront enseigner moins, il y aura + de places à l’#IUF, + de #congés_de_recherche, pour arriver à une année #sabbatique tous les 7 ans (ce qui est un droit depuis le décret de 1984)
      Et allez, c’est parti : pour Vidal, il faut surtout augmenter les #investissements_privés dans la recherche, pour arriver à 2/3 du financement de la recherche sur #fonds_privés. Bye bye le service public de la recherche !
      Elle est cash : la grande majorité des transformations sera faite par #circulaires, de toute façon. La LPPR visera juste à faire sauter les #verrous_législatifs.
      Questions dans la salle : « Vous voulez donner des #décharges d’enseignement aux personnes qui ont des projets ANR, mais on est en #sous-encadrement massif dans les laboratoires ? La seule solution est une création massive d’emplois titulaires d’enseignant.e.s chercheur.e.s »
      (Non)-réponse : les communautés doivent s’organiser. Toutes les missions des EC doivent être prises en compte pour l’avancement. Quand un.e chercheur.e gagne un projet, tout le labo en bénéficie. Bref, rien sur la question de l’emploi titulaire.
      Une autre question revient dessus : que prévoyez-vous pour l’#emploi_titulaire ? La moitié des cours, dans certains départements, sont donné.e.s par des vacataires. Et encore une autre : le nombre de postes permanents ne cesse de baisser, comment on fait ?
      La solution de Vidal : refinancer la recherche avec des #contrats_d'objectifs-moyens, pour donner de la #visibilité aux établissements, mais c’est ensuite à chaque établissement de définir sa politique d’emploi. « Les emplois, ce n’est pas mon travail », dit la ministre.
      La loi va fixer un plancher de #recrutements, mais je ne vais pas annoncer des postes, dit la ministre. Elle rappelle que le précédent gouvernement a annoncé 5000 postes, et aucun n’a été créé. La solution : des contrats avec les établissements, et plus de #post-docs plus longs.
      Les doctorant.e.s financé.e.s ne sont pas des #précaires, pour Vidal. « Quand on est doctorant, on est étudiant ». La seule chose que fait le contrat doctoral, c’est de permettre à des étudiant.e.s « de ne pas travailler à côté de ses études »
      Enfin, Vidal réitère que la solution face à la #précarité, ce n’est pas l’emploi titulaire, mais des #CDI financés projet après projet, qui, à la différence des #fonctionnaires, pourront se faire virer si nécessaire (pardon, elle parle de « #rupture_de_contrat »)
      Un collègue demande comment il fait pour bosser alors qu’il n’a même pas de bureau. Air surpris de la ministre, qui répond directement « non mais je vais pas m’occuper d’attribuer des bureaux » et « Vous n’avez qu’à aller au campus Condorcet ». Le mépris.

      https://twitter.com/SamuelHayat/status/1232223691750113285

      Vous pourrez trouver ici la vidéo de l’interpellation de la ministre, le récit plus complet de l’action et des annonces faites, ainsi que la lettre qui a été lue et distribuée :
      https://universiteouverte.org/2020/02/25/interpellee-par-les-facs-et-labos-en-lutte-vidal-precise-les-orie
      https://www.youtube.com/watch?v=P-6dZghVhS0&feature=emb_logo

    • Comme dit un collègue :

      Le gouvernement va vite, très vite ...
      Le décret relatif au « #contrat_de_projet » dans la fonction publique est paru au Journal officiel (27.02.2020) :

      https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041654207&categorieLien=id

      A mettre en lien avec ces paroles de la ministre #Vidal :

      "La grande majorité des transformations sera faite par #circulaires, de toute façon. La LPPR visera juste à faire sauter les #verrous_législatifs.

      https://seenthis.net/messages/827430#message827565

      Ils ne sont pas #en_marche, ils sont #au_galop !

    • L’Assemblée adopte le vrai - faux engagement de #revalorisation des enseignants

      Peut-on imaginer des députés adopter un article en sachant qu’il est inconstitutionnel ? Peut-on imaginer une majorité promettre solennellement une mesure sociale à travers un texte sans valeur juridique ? Non. C’est pourtant ce que la majorité a fait à l’Assemblée nationale le 24 février en adoptant deux amendements qui inscrivent dans un nouvel article de la loi retraite l’engagement de faire une loi de programmation sur la revalorisation des enseignants. Or, depuis l’avis du Conseil d’Etat sur cette loi, on sait que cette disposition est anticonstitutionnelle. Les députés de la majorité ont adopté un article en sachant qu’il viole la constitution. Et ils s’engagent solennellement vis à vis des enseignants à rien.

      Que faire de la promesse de loi de programmation ?

      On le sait. Les alinéas 14 et 15 de l’article 1er de la loi sur les retraites mentionnaient un engagement gouvernemental pour la revalorisation des enseignants. « Le Gouvernement s’est engagé à ce que la mise en place du système universel s’accompagne d’une revalorisation salariale permettant de garantir un même niveau de retraite pour les enseignants et chercheurs que pour des corps équivalents de même catégorie de la fonction publique... Cet engagement sera rempli dans le cadre d’une loi de programmation dans le domaine de l’éducation nationale et d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche ». Or l’avis du Conseil d’Etat sur ce projet de loi estime que cette disposition est anticonstitutionnelle, une loi ne pouvant contraindre le gouvernement à déposer un autre projet de loi.

      Face à ce constat, la majorité a déposé plusieurs amendements. Ainsi, M Naegelen et des députés UDI ont pris au mot le gouvernement et proposé de retirer les alinéas 14 et 15 pour les remplacer par une mention garantissant le maintien des pensions au niveau d’avant la loi. Mme Rilhac proposait de remplacer les alinéas par une formule bien vague demandant au gouvernement de « mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires à la réussite de cet engagement ».

      Deux amendements LREM réparent l’article 1 et créent un nouvel article

      Finalement c’est la formule proposée par le rapporteur LREM, M. Gouffier-Cha qui a été retenue. Un premier amendement (9998) propose de supprimer les deux alinéas. Un second (10 000) crée un article venant après l’article 1 reprenant le texte initial de la loi. « La mise en place du système universel de retraite s’accompagne, dans le cadre d’une loi de programmation, de mécanismes permettant de garantir aux personnels enseignants ayant la qualité de fonctionnaire et relevant des titres II, III et VI du livre IX du code de l’éducation une revalorisation de leur rémunération leur assurant le versement d’une retraite d’un montant équivalent à celle perçue par les fonctionnaires appartenant à des corps comparables de la fonction publique de l’État. Les personnels enseignants, enseignants chercheurs et chercheurs ayant la qualité de fonctionnaire et relevant du titre V du livre IX du code de l’éducation ou du titre II du livre IV du code de la recherche bénéficient également, dans le cadre d’une loi de programmation, de mécanismes de revalorisation permettant d’atteindre le même objectif que celui mentionné au premier alinéa du présent article. »

      « N’avez vous pas honte ? »

      Le ministre L. Pietraszewski parle « d’un engagement clair du gouvernement » et rappelle les « 500 millions pour 2021 » annoncés par JM Blanquer. La député Mme Rilhac (LREM) dit que « demain on veut atteindre 2000 euros par mois dès les 5 premières années d’enseignement ». La députée LREM Sylvie Charrière dit « qu’on peut pinailler sur l’histoire de la constitutionnalité, mais en attendant le geste est important, fort, c’est une loi de programmation et c’est 10 milliards qui seront sur la table ».

      En réalité, par ce moyen, la majorité sauve l’article 1 de son projet de loi. Mais il ne fait aucun doute que le Conseil constitutionnel n’annule le nouvel article créé par cet amendement. Les députés de la majorité ont en toute connaissance de cause adopté un article de loi anticonstitutionnel. Ils ont en même temps pris un engagement solennel envers les enseignants en sachant pertinemment que le Conseil constitutionnel les délivrerait de cet engagement.

      « Vous pourriez aussi bien marquer vos promesses aux enseignants de bottes de 7 lieues que ça aurait la même valeur », ironise JL Mélenchon devant l’Assemblée. « N’avez vous pas honte de dire aux français que vous allez adopter un amendement dont vous avez la certitude qu’il n’a pas le début d’une portée juridique... de dire aux enseignants que vous leur promettez une augmentation alors que dans la réforme vous voterez des paramètres diminuant leur pension », s’indigne Guillaume Larrivé (LR).

      Une journée historique

      « Nous serions heureux que M. Blanquer, ministre de l’éducation nationale, vienne s’expliquer sur ce point devant la représentation nationale », a déclaré M Juanico (PS). « Sachez cependant que, pour compenser la baisse de pension des enseignants, il faudrait non une prime mensuelle de quatre-vingt-dix à cent euros, mais une augmentation de traitement de 1000 à 1500 euros, en salaire et en revalorisation du point de la fonction publique – soit 10 à 12 milliards de masse salariale en plus. Puisque vous prévoyez d’ajouter seulement 500 millions en 2021 au budget de l’enseignement, notamment de l’enseignement supérieur et la recherche, nous sommes loin du compte. Nous souhaitons obtenir des explications, car beaucoup d’enseignants nous interrogent sur la revalorisation de leur traitement et la compensation de la diminution de leur pension ».

      « Durant le précédent quinquennat, le régime de prime des enseignants du premier degré a été aligné sur celui des enseignants du second degré ; en outre, le protocole PPCR – parcours professionnels, carrières et rémunérations – a été adopté, après deux ans de négociation avec les partenaires sociaux. Or vous n’avez eu de cesse de repousser son application, en 2018. Ainsi, avec ces projets de lois de programmation, vous rendrez aux enseignants en 2021 ce que vous leur devez depuis cette date », explique B Vallaud (PS).

      « Cela fait trois discussions budgétaires que, systématiquement, les députés de la gauche de l’hémicycle vous demandent de créer davantage de postes d’enseignants, et d’augmenter leurs rémunérations. À chaque fois, vous nous avez expliqué que ce n’était pas possible. À chaque fois, vous avez convenu qu’ils étaient peut-être moins bien payés que dans les autres pays européens, tout en refusant d’y voir un vrai problème. Or aujourd’hui vous prenez des airs de sauveur en annonçant que vous augmenterez leurs salaires. Vous prétendez en plus que la mesure n’a rien à voir avec la réforme des retraites ! Cela ressemble à une supercherie », dit Ugo Bernalicis (LFI). « Des promesses comme celles-ci figurent aux alinéas 14 et 15 de l’article 1er ou à l’article 1er bis, cela ne change rien : c’est une manœuvre pour inciter les enseignants à ne plus manifester et à cesser de se mobiliser contre votre projet pourri. »

      La journée du 24 février est historique. Le premier article de la loi retraite est adopté. Surtout on aura vu des députés voter un texte contraire à la constitution et inscrire dans une loi un engagement qui sera détruit dans quelques mois par le Conseil constitutionnel. Quel adjectif pour cette pratique politique ?

      http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2020/02/18022020Article637176555371040344.aspx
      #constitutionnalité

    • La LPPR, sa communication et la politique de la recherche. À propos d’une tribune, d’un communiqué et d’une interview

      Voilà plusieurs semaines que l’ensemble les directions de laboratoires, des instances scientifiques du Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et du sont vent debout contre les annonces des groupes de travail qui ont préparé la future Loi de Programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), plusieurs d’entre nous avons été surpris·es de découvrir que le CNRS utilisait son compte Twitter non pas pour communiquer sur l’ensemble des prises de position publiques de ses instances, pourtant remarquables par leur unanimité, mais pour faire connaître une pétition en faveur de la LPPR. C’est l’occasion de revenir sur ce contrefeu (1) et reproduire l’entretien que le président du Comité national de la recherche scientifique Olivier Coutard (2), a offert au journal d’entreprise CNRS info.
      1. Contrefeu : les émérites au secours des directions des EPST

      Le 20 février 2020, le compte Twitter du CNRS informe la communauté de la parution d’une tribune dans un quotidien sous péage. Le texte, très court — 1440 caractères — peut être intégralement lu sans payer.
      « La communauté scientifique attend un engagement financier
      fort et durable pour la recherche »

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      Monsieur le Président de la République,

      vous avez annoncé, le 26 novembre 2019, votre intention de porter la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD) à 3 % de notre produit intérieur brut. Pour la seule partie publique, cela représente une augmentation de plus de six milliards d’euros qui, dans le contexte actuel que nous connaissons tous, est une somme très importante. Mais le besoin est là, et l’urgence est manifeste. Plusieurs pays ont fait de la science une priorité. Vous l’avez affirmé vous-même pour la France : « Tous nos défis ont besoin de science et de technologie pour les relever ».

      C’est une question de souveraineté et, en cela, la France doit se donner les moyens de garder sa place sur la scène internationale. Nous avons besoin d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche, définie par rapport aux défis qui nous font face et correspondant à nos attentes et nos besoins. Comme vous le savez, il existe une inquiétude dans la communauté scientifique face à des informations qui sont encore fragmentaires.

      Sans présumer de la rédaction finale de la loi, nous tenons à vous affirmer que la communauté scientifique soutient l’idée d’une loi de programmation et attend un engagement financier fort et durable pour la recherche. Elle saura répondre aux enjeux pour notre pays. Cette loi marquera votre engagement et celui de la France sur la durée. Elle doit avoir des effets tangibles dès 2021.

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      En substance, les 180 signataires demandent plus d’argent pour la recherche. Soit. Si possible de un financement pluriannuel. Re-soit.

      De là à vouloir la loi de programmation pluriannuelle de la recherche telle que les rapports des groupes de travail préparatoires la préfigurent, il y a un pas qu’on ne peut .franchir sans examiner le dispositif de signatures et l’environnement éditorial1

      Mettons de côté d’emblée la pétition associée à la tribune du Monde : les quelques 200 signataires, quatre jours après le lancement de la pétition fait peine à voir, d’autant qu’elle mêle aussi bien des citoyen-nes, des industriels et des scientifiques qui, tels cet Arnaud Pothier.

      180 signataires de la tribune, répartis par âge et par sexe (Crédit : PGE)

      La pétition émane-t-elle bien des « premiers signataires », comme il est courant dans un cas de péitionnement ? On peut s’interroger sur le profil des premiers signataires, bien hiérarchisés entre « Prix Nobel, Médaille Fields, Médaille d’or du CNRS » ; « Responsables d’institutions, organismes et universités » : et « Membres de l’Academié des sciences ». Le premier groupe a une moyenne d’âge de 75 ; le second, 66, le troisième 72. Le membre le plus jeune est Cédric Villani, qui n’est plus mathématicien, même s’il est bien médaillé Fields ; le plus âgé, Claude Lévi, professeur honoraire au Muséum national d’histoire naturelle, a 98 ans. Parmi ces signataires du troisième âge avancé, seules 15% de femmes. Le moins que nous puissions dire, c’est qu’à l’exception du groupe des Responsables, il s’agit de personnes qui ont quitté depuis longtemps, en moyenne plus de 5 ans le monde professionnel de l’enseignement supérieur et de la recherche et qu’ils ou elles en perçoivent difficilement les raisons de l’« inquiétude » de personnel à l’emploi très dégradé.

      À tout le moins peuvent-ils ou elle s’accorder sur le besoin de financement de la recherche à hauteur de 3% du Produit intérieur brut, soit un engagement financier durable dans la recherche, sans s’intéresser aux à-côtés dont les groupes de travail nous ont proposé, en particulier en matière d’emploi précarisé.

      Du côté des Responsables, en dépit d’une meilleure homogénéité de classe d’âge (entre 55 et 65 ans), c’est pourtant l’hétérogénéité qui questionne. Au sein des membres de la CURIF,qu’y a-t-il de commun entre un président d’université fraîchement élu par ses pairs, comme Éric Berton (Aix-Marseille Université) ou Yassine Lakhnech (Université de Grenoble Alpes) — dont les positions sont rapportées comme peu éloignées de celles de leurs collègues unanimes, et les présidents à la manoeuvre dans la conduite d’une olitique inégalitaire d’université de recherche vs. université de 2e ordre, comme Jean Chambaz, Sorbonne Université, récemment invité sur France culture, et Manuel Tunon de Lara, Université de Bordeaux, co-auteur du rapport du 2e groupe de travail sur l’attractivité de l’emploi scientifique ?

      Ces derniers ont sans doute plus de proximité avec les apparatchiks du MESRI, qui se déplacent d’un poste de direction à l’autre depuis dix ans, comme Philippe Mauguin, président de l’INRA depuis 2015, qui accompagnait Frédérique Vidal lors de son discours à la cérémonie des vœux du 21 janvier 2020, Alain Fuchs, ancien Pdg du CNRS (2010-2017), qui a mis en œuvre la dégradation consciete de l’emploi pérenne d’abord che les ITA, Antoine Petit, connu pour ses prises de positions élégantes en faveur d’une loi « darwinienne », contre le « bois mort » de la recherche ou encore ses amateurs incapables de jouer la « Champion’s League », L’attelage de ces Responsables, plus ou moins complètement déconnectés des activités d’enseignement supérieur et de recherche, laisse songeur.

      Fallait-il sauver le soldat LPPR par une tribune signée par des figures reconnues mais retraitées ? Ou par un communiquépublié le 24 février 2020, La CPU en phase avec les orientations du projet de loi sur la recherche vide de contenu, ne reposant sur rien, puisque le texte n’est pas connu ? On peut se le demander. Ce texte a continué à froisser la communauté, qui demande de façon constante et publique depuis plus d’un an des financements à la hauteur d’un pays comme la France et une vaste campagne de recrutement. Et surtout, comme l’écrit Olivier Coutard, le président du Comité national de la recherche scientifique — non plus sur Le Monde et le compte Twitter du CNRS, mais dans le Journal du CNRS, non plus en 1500 signes, mais en 15 000 signes — une concertation sincère sur la politique de recherche du MESRI est devenue absolument indispensable.

      2. Olivier Coutard – « Pour une concertation sincère sur la LPPR »

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      Le président de la Conférence des présidents du Comité national (CPCN) revient sur son action à la tête de cette instance de représentation de la communauté scientifique. Face aux inquiétudes exprimées dans les laboratoires, Olivier Coutard plaide pour “une concertation sincère” sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche.

      Quel bilan tirez-vous du fonctionnement de la Conférence des présidents du Comité national (CPCN) après trois années d’exercice de sa présidence ?

      Olivier Coutard : Presque trois ans et demi même… Le premier aspect que j’aimerais souligner, c’est l’engagement remarquable des présidentes et présidents de sections et de commissions interdisciplinaires depuis le début de la mandature. Lors de notre dernière réunion mi-janvier par exemple, les trois quarts des membres de la CPCN étaient présents et la plupart des autres étaient représentés.

      Je ne doute pas que cet engagement perdurera jusqu’à la fin de la mandature. Mais j’en profite pour souligner que ces mandats, qui sont passés de quatre à cinq ans, sont des mandats lourds, même si cette durée de cinq ans a été pensée pour permettre aux sections, au gré des cinq vagues de contractualisation, d’évaluer l’ensemble des unités de recherche relevant de leur périmètre.

      Sur un plan général, il me semble que la CPCN remplit et remplit bien, ses trois grandes missions, à savoir, en premier lieu, l’échange entre les sections et les commissions interdisciplinaires (CID), qui facilite l’adaptation coordonnée de nos instances à un contexte réglementaire et institutionnel en constante évolution, tout en préservant la diversité des pratiques propres à chaque discipline ou champ de recherche. Le dialogue avec la direction du CNRS, qui constitue la deuxième mission, fonctionne bien à mon sens. Enfin, la CPCN s’acquitte d’une fonction non statutaire mais précieuse de représentation de la communauté scientifique nationale.

      Sur ce dernier point, j’avais indiqué dès ma prise de fonction que, selon moi, les positions publiques de la CPCN seraient d’autant plus fortes qu’elles reposeraient sur un consensus très large entre ses membres. C’est ainsi que toutes les motions adoptées par la CPCN depuis le début de la mandature l’ont été à l’unanimité, ce qui tend à prouver que les positions ou les préoccupations qu’elle exprime sont très largement partagées.

