• Un #TGV au-dessus du vide, symbole d’un réseau ferré vulnérable aux #intempéries

    De violentes intempéries ont causé l’affaissement d’un talus sur lequel circulait un TGV dans le Sud-Ouest, sans conséquence pour ses passagers. L’épisode illustre l’exposition du réseau ferré aux effets du changement climatique.

    Un train au-dessus du vide sur plusieurs mètres : les images de l’incident ferroviaire survenu lundi 19 mai dans le Lot-et-Garonne sont impressionnantes. Vers 20 h 30, les 508 passagers du TGV Paris-Toulouse ont ressenti « une légère secousse » avant l’arrêt du train. Et pour cause, les #pluies diluviennes qui ont causé d’importantes #inondations dans le Sud-Ouest avaient fait déborder un petit cours d’eau proche des rails, aux abords de la commune de #Tonneins (Lot-et-Garonne), emportant le ballast — amas de pierres soutenant les rails — sur une dizaine de mètres.

    Le train, qui roulait au ralenti, selon SNCF Réseau, s’est arrêté alors que les #rails ne touchaient plus le sol. « On a frôlé la catastrophe, les voies étaient à nu et le TGV en suspension », a témoigné auprès de l’Agence France-Presse le maire de la commune, Dante Rinaudo. Aucun blessé n’a heureusement été à déplorer.

    « Il n’y a pas eu de déraillement formel. Le train est resté dans l’axe, même si les roues ne touchaient plus le rail à certains endroits », précise SNCF Réseau à Reporterre. La circulation des trains restera coupée entre Agen et Marmande pendant « au moins plusieurs jours » et perturbée mardi 20 mai sur l’axe Bordeaux-Toulouse. « Il va falloir attendre que le TGV soit dégagé pour finaliser le diagnostic », déclare le représentant de SNCF Réseau.

    Des #dégâts « à des endroits où on ne s’y attend pas »

    À l’image de celle-ci, la SNCF comptabilise 7 000 km de voies en #zone_inondable, par ruissellement ou débordement. Et le #réseau_ferré est, de manière générale, particulièrement vulnérable aux effets du dérèglement climatique, qui cause une hausse des températures tout en multipliant les épisodes météorologiques extrêmes. Pour la SNCF, le défi technique est colossal : voies inondées, vents violents déstabilisant les trains, chutes d’arbres, éboulements, surchauffe de rails, incendies, fragilisation des ponts, défaillance de l’alimentation électrique en cas de canicule ou de tempête...

    « Les #aléas_climatiques sont énormes. Ils détruisent régulièrement le réseau à des endroits où on ne s’y attend pas. Cela ne fait que commencer », alertait Franck Dhersin, sénateur Horizons du Nord et ex-Monsieur transports de la région Hauts-de-France, lors d’une conférence de l’Association française du rail, le 8 octobre 2024.

    Les retards dus aux intempéries ont augmenté de 35 % entre 2011 et 2023 et le nombre de trains supprimés pour cette cause a été multiplié par cinq, selon une étude de la SNCF. Cela représente 1 500 trains par an, soit une journée d’exploitation, selon les chiffres de SNCF Réseau, qui dépense 30 à 40 millions d’euros par an pour réparer les dégâts causés par les aléas climatiques.

    Le dérèglement climatique implique aussi une explosion des #coûts de #maintenance. « Notre premier problème, c’est l’effet insidieux du changement climatique sur la végétation. La #forêt se dégrade rapidement, les insectes ravageurs sont plus résilients, ils attaquent la forêt et les arbres tombent sur les voies », a souligné Alain Quinet, directeur général exécutif de SNCF Réseau, le 20 mai devant un parterre d’experts des #transports, réunis au Conseil économique social et environnemental à l’occasion de la conférence de financement des transports.

    Des moyens colossaux nécessaires

    L’entreprise qui a dû renoncer au #glyphosate pour désherber, a vu ses frais de traitement de la végétation passer de 90 millions à 230 millions d’euros par an en dix ans. « Les perturbations du #cycle_de_l’eau » sont la seconde grande menace, dit Alain Quinet.

    Dans une note sur le sujet, SNCF Réseau estime que l’infrastructure est « à priori résiliente à l’horizon 2040-2050 », mais pour la suite, « l’ensemble du catalogue technique actuel doit être réexaminé et mis à jour ». Des moyens colossaux seront nécessaires à long terme, notamment pour déplacer les voies qui se situent dans les zones touchées par la montée des eaux, comme c’est déjà le cas de celle reliant Montpellier à Perpignan.

    Face à ce constat largement documenté, la charge revient désormais à l’État de lancer et financer un plan d’adaptation du réseau, notamment dans le cadre du contrat de performance État-SNCF Réseau, justement en cours de négociation. « Il faut qu’on se prépare, malheureusement, à ce que ce genre de problème climatique se renouvelle », alerte le ministre des Transports, Philippe Tabarot, auprès de Reporterre. « On a besoin de financements », dit-il, reconnaissant que « les arbitrages budgétaires n’ont pas été en faveur des transports ces dernières années, c’est le moins qu’on puisse dire »

    Déjà menacé d’« effondrement » en raison de sa vétusté, le réseau ferré français nécessite donc, plus que jamais, un sursaut politique. C’est en tout cas le consensus qui semble animer les observateurs de tous bords.

    https://reporterre.net/Un-TGV-au-dessus-du-vide-symbole-d-un-reseau-ferre-vulnerable-aux-intemp
    #train #réseau_ferroviaire #changement_climatique #infrastructure #vulnérabilité

  • Les #parcs africains ou l’histoire d’un #colonialisme_vert

    Derrière le mythe d’une Afrique #sauvage et fascinante se cache une histoire méconnue : celle de la mise sous cloche de la #nature au mépris des populations, orchestrée par des experts occidentaux. L’historien #Guillaume_Blanc raconte.

    Vous avez longuement enquêté sur les politiques de #protection_de_la_nature mises en place en #Afrique depuis la fin du XIXe siècle. Comment, dans l’esprit des experts occidentaux de la conservation de la nature, a germé cette idée que le continent africain constituait le dernier éden sauvage de la planète, qu’il s’agissait de préserver à tout prix ?

    Guillaume Blanc1 Mon enquête historique s’appuie en effet sur plus de 130 000 pages de documents issus de 8 fonds d’archives répartis entre l’Europe et l’Afrique. Pour comprendre ce mythe de la nature sauvage, il faut se mettre à la place des #botanistes et des #forestiers qui partent tenter l’aventure dans les #colonies à la fin du XIXe siècle, et laissent derrière eux une Europe radicalement transformée par l’industrialisation et l’urbanisation. En arrivant en Afrique, ils sont persuadés d’y retrouver la nature qu’ils ont perdue chez eux.

    Cette vision est en outre soutenue par un ensemble d’œuvres relayées par la grande presse. C’est par exemple #Winston_Churchill qui, en 1907, publie Mon voyage en Afrique, dans lequel il décrit le continent africain comme un « vaste jardin naturel » malheureusement peuplé d’« êtres malhabiles ». Dans les années 1930, c’est ensuite #Ernest_Hemingway qui évoque, dans Les Neiges du Kilimandjaro, un continent où les #big_five – ces mammifères emblématiques de l’Afrique que sont le #lion, le #léopard, l’#éléphant, le #rhinocéros noir et le #buffle – régneraient en maîtres. Depuis, le #mythe de cette Afrique édénique a perduré à travers les reportages du #National_Geographic et de la BBC ou, plus récemment, avec la sortie du célèbre film d’animation #Le_Roi_Lion.

    Qui sont les principaux acteurs des politiques de protection de la nature en Afrique, depuis les premières réserves de faune sauvage jusqu’à la création des parcs nationaux ?
    G. B. En Afrique, la création des #réserves_de_chasse à la fin du XIXe siècle par les colonisateurs européens vise surtout à protéger le commerce des troupeaux d’éléphants, déjà largement décimés par la #chasse. À partir des années 1940, ces #réserves deviennent ensuite des espaces dédiés presque exclusivement à la contemplation de la #faune_sauvage – une évolution qui témoigne d’une prise de conscience de l’opinion publique, qui considère comme immoral le massacre de la grande #faune.