      Vous faites référence à vos motions sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche ?

      C. : Pas seulement.

      Notre première prise de position notable a été de faire paraître dans Le Monde début décembre 2018, une tribune dans laquelle nous nous inquiétions de la baisse, décidée par la direction du CNRS, du nombre de postes ouverts au concours chercheurs : 250 au lieu de 300 les années précédentes et même 400 à la fin des années 2000 ! Nous étions et nous restons très préoccupés par cet étiolement programmé, pour reprendre les termes que nous avons employés dans cette tribune.

      Suite à l’annonce par le Premier ministre, en février 2019, de la mise en chantier d’une loi de programmation pluriannuelle de recherche (LPPR), la CPCN, les Conseils scientifiques d’instituts (CSI) et le Conseil scientifique (soit plus de 1100 collègues au total) ont établi ensemble un diagnostic de la situation de la recherche publique en France, assorti de propositions prioritaires. Ces éléments ont été consignés dans un document solennellement approuvé lors de la session extraordinaire du Comité national le 4 juillet dernier.

      J’ajoute qu’une tribune publiée il y a quelques jours dans Le Monde et appelant à mettre en œuvre les propositions du Comité national, a déjà reçu le soutien de plus de 700 directrices et directeurs d’unités, dont plus du tiers des directrices et directeurs d’unités mixtes de recherche (UMR).

      Quant aux groupes de travail mis en place par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), leur diagnostic et leurs propositions recoupent les nôtres sur un certain nombre de points, mais en diffèrent sur des aspects majeurs. La question qui se pose est donc de savoir quelles propositions seront retenues dans la loi.

      Soutenez-vous la demande qui a été exprimée en faveur d’un « moratoire » de la loi et de la tenue d’états généraux ?

      C. : Nous subissons aujourd’hui une sorte de moratoire de fait. En effet, alors que les réflexions et travaux préparatoires à la loi ont été initiés il y a un an, nous ne disposons toujours pas d’une première version du projet de loi et la date de présentation de ce texte a été déjà reportée plusieurs fois. Je ne crois pas que ce soit une bonne chose, car cela nourrit les inquiétudes de la communauté scientifique. À titre personnel, je ne suis donc pas favorable à un moratoire prolongé. Je plaide plutôt pour une concertation sincère, aussi rapidement que possible, autour des principales dispositions du projet de loi. J’insiste sur le terme « sincère » car il est essentiel que les attentes très largement exprimées par la communauté scientifique soient véritablement prises en compte.

      Évidemment, les chercheurs ne sont pas les seuls à avoir leur mot à dire sur la politique de recherche de la nation. Mais pour réaliser les ambitions fortes exprimées par le président de la République — et l’on ne peut que se réjouir que l’État ait des ambitions en matière de recherche ! —, une large et profonde adhésion de la communauté scientifique est indispensable. Or force est de constater que cette adhésion n’est pas acquise pour l’instant. Au contraire, une vive inquiétude s’installe parmi les personnels de l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), toutes disciplines confondues.

      Comment comprendre cette fronde montante contre un projet qui n’est pas encore écrit ?

      C. : Quelle que soit la manière dont les groupes de travail du MESRI ont travaillé, certaines de leurs propositions apparaissent en décalage important par rapport aux principales attentes exprimées par la communauté et ne semblent pas à-même de résoudre les difficultés identifiées. De surcroît, les déclarations du président de la République et les premières annonces de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation ont mis en avant des dispositifs comme les tenure tracks ou les « CDI de mission scientifique » qui sont largement rejetés par les chercheurs et unanimement considérés comme secondaires, compte tenu du besoin de création de postes permanents. Si quelques mesures fortes et d’application immédiate ne viennent pas rassurer la communauté scientifique, la contestation se renforcera. Beaucoup craignent une loi qui « détricoterait » dès maintenant le statut des personnels de recherche et ce qui reste de fonctionnement collectif et collégial et qui annoncerait des moyens financiers pour plus tard peut-être, alors même que le gouvernement aurait pu amorcer le refinancement de la recherche sans attendre le passage de la LPPR.

      Or, quelles sont les attentes de la communauté scientifique ? De l’argent, d’abord, dans les laboratoires, des postes de personnels permanents, de la confiance permettant une simplification forte des procédures administratives. Certaines déclarations générales du président de la République et de membres du gouvernement semblent aller dans le sens de ces attentes, notamment en termes de financement et de simplification. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que pour l’instant les rares mesures concrètes qui ont été évoquées sont très décevantes. Le redéveloppement de l’emploi statutaire n’est pas évoqué, tout au plus sa stabilisation – à un niveau toutefois historiquement bas et dramatiquement insuffisant, toutes catégories de personnels confondues : chercheurs, enseignants-chercheurs, personnels d’appui. Rien n’est dit non plus sur le refinancement des laboratoires et des établissements hors réponses à appels à projets. Les montants financiers évoqués pour la revalorisation des rémunérations sont d’un ordre de grandeur dérisoire par rapport à ce qui, de l’avis général, serait nécessaire. Ainsi, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation évoque dans une tribune parue dans Le Monde le 10 février « une première enveloppe de 92 millions d’euros pour engager la remise à niveau salariale de l’ensemble des métiers de la recherche », alors même que le groupe de travail qu’elle a mis en place estime les sommes nécessaires entre 2 et 2,4 milliards d’euros supplémentaires par an (hors compensations, le cas échéant, des effets de la réforme engagée des retraites). Enfin, le discours sur l’évaluation, très ferme dans ses intentions et très vague dans ses modalités, hormis l’apparente « reprise en main » du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERES), suscite une vive inquiétude, aggravée par le contexte.

      Le 26 novembre dernier, le président de la République a évoqué la nécessité de revoir l’évaluation de la recherche et des chercheurs. Qu’en pensez-vous ?

      C. : En indiquant qu’il entendait « assumer une politique d’évaluation qui ait des conséquences », le président de la République a suggéré que les évaluations existantes sont sans effet. Ce n’est pas le cas. S’agissant des personnes, l’évaluation de l’activité professionnelle, tous métiers confondus, détermine la progression de carrière. Je voudrais souligner au passage que pour les chercheurs et les chercheuses du CNRS, les évaluations effectuées par le Comité national s’attachent à prendre en compte l’ensemble des activités des collègues et s’inscrivent ainsi pleinement dans les recommandations du nouveau Contrat d’objectifs et de performance (COP) du CNRS en la matière.

      S’agissant des collectifs (équipes, laboratoires), l’évaluation quinquennale des unités est, il est vrai, un processus lourd qui mobilise les membres de ces unités et dont le « retour sur investissement » si j’ose dire, peut être décevant. Les rapports d’auto-évaluation pourraient sans doute présenter plus explicitement qu’ils ne le font la plupart du temps, les principaux apports à la connaissance scientifique de l’unité pendant la période évaluée, en entrant davantage dans le contenu de la science produite. Cela permettrait en retour aux comités d’évaluation du HCERES et aux sections du Comité national, de centrer davantage leur évaluation sur ces apports.

      Cependant, même dans l’hypothèse où l’évaluation serait systématiquement centrée sur un examen approfondi des apports scientifiques de l’équipe évaluée, le lien mécanique parfois suggéré entre évaluation et attribution de moyens pour les années qui suivent, comporterait davantage d’effets pervers que de bénéfices. Cette vision repose en particulier sur l’idée erronée que les innovations scientifiques futures proviendront essentiellement, voire exclusivement, des équipes (et des personnes) ayant déjà innové dans le passé. L’histoire des sciences montre que ce n’est pas le cas. Les percées sont souvent le fait d’équipes composées de professionnels de haut niveau, très bien formés et très engagés dans leur métier, mais qui ne se sont pas nécessairement distingués auparavant.

      Les craintes suscitées par les déclarations du président de la République, mais aussi par celles de son conseiller recherche, Thierry Coulhon, candidat à la présidence du HCERES, ont amené plusieurs sections du Comité national — dont celle que je préside — à annoncer la rétention de leurs propres rapports d’évaluation et à encourager celle des rapports produits par les comités d’experts du HCERES. Il ne s’agit pas d’exprimer une défiance vis-à-vis du fonctionnement actuel du HCERES, qui représente une amélioration considérable par rapport à celui de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) qui l’a précédé, mais encore une fois, de signaler une inquiétude par rapport aux orientations envisagées ou évoquées en matière d’évolution de l’évaluation scientifique et de ses usages.

      Le Comité national produit au cours de chaque mandature un rapport de conjoncture. Quel est la tonalité du prochain rapport ?

      C. : Le débat sur la LPPR et l’élaboration des contributions du comité national dont nous avons parlé, ont quelque peu ralenti le processus d’élaboration du rapport de conjoncture, mais celui-ci est en cours d’achèvement. Il confirme largement et précise le diagnostic posé par le Comité national au printemps. À titre d’exemple, je voudrais évoquer ici les conséquences du déclin démographique du personnel statutaire. Avec une baisse de 40 % en dix ans des postes de chercheurs ouverts au concours, la diversité des recrutements opérés est de plus en plus limitée. La capacité à recruter des profils originaux et donc plus risqués, est obérée au bénéfice de profils également très solides mais plus « rassurants » parce que situés davantage au cœur des disciplines ou des domaines de recherche des sections. C’est par construction moins vrai pour les commissions interdisciplinaires, mais là encore la diversité des recrutements est amoindrie.

      Or, la recherche a besoin de profils divers, certains au cœur et d’autres à la marge des domaines de recherche établis. En outre, des champs nouveaux émergent. Je pense en particulier à tout ce qui a trait aux données massives, leur collecte, leur stockage, leur exploitation et leur analyse. Des besoins de compétences dans ce domaine s’expriment dans toutes les disciplines scientifiques, tant en matière de recherche que d’appui à la recherche. Il est profondément regrettable qu’un opérateur majeur comme le CNRS n’ait pas les moyens (en termes de recrutement, d’équipement et de financement) d’y répondre de manière adéquate.

      Par ailleurs, le rapport de conjoncture comprendra une réflexion et des propositions sur les biais de genre dans les recrutements et les carrières et sur la science ouverte, deux sujets auxquels la direction du CNRS nous a demandé de porter une attention particulière. Sur le premier thème, le Comité national partage pleinement la préoccupation de la direction sur les biais de genre qui perpétuent des différences entre les carrières professionnelles des femmes et celles des hommes. Nous nous interrogeons sur l’ensemble des leviers sur lesquels les sections et CID peuvent jouer, y compris en amont de l’évaluation des demandes de promotion, pour contribuer à réduire ces inégalités. Il conviendrait aussi de s’interroger sur les raisons qui font qu’au CNRS la proportion de chercheuses (tous grades confondus) stagne à environ un tiers. En 10 ans, entre 2007 et 2016, elle est passée de 32 à 34 % ; à ce rythme-là, s’il se maintient, la parité entre chercheuses et chercheurs sera atteinte vers 2100.

      Certains constats issus du rapport de conjoncture vous ont-ils surpris ?

      C. : Oui. Je citerai deux exemples. J’ai été surpris, tout d’abord, de constater que très peu de rapports de sections évoquent le rôle de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (MITI) du CNRS, alors que tous soulignent l’importance grandissante de l’interdisciplinarité dans les pratiques à l’œuvre dans leurs champs de recherche. Cette faible visibilité est étonnante et constitue d’une certaine manière une énigme que nous allons nous attacher à élucider.

      Autre surprise, les sciences citoyennes sont également peu évoquées. Or nous savons que des formes très diverses de collaboration entre chercheurs professionnels et membres de la société civile se développent, de même d’ailleurs que les pratiques scientifiques amatrices. Ces évolutions sont porteuses d’enjeux considérables sur la place de la connaissance scientifique et des chercheurs dans la décision publique, dans l’action collective et plus largement dans la société. Ce sujet mérite donc également d’être examiné de plus près.

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      Pour conclure cette briève analyse des stratégies de communication, on peut remarquer que la communication du MESRI et de ses partenaires responsables d’EPST, des universités « de recherche »n’est pas optimale : en retard, avec une couverture presse ridicule — comparée, par exemple, à l’opération « Pages blanches » des Revues en lutte — avec des éléments de langage sans contenu ou si pauvres qu’ils n’intéressent plus personne, au point où même l’équipe de communication du CNRS se tourne vers celles et ceux qui peuvent proposer une réflexion approfondie, comme Olivier Coutard, Isabelle Saint-This ou Marie-Sonnette.

      Sans trop se tromper, on peut dire que les responsables de l’ESR ont déjà perdu la bataille de la communication. C’est un début.❞

      https://academia.hypotheses.org/16986

    • La Ministre confirme : la LPPR a déjà eu lieu

      Dans le cadre des journées Sciences humaines et sociales (SHS) organisées par l’Agence nationale de la recherche les 25 et 26 février, des chercheur.es et enseignant.es-chercheur.es en lutte sont intervenu.es pour interpeller la ministre sur la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), le financement de la recherche et la politique de l’emploi scientifique. Nous avons suivi la chronique de cette rencontre fort instructive sur le fil Twitter de Samuel Hayat, qu’il a complété avec un compte rendu. Nous l’en remercions.

      https://www.youtube.com/watch?v=P-6dZghVhS0&feature=emb_logo

      Les orateurs et oratrices ont distribués le texte de leur « Lettre ouverte de lauréat.e.s de projets ANR, lue à l’occasion des journées SHS de l’ANR des 25 et 26 février 2020 » destinée à la Ministre. Les lauréat·es ont souligné la nécessité de financements récurrents, l’ampleur croissante du nombre et des catégories de travailleuses et de travailleurs précaires, avec son cortège de post-docs limités sur projet, de contrats courts et de stagiaires de recherche, et souligné combien cette politique dégradant l’emploi pérenne, venait à l’encontre des besoins impérieux de nos universités et centres de recherche. Augmenter la compétition, accroître la précarité, multiplier les évaluations, comme promet de le faire le projet de Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), nuit considérablement à la qualité de la recherche faite en France.

      À la suite de cette intervention, Frédérique Vidal a précisé le contenu de la LPPR, confirmant ainsi les pires craintes des personnel.le.s et usager·es de l’ESR mobilisé.e.s. Selon la ministre, il faut renoncer à l’objectif, qualifié d’« incantatoire », de 3% du PIB pour la recherche, au profit d’une démarche de « refinancement », de « sécurisation de l’investissement » et de contractualisation. Pour favoriser « l’attractivité » (qui est pourtant un faux problème si l’on considère le nombre de candidat.e.s par poste, parfois plus de 100), Frédérique Vidal a réaffirmé qu’elle donnerait quelques miettes aux nouveaux/lles recruté.e.s : une minuscule augmentation de la rémunération à l’entrée en fonction.

      Quant à la part la plus importante de l’investissement pour la recherche, elle viendra en réalité clairement de deux sources. D’un côté, la ministre souhaite renforcer l’ANR pour la mettre au niveau des agences de financement des autres pays (évidemment présentés comme des modèles de performance). Pour cela, elle entend réaffecter les crédits des laboratoires pour soutenir les dépôts de projets – en échange de quoi une partie de l’argent bénéficierait aux laboratoires dans leur ensemble. Cela ne fait que confirmer la logique de financement conditionnel des unités de recherche, qui accentuera encore les inégalités entre laboratoires riches et pauvres, contre la nécessité d’un financement public, égalitaire, récurrent et inconditionnel. D’un autre côté, il s’agit pour Frédérique Vidal de favoriser les investissements privés, pour arriver à deux tiers du financement de la recherche sur fonds privés. Elle feint ainsi d’ignorer le poids déjà démesuré du Crédit d’impôt recherche, qui ponctionne 6 milliards d’euros par an au budget public, alors qu’on connaît la quasi-nullité de ses effets sur la production scientifique.

      Enfin, Frédérique Vidal a réintroduit, sous une forme euphémisée, la modulation des services. Sans officiellement mettre en question la règle des 192h équivalent TD de cours pour les enseignant.e.s chercheur.e.s titulaires, elle a annoncé vouloir multiplier les opportunités de réduction du service d’enseignement des plus “productifs.ves” : augmentation des places à l’Institut universitaire de France (IUF), du nombre de délégations au CNRS et de congés de recherche et conversion thématique (CRCT), des décharges de cours pour les porteurs/ses de projets ANR. Ces éléments pèseront davantage sur les personnels BIATSS et les collectifs enseignants (les heureux.ses lauréat.e.s de projets pourront ainsi se décharger auprès de leurs collègues non lauréat.e.s car moins chanceux.ses ou précaires, déjà à la limite du burn out), puisque la création d’emplois titulaires ne figure pas dans la LPPR. Quant aux CRCT, la ministre parle d’un « idéal » : une année sabbatique tous les sept ans. Si cela peut se présenter comme le rêve de tout.e enseignant.e chercheur.e, ce n’est pas un “idéal”, c’est un droit, pour tou.te.s les EC titulaires depuis le décret de 1984 fixant les dispositions statutaires du métier ! Même si effectivement ce droit est resté lettre morte jusqu’à présent, faute de moyens garantissant son exercice.

      Ces annonces illustrent et manifestent pleinement la logique profondément inégalitaire de la LPPR à venir. Pire encore, Frédérique Vidal a bien mis en avant que l’essentiel des transformations seraient faites par circulaires et décrets, sans examen par la représentation nationale ni débat public. Comme elle l’annonce tranquillement, la LPPR visera à « faire sauter les verrous législatifs », c’est-à-dire les quelques dispositions qui protègent encore les travailleurs/ses et usager.e.s de l’ESR de l’arbitraire total au sein des établissements et des inégalités entre établissements.

      Autant dire que la ministre n’a pas convaincu les présent.e.s. Dans la séance de questions-réponses qui a suivi son intervention, peu de questions ont porté sur les partenariats publics-privés, sur lesquelles F. Vidal est pourtant intarissable. En revanche, plusieurs collègues ont mis en avant le problème du manque d’emplois titulaires, qui menace l’existence même de certaines filières, et que la LPPR va encore aggraver. D’autres aspects de cette situation catastrophique ont été pointés, comme la part d’enseignements donnés par des non-titulaires, dont une bonne partie par des vacataires payé.e.s sous le SMIC horaire. La réponse de la ministre a été étonnante : ce n’est pas son problème ! Le ministère donne des crédits, mais c’est aux établissements de mener leur politique de recrutement. Elle rappelle à juste titre que le précédent gouvernement a annoncé 5000 postes, et qu’aucun n’a été créé. Dès lors, plutôt que de demander aux établissements d’honorer ces promesses d’emploi, la ministre préfère simplement ne plus en faire ! Plutôt qu’une véritable politique d’emploi, la ministre envisage des contrats d’objectifs et de moyens avec les établissements, pour leur donner une « visibilité ». « Les emplois, ce n’est pas mon travail », conclut la ministre. En tout cas, pas les emplois titulaires. En revanche, elle ne tarit pas d’éloges sur les post-doctorant.e.s, les CDI de projet, financé.e.s par contrats successifs, lesquel.le.s, à la différence des fonctionnaires, pourront être licenciés si nécessaire (la ministre préfère parler de « rupture de contrat »). De la précarité ? Clairement, Frédérique Vidal n’aime pas ce mot, surtout quand il s’agit des doctorant.e.s financé.e.s, qui ne sont pas des précaires, selon elle. « Quand on est doctorant, on est étudiant ». Le contrat doctoral – qui, rappelons-le, concerne une part seulement des doctorant.e.s et dont la durée n’excède pas trois annéess -, est de permettre à des étudiant.e.s « de ne pas travailler à côté de ses études » (sauf bien sûr lorsqu’il s’agit de faire des vacations pour combler le manque de titulaires).

      Bref, la ministre est apparue complètement hors-sol, qu’il s’agisse de prendre la mesure de la précarité, du manque d’emplois titulaires ou des conditions réelles de travail et d’étude. À un collègue demandant comment faire pour travailler alors qu’il n’a même pas de bureau, la ministre, décontenancée, a répondu : « Non mais je vais pas m’occuper d’attribuer des bureaux » et « Vous n’avez qu’à aller au campus Condorcet ». Qu’attendre d’autre d’une ancienne trésorière de la très sélective Coordination des universités de recherche intensive françaises (CURIF), un lobby composé des président.e.s d’université les plus « excellentes », qui pousse depuis sa création en 2008 à plus d’autonomie pour les établissements tout en accroissant la compétition entre eux (comprendre, plus de pouvoir pour les petit.e.s chef.fe.s locaux.les).

      Cet échange a eu le mérite de faire tomber les masques. La LPPR va encore aggraver le processus de transformation néolibérale des universités et des établissements de recherche et accélérer la destruction du service public. Contre la précarité, contre la réforme des retraites, contre la LPPR, il n’est pas d’autre choix que de lutter ! Alors, à partir du 5 mars, l’Université et la recherche s’arrêtent !

      https://academia.hypotheses.org/17566

    • L’#obscurantisme de l’excellence

      La loi sur la recherche risque de favoriser les « meilleurs » laboratoires en créant des grosses structures. Or des études prouvent qu’il est plus efficace de diversifier les financements.

      Tribune. Dans les mois qui viennent va être discutée la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR). Une loi ambitieuse, dont l’essence a été résumée par Antoine Petit, PDG du CNRS : il s’agira d’une loi « darwinienne ». Seuls les excellents doivent survivre : car il vaut mieux financer la recherche excellente que la mauvaise ! Il est paradoxal qu’alors que l’essence de la science est de douter des idées reçues et d’arbitrer des rationalités contradictoires par l’argumentation et la confrontation au réel, la politique de la recherche scientifique semble s’asseoir presque exclusivement sur des préjugés ou des sophismes.

      Depuis quinze ans a été engagée une transformation de la politique de la recherche pour remplacer les financements récurrents des laboratoires par des financements compétitifs sur projets. De ce point de vue-là, c’est une réussite : les chercheurs français consacrent désormais une bonne partie de leur temps autrefois consacré à leur métier à monter et à évaluer des projets dont environ un sur dix voit le jour. Alors même que l’un des buts revendiqués était de lutter contre le mandarinat, cette politique d’« excellence » a abouti à une concentration des ressources dans les mains des « excellents » car les mandarins ne sont-ils pas par définition « excellents » ? Mais ne soyons pas dogmatiques : peut-être est-ce une bonne chose ? On pourrait adopter une démarche scientifique et vérifier empiriquement si concentrer les ressources sur « les meilleurs » est un mode de gestion efficace. Or il existe des études sur ce sujet, qui concluent que la recherche suit une loi des rendements décroissants : il est plus efficace de diversifier les financements que de les concentrer en créant de grosses structures (https://arxiv.org/abs/1602.07396).

      On pourrait aussi se demander s’il est possible d’anticiper les découvertes scientifiques, qui par définition portent sur des choses préalablement inconnues, en évaluant des projets. Là encore, des études (https://elifesciences.org/articles/13323v1) se sont penchées sur la question. Elles concluent que, après une sélection grossière, l’évaluation n’est pas meilleure qu’une loterie, et en fait pire puisqu’elle introduit des biais conservateurs (contre l’interdisciplinarité, puisque l’évaluation se fait par comité disciplinaire ; contre l’originalité et le risque, puisque l’évaluation doit être consensuelle).

      Est-ce bien étonnant ? Il suffit de se pencher sur l’exemple récent de l’intelligence artificielle (IA) pour comprendre que l’idée de préfinancer la recherche « innovante » est une contradiction dans les termes. Les algorithmes qui défraient la chronique sont des variantes des réseaux de neurones artificiels conçus dans les années 80. Dans les années 90, ils ont été supplantés par des algorithmes statistiques beaucoup plus puissants (l’IA s’appelait alors plus modestement « apprentissage statistique »). Certains se sont malgré tout obstinés à travailler sur les réseaux de neurones, pourtant obsolètes, un attachement qui semblait davantage romantique que rationnel pour le reste de la communauté. Il se trouve que quelques améliorations incrémentales ont augmenté les performances de ces réseaux, pour des raisons encore incomprises. Manifestement, avant d’aboutir, cette recherche était tout sauf « innovante ». Car ce sont les conséquences des découvertes qui sont « disruptives », et non les projets eux-mêmes.

      S’il y avait une manière simple d’identifier les projets qui vont mener à de grandes découvertes, il n’y aurait pas besoin de recherche publique : ceux-ci seraient financés directement par des investisseurs privés. C’est ce qui se passe pour l’IA avec les investissements de Facebook ou Google, une fois que la recherche publique a fait émerger ces nouvelles idées. Financer l’innovation scientifique par projet, c’est une contradiction dans les termes. Ce que montrent les études académiques sur le sujet ainsi que l’histoire des sciences, c’est que la créativité est favorisée par un financement peu compétitif sur une base diversifiée, qui seul autorise l’originalité, le travail collaboratif et le temps long.

      En réalité, la compétition a toujours existé en sciences, puisque obtenir un poste académique est de tout temps difficile. Or cette compétition est fondée sur les compétences et non sur les « résultats ». Est-il bien raisonnable d’y ajouter artificiellement des compétitions supplémentaires de façon à ne donner qu’à un scientifique sur dix les moyens de travailler convenablement, lorsque l’on sait que cette sélection est arbitraire et coûteuse ? Ou de créer par appel à projets des structures bureaucratiques d’excellence dont le rôle principal est de créer de nouveaux appels à projets sur un périmètre plus réduit ? Enfin est-il bien raisonnable de remplacer les postes permanents par des postes précaires, c’est-à-dire remplacer des chercheurs expérimentés par de jeunes chercheurs inexpérimentés voués pour la plupart à changer de métier, avec pour seule justification les vertus fantasmées de la compétition ?

      Le moins que l’on puisse dire, c’est que la doctrine de l’excellence scientifique ne suit pas une démarche scientifique.

      https://www.liberation.fr/amphtml/debats/2020/02/26/l-obscurantisme-de-l-excellence_1779726

    • #Concentration of research funding leads to decreasing marginal returns

      In most countries, basic research is supported by research councils that select, after peer review, the individuals or teams that are to receive funding. Unfortunately, the number of grants these research councils can allocate is not infinite and, in most cases, a minority of the researchers receive the majority of the funds. However, evidence as to whether this is an optimal way of distributing available funds is mixed. The purpose of this study is to measure the relation between the amount of funding provided to 12,720 researchers in Quebec over a fifteen year period (1998-2012) and their scientific output and impact from 2000 to 2013. Our results show that both in terms of the quantity of papers produced and of their scientific impact, the concentration of research funding in the hands of a so-called “elite” of researchers generally produces diminishing marginal returns. Also, we find that the most funded researchers do not stand out in terms of output and scientific impact.

      https://arxiv.org/abs/1602.07396

    • « La moitié des enseignants-chercheurs ont des contrats précaires »

      « Le 5 mars, l’université et la recherche s’arrêtent ». (1) L’appel, lancé par la coordination nationale des facs et labos en lutte met en lumière le nouvel axe de mobilisation dans l’enseignement supérieur et la recherche, qui englobe aussi bien les combats contre la réforme des retraites que la précarité étudiante et le projet de loi LPPR. Cette proposition de loi vise à fixer des objectifs d’investissements dans le domaine de la recherche publique et améliorer la carrière des jeunes enseignants-chercheurs. Le JSD a rencontré Hélène Nicolas, maîtresse de conférence en anthropologie et études de genre à Paris 8, en grève reconductible depuis le 5 décembre. Interview.

      Hélène Nicolas : La LPPR, ce sont trois rapports qui en effet inquiète le milieu scientifique et universitaire. Ces trois rapports que disent-ils ? Ils constatent que la recherche et l’enseignement supérieur français décrochent, qu’il y a une précarité grandissante, un manque de démocratie… Nous, enseignants chercheurs, nous sommes d’accord avec ces constats. Ce sont les préconisations de ces rapports qui posent problème. Elles vont aggraver ces états de fait en multipliant les contrats précaires, en concentrant les moyens sur quelques universités ou laboratoires dits d’excellence et en cassant les quelques instances démocratiques qui gèrent l’université, c’est à dire qu’elle sera transformée en quelque chose de plus en plus managériale.On est là-dedans en permanence. Le PDG du CNRS, Antoine Petit a dit qu’il fallait pour la recherche une loi darwiniste et inégalitaire donc ça montre bien l’objectif de cette loi. Mais le décrochage dans le milieu n’est pas nouveau. Il est présent depuis dix ans, plus précisément depuis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) qui a amené un tournant néolibéral à la recherche. En gros, la LPPR veut accélérer dans la direction de la loi LRU.

      Le JSD : Quel est l’impact de la LPPR sur les enseignants-chercheurs et les étudiants ?

      Hélène Nicolas : Selon moi, l’impact le plus grave c’est qu’aujourd’hui, la moitié des enseignants-chercheurs qui travaillent dans les universités et les laboratoires sont des gens précaires. Ils sont rémunérés en dessous du smic horaire, sont payés tous les six mois et n’ont aucune garantie de trouver du travail à la fin de leur contrat. Les emplois titulaires se sont réduits ces dernières années alors qu’il y a de plus en plus d’étudiants et d’urgence pour les recherches de type climatique et inégalités sociales. On a de grands enjeux sociaux sur lesquels les chercheurs pourraient s’investir mais on voit que les financements pérennes disparaissent. Le problème que cela pose c’est qu’il est impossible de travailler dans de bonnes conditions avec des gens qui sont sous-payés voire qui travaillent gratuitement et qui changent de poste tous les 2, 3, ou 6 mois.

      Autre enjeu : quand on est enseignant-chercheur, on doit faire 192h d’enseignement par an, c’est le référentiel horaire. La moitié de notre temps de travail est pour l’enseignement, l’autre pour la recherche. La LPPR prévoit la suppression de ces 192h. On va donc potentiellement faire beaucoup plus d’heures en étant payé de la même manière. Plus, on va devoir réduire notre temps de recherche. Or, pour être de bons enseignants à l’université, il faut être à la pointe de ce qui se fait en recherche. Si on supprime cela, nous allons nous retrouver avec des enseignants-chercheurs qui ne seront plus que des enseignants, donc d’assez mauvaise qualité. On en arrive à l’impact sur les étudiants : avec la LPPR, il va y avoir une minorité d’enseignants-chercheurs qui auront des primes, qui pourront répondre à des projets financés ou qui vont avoir le temps de faire de la recherche et d’enseigner dans quelques pôles d’excellence. Les autres universités vont être des facultés où les cours et la recherche (si elle existe encore) vont être de seconde zone. A Paris 8, nous serons les premiers touchés car on accueille un public populaire.

      Le JSD : Plusieurs universitaires dénoncent aussi la logique « d’augmentation de la compétition » et d’inégalités qu’annonce ce projet de loi.

      HN : Avec la LPPR, il y aura en effet une petite minorité de chercheurs qui aura certainement le plus de financements. Ce seront les plus connus mais aussi ceux qui gravitent dans les réseaux de pouvoir ou dans les institutions les plus prestigieuses. Mais procéder ainsi, c’est cumuler les inégalités. Toute personne qui se trouve être extrêmement brillante sans être compétitive et qui n’accepte pas de marcher sur les autres pour mener son projet de recherche à bien va être écartée de la compétition. Ces inégalités sont valables pour les femmes. Elles pourront être compétitives si elles peuvent mettre l’ensemble de leur temps libre au service d’un projet de recherche. Or, les appels à projets demandent à travailler le soir et dans nos sociétés, ce sont les femmes qui gardent majoritairement les enfants. Le problème de la concentration des moyens, c’est qu’il est dans les mains de quelques-uns, pas quelques-unes. C’est souvent des hommes. Des hommes blancs, il faut le dire. Moins on a de procédures démocratiques, plus le pouvoir est concentré dans quelques mains et plus la capacité à exploiter les autres, à demander du travail gratuit, à faire du harcèlement moral et du harcèlement sexuel explosent. Et d’ailleurs, dans ce projet de loi, il n’y a aucun mot sur ce qui pourrait être fait pour endiguer ces phénomènes de harcèlement sexuels mais aussi ces problèmes de discriminations présents à l’université en général. On n’a aucun quota, rien qui est pensé. Aujourd’hui, on est quand même dans une société française qui a eu beaucoup de migrations. Or, il y a extrêmement peu d’enseignants-chercheurs qui ne soient pas blancs. Cela ne pose aucun problème à nos instances. Ce projet de loi ne questionne rien.

      Et puis, qui décidera des projets de recherche pouvant être financés ? Avec la LPPR, ce n’est pas un comité d’expert scientifique qui va juger de la qualité scientifique d’un projet. Ce seront des membres nommés par le gouvernement, des gens de grandes entreprises. Et bien sûr, tous les projets qui contestent la politique sociale, économique ou même écologique du gouvernement vont être en difficulté pour trouver des financements. On est vraiment dans cette idée de mettre la recherche au service du privé, au service d’un projet politique.

      Le JSD : Pour les enseignants chercheurs, la lutte contre la réforme des retraites suscite aussi pas mal d’inquiétudes… LPPR et réforme de retraites sont-elles des revendications indépendantes ?

      HN : A Paris 8, on doit être une trentaine à être en grève reconductible depuis le 5 décembre. On ne lutte pas seulement contre la LPPR mais aussi contre la réforme des retraites. Par ailleurs, à l’université, il existe deux types de personnels : les enseignants-chercheurs et les BIATOS, tous ces gens qui font tourner l’université et qui représentent en gros un peu moins de la moitié des employés. Si la réforme des retraites passe telle qu’elle est prévue, enseignants-chercheurs et BIATOS auront moins 30% sur leur pension. Chez les enseignants-chercheurs, la moyenne d’âge de recrutement est de 35 ans. Si le calcul de la retraite se fait sur l’ensemble de la carrière, il est évident que ce sera en notre défaveur. On a passé une grande partie de notre carrière à faire des études et à avoir des contrats précaires avant de trouver un emploi sérieux. On entend des gens dire « Oui, mais vous, vous allez pouvoir travailler jusqu’à 65, 70 ans. Mais à l’université, on a des maladies du travail extrêmement importantes comme le burn out qui se développent depuis dix ans. Cela est dû à toute ces injonctions contradictoires et le fait que régulièrement on nous demande de faire un temps de travail qui ne rentre pas dans la semaine.

      Le JSD : Aujourd’hui, quelles sont vos revendications et attentes pour la recherche ?

      HN : La première revendication de la coordination nationale des facs et labos en lutte, c’est un recrutement massif et pérenne de tous les précaires qui sont chez nous. Pas seulement les enseignements-chercheurs mais aussi le personnel administratif. Il y a un manque de personnel qui est frappant. Il faut absolument recruter et ce dans des conditions de travail dignes. La deuxième chose, c’est l’instauration de financements structurels. La plupart des facs comme Paris 8 ou la Sorbonne manquent de moyens : les fenêtres s’écroulent, régulièrement on n’a pas de lumière, pas internet. Il faudrait aussi construire 2 ou 3 universités en plus pour pouvoir accueillir un public étudiant qui a augmenté de façon exponentielle.
      Pour les laboratoires de recherches, nous avons également besoin de financements sur le long terme. Aujourd’hui, on passe un tiers de notre temps de travail à chercher des financements que une fois sur quatre, on n’obtient pas. C’est ridicule ! On a fait plus de dix ans d’études, on a des compétences extrêmement élevées dans nos domaines sauf que notre temps de travail scientifique est extrêmement réduit en raison de cette quête aux financements pour nos projets. La coordination des facs et labos en lutte est pour une université financée, ouverte, gratuite pour tout le monde. C’est-à-dire qu’il faut supprimer les frais d’inscriptions « exceptionnelle » pour les étudiants extra-communautaires car c’est anticonstitutionnel. L’éducation en France doit être gratuite et accessible à toutes et tous. Dans ce pays, on peut faire une recherche autonome et contradictoire. Si nos financements sont soumis aux pouvoirs politiques ou aux entreprises, c’est catastrophique non seulement en terme démocratique mais aussi scientifique. Si on n’a plus la liberté d’inventer, on ne fait plus de recherche fondamentale.

      Propos recueillis par Yslande Bossé

      https://lejsd.com/content/%C2%AB-la-moiti%C3%A9-des-enseignants-chercheurs-ont-des-contrats-pr%C3%A9cai

    • Un projet de loi contre l’avis de la recherche

      Multiplication des appels à projet, généralisation des CDD d’usage… les pistes de réforme envisagées par l’exécutif inquiètent la communauté scientifique. Les chercheurs déplorent l’absence d’engagement sur des postes pérennes.

      C’est le point névralgique du conflit social entre les enseignants-chercheurs et le gouvernement. Attendu début février, reporté fin mars voire début avril, le projet de loi de programmation pluriannuelle pour la recherche (dit LPPR) est devenu l’horizon indépassable des craintes du milieu universitaire français. Pourtant, « le texte de loi est toujours en cours d’élaboration », affirmait-on mercredi au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à Libération.

      Le projet de loi avait été annoncé dès février 2019 par le Premier ministre, Edouard Philippe, avec comme objectif de « redonner à la recherche de la visibilité, de la liberté et des moyens ». Mais l’attente autour du texte, dont l’entrée en vigueur est prévue en 2021, nourrit les inquiétudes du milieu. D’autant que, depuis la publication de trois rapports préparatoires en septembre jusqu’aux récentes prises de paroles du gouvernement, des premières orientations ont filtré.

      Le 25 février, à l’occasion des journées des sciences humaines et sociales (SHS), la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, a déclaré que l’objectif de porter le budget de la recherche à 3 % du PIB, contre environ 2,2 % aujourd’hui, était « incantatoire ». Ce qui a jeté le doute au sein de la communauté scientifique sur les réelles ambitions budgétaires. « Atteindre les 3 % reste un objectif du gouvernement », a cependant voulu rassurer le cabinet de la ministre auprès de Libération. Il faut dire que cette promesse, vieille de vingt ans, est la seule à mettre tout le monde d’accord, tant il est urgent de répondre au sous-financement chronique du secteur.
      Complexité administrative

      La ministre en a profité pour réaffirmer sa volonté de généraliser le financement du secteur par l’appel à projets, ce qui pourrait accroître les investissements par l’intermédiaire de fonds privés. « Cette logique valorise les effets d’annonce, explique la sociologue au CNRS Isabelle Clair. Elle contraint les chercheurs à orienter leurs projets en fonction des priorités définies par les organismes de financement. Au final, la recherche s’uniformise et s’appauvrit. Ce qu’on demande, ce sont des financements publics, inconditionnels et récurrents. » La mesure est aussi décriée car source de complexité administrative supplémentaire pour des chercheurs noyés sous la bureaucratie. Ce que conteste le cabinet de la ministre, qui précise que « l’un des buts de cette loi est de dégager du temps en plus pour que les scientifiques se consacrent pleinement à leurs objets de recherche ».

      Une autre crainte porte sur une innovation attendue : le recrutement par des contrats courts mais mieux rémunérés, une pratique partiellement en vigueur. D’une durée de cinq ou six ans, ces CDD d’usage appelés tenure tracks aux Etats-Unis, dont la rupture est motivée par le seul achèvement du projet en question, sont proposés à des post-doctorants en quête du graal, un emploi titulaire. « On accroît la période de précarité des jeunes chercheurs qui devront subir des évaluations tout au long du contrat sans avoir la certitude d’obtenir un poste, regrette Isabelle Clair. En dérégulant le système de recrutement, le processus de titularisation s’opacifie. C’est le statut de fonctionnaire qu’on attaque. »

      La création de postes pérennes reste le nerf de la guerre, alors que le nombre d’étudiants est en constante augmentation dans les facs. Premier mouvement social d’ampleur depuis la loi sur les libertés et les responsabilités des universités de 2007, la mobilisation intervient après des années de baisses d’effectifs des enseignants-chercheurs et des personnels techniques et administratifs, que ce soit à l’université ou dans les organismes de recherche comme le CNRS. « Les emplois, ce n’est pas mon travail », a balayé la ministre lors des journées des SHS.
      Recherche « à deux vitesses »

      Plus globalement, le milieu scientifique s’alarme de la philosophie du projet de loi qui érige la « performance » et la compétition en principes ultimes d’efficacité. La publication en novembre dans les Echos d’une tribune par le PDG du CNRS, Antoine Petit, appelant à « une loi ambitieuse, inégalitaire » et « darwinienne » n’en finit plus de mettre le feu aux poudres. Lors des 80 ans du CNRS, Emmanuel Macron enfonçait le clou en plaidant pour une évaluation qui différencie les « mauvais » chercheurs des meilleurs. Or, derrière l’accent mis sur la sélection, le milieu redoute une concentration des crédits vers les pôles dits d’« excellence », faisant courir le risque d’une recherche « à deux vitesses ». Aux chercheurs et laboratoires jugés les plus prometteurs et rentables, les gros budgets ; aux autres, les contrats courts et la précarité longue durée.