    Les principaux acteurs de cette transformation sont des écologues administrateurs, à l’image de #Julian_Huxley, le tout premier directeur de l’#Unesco, nommé en 1946. On peut également citer #Edgar_Worthington, qui fut directeur scientifique adjoint du #Nature_Conservancy (une orga­ni­sa­tion gouvernementale britannique), ou l’ornithologue #Edward_Max_Nicholson, l’un des fondateurs du #World_Wildlife_Fund, le fameux #WWF. À partir des années 1950, ces scientifiques issus de l’administration impériale britannique vont s’efforcer de mettre la #science au service du gouvernement, de la nature et des hommes.

    À l’époque coloniale, la nature africaine semble toutefois moins menacée qu’elle ne l’est aujourd’hui. N’y a-t-il pas comme une forme de contradiction de la part des experts de la conservation à vouloir présenter ce continent comme le dernier éden sauvage sur Terre et, dans le même temps, à alerter sur le risque d’extinction de certaines espèces ?
    G. B. Si on prend l’exemple des éléphants, ce sont tout de même 65 000 animaux qui sont abattus chaque année à la fin du XIXe siècle en Afrique de l’Est pour alimenter le commerce de l’#ivoire. À cette époque, les administrateurs coloniaux sont pourtant incapables de réaliser que le massacre auquel ils assistent relève de leur propre responsabilité. Car, tout autour des espaces de protection qu’ils mettent en place pour protéger la nature, la destruction des #ressources_naturelles se poursuit – ce sont les #plantations de #cacao en #Côte_d’Ivoire qui empiètent toujours plus sur la #forêt_tropicale, ou le développement à grande échelle de la culture du #café en #Tanzanie et au #Kenya.

    À mesure que ce #capitalisme_extractiviste s’intensifie, la protection de la faune et de la flore se renforce via la multiplication des #zones_protégées. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ceux qui entendent préserver la nature en établissant des réserves de chasse, puis des parcs nationaux, sont aussi ceux qui la détruisent en dehors de ces espaces de protection.

    Une initiative baptisée « #Projet_spécial_africain » illustre bien cette vision de la nature africaine. En quoi consiste cette grande #mission_écologique, largement promue par les experts internationaux de la conservation ?
    G. B. Le Projet spécial africain est lancé à Varsovie en 1960 par l’#Union_internationale_pour_la_conservation_de_la_nature (#UICN), sous l’égide des Nations unies. En septembre 1961, une grande conférence internationale est organisée à Arusha, en Tanzanie, afin de promouvoir les programmes de conservation auprès des dirigeants africains arrivés au pouvoir après les indépendances. Elle réunit une centaine d’experts occidentaux ainsi qu’une trentaine de dirigeants africains.

    D’un commun accord, ces derniers déclarent vouloir poursuivre les efforts accomplis par les colons européens dans les parcs nationaux africains qui ont vu le jour depuis la fin des années 1920. Pour, je cite, « aider les gouvernements africains à s’aider eux-mêmes », des experts internationaux sont alors envoyés en Afrique. Le Projet spécial africain, qui se poursuivra jusqu’à la fin des années 1970, prend donc la forme d’une alliance entre les dirigeants africains et les experts internationaux.

    Dans le livre que vous avez publié il y a peu, La Nature des hommes, vous rappelez que les institutions internationales ont fortement incité les pays africains à exclure leurs populations des territoires de ce qui allait devenir les parcs nationaux…
    G. B. Parmi les institutions impliquées, il y a, d’un côté, les agences des Nations unies comme l’Unesco et la FAO, mais aussi des organisations non gouvernementales comme l’UICN, le WWF ou la Fauna & Flora International (FFI). Ces deux grandes catégories d’institutions ont tout d’abord servi de machine à reconvertir les administrateurs coloniaux en experts internationaux de la conservation. Ce sont elles qui vont ensuite imposer les mesures conservationnistes à l’intérieur des parcs.