      Sur la forme, les chercheurs critiquent une conduite « blessante » de la réforme. Le ministère a confirmé à Libé qu’il s’agirait d’un « texte court, ne comportant qu’une vingtaine d’articles ». Ce qui laisse supposer que les transformations seraient faites, pour l’essentiel, par circulaires et décrets, sans concertation publique. « Le procédé est méprisant et antidémocratique, juge Isabelle Clair. La confusion entretenue autour du contenu du texte renforce notre colère. On en vient à se demander si c’est une stratégie de la part du gouvernement ou tout simplement de l’incompétence. »

      https://www.liberation.fr/france/2020/03/04/un-projet-de-loi-contre-l-avis-de-la-recherche_1780608

      Mise en avant ce ce passage :
      –-> "Le ministère a confirmé à Libé qu’il s’agirait d’un « texte court, ne comportant qu’une vingtaine d’articles ». Ce qui laisse supposer que les transformations seraient faites, pour l’essentiel, par #circulaires et #décrets, sans #concertation_publique."

    • Point sur la LPPR. Où en sommes-nous ? Que prévoient les rapports ? Dans quelle histoire de l’ESR s’inscrit cette loi ? - #Elie_Haddad, historien (CNRS), membre de SLU, 3 mars 2020

      Ce texte a fait l’objet d’une présentation publique lors d’une demi-journée banalisée à l’université de Paris Sorbonne Nouvelle le 3 mars après-midi.

      Faire le point sur la LPPR aujourd’hui, c’est prendre la mesure des évolutions depuis deux mois, ce qui nous place dans le temps très court de l’action politique et de la mobilisation. C’est en même temps resituer les enjeux de cette réforme dans un temps un peu plus long (une vingtaine d’années) de transformations de l’ESR. Retrouver la logique générale de ces transformations permet de ne pas tomber dans les pièges de la communication gouvernementale ni dans ceux des accrocs de la mise en place pratique des réformes successives, qui peuvent parfois laisser penser que celles-ci ne sont qu’improvisation et court-termisme. C’est, enfin, essayer de dégager les rapports de force au sein du pouvoir pour envisager ce qui va probablement se passer dans les prochains temps.
      Nous disposons désormais d’un peu plus d’éléments qu’il y a deux mois pour analyser la séquence dans laquelle nous nous trouvons. Outre les trois rapports préparatoires à la LPPR remis à la ministre Frédérique Vidal en septembre dernier, plusieurs déclarations faites par celles-ci sont révélatrices des enjeux actuels de la réforme. Des éléments du projet de loi dans son état de janvier ont fuité courant février. De même ont fuité certains éléments d’un rapport de l’IGF concernant l’ESR, tandis que des collègues ont à juste titre insisté surle Pacte productif lancé par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, qui a son propre agenda pour la recherche publique en France. Enfin, plusieurs décrets ont été promulgués qui touchent directement l’ESR.
      Mise en perspective rapide de la LPPR dans l’histoire récente de l’ESR

      Pour comprendre la LPPR, il faut repartir du rapport « Education et croissance » rédigé en 2004 par Philippe Aghion et Elie Cohen pour le Conseil d’Analyse Economique, rapport qui a été très bien analysé par le Groupe Jean-Pierre Vernant [1]]. Proposant une « stratégie des petits pas » visant explicitement à contourner les oppositions de la communauté universitaire à un changement radical de modèle qui mettrait l’université et la recherche au service de l’économie, oppositions qui s’étaient manifestées à plusieurs reprises et notamment lors des Etats Généraux de la recherche qui venaient d’avoir lieu, ce rapport expliquait comment parvenir à introduire les logiques du marché, de la concurrence et de la privatisation dans l’ESR sans jamais le dire clairement et en amenant les acteurs à y participer eux-mêmes. Ce rapport a constitué la feuille de route de tous les gouvernements depuis, dont ils n’ont pas dévié, quoi qu’ils aient dû faire face à nombre d’oppositions qui ont amené à transiger sur certains points, retarder certaines dispositions, compliquer les dispositifs existants pour parvenir à leurs fins.
      Ce rapport prévoyait quatre volets visant à la dérégulation et à la mise en concurrence au sein de l’ESR.
      – L’autonomie administrative des universités. La loi LRU de 2007 en a été la déclinaison renforcée par le régime des compétences élargies, qu’elle prévoyait, mises en place progressivement dans les établissements à partir de 2009. L’autonomie de gestion et le transfert de la masse salariale aux universités ont placés celles-ci dans la situation de gérer la pénurie due aux coupes dans les budgets alloués par l’Etat, lequel par ailleurs a mis en place des dispositifs d’allocations de ressources fondés sur la concurrence (Labex, Idex, Equipex…). Les structures se sont ainsi retrouvées mises en concurrence les unes avec les autres et ont en outre été amenées à conduire un vaste plan social qui ne disait pas son nom, avec tout le développement de la précarité, particulièrement dans les personnels administratifs et techniques, que nous connaissons.
      – L’autonomie pédagogique, qui consiste 1/ à mettre les universités en concurrence cette fois pour attirer les étudiants, ces derniers étant eux-mêmes en concurrence pour l’obtention des places dans les universités les mieux cotées, et 2/ à déréguler les diplômes en cassant le référentiel national qui sous-tendait toute l’architecture de ceux-ci auparavant. La loi ORE dite Parcoursup entrée en vigueur il y a deux ans, qui permet aux universités de sélectionner leurs étudiants, est un des aspects de ce dispositif, dont l’amorce avait été la multiplication des diplômes « d’excellence » au sein de certaines universités.
      – L’autonomie de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels, avec pour objectif de déréguler en grande partie les statuts, notamment celui des enseignants-chercheurs et des chercheurs, de développer la contractualisation comme mode de recrutement au détriment des postes de fonctionnaires, avec pour conséquence la liquidation des libertés académiques et de toute forme de collégialité. Des dispositifs comme la modulation de service ou l’AERES devenue HCERES avaient pour but d’amorcer ce processus mais ils ont été en partie contrés en raison des oppositions fortes en 2009-2012. La modulation de service a été assortie d’une clause obligatoire de consentement de l’intéressé et l’AERES a été privée de ses pouvoirs de sanction. C’est précisément cette « autonomie » qui est au cœur de la LPPR.
      – Le dernier volet du rapport Aghion/Cohen concerne l’autonomie financière. Plusieurs éléments sont déjà en place, les rapports préparatoires à la LPPR préconisant d’ailleurs de les renforcer. Mais l’objectif principal, le noyau dur, concerne la dérégulation des frais d’inscription, en partie en place par la multiplication des diplômes d’université. L’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants hors UE instaurée l’année dernière est une autre étape. Il n’y a aucun doute que ce sera le dernier chantier auxquels s’attaqueront les gouvernants (dans les cinq ans à venir ?).
      La LPPR : inégalité, management et autoritarisme

      La ministre l’a dit et redit, les trois rapports qui lui ont été remis ne sont pas la loi qui sera promulguée. Certes. Mais les conceptions générales sur lesquelles ils se fondent se retrouvent dans les propos tenus par Frédérique Vidal à différentes reprises et plusieurs dispositions prévues n’ont pas besoin d’une loi spécifique pour entrer en application [2].
      – C’est le cas des CDI de chantier dont la déclinaison sous forme de contrats de projet existe désormais dans la fonction publique grâce au décret du 27 février qui met en application un article de la loi PACTE d’août 2019. C’était une disposition demandée dans les rapports.
      – Par la Loi pour un État au service d’une société de confiance votée en août 2018, complétée par une ordonnance de décembre de la même année, les établissements du supérieur peuvent se regrouper en établissements expérimentaux, ce qui les autorise à déroger à la règle de la majorité du CA et, de façon dérogatoire, à exercer des prestations de service, à prendre des participations, à créer des services d’activités industrielles et commerciales, à participer à des groupements et à créer des filiales. Autrement dit, à intégrer des entreprises privées. Il y a un transfert de compétences entre les composantes du regroupement d’universités ou d’entités partie prenantes de l’Etablissement expérimental, lesquelles composantes doivent soumettre aux « instances collégiales » de cet établissement « tout ou partie des recrutements ». Ces établissements définissent eux-mêmes les modalités de désignation de leur dirigeant. Autrement dit, les dispositions permettent à ces établissements de contourner par des statuts ad hoc une bonne partie des règles publiques de leurs composantes en se rapprochant des règles d’une entreprise privée.
      – La suppression du plafond de 50% des emplois contractuels dans les établissements publics, elle aussi prévue par la loi PACTE, est entrée en application par un décret du 1er janvier 2020.
      – Le même jour, le décret d’application de l’article instaurant la rupture conventionnelle dans la fonction publique était également promulgué.
      – L’arrêté du 27 janvier 2020 relatif au cahier des charges des grades universitaires de licence et de master prévoit que « Les grades universitaires peuvent également être accordés à des diplômes d’établissements privés ». Autre mesure dont le terrain a déjà été préparé par la multiplication des stages dits professionnalisant, « Pour répondre aux exigences du marché du travail en matière d’insertion mais aussi, le cas échéant, aux besoins émergents de nouvelles filières et de nouveaux métiers, la présence de représentants du monde socio-économique au sein de l’équipe pédagogique comme l’existence de relations formalisées avec le monde professionnel concerné par la formation sont nécessaires. La mise en œuvre d’une approche par compétences, la qualité des partenariats avec le monde professionnel, la présence de modules de professionnalisation et de périodes d’expérience en milieu professionnel, ainsi que la production de projets de fiches RNCP de qualité et la construction de blocs de compétences seront prises en compte, tout particulièrement pour les formations visant spécifiquement à garantir une insertion professionnelle. »
      – Enfin les possibilités de chaires d’excellence existent déjà depuis 2009, même s’il est vrai qu’elles n’ont pas la souplesse des tenure-tracks réclamées par les rapports.

      Tous les instruments sont donc en place pour un contournement massif des statuts, une contractualisation poussée de l’emploi et un renforcement de la présence des intérêts privés au sein de l’ESR. Lors de la journée SHS de l’ANR, Frédérique Vidal a clairement affirmé que la loi à venir devrait faire sauter un certain nombre de verrous législatifs et que ce serait aux universités de décider de leur politique d’emploi. Le ministère s’en lave les mains.
      Les autres mesures annoncées consistent à accorder d’avantage d’argent à l’ANR, les projets étant l’outil pour mieux doter les laboratoires par l’intermédiaire du préciput qu’ils prélèveront sur les contrats qu’ils obtiendront. Renforcement du financement inégalitaire fondé sur la compétition pour l’obtention des crédits, donc. Enfin, Frédérique Vidal a réintroduit, sous une forme euphémisée, la modulation des services. Sans officiellement mettre en question la règle des 192h équivalent TD de cours pour les enseignant·es-chercheur·ses titulaires, elle a annoncé vouloir multiplier les opportunités de réduction du service d’enseignement des plus « productif·ves ».
      La loi telle qu’elle a fuité va un peu plus loin que ces déclarations. Les tenure-tracks y apparaissent bien, de même qu’un ensemble de dispositifs visant à simplifier les cumuls d’activité et l’introduction d’éléments du privé dans les établissements publics, de même que la ratification de l’ordonnance sur les établissements expérimentaux, l’élargissement des mobilités public-privé, l’orientation des thèmes de recherches par l’ANR.
      Ces dispositifs sont néanmoins un peu en retrait par rapport à ceux prévus dans les rapports (un effet de la mobilisation ?). On ne sait pas ce qu’il en sera de la verticalité prévue dans la décision en matière de politique de recherche scientifique. Mais l’ANR est amenée à jouer un rôle crucial en la matière, en lien direct avec une recherche à visée industrielle.
      Rien n’est dit non plus du HCERES alors qu’il s’agit du cœur du système voulu dans les rapports et que l’on sait toute l’importance qu’accorde Thierry Coulhon, pressenti à la présidence du HCERES, à l’instauration d’une évaluation managériale déterminant l’allocation des ressources à tous les niveaux de l’ESR. Le HCERES deviendrait ainsi la clé de voûte de l’ensemble de l’architecture de l’ESR, l’organe central qui jouerait le rôle de bras exécutant des décisions en matière de politique de recherche et d’enseignement supérieur qui se décideraient dans l’entourage du Premier Ministre. Moyennant quoi le Comité national de la recherche scientifique et le Comité national des universités, dernières instances collégiales réelles dans l’ESR, seraient supprimées ou vidées de leur substance.
      Je ne pense pas que le gouvernement ait l’intention de revenir là-dessus, mais il peut se passer d’intégrer ces éléments dans la loi et les faire passer, comme l’a expressément dit la ministre, par décrets et circulaires.
      De la « loi budgétaire » à la « loi des personnes »

      Pour déminer les oppositions, la ministre a d’abord affirmé que la LPPR ne serait pas une loi structurelle mais une loi de moyens, puis qu’elle ne serait pas une loi structurelle mais une loi de personnes. Ce changement de discours révèle crûment son échec : les derniers arbitrages budgétaires du quinquennat ont été faits contre elle. On peut en être certain puisque, lors des journées SHS de l’ANR, elle déclaré qu’il fallait renoncer à l’objectif, qualifié d’« incantatoire », de 3% du PIB pour la recherche, au profit d’une démarche de « refinancement », de « sécurisation de l’investissement » et de contractualisation. Cet objectif était pourtant affirmé comme essentiel par les trois rapports préparatoires et clamé partout dans l’entourage du ministère.
      Les couches dirigeantes partagent toutes les mêmes objectifs décrits plus haut ainsi que les normes devenues la doxa dans les « élites » concernant la bonne gestion (managériale, comme il se doit). Parmi les fers de lance de la réforme, on trouve la Coordination des Universités de Recherche Intensive Françaises (CURIF), association de présidents et d’anciens présidents d’université, qui représente au sein de la CPU les universités qui se pensent comme le haut du panier et croient avoir tout à gagner à ces réformes. Mais la CURIF comme les technocrates de l’ESR qui ont rédigé les rapports préparatoires avaient un combat : en échange de tant de bonne volonté en matière de réforme, il s’agissait de leur rendre la monnaie de la pièce en espèces sonnantes et trébuchantes.
      Las, à la fin, c’est Bercy qui gagne. Un autre rapport, passé inaperçu pour la bonne raison qu’il n’a pas été rendu public, rédigé principalement par l’IGF à l’automne dernier, pouvait mettre la puce à l’oreille. Bercy a sa propre idée sur l’ESR. Selon ses inspecteurs, les universités ne sont pas mal dotées mais mal gérées. La bonne gestion consiste à accroître leurs revenus propres et la contractualisation de leur masse salariale : « Le recours aux contractuels peut permettre une meilleure adaptation des effectifs aux besoins. Les personnels recrutés peuvent en effet être permanents ou temporaires, être enseignants – chercheurs, chercheurs ou enseignants ; ou bien cadres administratifs ou techniques. En outre, les universités ont une plus grande maitrise de leurs situations salariales et de carrière que pour les titulaires dans la mesure où c’est le conseil d’administration qui statue sur les dispositions qui leur sont applicables. Dès lors que la plupart des besoins peuvent être indifféremment couverts par des contractuels ou des titulaires, compte tenu de la similitude de leurs profils, l’augmentation de la proportion d’emplois contractuels dans les effectifs d’une université a pour conséquence de lui donner davantage de leviers pour piloter ses ressources humaines, sa masse salariale et son GVT. » Plus encore, pour inciter les universités à mieux se comporter (selon ses normes), Bercy demande à ce que le GVT ne leur soit plus versé, à accroître le temps d’enseignement des enseignants-chercheurs et à coupler évaluation et allocation de ressources pour distinguer les bons et les mauvais élèves. Nous y revoilà.
      En outre, par le Pacte productif, Bruno Le Maire et les hauts fonctionnaires du ministère de l’Économie et des Finances se chargent eux-mêmes du volet « innovation » de la recherche. Le Maire l’a dit expressément : « la loi de programmation de la recherche devrait être l’occasion de réfléchir à une augmentation des moyens consacrés à des programmes de recherche publique en contrepartie de leur orientation vers un développement industriel précis. »
      Il peut être confiant : son ministère a toujours été suivi par le chef de l’État et le premier ministre lorsqu’il s’agissait de trancher sur la politique à mener.

      Je voudrais finir sur une note positive. Il y a un point faible dans le système qui doit être mis en place. Il nécessite notre coopération. C’est particulièrement vrai pour le HCERES. Se retirer de toute coopération avec cette instance est une nécessité vitale tant que ne seront pas clarifiées les implications des évaluations à venir. C’est aussi vrai pour toutes les instances administratives. L’université et la recherche ne tiennent que parce que nous acceptons un investissement énorme et chronophage dans ces multiples tâches administratives que parfois nous réprouvons. Nous avons donc la possibilité de paralyser la machine à nous broyer qui est en marche.

      http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article7407

    • Quelques réponses aux questions fréquemment posées sur la loi pluriannuelle pour la recherche (LPPR)

      Nous avons reçu un courrier abondant après la publication de notre billet de désenfumage, nous posant des questions à propos du projet de loi pluriannuelle pour la recherche (LPPR), de ses initiateurs, de son calendrier ou encore des sommes en jeu. Dans ce complément au billet, nous répondons à ces questions à partir des informations dont nous disposons.

      I Quel est le calendrier prévisionnel de la LPPR ?

      Le calendrier parlementaire ne permet pas l’examen de la LPPR avant l’automne. La date avancée par la ministre, Frédérique Vidal, pour rendre public le projet de loi (fin mars-début avril) correspond à la date du probable du remaniement ministériel.

      Un examen de la loi par le Parlement à l’automne pose cependant un problème de communication à l’exécutif, puisqu’il coïnciderait avec la phase préparatoire du budget 2021, faisant apparaître explicitement l’absence de création de postes et d’augmentation du budget de l’Université et de la recherche publiques pour la troisième année du quinquennat. Rappelons qu’en 2019 et 2020, le nombre de postes pérennes mis au concours a fortement baissé et le budget n’a été augmenté que du montant de l’inflation, ne permettant pas la compensation du Glissement Vieillesse Technicité.

      II Qui soutient ce train de réformes de l’Université et de la recherche ?

      Alors que la communauté académique s’alarme du contenu des rapports préparatoires à la “grande loi darwinienne” pour la recherche et l’Université, les initiateurs et rapporteurs de la LPPR (Gilles Bloch, Jean Chambaz, Christine Clerici, Michel Deneken, Alain Fuchs, Philippe Mauguin, Antoine Petit, Cédric Villani et Manuel Tunon de Lara) ont fait paraître une pétition dans le Monde daté du 20 février 2020 :
      LA COMMUNAUTE SCIENTIFIQUE a lancé cette pétition adressée à Emmanuel Macron.

      Se sont associés à leur texte une centaine de chercheurs retraités qui ont tous bénéficié au cours de leur carrière des conditions (postes pérennes, liberté de recherche et moyens récurrents) dont les réformes à venir vont achever de priver les jeunes générations de chercheurs [1]. Les plus connus d’entre eux avaient déjà signé une tribune à la veille du premier tour de la présidentielle pour faire connaître leur attachement au mille-feuille d’institutions bureaucratiques créées depuis quinze ans (ANR, HCERES, etc).