    La FAO va, par exemple, conditionner son aide au Kenya, à l’Éthiopie ou à la Tanzanie pour l’achat de matériel agricole à l’acceptation des règles édictées par l’Unesco – à savoir que soient expulsées les populations qui vivent dans les parcs pour préserver les grands mammifères. C’est donc un véritable système international qui se met en place, dans lequel les agences des Nations unies vont avoir recours à des experts qu’elles vont mandater auprès de l’UICN, du WWF ou de la #FFI.

    Dans les années qui suivent la #décolonisation, les dirigeants africains participent eux aussi à cette #mythification d’un continent foisonnant de vie, car préservé des activités humaines. Quelle est leur part de responsabilité dans la construction de cet #imaginaire ?
    G. B. S’ils n’ont pas choisi ce cadre culturel imposé par les experts internationaux de la conservation, selon lequel l’Afrique serait le dernier refuge mondial de la faune sauvage, ils savent en revanche le mettre au service de leurs propres intérêts. Au #Congo, rebaptisé Zaïre en 1971 par le président Mobutu, ce dernier explique lors d’une conférence de l’UICN qui se tient à Kinshasa que son pays a créé bien plus de parcs que le colonisateur belge qui l’a précédé.

    En 1970, soit près de 10 ans après son indépendance, la Tanzanie a de son côté quadruplé son budget dédié aux parcs nationaux, sous l’impulsion de son Premier ministre #Julius_Nyerere, bien conscient que le parc national représente une véritable #opportunité_économique. Si Julius Nyerere n’envisage pas de « passer (s)es vacances à regarder des crocodiles barboter dans l’eau », comme il l’explique lui-même dans la presse tanzanienne, il assure que les Occidentaux sont prêts à dépenser des millions de dollars pour observer la faune exceptionnelle de son pays. Julius Nyerere entend alors faire de la nature la plus grande ressource économique de la Tanzanie.

    Certains responsables politiques africains mettent aussi à profit le statut de parc national pour contrôler une partie de leur population…
    G. B. Pour une nation comme l’Éthiopie d’#Hailé_Sélassié, la mise en parc de la nature donne la #légitimité et les moyens financiers pour aller planter le drapeau national dans des territoires qui échappent à son contrôle. Lorsque l’UICN et le WWF suggèrent à l’empereur d’Éthiopie de mettre en parc différentes régions de son pays, il choisit ainsi le #Simien, dans le Nord, une zone de maquis contestant le pouvoir central d’Addis-Abeba, l’#Awash, dans l’Est, qui regroupe des semi-nomades vivant avec leurs propres organisations politiques, et la #vallée_de_l’Omo, dans le Sud, où des populations circulent librement entre l’Éthiopie et le Kenya sans reconnaître les frontières nationales.

    En Afrique, la mise sous protection de la nature sauvage se traduit souvent par l’#expulsion des peuples qui vivent dans les zones visées. Quelles sont les conséquences pour ces hommes et ces femmes ?
    G. B. Ce #déplacement_forcé s’apparente à un véritable tremblement de terre, pour reprendre l’expression du sociologue américain Michael Cernes, qui a suivi les projets de #déplacement_de_populations menés par les Nations unies. Pour les personnes concernées, c’est la double peine, puisqu’en étant expulsées, elles sont directement impactées par la création des parcs nationaux, sans en tirer ensuite le moindre bénéfice. Une fois réinstallées, elles perdent en effet leurs réseaux d’entraide pour l’alimentation et les échanges socio-économiques.

    Sur le plan environnemental, c’est aussi une catastrophe pour le territoire d’accueil de ces expulsés. Car, là où la terre était en mesure de supporter une certaine densité de bétail et un certain niveau d’extraction des ressources naturelles, la #surpopulation et la #surexploitation de l’#environnement dont parlent les experts de la conservation deviennent réalité. Dans une étude publiée en 20012, deux chercheurs américain et mozambicain ont tenté d’évaluer le nombre de ces expulsés pour l’ensemble des parcs nationaux d’Afrique. En tenant compte des lacunes statistiques des archives historiques à ce sujet, les chercheurs ont estimé qu’entre 1 et 14 millions de personnes avaient été contraintes de quitter ces espaces de conservation au cours du XXe siècle.