      Est-ce dû à leurs convictions d’un autre temps les conduisant à prétendre parler au nom de “la communauté scientifique” — c’est le nom d’administration de la pétition — communauté à laquelle ils n’appartiennent de facto plus ? Leur pétition de soutien à la LPPR a rassemblé deux cents signatures en quatre jours.

      III Qui est à l’origine de ce train de réformes de l’Université et de la recherche ?

      La majorité des mesures de précarisation et de dérégulation qui accompagneront la loi de programmation budgétaire ont été conçues par la Coordination des Universités de Recherche Intensive Françaises (CURIF), association de présidents et d’anciens présidents d’universités qui travaillent depuis quinze ans à la suppression progressive des libertés académiques et à la dépossession des universitaires. La CURIF comprend dix-sept membres, dont huit, indiqués en gras, véritablement actifs : Philippe Augé, David Alis, Jean-Francois Balaudé, Yvon Berland, Jean-Christophe Camart, Jean Chambaz, Christine Clerici, Frédéric Dardel, Michel Deneken, Barthélémy Jobert, Frédéric Fleury, Alain Fuchs, Corinne Mascala, Sylvie Retailleau, Manuel Tunon De Lara, Fabrice Vallée, Frédérique Vidal, Jean-Pierre Vinel. La CURIF a déclaré son allégeance à la candidature de M. Macron lors d’une réunion avec Jean Pisani-Ferry, le 28 avril 2017. Le programme de la CURIF est simple : différencier les statuts et les financements des établissements, supprimer le CNRS, et accorder les pleins pouvoirs aux présidents d’université. Les apports de la CURIF au programme présidentiel de M. Macron figurent dans les deux documents suivants :
      http://groupejeanpierrevernant.info/CURIF_EM.pdf
      http://groupejeanpierrevernant.info/positions_CURIF_avril_2017.pdf
      La place des courtisans de la techno-bureaucratie universitaire dans la structure en cercles concentriques d’En Marche est discutée dans ce billet :
      http://www.groupejeanpierrevernant.info/#LuttePlaces3

      Amélie de Montchalin revendique avoir obtenu la LPPR grâce à sa proximité avec Édouard Philippe. Elle ambitionne de devenir ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, et donc de porter elle-même cette loi devant le Parlement à l’issue du remaniement qui devrait suivre les élections municipales.

      S’il importe de nommer les managers à l’origine de la loi, il ne faut pas ignorer ce qu’elle doit aux normes de “bonnes pratiques” gestionnaires rappelées par l’Inspection Générale des Finances dans son rapport récent sur le pilotage et la maîtrise de la masse salariale des établissements :
      https://www.education.gouv.fr/cid149541/le-pilotage-et-la-maitrise-de-la-masse-salariale-des-universites.html

      IV Le “Pacte productif” de Bercy empiète-t-il sur le pilotage et le budget de la recherche ?

      Frédérique Vidal n’a emporté aucun arbitrage budgétaire depuis le début du quinquennat. Ni Bruno Le Maire ni les hauts fonctionnaires du ministère de l’Economie et des Finances n’ont été convaincus de la nécessité de financer l’Université et la recherche. Mieux, ils se chargent eux-mêmes du volet “innovation” du Pacte productif :
      https://www.economie.gouv.fr/pacte-productif

      Ce financement par l’impôt du secteur privé est pris sur la même enveloppe globale que le budget de la recherche publique. Il est hélas probable qu’un programme pour “l’innovation” serve davantage les intérêts politiques de M. Macron que le financement de la recherche et de l’Université publiques, pourtant vitales pour répondre aux trois crises, climatique, démocratique et économique, qui minent nos sociétés.

      Mais l’emprise de Bercy sur la politique de recherche ne s’arrête pas à la ponction de nos cotisations retraites pour financer des programmes d’“innovation” et la niche fiscale du Crédit d’Impôt Recherche (CIR) plutôt que de financer la recherche. Comme l’a précisé Bruno Le Maire, “la loi de programmation de la recherche devrait être l’occasion de réfléchir à une augmentation des moyens consacrés à des programmes de recherche publique en contrepartie de leur orientation vers un développement industriel précis.” [2] Tout est dit.

      La LPPR est le volet de la réforme de la recherche porté par la CURIF, organisant la dérégulation des statuts et le contournement du recrutement par les pairs, en renforçant le pouvoir démesuré de la technostructure managériale des établissements. Le “pacte productif” apparaît comme le volet de cette même réforme portée par Bercy, instaurant des outils de pilotage qui lui permettent de contrôler cette même technostructure.

      V Quelles sont les sommes dégagées par l’article 18 de la loi retraite ?

      Le budget brut salarial pour l’Université et la recherche s’élève à 10,38 milliards € par an. La baisse de cotisation patronale de l’État de 74,3% à 16,9% sur 15 ans permettra à terme de redistribuer les 6 milliards € par an prélevés sur notre salaire socialisé. Pour la période 2021-2027 couverte par la LPPR, l’article 18 conduira en cumulé à 11 milliards € de prélèvement dans nos cotisations de retraite [3]. Il convient donc de comparer les annonces de “revalorisation” du salaire des jeunes chercheurs et d’augmentation du budget de l’ANR (120 millions € par an) à ces sommes.

      VI Que contient le projet de loi relatif à la programmation pluriannuelle de la recherche 2021-2027 ?

      La version stabilisée de la LPPR se compose de 20 articles.

      Titre Ier : Dispositions relatives aux orientations stratégiques de la recherche et à la programmation budgétaire.
      Art 1 : Approbation du rapport annexé.
      Art 2 : Programmation budgétaire 2021-2027, financements ANR, trajectoires de l’emploi scientifique.

      Titre II : Attirer les meilleurs scientifiques
      Art 3 : Chaires de professeur junior (tenure tracks)
      Art 4 : Fixer un cadre juridique spécifique pour le contrat doctoral. Développer les contrats post-doctoraux.
      Art 5 : Développer des CDI de mission scientifique.
      Art 6 : Faciliter avancements et promotions en cours de détachement ou de mise à disposition.

      Titre III : Piloter la recherche et encourager la performance
      Art 7 : Lier évaluation et allocation des moyens par une rénovation de la contractualisation.
      Art 8 : Unités de recherche.
      Art 9 : Orienter les thèmes de recherche par l’Agence Nationale de la Recherche.

      Titre IV : Diffuser la recherche dans l’économie et la société
      Art 10 : Elargissement des dispositions de la « loi Allègre ».
      Art 11 : Elargissement des mobilités public-privé par les dispositifs de cumul d’activités à temps partiel.
      Art 12 : Elargissement des mobilités public-privé par les dispositifs d’intéressement des personnels.
      Art 13 : Droit de courte citation des images.

      Titre V : Mesures de simplifications et autres mesures
      Art 14 : Mesures de simplification en matière d’organisation et de fonctionnement interne des établissements. Délégations de signature. Rapport sur l’égalité femmes-hommes. Suppression de la mention des composantes dans le contrat d’établissement. Limitation des élections partielles en cas de vacance tardive. Approbation des conventions de valorisation des EPST. Mesure de simplification du régime des dons et legs à l’Institut de France ou aux académies.
      Art 15 : Mesures de simplification en matière de cumul d’activités.
      Art 16 : Mesures de simplification en matière de formation. Prolongation de l’expérimentation bac pro BTS. Possibilité de stage dans les périodes de césure.
      Art 17 : Ratification de l’ordonnance sur les établissements expérimentaux
      Art 18 : Simplification du contentieux relatif au recrutement des enseignants-chercheurs et chercheurs.
      Art 19 : Habilitations à légiférer par ordonnance.
      Art 20 : Entrée en vigueur de la loi.

      Titre VI : Rapport annexé

      [1] La sociologie de ce groupe, composé à 93% d’hommes, sans chercheur en SHS, et la hiérarchie des statuts qu’ils affichent, témoignent du fait que le temps où ils ont été pleinement productifs (la moyenne d’âge est de 72 ans et demi) ne saurait être considéré comme un âge d’or de la recherche.

      [2] Le pacte productif. Discours de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances à Bercy, le mardi 15 octobre 2019.
      https://www.economie.gouv.fr/pacte-productif/discours-de-bruno-le-maire-ministre-de-leconomie-et-des-finances

      [3] Le calcul affiné, séparant primes et salaires, conduit à -4,98 milliards € au lieu de -6 milliards € et à -9,12 milliards € pour la période 2021-2027, et non -11 milliards €. Nous avons gardé le calcul approximatif pour permettre à chacun de vérifier le calcul.

      Message du Groupe Jean-Pierre Vernant reçu par email, le 23.02.2020

    • #Temps_de_travail dans l’ESR (2) : essai d’analyse pour un·e enseignant·e-chercheur·se

      Résumé

      Le temps de travail des enseignants-chercheurs, cadré par le décret de 1984, est en général sous-évalué et sous-estimé, faisant l’object de représentations erronées. La contribution cherche à objectiver le temps professionnel. Plusieurs contributions récentes ont mis en évidence le degré de fragmentation des tâches, la contrainte accrue des tâches gestionnaires, une multiplication des tâches invisibles et extrêmement chronophages, dans le contexte de la diversification des missions de l’université et à leur autonomie. La démarche est personnelle et comporte une dimension réflexive sur ma propre relation aux fonctions que j’exerce de professeur des universités dans un département de géographie.

      Il s’agit d’analyser les pratiques, notamment dans un cadre d’injonctions contradictoires, de contraintes, concurrences et complémentarités entre les tâches d’enseignement et de recherche. L’objectif de cette contribution est de livrer les résultats d’une analyse du temps de travail sur une année entière, à travers quelques méthodes statistiques simples destinées à mettre en forme un agenda électronique (Google) dont le contenu s’apparente à des textes et informations non structurées (fouille de données et analyse textuelle), Les résultats de l’analyse montre un temps de travail de 2321 h annuelles (soit 290 jours pleins), dont 42 jours le week-end, débordant largement sur la soirée et la nuit. L’activité est décomposée en fonction des principales tâches : l’enseignement, la recherche, l’encadrement doctoral, l’évaluation, et les tâches administratives, courriels et réunions.

      Contexte

      La profession d’enseignant-chercheur (E.C.) fait l’objet d’idées reçues et d’une image fortement dégradée tant dans son investissement professionnel que dans son rapport au temps de travail. Cette représentation du temps de travail est d’ailleurs souvent moquée, voire caricaturée, depuis les assauts méprisants d’un président de la République N. Sarkozy en 2009 (“je vous remercie d’être venu, il y a de la lumière, c’est chauffé”1 ).

      Depuis quelques semaines, le mouvement lié à la préparation de la LPRR a relancé le débat sur le temps de travail des enseignants-chercheurs, et de la légitimité de l’ajustement éventuel de celui-ci en dehors du cadre dit des “#192_heures” (la modulation de service). Celui-ci est cadré autour du seuil de 192h Eq. TD d’enseignement, organisé en théorie comme un équilibre entre le temps d’enseignement et le temps de recherche, fixé par le décret de 1984, modifié par l’arrêté de 2009, qui se base sur un ratio de 4,2h travaillées pour 192h d’enseignement (préparation, corrections, activités annexes de l’enseignement, mise en ligne, formation, lectures afférantes…), soit #1607_heures de travail effectif théorique :

      “Le temps de travail pris en compte pour déterminer des équivalences horaires est le temps de travail applicable dans la fonction publique d’Etat, soit 1 607 heures de travail effectif. Il est composé pour moitié d’une activité d’enseignement correspondant à 128 heures de cours magistral ou 192 heures de travaux dirigés ou pratiques et pour moitié d’une activité de recherche”2.

      Métiers, #fragmentation, #invisibilité du temps de travail

      Dans l’activité quoditienne, ces deux activités, recherche et enseignement, ne sont pas nécessairement en compétition l’une avec l’autre, l’enseignement faisant partie des moments de constrution de la pensée et de production de savoirs nouveaux (Bodin 2018). Ce référentiel sert de base à des compensations horaires (décharges) pour une série d’activité annexes et administratives : ce sont ces dernières qui mettent sous contraintes les missions premières des E.C.

      Dans une certaine mesure, on peut considérer comme impossible voire absurde de mesurer le temps de travail d’un E.C., en tout cas le temps d’enseignement et de recherche du fait de la nature intellectuelle du métier et du caractère non mesurable et non objectivable de sa production3. Mais nos établissements surveillent très précisémment chaque heure de TD faite, seul référentiel objectivable en l’état, alors que personne ne maîtrise ce temps de travail, dépendant de nombreux interlocteurs, institutions, injonctions, sans aucune vision générale de la charge de travail. Au prix de remarques lorsque l’on demande à rectifier une erreur de quelques heures dans notre service d’enseignement, comme s’il était incongru ou illégitime de prêter attention à son temps de travail effectif. En balance, la vocation d’une part (“vous êtes privilégiés de faire ce métier”) ; l’obligation faite aux employeurs d’autre part que la charge de travail d’un salarié demeure dans les limites de l’acceptable.

      Depuis 2009 et le mouvement social massif de notre profession contre la réforme des statuts dans le cadre de la loi LRU (loi sur l’autonomie des universités de 2007), contre la réforme de la formation des enseignants, et contre le démantèlement de la recherche publique, le diagnostic est connu : temps professionnel trop contraint par les tâches gestionnaires, une tendance à la parcellisation et la fragmentation des tâches, une multiplication des tâches invisibles et extrêmement chronophages. Cette évolution a partie liée avec la diversification des missions de l’université et à leur autonomie, se traduisant par des pressions temporelles, un éclatement des fonctions, et une évolution des métiers des enseignants-chercheurs dans un cadre institutionnel de plus en plus complexe. Le rapport entre temps officiel et disponibilité (Lanciano-Morandat 2013) est très variable selon les institutions, les stades et stratégies de carrière, l’engagement professionnel, mais globalement, comme l’indiquent Gastaldi (2017), les principaux facteurs de pression trouvent leur origine dans les dispositifs d’évaluation constants (publications, HCERES, ANR, suivi de carrière, promotions, etc…) ; la mise sous tension des moyens dans la systématisation des financements sur projets et pour certains leur individualisation (Labex, ANR, ERC, IUF…) ; la managérialisation de l’ESR, avec une forte bureaucratisation (budgets, équipes, “reporting”, contrôle par les outils informations tels qu’Apogée) (Gastaldi 2017). Une enquête de Bodin (2018) mettait en évidence que les fonctions d’enseignement, de recherche et les charges administratives sont à la fois complémentaires et en concurrence, sans qu’aucune ne puisse être qualifiée de marginale dans l’activité. Selon cette enquête, les E.C. exercent trois métiers : 55% des EC enquêtés consacrent 2 jours et plus à l’enseignement, 38% à la recherche, 43% à l’administration. Un temps qui déborde très largement sur le soir et le week-end : 79% des EC travaillent après 22h, 97% le week-end et les jours de congés (Bodin 2018). Dans le cadre de la LPPR (loi de programmation pluri-annuelle de la recherche), une partie du débat s’oriente sur le temps de recherche. Ce diagnostic est clairement établi par la Concertation individuelle sur la loi de programmation pluriannuelle pour la recherche conduite par un collectif de 23 sociétés savantes (France 2019), qui précise notamment la priorité d’une action globale destinée à restaurer du temps de recherche :

      Redonner du temps de recherche aux chercheurs et enseignant.e.s-chercheurs.

      Abaisser le service annuel d’enseignement statutaire des EC de 192h à 150h équivalent Travaux Dirigés, le service actuel étant très largement supérieur aux pratiques internationales. Alléger les services d’enseignement des EC nouvellement recrutés (au-delà des 32 heures de décharge actuelles) et recruter un nombre plus élevé de chercheurs et EC permanent.e.s pour assurer aux étudiants un taux d’encadrement supérieur tout en limitant le recours excessif aux vacataires.
      Augmenter le nombre de congés sabbatiques réguliers, comme cela se pratique dans les autres pays, et les possibilités de délégation temporaire des EC vers les grands organismes.
      Limiter le gaspillage de ressources et le temps de recherche perdu à écrire des projets finalement non financés en renforçant conjointement le financement sur dotation des laboratoires et le taux de succès des appels à projets.
      Renforcer le soutien technique et administratif aux chercheurs par recrutement d’ITAs/BIATSS4

      Pour autant, cette dimension du temps de travail est peu présente dans le débat qui se structure autour de la LPPR. Ainsi, le volet emploi et carrières du rapport préliminaire à la LPPR (Berta 2019) focalise le diagnostic sur les questions de la rémunération, de l’érosion de l’emploi scientifique pérenne et les incidences sur la précarisation des statuts, et des conditions défavorables d’entrée dans la carrière. La faiblesse en terme de gestion des ressources humaines semble être pointée, les recommandations visant à faciliter la mobilité et renforcer l’évaluation. Sur le rapport à l’organisation du temps de travail, les recommandations y font implicitement référence, en particulier sur les questions de rémunération, la revalorisation étant envisagée via des régimes indemnitaires “tenant compte notamment de leur engagement dans leurs différentes missions”. En filigrane donc, les travaux en vue de la LPRR recommandent de mettre la pression sur deux secteurs qui actuellement contribuent très largement à la fragmentation des tâches et des missions : l’évaluation et la “course aux primes”, tels que cela s’opère par exemple dans le cadre de la PEDR. Dans ce contexte, le silence demeure assourdissant sur l’ensemble des tâches administratives et quotidiennes complètement invisibilisées (Lecuppre-Desjardin 2020).
      Comment construire une position réflexive ?

      L’objectif de cette contribution est de livrer les résultats d’une analyse du temps de travail sur une année entière, à travers quelques méthodes statistiques simples destinées à mettre en forme un agenda dont le contenu s’apparente à des textes et informations non structurées (fouille de données et analyse textuelle), en suivant deux motivations principales.

      D’une part, il s’agit de documenter. Lors du dernier mandat passé au CNU, Conseil National des Universités5, l’augmentation de la charge d’évaluation des dossiers individuels, en particulier pour les promotions, PEDR et suivi de carrière, donnait très largement à voir des dossiers de collègues dont les situations d’implication, de dévouement, mais aussi de sur-travail chronique voire de surmenage étaient évidentes. De ces travaux d’évaluation individuelle des carrières, je retiens la multiplicité, la fragmentation des tâches, mais aussi l’invisibilisation d’une partie du travail administratif ou d’évaluation (non ou peu reconnu), quand ce n’est pas évidemment la course après les injonctions contradictoires d’excellence, d’augmentation des effectifs, et la lutte quotidienne contre des moyens humains pérennes en contraction, dans tous les départements de géographie. Les parcours sont d’une grande diversité, très contingents aux ancrages locaux pour certains, aux dimensions internationales pour d’autres, subissent des évolutions de carrières très inégales selon les statuts, les conditions d’entrée dans la carrière, et évidemment le genre. Dans ce cadre, l’exercice est frappant du nombre de collègues qui cherchent soutien et attention auprès du CNU, témoignant de leur situation. Ainsi, confronté à des dossiers d’évaluation où l’on est invité à présenter ses réussites, où l’on devine aussi les échecs et les situations de détresse, je souhaite présenter une situation de rapport au travail qui me paraît sinon insatisfaisante, assurément dangereuse à terme.

      D’autre part, il s’agit d’analyser les pratiques, notamment dans un cadre d’injonctions contradictoires, de contraintes, concurrences et complémentarités entre les tâches d’enseignement et de recherche (Gastaldi 2017 ; Bodin 2018 ; Le Blanc 2019). Alors que je me portais candidat pour moi-même bénéficier du privilège d’une décharge dans le cadre d’un dispositif individuel, l’IUF, il m’a semblé nécessaire d’objectiver cette situation relative au temps de travail. D’une part pour tenir bon dans les débats sur la nature des tâches que nous avons à exécuter, sur la bureaucratisation de l’université soumise aux normes du new public management, sur les effets de la multiplications des structures au sein desquelles nous évoluons (UFR, UMR, Ecole doctorale, Labex, IDEX…). D’autre part, j’ai fait cet exercice pour ma propre information, après avoir subi, déjà, deux situations dites de burn out, dont une suivie d’une hospitalisation. Ce point me paraît important, car l’exercice auquel je me suis attelé visait, avant tout, à m’aider à définir les seuils, les priorités, et ce à quoi il faudrait renoncer dans une tentative d’un retour progressif à une situation tenable. Je fais cet exercice, totalement idiosyncratique, et donc très contingent, non seulement à des fins de discussion, mais comme un point réflexif sur mes propres pratiques d’implication dans le métier. L’absence de référent sur ce point dans mon établissement, du désintérêt des services RH sur ces questions, sans même parler de médecine du travail, inexistante (je ne l’ai jamais rencontrée depuis mon recrutement en 2004), sont des facteurs aggravants : tous ces éléments ont contribué à ma motivation pour l’expérience que j’ai tenté de mener à bien de mesure de mon temps de travail.
      Données et méthodologie

      La méthode adoptée vise à dresser un bilan, sur une année, du 1/11/2018 jusqu’au 31/10/2019 : j’ai noté dans mon agenda Google tout ce que je faisais : cours, écriture d’article, conférence, tâches administratives, courriels, jurys, évaluations, précisant au maximum avec des mots clés, tatonnant aussi un peu dans l’exercice de description, tentant d’être le plus rigoureux chaque jour dans les horaires, et les contenus des tâches. Ces données, exportées au format CSV, décrivent 1430 tâches uniques, leurs jours, horaires et durée. Elles ont été rassemblées dans une base de données que j’ai exploitée ensuite, en procédant à des analyses de nombre d’occurrences des mots-clés, en limitant l’analyse aux 100 mots-clés les plus fréquents. Les tâches correspondant à des erreurs de codage, les colloques ou déplacement notés sur plusieurs jours, ainsi que d’éventuelles traces d’activités non professionnelles ont été éliminées, grace à l’analyse textuelle sur les mots clés et leurs occurrences. Les outils utilisés, sous R, relèvent de l’analyse textuelle (package quanteda) et de l’analyse multivariée (FactoMineR) afin de classifier les principales catégories d’activité en fonction des corrélations entre les occurrences d’activités et de tâches. Je ne livre ici que quelques analyses descriptives.
      Résultats

      En fonction des tâches quotidiennes, notées systématiquement pendant un an dans mon agenda électronique, le temps de travail annuel est estimé à 2321.5 heures, soit 290 jours temps plein à 8h/jour. Ce total est à comparer au référentiel de 1607h réglementaires, qui n’a évidemment qu’une valeur indicative. Rappelons dans ce décompte qu’une année est composée de 261 jours de semaines, et de 104 jours de week-end. Les périodes sans activités et congés sont permises par un report des activités sur les nuits, et elle débordent évidemment très largement sur les week-ends, de l’ordre de 335 h/an, soit 42 jours pleins (il y a 52 week-ends dans l’année, peu ne sont donc pas travaillés), au détriment de l’équilibre personnel et familial, et évidemment de la santé. Sans compensation, ni heures complémentaires.
      Les grandes catégories de l’activité

      A l’issue d’une analyse factorielle et d’une classification (Figure 1), l’analyse des tâches, triées par mots-clés (analyses lexicales sur l’agenda électronique) met en évidence plusieurs pôles très clairement identifiables dans les activités quotidiennes, synthétisées dans le Tableau 1 :

      D’une part l’activité d’enseignement (les 192h équiv. TD) représente avec l’ensemble des tâches afférantes de préparation, de suivi des étudiants, de l’ordre de 387 heures. C’est une activité comprimée par les autres tâches, dans un cadre où de nombreux cours font l’objet d’une préparation relativement rapide. Une décharge d’enseignement vient comme un soulagement, alors que cela n’affecte qu’une partie déjà bien réduite de l’ensemble des activités. Cette actitivé était légèrement réduite par rapport aux années précédentes : pas de nouveaux cours, et surtout pas de préparation de CAPES en 2018-19, des enseignements lourds nécessitant la préparation de nouveaux cours sur programme auxquels j’ai participé systématiquement depuis le début de ma carrière.
      Cette activité d’enseignement est complétée par celle de corrections de copies, très nettement séparée dans le temps (soirées, week-ends, vacances), et dans l’espace, puisqu’elle se fait rarement sur le lieu principal de travail : de l’ordre de 95h au total en 2018-19. L’enseignement et les corrections représentent 21% du temps de travail total, loin des 50% théoriques.
      D’autre part, l’activité de recherche correspond à environ 644h, soit 27% du temps, comportant la réponse aux appels d’offre pour chercher des financements (en l’occurrence auprès de l’ANR et du programme européen ESPON), la direction et coordination de projet, les analyses de données, le recueil de sources, l’écriture, les publications, le suivi des conventions. Cette activité constitue une priorité, que j’ai pu maintenir et protéger, sur les soirées, les week-ends, les périodes d’interruption de cours, grâce notamment à la sanctuarisation des périodes de terrain aménagées pendant les “vacances” de printemps.
      Séparé du précédent, l’encadrement et le suivi des thèses, comportant de nombreux rendez-vous, suivi de rédaction, préparation des soutenances, coachings variés (stratégie de publications, préparation du CNU et de la campagne de recrutement, soutien moral, etc.), rédaction des lettres de recommandation quand arrive la période des recrutements CDD pour les jeunes docteurs. Ces éléments constistuent un champ fondamental de l’activité de directeur de recherche, qui représente de l’ordre de 377h (16%). Un champ particulièrement intense avec trois soutenances, donc relectures et corrections de thèses, dans l’année 2019.
      Un temps considérable correspond aux activités d’évaluation, à plusieurs niveaux : évaluations individuelles (CNU, qualifications, promotions, primes, suivi de carrière), évaluations d’articles et de projets de recherche pour diverses agences en France et à l’étranger, évaluations HCERES, et par ailleurs la préparation des soutenances, la préparation des pré-rapports ou rapports, la participation à des jurys de thèse et HDR (environ 3 à 5 par ans). Ce sont pour l’essentiel des heures de travail invisibles, le plus souvent dans des commissions ou des jurys qui nécessitent des déplacements en dehors de l’établissement, et soumises à des délais courts et une forte pression temporelle. La plupart de ces actes sont exercés à titre gratuit, pas ou peu indemnisées, ou en dessous du SMIC horaire quand elles le sont (CNU et HCERES en particulier), alors qu’il s’agit très clairement d’activités qui débordent du temps de travail légal et de l’activité principale : 307 h (13%) en 2018-19.
      Les heures liées aux tâches ancillaires, relatives à l’administration, les mails, les réunions (diverses) et de présence dans les instances et conseils (conseil scientifique d’UFR, conseil facultaire, etc…). Une partie de cette activité est liée, de fait, à la direction d’unité CNRS ou aux fonctions de direction (master), et représentent 509h (22%). L’essentiel de ces tâches administratives reposant sur des échanges de mails et de documents, voire sur des “applications métiers” ou sites intranet dédiés, quand il s’agit d’opérer le recrutement des ATER, lors des comités de sélection pour le recrutement des collègues, ou dans le suivi des actes de gestion d’une unité CNRS (promotion et suivi de carrière de personnels de l’unité, par exemple).. A noter que la décharge de direction d’unité, compensant ces fonctions, est de 24h annuelle, celle de directeur de master 16h. Sans autre commentaire. Si le traitement statistique regroupe les tâches admnistrative, les courriels et les réunions, c’est que celles-ci sont bien souvent associées dans les temps et les lieux : de nombreux tableaux Excel à remplir, de reporting sur les horaires et maquettes, de tableaux de soutenabilité de master, de rapports annuel d’une unité, d’analyse des dossiers de candidatures pour les master. Et puis, il revient à l’honnêteté intellectuelle de dire que compte-tenu du caractère débordant du temps de travail, de nombreux mails sont faits pendant les réunions, même s’il est évident que cela nuit à l’efficacité d’ensemble.

      Le profil de l’activité

      La Figure 2 fait une synthèse de la distribution quotidienne et horaire de l’activité. Parmi les faits saillants, cette figure met en évidence la fragmentation temporelle, et le débordement systématique des horaires de travail sur le début de matinée (dès 6h30…), la soirée (après 22h), parfois la nuit, avec de très longues journées. Les deadlines à respecter, notamment pour le financement, imposant évidemment de pouvoir dégager du temps continu d’investissement (par exemple, la nuit mi-mars correspond au dépôt d’une ANR). Les congés, à l’exception d’une période relative de vacances l’été, sont systématiquement occupés, en particulier par les corrections et la recherche, dont on voit qu’elle s’intercale en fait dans des périodes intenses, mais finalement ponctuelles, notamment autour de la Toussaint et après le 15 mai. Si l’activité ralentit bien après le 15/7, la trêve reste interrompue par de l’administratif, des mails, et surtout du suivi doctoral, afin de préparer les dépôts de thèse de début septembre.

      Conclusion

      Cet exercice individuel montre des tendances bien identifiées et bien connues sur l’amplitude horaire, le débordement généralisé, et la fragmentation du temps de travail. Ce “temps de travail” ne décompte par ailleurs que les tâches balisées : pas de pause, pas de discussion ici sur les sandwiches pris devant l’ordinateur le midi, pas de discussions de couloir avec les collègues, pas de “réunion debout”. Ces éléments sont dans les blancs de la Figure , tout comme le temps de repos. De même, alors que l’activité se déploie sur trois sites à Paris en fonction des lieux d’enseignement et de recherche (dans les 5e et 13e arrondissements, ainsi que depuis septembre à Aubervilliers, nouveau campus Condorcet), de nombreux déplacements en transports en commun ponctuent les journées, de même que plusieurs déplacements à l’étranger, pour lesquels le temps de déplacement n’est pas vraiment pris en compte ici.

      Au-delà de ces constats, il faut insister sur la diversité des interlocuteurs et des institutions que chacune de ces tâches implique, chacune avec ses temporalités propres. Si l’enseignement relève essentiellement de l’université, c’est-à-dire l’employeur principal, il s’agit de la seule activité que voient et constatent effectivement les services de mon établissement et mon UFR. L’activité de recherche répond à de multiples institutions, de multiples contraintes réglementaires et contractuelles : le CNRS en premier lieu (tutelle de l’unité), un Labex (Investissements d’Avenir), un Idex, des grands projets (Campus Condorcet), des agences de financement (ANR), des commanditaires (Société du Grand Paris, ESPON, par exemple). S’agissant de l’encadrement doctoral, il s’agit d’une Ecole doctorale, relevant de l’établissement. L’activité d’évaluation est probablement celle qui s’opère dans le cadre insitutionnel le plus fragmenté : HCERES, ANR, revues, éditeurs, écoles doctorales de chaque établissement pour lesquels on établit des rapports, et des acteurs étrangers (revues et agences de recherche) qui nous sollicitent également pour l’évaluation de projets et travaux. Chacun de ces acteurs impose ses temporalités, ses normes, ses contraintes. L’activité administrative, de courriel et de réunion chapeaute le tout, et dans une certaine mesure fait tenir l’échaffaudage : il s’agit à la fois d’une activité subie au sein de chacun de ces périmètres institutionnels (réunions, réponses à des injonctions), mais également un temps important consacré à la coordination et la mise en cohérence dans un temps contraint des requêtes de ces acteurs variés.

      En espérant que cet exercice, de l’ordre de 3 minutes par jour de saisie de l’information, puisse engager d’autres collègues à tenter de suivre leur activité, afin que collectivement nous puissions mieux objectiver le travail invisibilisé (évaluations, commissions variées, travail administratif, interactions électroniques), qui représente au final une partie essentielle d’un temps professionnel très fragmenté et étalé (il faut bien manger, dormir, sortir encore un peu, voir ses enfants, dans les interstices), au détriment évidemment des missions de service public d’enseignement et de recherche.

      https://academia.hypotheses.org/20672

    • À quoi servira la LPPR ? L’exemple des recrutements

      Texte de la conférence donnée à l’occasion de la réunion d’information « La LPPR, vrai problème ou fausse alerte ? » 6 mars 2020, Paris, centre Panthéon, UMR8103, salle 6 Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne,

      -- I.—

      Il existe aujourd’hui une certaine confusion quant au rôle exact que jouera la LPPR dans le phénomène de précarisation de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette confusion est d’abord et avant tout la conséquence du refus de la ministre de l’ESRI de dévoiler l’avant-projet de loi – un refus désastreux pour le ministère et problématique pour la mobilisation :

      désastreux pour le ministère, d’abord, car il témoigne de façon particulièrement spectaculaire de la dégradation générale des relations entretenues avec la communauté universitaire ;
      problématique pour la mobilisation, ensuite, en ce qu’il entraîne une focalisation excessive des critiques sur les trois rapports dits « des groupes de travail » (les rapports remis au Premier ministre le 23 sept. 2019), faute d’autre texte à discuter.

      Bien sûr, la lecture des trois rapports est éclairante, ne serait-ce que parce qu’ils dévoilent le décalage considérable qui existe aujourd’hui entre, d’un côté, les orientations que veulent donner à l’ESR quelques individus occupant des fonctions de premier ordre dans ce secteur et, de l’autre côté, les aspirations d’une part importante de la communauté universitaire.

      Pour autant, il faut bien reconnaître que la ministre a raison de rappeler, comme elle l’a fait à maintes reprises, que ces rapports, indiscutablement, « ce ne sont que des rapports » (Frédérique Vidal, séminaire des nouveaux directeurs et directrices d’unité, CNRS / CPU, 4 février 2020). D’une certaine façon, se concentrer sur ces documents pour critiquer la LPPR, c’est alimenter encore davantage le discours – très prégnant chez toute une partie des collègues, et en particulier dans les facultés de droit – selon lequel il est inutile de se mobiliser contre un projet de loi qui nous est encore inconnu. Or, précisément, s’il faudrait sans doute moins se focaliser sur les trois rapports, c’est parce qu’on en sait aujourd’hui davantage sur le contenu de l’avant-projet de LPPR, en particulier parce que la ministre en a distillé plusieurs éléments lors de sorties récentes.

      On sait désormais, par exemple, que, quand bien même cette loi ne serait qu’une loi « de budget et non une loi « de structure » (pour reprendre l’opposition employée par la ministre), une telle distinction est trompeuse : la mise en place des nouveaux contrats d’objectifs et de moyens — un outil bien connu des juristes de droit public — et le jeu sur le montant forfaitaire du préciput de l’ANR — pour citer deux instruments que la ministre a présentés devant la Conférence des présidents d’université comme figurant dans la réforme — auront des conséquences structurelles tout à fait considérables sur le service public de l’ESR.

      Je ne m’attarde pas sur ce premier point, qui, s’il est crucial, n’est pas l’objet de mon propos. Ce sur quoi j’aimerais m’attarder, en revanche, c’est sur la question des recrutements (le fameux « assouplissement des modes de recrutement » évoqué par le président de la République lors de la cérémonie des 80 ans du CNRS, le 26 novembre 2019). C’est peut-être en ce domaine, en effet, que l’on observe le décalage le plus important entre ce que l’on sait désormais plus ou moins du contenu de l’avant-projet de loi et les critiques qui lui sont adressées dans le cadre des mobilisations. Le discours un peu fantasmé qui accompagne, chez certains collègues mobilisés, la publication du décret du 27 février 2020 relatif au contrat de projet dans la fonction publique, une des mesures d’application de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, est à cet égard caractéristique : s’il est presque certain que les contrats de projet seront massivement employés dans les universités à l’avenir, si, donc, il est très important de s’intéresser à ces nouveaux contrats, il est faux, en revanche, de répandre l’idée qu’avec ce décret, le gouvernement utiliserait la voie réglementaire pour faire discrètement passer certaines des mesures prévues dans la LPPR.

      Prétendre cela, c’est ramener à nos seules préoccupations d’universitaires un débat qui, malheureusement, va très au-delà — il concerne aussi bien la fonction publique d’État que la FP territoriale et la FP hospitalière — et à propos duquel les syndicats se sont battus becs et ongles pendant des mois, avant comme après l’adoption de la loi du 6 août 2019. Bien sûr, il faut être prudent lorsque l’on tient ce genre de discours, car un angle mort gigantesque persiste dans tous les cas : on ne sait pas ce qui, dans la LPPR, fera l’objet d’une habilitation à légiférer par voie d’ordonnance1.

      Ceci dit, s’agissant des recrutements, on a tout de même eu la confirmation de deux choses à présent, parce que la ministre les a évoqués à plusieurs reprises ces dernières semaines, dans ses prises de parole publiques : deux contrats nouveaux au moins2 devraient bien être créés par la voie de la LPPR : les « CDI de mission scientifique », d’une part ; les contrats de « professeurs junior », d’autre part. Ces deux contrats sont éminemment problématiques pour différentes raisons. Et, à première vue, on a du mal comprendre comment, avec de telles mesures, la ministre s’autorise à présenter la LPPR comme une simple loi « de budget ». Une première interprétation pourrait être de soutenir qu’il s’agit, de sa part, d’un mensonge éhonté. Une autre interprétation — qui est celle vers laquelle je tends — consiste à considérer que la ministre a une connaissance si précise du cadre juridique des recrutements dans l’ESR qu’à ses yeux, il est tout à fait évident que ces deux contrats ne sont pas le cheval de Troie de la précarité dans l’ESR, mais de simples mesures de technique juridique, destinées à régler deux points de droit bien spécifiques, pour lesquels, effectivement, il n’est pas possible d’en passer par autre chose qu’une loi.

      Il faut prendre au sérieux, à cet égard, les propos tenus par la ministre lors des journées SHS organisées par l’Agence nationale de la recherche les 25 et 26 février 2020, lorsqu’elle expliqua que, s’agissant des règles juridiques de recrutement, la LPPR n’interviendrait qu’à la marge, c’est-à-dire exclusivement pour « faire sauter les verrous législatifs » – au sens de « verrous » que seule une loi, précisément, a la compétence de faire sauter3. Autrement dit, c’est d’une vraie tournure d’esprit dont il faut s’imprégner si l’on veut que nos critiques de la LPPR fassent mouche : la ministre sait mieux que quiconque que le cadre juridique actuel permet d’ores et déjà de mener à bien la plupart des orientations préconisées par les rapports des groupes de travail en matière d’emplois, comme je vais essayer de le montrer plus loin.

      De ce fait, la présence, dans la LPPR, des CDI de mission scientifique et des contrats de professeurs junior ne marque pas tant la réorientation profonde du cadre juridique du recrutement dans l’ESR qu’elle ne témoigne, malheureusement, de ce que l’on en est déjà aux ultimes mesures d’adaptation — ce qui, je le précise pour qu’il n’y ait aucune confusion sur ce point, rend encore plus cruciale la mobilisation actuelle, en forme d’ultime-bataille-jusqu’à-la-prochaine… Si les CDI de mission scientifique et les contrats de professeurs junior figurent dans la LPPR, donc, c’est parce que deux contraintes législatives bien spécifiques doivent être levées :

      Le « CDI de mission scientifique » a pour objet de contourner la règle de la transformation obligatoire en CDI des relations contractuelles d’une durée supérieure à six ans – une règle qui, il faut le rappeler, n’a été introduite en France en 2005 que parce qu’il s’agissait d’une obligation européenne (directive du 28 juin 1999). Dans la lignée du « CDI de chantier ou d’opération » d’ores et déjà applicable « dans les établissements publics de recherche à caractère industriel et commercial et les fondations reconnues d’utilité publique ayant pour activité principale la recherche publique » depuis la loi PACTE du 22 mai 2019 (cf. art. L. 431-4 du code de la recherche et décret du 4 octobre 2019 fixant la liste des établissements et fondations concernés : CEA, IFREMER, CNES, Institut Pasteur, Institut Curie, etc.), l’objectif n’est rien d’autre, autrement dit, que de créer un CDI — un CDI aux conditions de rupture particulièrement souples — permettant d’éviter d’avoir à cédéiser.
      Le « contrat de professeur junior », quant à lui, n’a pas seulement pour objet, comme le dit la ministre (séminaire des nouveaux directeurs et directrices d’unité, CNRS / CPU, 4 février 2020), de permettre le « recrutement de scientifiques sur une première période de 5 à 6 ans, en prévoyant des moyens d’environnement spécifiques », car s’il ne s’agissait que de cela, la LPPR serait parfaitement inutile (ce genre de contrat est déjà possible en droit public français). Si la LPPR intègre ces nouveaux contrats, c’est très précisément parce que l’objectif est de créer une « track » vers la « tenure », c’est-à-dire une procédure dérogatoire de titularisation en droit de la fonction publique, par la reconnaissance d’un privilège d’accès aux corps de maître de conférences et de professeur dans un établissement déterminé, et ce hors des voies d’accès normal à ces corps. Et cela, seule une loi, techniquement, peut le faire.

      J’en arrive donc au point principal de mon intervention : en dehors de ces deux « adaptations » qui nécessitent une loi — en l’occurrence : la LPPR — le cadre juridique de l’enseignement supérieur permet d’ores et déjà de recruter massivement par la voie contractuelle — et, grâce à cette voie, d’organiser, pour ce qui concerne spécifiquement les enseignants-chercheurs qui nous succéderont, le contournement de la procédure de qualification nationale, la modulation des tâches et en particulier des services d’enseignements, ou encore la variation des rémunérations. Autant de points qui sont précisément ceux contre lesquels nous nous mobilisons actuellement, mais qui — il est important d’en avoir conscience — ne seront donc pas introduits par la LPPR, puisqu’ils sont déjà là. C’est cela que je voudrais essayer de rappeler à présent.

      -- II.—

      Premier rappel : le recrutement contractuel illimité organisé par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

      La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a ouvert la possibilité d’un recrutement illimité (c’est-à-dire non plafonné) par la voie contractuelle dans les établissements publics de l’État, y compris dans les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP : les universités). De ce point de vue, cette loi franchit un seuil juridique : dans les établissements publics de l’État, le recours à des agents contractuels ou à des fonctionnaires devient indifférent, alors que jusqu’ici, l’occupation des emplois répondant à des besoins permanents par des fonctionnaires était le principe, et le recours aux agents contractuels, l’exception (et ce, quand bien même, depuis une vingtaine d’années, le champ de cette exception avait progressivement été étendu). Un point n’a pas suffisamment été signalé, à cet égard : le projet de loi de transformation de la fonction publique excluait initialement de la nouvelle règle « les emplois pourvus par les personnels de la recherche »4.

      Le champ exact d’une telle exclusion n’était pas tout à fait évident, mais on pouvait raisonnablement défendre que cette exclusion avait vocation à maintenir le principe du recours aux fonctionnaires pour les recrutements au CNRS ou à l’IRD, par exemple, mais aussi pour le recrutement des enseignants-chercheurs dans les universités. Aux derniers instants des débats du projet de loi5, cependant, l’exclusion des « emplois pourvus par les personnels de la recherche » fut reformulée in extremis : avec cette reformulation, la loi ne dit plus que les « emplois pourvus par les personnels de la recherche » sont exclus de la règle du recours indifférencié aux agents contractuels ou aux fonctionnaires dans les établissements publics de l’État, mais que la règle du recours indifférencié aux agents contractuels ou aux fonctionnaires s’applique « sous réserve des dispositions du code de la recherche pour les agents publics qui y sont soumis ».

      Cette reformulation apparemment anodine — sur l’origine de laquelle le rapport de la commission mixte paritaire ne s’explique pas, et à propos de laquelle on ne sait rien, si ce n’est qu’à l’évidence, elle a été initiée par un parlementaire bien informé des problématiques de l’enseignement supérieur et de la recherche — a deux conséquences importantes, qui, en réalité, ruinent le principe même de l’exclusion :

      La première conséquence est que les enseignants-chercheurs se trouvent exclus de l’exclusion (ils se trouvent, par voie de conséquence, inclus dans la règle du recours indifférencié aux agents contractuels ou aux fonctionnaires), dans la mesure où, s’ils pouvaient éventuellement être considérés comme entrant dans le champ de la qualification de « personnel de recherche » (du fait de leur obligation statutaire de recherche), il est incontestable qu’ils sont soumis aux dispositions du code de l’éducation, et non à celles du code de la recherche.
      La seconde conséquence, plus sournoise, est que les agents des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST – différents des universités, qui sont des EPSCP), et en particulier les agents du CNRS, ne peuvent vraisemblablement plus, eux non plus, être considérés comme exclus de la règle du recours indifférencié aux agents contractuels ou aux fonctionnaires.
      La nouvelle formule (« sous réserve des dispositions du code de la recherche pour les agents publics qui y sont soumis ») permet en effet de renvoyer à un article bien spécifique du code de la recherche, l’article L. 431-2-1, qui autorise, lui, le recours illimité à des agents contractuels dans les EPST « pour occuper des fonctions techniques ou administratives correspondant à des emplois de catégorie A, B ou C » et « pour assurer des fonctions de recherche ». Sur le fondement de la loi du 6 août 2019, les universités qui le souhaitent peuvent donc recruter massivement par la voie contractuelle, quelles que soient les fonctions exercées.

      Dès lors que le recrutement de fonctionnaires n’est plus le principe et le recrutement de contractuels, l’exception, le choix a été fait de n’instituer aucun garde-fou juridique — et en particulier aucun plafonnement — de sorte qu’en réalité, les seules limites au recours aux contrats qui demeurent sont, premièrement, le nombre minimal de fonctionnaires dont la présence est obligatoire pour faire fonctionner les organes statutaires des établissements et, deuxièmement, la bonne volonté des universités et du ministère. Ce qui, chacun en conviendra, est bien peu.

      Il est, de ce fait, très vraisemblable que l’augmentation du nombre de personnels des universités soumis au régime contractuel va s’accentuer, et c’est la raison pour laquelle il est crucial de porter une attention soutenue aux conditions juridiques dans lesquelles ces contrats vont être mis en place : cf. les nouvelles règles du décret du 19 décembre 2019 relatif à la procédure de recrutement pour pourvoir les emplois permanents de la fonction publique ouverts aux agents contractuels, qui entre en vigueur au 1er janvier 2020, et celles du décret du 27 février 2020 relatif au contrat de projet dans la fonction publique, qui entre en vigueur au 29 février 2020. Il n’est pas anodin, à ce propos, que les huit présidents d’université auteurs de la tribune « La France a besoin d’une loi de programmation pluriannuelle de la recherche », publiée dans Le Monde le 4 mars 2020, évoquent d’ores et déjà le contrat de projet, en vigueur depuis quatre jours seulement, à la date de la tribune… et suggèrent une utilisation très large de celui-ci

      « Assurer par les contrats de projet le financement de doctorants, de post-doctorants, de techniciens ou d’ingénieurs sur la durée d’un contrat de recherche » (Le Monde, 4 mars 2020).

      -- III.—

      Deuxième rappel : le recrutement contractuel illimité organisé par la loi du 10 août 2017 relative aux libertés et responsabilités des universités

      Il convient, par ailleurs, de ne pas perdre de vue qu’indépendamment des modifications introduites par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, la libéralisation des recrutements par voie contractuelle a d’ores et déjà été rendue possible dans les universités il y a une douzaine d’années, par l’entremise d’un texte spécifique aux universités, la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités

      « La possibilité offerte aux universités de recruter des contractuels est l’un des points les plus importants de ce texte », Benoît Apparu, rapporteur du projet de loi, Assemblée nationale, séance du 25 juillet 2007).

      L’article L. 954-3 du Code de l’Éducation autorise, en effet, les présidents d’universités à

      « recruter, pour une durée déterminée ou indéterminée, des agents contractuels : 1° Pour occuper des fonctions techniques ou administratives correspondant à des emplois de catégorie A ; 2° Pour assurer […] des fonctions d’enseignement, de recherche ou d’enseignement et de recherche […] ».

      La question de ces CDI/CDD dits « contrats LRU » est bien connue : si, durant les débats parlementaires de 2007, ces contrats avaient été présentés comme destinés à contourner « par le haut » la grille des rémunérations de la fonction publique (et, par suite, à faire concurrence aux universités étrangères pour « attirer les talents »), chacun sait qu’ils ont, en réalité, constitué le support juridique grâce auquel les universités court-circuitent l’ouverture de postes de fonctionnaires titulaires, au profit de recrutements contractuels aux conditions économiques et sociales très dégradées.

      L’encadrement juridique de ces contrats est presque inexistant, en effet6 — tout au plus existe-t-il une obligation de recueillir l’avis d’un comité de sélection pour recruter des enseignants-chercheurs, des enseignants ou des chercheurs (art. L. 954-3, 2°), mais une très grande liberté a été laissée sur ce point7. À cet égard, un épisode un peu perdu de vue — mais particulièrement significatif du rôle très actif joué par le ministère de l’Enseignement supérieur dans la contractualisation des recrutements — mérite d’être rappelé.

      Lors des débats parlementaires consacrés aux « contrats LRU », en 2007, il avait été décidé que la proportion de ces contrats par université serait plafonnée, et c’est très exactement la raison pour laquelle, depuis lors, l’article L. 712-9 du Code de l’Éducation prévoit que le contrat pluriannuel d’établissement conclu par chaque université avec l’État doit

      « fixer le pourcentage maximum de cette masse salariale que l’établissement peut consacrer au recrutement des agents contractuels mentionnés à l’article L. 954-3 »8.

      Or, il apparaît que le ministère de l’Enseignement supérieur a fait en sorte de « déréguler » dans toute la mesure du possible ces contrats.

      Premièrement, la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (DGESIP) a fait le choix de ne jamais appliquer ce plafonnement pourtant prévu par la loi : aucun pourcentage maximum de la masse salariale consacrée au recrutement par la voie de « contrats LRU » n’a été fixé dans les contrats successivement conclus entre les universités et l’État depuis la fin des années 2000, au risque de l’illégalité et au point de susciter l’étonnement de la — pourtant timide — Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche9.
      Deuxièmement, comme le révèle ce même rapport de l’IGAENR (n°2016-036), la direction générale des ressources humaines (DGRH) du ministère a fait le choix de soutenir l’interprétation la plus « dure », socialement parlant, de l’article L.954-3 du code de l’éducation, au point de s’opposer, sur ce point, à la direction générale des finances publiques du ministère en charge du budget : alors que la DGFP soutenait, d’une part, que l’introduction des « contrats LRU » par la loi de 2007 ne remettait pas en cause le principe, applicable jusqu’à la loi du 6 août 201910 selon lequel les besoins permanents des universités devaient être pourvus par les fonctionnaires titulaires, et d’autre part, que l’éventuel recours à des « contrats LRU » ne signifiait pas, pour autant, que les conditions contractuelles pouvaient être librement fixées par les universités11, la DGRH décida que les « contrats LRU » seraient des outils parfaitement autonomes par rapport aux autres textes de droit de la fonction publique, et en déduisit que les conseils d’administration des établissements et, à défaut, les présidents d’université seraient seuls compétents pour fixer les règles applicables aux agents recrutés par cette voie contractuelle.

      -- IV.—

      Conséquences en l’état actuel du droit, indépendamment de l’adoption ou non de la LPPR
      Il résulte donc de la loi du 10 août 2007 et de la loi du 6 août 2019 que les universités peuvent, s’agissant des postes répondant, pourtant, à des besoins permanents, recruter par la voie contractuelle sans aucun plafonnement. À ce stade, la seule limite juridique à ces recrutements — qui a déjà été évoquée plus haut — est le nombre minimal de fonctionnaires dont la présence est rendue obligatoire par le Code de l’Éducation pour faire fonctionner les organes statutaires des établissements12. C’est la raison pour laquelle il importe d’être aujourd’hui beaucoup plus précis dans la critique de la LPPR : le recours aux différents contrats existants offre d’immenses libertés de recrutement pour les besoins permanents des universités, permettant d’ores et déjà d’organiser, pour ce qui concerne les enseignants-chercheurs, le contournement de la procédure de qualification nationale, la modulation des services d’enseignement et les variations de rémunérations.

      En ce qui concerne les procédures de recrutement, d’abord : la procédure de qualification nationale peut aujourd’hui être largement contournée pour les recrutements dans les universités (de même, d’ailleurs, que les simples conditions de diplômes). Tout au plus faut-il respecter les conditions minimales des « contrats LRU » (loi de 2007), évoquées plus haut, et, dans les autres cas (loi de 2019), les nouvelles règles, elles aussi légères, du décret du 19 décembre 2019 relatif à la procédure de recrutement pour pourvoir les emplois permanents de la fonction publique ouverts aux agents contractuels (procédure identique pour les candidats à un même emploi permanent, publication préalable des modalités de la procédure de recrutement, entretien de recrutement d’au moins deux personnes, etc.).
      En ce qui concerne la nature des missions, ensuite : la fixation des missions relève du champ contractuel, de sorte que des tâches administratives diverses, et en nombre illimité, peuvent être confiées à un enseignant-chercheur recruté par voie contractuelle, tout comme les services d’enseignement peuvent faire l’objet de modulations à la hausse ou à la baisse5 (c’est déjà le cas, comme chacun sait, avec les « contrats LRU »°).
      En ce qui concerne les rémunérations, enfin : la fixation des rémunérations est marquée par une très grande souplesse, aussi bien pour les « contrats LRU » (loi de 2007) que pour les autres contrats (décret du 17 janvier 1986 qui pose la règle générale selon laquelle « le montant de la rémunération est fixé par l’autorité administrative, en prenant en compte, notamment, les fonctions occupées, la qualification requise pour leur exercice, la qualification détenue par l’agent ainsi que son expérience »).

      Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, dans leur récent rapport conjoint (« Le pilotage et la maîtrise de la masse salariale des universités », avril 2019) s’étonnent des scrupules des universités à recourir aux recrutements contractuels, et en particulier s’inquiètent du fait que « les universités n’ont que marginalement utilisé l’article L. 954-3 du Code de l’Éducation » (contrats LRU). Dans ce rapport, la position est énoncée sans fard :

      « dès lors que la plupart des besoins peuvent être indifféremment couverts par des contractuels ou des titulaires, compte tenu de la similitude de leurs profils, l’augmentation de la proportion d’emplois contractuels dans les effectifs d’une université a pour conséquence de lui donner davantage de leviers pour piloter ses ressources humaines, sa masse salariale et son GVT [glissement-vieillesse-technicité] » (p. 27).

      Manière on ne peut plus claire de dire une conviction profondément ancrée dans l’esprit des inspecteurs : le recours aux recrutements contractuels devrait être une évidence pour les universités si celles-ci étaient de bonnes gestionnaires des deniers publics. Et c’est ce raisonnement très particulier qui permet aux inspecteurs d’affirmer sans rougir – car le plus rationnellement du monde — que

      « bien que se situant, tout financement confondu, juste au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE les universités sont à ce jour globalement correctement dotées par le budget de l’État pour couvrir leur masse salariale au regard de la situation des finances publiques », p. 3.)

      Ceci est, me semble-t-il, un point très important à garder en tête dans la mobilisation actuelle : les présidences d’universités recourent beaucoup moins qu’elles ne le pourraient aux recrutements contractuels, pour des raisons qui sont très variables selon les établissements. Autrement dit, si le cadre juridique est à peu près en place pour un recrutement massif par la voie contractuelle, c’est donc que tout se joue désormais au niveau des choix de chaque établissement dans les recrutements — à moins, bien sûr, de parvenir à changer le droit, ce qui devrait d’ailleurs être l’un de nos objectifs : proposer une autre loi sur la recherche.

      C’est très exactement la raison pour laquelle la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a estimé, lors des journées SHS organisées par l’Agence nationale de la recherche les 25 et 26 février 2020, que « Les emplois, ce n’est pas mon travail » : les emplois, c’est le travail des universités — toute l’hypocrisie résidant dans le fait que le ministère s’évertue, en revanche, à orienter ce « travail », en contraignant les établissements à recruter bien davantage par la voie contractuelle. C’est la principale raison du chantage actuel à la non-compensation du « Glissement vieillesse technicité » par le ministère13. Et ce sera la principale conséquence des nouvelles voies d’allocation des moyens prévues par la LPPR, et c’est pour cette raison que, quand bien même elle ne ferait que distribuer de l’argent, cette loi réorientera structurellement l’ESR.

      -- V.—

      Face à ce phénomène de précarisation de l’enseignement supérieur et de la recherche, il me semble que nous avons en tant qu’enseignants-chercheurs en droit, eu égard à notre objet de recherche, un rôle particulier à jouer : un rôle dans l’analyse des évolutions en cours et, donc, un rôle dans la contradiction à apporter à ce qui n’est jamais que le travail d’autres juristes14. Je ne pense pas, ici, aux réflexions qu’il nous faudrait avoir quant aux actions juridiques à mener pour contester ces évolutions — il est très clair, à cet égard, qu’il existe quelques faiblesses juridiques dans la mise en oeuvre des outils précédemment décrits, qui pourraient être exploitées —, mais simplement, déjà, à ce qui constitue le coeur de notre métier, à savoir la recherche en droit.

      De ce point de vue, une tâche importante à engager, me semble-t-il, serait de montrer que la contractualisation croissante des différentes fonctions dans les universités n’est pas seulement un problème de précarisation. C’est aussi un problème de précarisation — et quand bien même ce ne serait que cela, ce serait amplement suffisant pour se mobiliser — mais ce n’est pas que cela.

      J’enfonce une porte ouverte, mais il nous faut défendre fermement le point suivant : même si l’on ne proposait que des CDI à l’avenir dans les universités, le problème resterait entier, en ce sens que la contractualisation, même garantie dans sa stabilité par le recours exclusif au CDI, est un recul considérable par rapport à la situation statutaire. Non pas seulement un recul en termes de protection sociale, mais une perte en termes de liberté de la recherche. L’on ne rappelle pas suffisamment, en effet, que le problème des libertés universitaires ne se joue pas seulement au travers de l’affirmation de grands principes opposables devant les tribunaux, mais se joue d’abord et avant tout, et même principalement, au travers du statut. Le statut, autrement dit, est le premier des garde-fous des libertés universitaires, car il est celui grâce auquel on endigue en premier lieu la question hiérarchique et toutes les formes d’emprise.

      https://academia.hypotheses.org/20878

    • Quelques réponses aux questions fréquemment posées sur la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR)

      Dans ce complément à notre billet sur le lien entre LPPR et réforme des retraites (http://www.groupejeanpierrevernant.info/#Desenfumage), nous répondons aux questions qui nous ont été posées sur le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), ses initiateurs, son calendrier et les sommes en jeu à partir des informations dont nous disposons.

      http://www.groupejeanpierrevernant.info/#FAQLPPR

  • #Fonctionnaires : le #gel du #point_d’indice prévu jusqu’en 2022 - Challenges
    https://www.challenges.fr/economie/fonctionnaires-le-gouvernement-table-sur-un-gel-du-point-d-indice-jusqu-e
    #enfoirés
    #gel_ou_vaseline ?
    #mythos
    500 millions en 2021 pour les #enseignants, mais ensuite —>

    « Ce sont quelques lignes passées inaperçues qui pourraient faire du bruit dans la fonction publique. Dans un rapport de novembre, le Conseil d’orientation des #retraites (#COR) a lâché une petite bombe qui concerne la paie de quelque 5 millions de fonctionnaires. Selon ce document, qui établit des prévisions financières concernant les retraites et s’appuie sur des données du ministère du #Budget, le #gouvernement table en effet sur un gel du #point d’#indice, qui sert de base au calcul de la #grille des #traitements des fonctionnaires, jusqu’en #2022. »

    • Une petite bombe passée inaperçue : le gouvernement table sur une progression de la rémunération moyenne des fonctionnaires moins rapide que le salaire moyen français jusqu’en 2025 et un gel du point d’indice jusqu’en 2022.

  • Les fonctionnaires sacrifiés sur l’autel du système « universel » de retraites

    Selon les observations de deux sociologues, le système de retraite proposé par le gouvernement se traduirait par une pénalisation des fonctionnaires de niveaux intermédiaire et supérieur, par rapport aux salariés en #CDI du privé.

    Beaucoup de critiques ont été justement formulées contre le projet de réforme des retraites, dépassant largement la seule question de l’âge pivot. D’abord sur l’incertitude qu’engendrerait un système de #points par rapport à un système où des droits réels sont accumulés, avec ses conséquences prévisibles comme le recours croissant aux #assurances_privées pour y faire face. Ensuite sur les limites d’un projet qui fixe à 14% du PIB le montant total des pensions de retraite alors que la #démographie française ainsi que le volume de richesse produite par actif sont en permanente évolution. Enfin sur le caractère artificiel du déficit annoncé des systèmes de retraite actuels, qui a bien été mis en évidence par un collectif d’économistes (http://www.atterres.org/article/rapport-du-cor-un-d%C3%A9ficit-construit-de-toutes-pi%C3%A8ces).

    En tant que sociologues travaillant sur les inégalités sociales, nous souhaitons intervenir dans ce débat en insistant sur le renforcement du système d’#inégalités dont est porteur la dernière version de ce projet. Ces inégalités, nous avons pu les mettre en évidence grâce à une nomenclature d’emploi élaborée dans le cadre de la rénovation des PCS 2020 de l’Insee, qui permet pour la première fois de comparer les fonctionnaires aux salariés du CDI dans le privé à quatre niveaux de qualification distincts.

    Certes, la communication gouvernementale laisse entendre que la réforme vise à combattre les inégalités de notre société : le système universel proposé serait équitable dans la mesure où il applique les mêmes règles à tous et toutes. Emmanuel Macron déclarait encore, lors de ses vœux aux Français le 31 décembre, qu’il devait faire cette réforme parce qu’« il s’agit d’un projet de justice et de progrès social ». Mais, contrairement aux apparences, la même équation n’aura pas les mêmes conséquences sur toutes les carrières, et le projet de réforme tend en réalité à accentuer les inégalités par rapport au système actuel, en particulier au détriment des fonctionnaires. Le renoncement annoncé à un « âge pivot » de 64 ans ne change en rien cette détérioration annoncée de leur situation.

    Rappelons un fait central : en France, les conditions de rémunération et de progression salariale entre le secteur public et le secteur privé diffèrent fortement, au détriment des fonctionnaires et ce sur l’ensemble des carrières. Le mode de calcul actuel des retraites compense, en partie seulement, cette inégalité structurelle.
    En finir avec les « privilèges » des fonctionnaires ?

    Gel du point d’indice, modification des règles d’avancement, retour du jour de carence, réduction du nombre de postes aux concours, etc. : les décisions politiques des dernières années sont sévères pour l’emploi public, et particulièrement pénalisantes pour les fonctionnaires. Plusieurs de ces décisions, motivées par l’objectif de contenir les dépenses publiques, contribuent à accroître les écarts avec les salariés du privé. Paradoxalement, dans le cadre de la réforme des retraites, c’est l’argument d’une plus grande égalité de traitement entre secteur public et secteur privé qui est cette fois convoqué pour justifier la modification du mode de calcul des pensions des fonctionnaires : ces dernières ne sont calculées que sur les six derniers mois d’activité, contre les 25 meilleures années dans le secteur privé. Un système universel des retraites serait ainsi plus équitable. En réalité, il ne ferait que prolonger les inégalités de carrière entre fonctionnaires et salariés du privé, qui se sont fortement accentuées avec les politiques conduites depuis quinze ans.
    Les fonctionnaires les plus qualifiés sont sous-payés et ont des progressions de carrière plus tardives

    Entre 2014 et 2017, les fonctionnaires exerçant un emploi de niveau supérieur (dont font notamment partie les plus de 900 000 enseignants, mais aussi les médecins hospitaliers ou encore les hauts fonctionnaires) ont perçu en moyenne 2 668 euros net mensuels, primes comprises avant impôt, contre 3 508 pour les salariés du privé en CDI de même niveau de qualification (cadres et ingénieurs). Sur quarante ans de carrière, cette différence de 840 euros tous les mois équivaut à… 403 200 euros !

    Mais ces inégalités-là, pourtant bien connues du gouvernement après deux ans et demi de consultation des partenaires sociaux, on n’en parle pas. Ou alors on les renvoie à d’hypothétiques plans de revalorisation, souvent annoncés mais toujours repoussés, et dont les montants ne semblent pas du tout à même de compenser le décrochage salarial de ces fonctionnaires. Au contraire, ce que le projet de réforme prévoit, c’est d’appliquer un même mode de calcul des droits à la retraite à des carrières inégales.

    Or les rémunérations ne sont pas seulement inégales en moyenne, elles le sont aussi en progression : les salaires des fonctionnaires de 50 à 59 ans (3 177 euros) correspondent au double de ceux de 20 à 29 ans (1 686 euros) ; rien de tel ne s’observe dans le privé où les salaires sont nettement plus élevés en début de carrière et augmentent moins ensuite. Si jusqu’à présent la faiblesse des rémunérations pendant une grande partie de la carrière avait des conséquences sur l’attractivité de l’emploi public, les démissions précoces et les conditions de vie des fonctionnaires, elle ne pesait au moins pas dans le calcul de leurs pensions. La prise en compte de l’ensemble de la carrière et non des six derniers mois changera la donne. Difficile pour le gouvernement de présenter comme équitable une réforme qui accroît les inégalités à l’âge de la retraite alors qu’elles sont déjà béantes en cours de vie active !
    Au niveau intermédiaire, la pénibilité horaire des fonctionnaires qui ne serait plus compensée

    Aux autres niveaux de qualification, les écarts de salaire entre public et privé sont moins marqués. Si les fonctionnaires exerçant un emploi de niveau intermédiaire (comme les infirmières ou les agents de police) gagnent moins que leurs homologues du privé en début de carrière (1 653 euros par mois, contre 1 750), ils tendent à les dépasser en fin de carrière (2 299 contre 2 216). Mais ce que gomme cette proximité, c’est l’écart des contraintes horaires que produisent les missions de service public : les fonctionnaires exerçant un emploi de niveau intermédiaire sont davantage concernés par le travail le dimanche (33% travaillent au moins un dimanche par mois, contre 14% de leurs homologues du privé), le soir (34% contre 21%) et la nuit (20% contre 9%).

    On peut supposer que ces pénibilités ont été prises en compte pour justifier le maintien d’un régime spécifique pour les agents de police. Pour les autres fonctionnaires, si le projet de réforme était adopté, le nouveau mode de calcul des droits à la retraite réduirait le léger avantage qu’ils peuvent tirer de leur progression salariale, pour situer leur pension au niveau de leurs homologues du privé, qui ont pourtant moins eu à affronter ces contraintes d’emploi du temps. Equitable, dites-vous ?
    Un nivellement par le bas et des fonctionnaires sacrifiés au lieu d’une politique ambitieuse de service public

    En appliquant à tous et toutes le mode de calculs des retraites le moins avantageux, le projet de réforme joue la carte d’un nivellement par le bas. Les données statistiques montrent qu’il se traduirait de plus, et surtout, par une pénalisation des fonctionnaires de niveau intermédiaire et supérieur, par rapport aux salariés en CDI du privé. Non seulement ce projet est donc loin d’être égalitaire, mais il serait en outre dangereux pour l’avenir des services publics qui, de fait, parviendraient de moins en moins à susciter des vocations. A l’heure où le nombre de candidats au concours d’enseignement ne cesse de chuter, où les hôpitaux peinent à recruter et à fidéliser leurs personnels, la perspective de cette dégradation est susceptible de porter un nouveau coup – et cette fois vraiment majeur – à la qualité des services publics.

    https://www.liberation.fr/debats/2020/01/14/les-fonctionnaires-sacrifies-sur-l-autel-du-systeme-universel-de-retraite
    #fonctionnaires #fonctionnariat #service_public #retraite #retraites #réforme #démographie #fonction_publique

    –--------

    Ensuite sur les limites d’un projet qui fixe à 14% du PIB le montant total des pensions de retraite alors que la démographie française ainsi que le volume de richesse produite par actif sont en permanente évolution.

    –-> A mettre en lien avec cette analyse du comité de mobilisation de la DG de l’Insee
    https://seenthis.net/messages/814696#message816386

    • Reçu d’une collègue par email, le 15.01.2020 :

      En plus, des rapports relatifs à la LPPR, les discussions plus généralement portent sur la fin du statut de fonctionnaire public :

      –entrée en vigueur le 1er janvier 2020 de la loi de transformation de la fonction publique, avec l’instauration des #ruptures_conventionnelles de contrat entre l’Etat et les #fonctionnaires_titulaires, indemnités de #rupture_conventionnelle à rembourser à l’Etat si l’agent.e retrouve un emploi dans la fonction publique jusqu’à 6 ans après son #licenciement,
      –la généralisation dans la recherche et dans les universités des #contrats_de_chantier, (contrats autorisés dans la fonction publique par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017)
      –aujourd’hui 35% des personnels des universités sont #contractuels (les universités sont le service public où le recours à des contractuels non-titularisé.e.s est le plus fort).

  • #Loi_de_transformation_de_la_fonction_publique

    Avec la préparation de la nouvelle loi sur la recherche, est également passée relativement inaperçue la loi de transformation de la fonction publique, publiée au Journal officiel du 7 août 2019 et entrée en vigueur le 1er janvier 2020 (https://www.fonction-publique.gouv.fr/loi-de-transformation-de-la-fonction-publique).

    Cette loi prévoit "la #rupture_conventionnelle_de_contrat" entre les personnels de la fonction publique, et l’Etat employeur, autrement dit prévoit la pratique des #licenciements, c’est-à-dire, en d’autres termes encore, la fin de la #sécurité_de_l'emploi et du #statut de #fonctionnaire :

    Voici une analyse de ce point crucial de la loi ici (écrite par Sud éducation), à mettre en perspective avec la nouvelle loi en préparation sur la recherche :

    La rupture conventionnelle, prévue par la loi dite de « #transformation_de_la_fonction_publique » est entrée en vigueur le premier janvier 2020. Cette disposition est une attaque de plus contre le statut des personnels et un pas de plus de franchi vers une #précarisation massive.
    La loi dite de « transformation de la fonction publique » est une attaque frontale contre le statut de fonctionnaire. La loi prévoit ainsi de nouveaux #contrats_à_durée_déterminée_non_renouvelables, ne permettant ni l’accès au #CDI, ni à la #titularisation.
    Cette loi prévoit également à un titre expérimental pour 5 ans la rupture conventionnelle. Jusqu’à présent, le droit de la fonction publique interdisait tout accord conclu entre un agent public et son employeur destiné à mettre un terme à la relation de travail. Il s’agissait d’une protection contre les pressions à la démission de la hiérarchie.
    Les #indemnités minimales sont faibles :
    • 25 % d’un mois de traitement brut par an jusqu’à dix ans d’ancienneté ;
    • 40 % d’un mois de traitement brut par an de 10 à 15 ans d’ancienneté ;
    • 50 % d’un mois de traitement brut par an de 15 à 20 ans d’ancienneté ;
    • 60 % d’un mois de traitement brut par an de 20 à 24 ans d’ancienneté.
    Leur plafond supérieur est d’un mois de salaire brut par année d’ancienneté. Cette marge, qui devient de plus en plus importante en fonction de l’ancienneté de l’agent-e, est un vecteur d’inégalités important entre les agent-e-s qui à ancienneté et traitement égaux pourront se voir proposer par l’administration une indemnité qui pourra varier du simple au triple.
    La rupture conventionnelle n’est pas autre chose qu’un #licenciement déguisé : l’agent-e démissionne en échange d’une indemnité, en ne bénéficiant au cours de la procédure que d’une protection syndicale minimale. Pour l’État-patron et son gouvernement, c’est faire d’une pierre deux coups : c’est d’une part un instrument de plus au service d’une politique managériale visant à briser les solidarités collectives, et d’autre part un moyen de se débarrasser des #fonctionnaires à moindres frais en empêchant les agent‑e-s, y compris les contractuel-le-s, de prétendre à un emploi dans la fonction publique de l’État dans les six années qui suivent.
    Le fonctionnaire qui signe cette rupture conventionnelle prend le risque de devoir rembourser son indemnité en cas de nouveau recrutement dans un emploi public, car l’objectif est bien de remplacer les titulaires par des contractuel-le-s.

    Reçu par email, le 12.01.2020

    #réforme #France #fonction_publique

  • Décret sur la #rupture_conventionnelle : l’Etat peut désormais solliciter les #fonctionnaires pour qu’ils quittent leur poste

    Les fonctionnaires peuvent quitter leur emploi à travers une rupture conventionnelle depuis ce 1er janvier. Cette procédure leur offre des conditions de départ plus favorables qu’une démission, mais les expose aussi à la pression de leur administration, qui peut en être à l’initiative.

    Une nouvelle porte de sortie pour les fonctionnaires. Depuis ce 1er janvier, les agents des trois fonctions publiques peuvent quitter leur emploi dans le cadre d’une rupture conventionnelle. Comme dans le secteur privé, cette procédure leur permet de mettre fin à leur contrat de travail d’un commun accord avec leur employeur. Elle prévoit le versement d’une indemnité au salarié, dont le montant est inscrit dans une convention signée entre les deux parties. Ce dédommagement doit respecter un plancher, calculé sur différentes tranches en fonction de l’ancienneté du fonctionnaire (un quart du traitement mensuel par an jusqu’à 10 ans par exemple). Par exemple, un agent payé 2.000 euros brut par an pendant 30 ans touchera au minimum 18.800 euros. Cette indemnité est aussi plafonnée à un douzième de la rémunération brute annuelle multipliée par l’ancienneté dans la limite de 24 ans, soit l’équivalent de deux ans de traitements maximum (48.000 euros pour notre agent à 2000 euros brut par mois), comme précisé dans un décret publié ce 31 décembre.

    https://www.marianne.net/economie/decret-sur-la-rupture-conventionnelle-l-etat-peut-desormais-solliciter-les
    #fonction_publique #décret

  • Retraites amères pour les #classes_populaires

    Le projet de réforme ne permet pas de garantir une réduction des #inégalités. Il existe au contraire de bonnes raisons de penser que celles-ci risquent de s’accroître.

    Bien sûr, il existe encore de nombreuses inconnues sur le fonctionnement du futur système de retraite liées à l’#âge_pivot à 64 ans, aux règles sur l’évolution de la #valeur_du_point, aux conditions concrètes de prise en compte de la #pénibilité, aux conditions de #revalorisation des #salaires des #enseignants et des autres #fonctionnaires, à l’avenir des #pensions_de_réversion ou encore au devenir des 24 milliards d’euros de recettes annuelles de la #Cades [Caisse d’amortissement de la dette sociale] à partir de 2024… Tous ces sujets sont encore sur la table après deux ans de concertation dont on peut se demander à quoi elle a servi pour en arriver à un tel gâchis : mis à part le Medef, plus aucun partenaire social n’a confiance en la parole du gouvernement. Mais pour celles et ceux qui sont attachés au système par #répartition tout en considérant qu’il doit être unifié et amélioré, le cœur du sujet, c’est qu’un #système_universel par points n’est pas forcément juste, ni même plus juste que l’actuel.

    L’#universalité est un moyen, pas un but. Les points ou les trimestres sont des outils, pas des formules magiques. Or, en l’espèce, le mantra « un euro cotisé donne les mêmes droits à tous » pour séduisant qu’il puisse paraître dans sa simplicité conduit à des #injustices difficilement justifiables. Tout d’abord parce qu’il ne tient aucun compte des différences d’espérances de vie suivant la #trajectoire_sociale, et en particulier des espérances de vie en bonne santé. Dans notre société où l’#héritage_social est celui qui est le mieux partagé, cette #fausse_égalité conduirait à ce que les #classes_moyennes et populaires continuent plus que jamais de payer massivement pour les retraites bien plus longues des plus aisés. La mise en place d’un âge pivot à 64 ans, comme le veut le gouvernement, aggraverait encore ce défaut.

    On nous explique que ce serait un progrès de passer du système actuel qui prévoit la prise en compte des 25 meilleures années dans le privé ou des 6 derniers mois dans public pour le calcul de la retraite, à un calcul sur la totalité de la carrière grâce au système par points. C’en serait indéniablement un pour celles et ceux qui ont travaillé longtemps moins de 150 heures par trimestre dont les cotisations ne leur donnent aucun droit aujourd’hui. Mais fallait-il absolument changer de système pour y parvenir ? Non, il suffirait de modifier cette règle.

    Qu’en sera-t-il pour les autres ? Si, pour les « carrières plates » en termes de rémunération, il n’y aura pas de pertes et que, au contraire, les grandes fulgurances de fin de carrière seront moins profitables, aucune simulation ne permet aujourd’hui de garantir une réduction des inégalités si on prend en compte l’ensemble des situations. Il existe au contraire de bonnes raisons de penser que celles-ci risquent de s’accroître. Les #cadres sortis à 23 ou 24 ans d’une grande école, avec tout de suite un CDI bien payé en poche, n’auront plus à travailler jusqu’à 67 ans pour percevoir une retraite à taux plein et seront à coup sûr gagnants. Ainsi que les #hauts_fonctionnaires, de Bercy et d’ailleurs, qui reçoivent des #primes conséquentes. Ils n’ont par nature jamais de trous dans leur carrière et pourront eux aussi s’arrêter de travailler plus tôt.

    Ce ne sera pas le cas pour les plus nombreux. Bien entendu pour les enseignants et toutes les autres catégories de fonctionnaires qui reçoivent peu de primes, sauf revalorisation improbable massive de leurs rémunérations. Mais aussi pour les ouvrier·e·s, les employé·e·s, les technicien·ne·s qui ont commencé à travailler à 20 ans en étant mal payés, qui ont connu le chômage à plusieurs reprises, avant de décrocher un CDI vers 30 ans et commencer alors une carrière un peu plus rémunératrice. Ce ne sera pas le cas non plus pour les employé·e·s sous statut privé pendant des années dans les services publics avant d’être titularisé·e·s. Ni pour les #mères_célibataires obligées de travailler moins pour éduquer plus. Tous verront leur retraite amputée du fait que la règle des meilleures années ne permettra plus d’effacer les années de galère pour le calcul du niveau de leurs pensions.

    Ceux-ci et celles-ci sont pour l’essentiel les enfants des classes populaires et moyennes. Ils vont, d’une génération à l’autre, devoir travailler au-delà de 64 ans pour glaner suffisamment de points afin de rendre leurs pensions tout juste acceptables. Il ne nous a pas échappé bien sûr que ce fonctionnement par points était déjà celui des régimes complémentaires actuels du secteur privé. Il n’en reste pas moins que sa généralisation dans le cadre du nouveau système universel renforcerait beaucoup les injustices qu’il engendre déjà. En prenant en compte de la même manière les rémunérations perçues à l’âge de 25 ans et à 60 ans, les systèmes par points dénaturent la fonction sociale fondamentale d’un système de retraite par répartition : offrir aux retraités une pension qui reflète leur niveau de vie en fin de carrière ou durant les meilleures années de celle-ci.

    Au lieu de promouvoir une telle injustice à travers la retraite par #capitalisation, la majorité actuelle réussit à le faire en prétendant défendre et améliorer la retraite par #répartition. Tout en parachevant l’étatisation de la #protection_sociale et en dotant le pays d’un mécanisme qui permettrait, en jouant sur la valeur du point, de réduire peu à peu les retraites futures sans avoir besoin de changer les règles du jeu. C’est un exploit qu’il convient de saluer, mais à force de détourner de leur sens les #valeurs de la République, cela conduit le pays dans une #impasse.

    https://www.liberation.fr/debats/2019/12/19/retraites-ameres-pour-les-classes-populaires_1770224

    –-> un ami économiste me signale que cette analyse de la réforme des #retraites est très intéressante...