    Depuis la fin des années 1990, les politiques globales de la #conservation_de_la_nature s’efforcent d’associer les populations qui vivent dans ou à côté des #aires_protégées. Comment se matérialise cette nouvelle philosophie de la conservation pour les populations ?
    G. B. Cette nouvelle doctrine se traduit de différentes manières. Si l’on prend l’exemple de l’#Ouganda, la population va désormais pouvoir bénéficier des revenus du #tourisme lié aux parcs nationaux. Mais ceux qui tirent réellement profit de cette ouverture des politiques globales de conservation sont souvent des citadins qui acceptent de devenir entrepreneurs ou guides touristiques. Les habitants des parcs n’ont pour leur part aucun droit de regard sur la gestion de ces espaces protégés et continuent de s’y opposer, parfois avec virulence.

    En associant les populations qui vivent dans ou à proximité des parcs à la gestion de la grande faune qu’ils abritent, la conservation communautaire les incite à attribuer une valeur monétaire à ces animaux. C’est ce qui s’est produit en #Namibie. Plus un mammifère est prisé des touristes, comme l’éléphant ou le lion, plus sa valeur pécuniaire augmente et, avec elle, le niveau de protection que lui accorde la population. Mais quid d’une pandémie comme le Covid-19, provoquant l’arrêt de toute activité touristique pendant deux ans ? Eh bien, la faune n’est plus protégée, puisqu’elle n’a plus aucune valeur. Parce qu’il nie la singularité des sociétés auxquelles il prétend vouloir s’adapter, le modèle de la #conservation_communautaire, qui prétend associer les #populations_locales, se révèle donc souvent inefficace.

    Des mesures destinées à exclure les humains des espaces naturels protégés continuent-elles d’être prises par certains gouvernements africains ?
    G. B. De telles décisions restent malheureusement d’actualité. Les travaux de l’association Survival International l’ont très bien documenté au #Cameroun, en #République_démocratique_du_Congo ou en Tanzanie. En Éthiopie, dans le #parc_du_Simien, où je me suis rendu à plusieurs reprises, les dernières #expulsions datent de 2016. Cette année-là, plus de 2 500 villageois ont été expulsés de force à 35 km du parc. Dans les années 2010, le géographe américain Roderick Neumann a pour sa part recensé jusqu’à 800 #meurtres liés à la politique de « #shoot_on_sight (tir à vue) » appliquée dans plusieurs parcs nationaux d’Afrique de l’Est. Selon cette doctrine, toute personne qui se trouve à l’intérieur du parc est soupçonnée de #braconnage et peut donc être abattue par les éco-gardes. Dans des pays où le braconnage n’est pourtant pas passible de peine de mort, de simples chasseurs de petit gibier sont ainsi exécutés sans sommation.

    En Europe, les règles de fonctionnement des parcs nationaux diffèrent de celles qui s’appliquent aux espaces de protection africains. Si on prend l’exemple du parc national des Cévennes, l’agriculture traditionnelle et le pastoralisme n’y sont pas prohibés, mais valorisés en tant qu’éléments de la culture locale. Comment expliquer ce « deux poids, deux mesures » dans la façon d’appréhender les espaces de protection de la nature en Europe et en Afrique ?
    G. B. Le parc national des Cévennes, créé en 1970, abrite plus de 70 % du site des Causses et Cévennes, inscrit sur la liste du Patrimoine mondial depuis 2011. Or la valeur universelle exceptionnelle qui conditionne un tel classement est, selon l’Unesco, « l’agropastoralisme, une tradition qui a façonné le paysage cévenol ». C’est d’ailleurs à l’appui de cet argumentaire que l’État français alloue des subventions au parc pour que la transhumance des bergers s’effectue à pied et non pas en camions, ou bien encore qu’il finance la rénovation des toitures et des murs de bergeries à partir de matériaux dits « traditionnels ».

    En revanche, dans le parc éthiopien du Simien, la valeur universelle exceptionnelle qui a justifié le classement de ce territoire par l’Unesco est « ses #paysages spectaculaires ». Mais si les #montagnes du Simien ont été classées « en péril3 » et les populations qui y vivaient ont été expulsées, c’est, selon les archives de cette même organisation internationale, parce que « l’#agropastoralisme menace la valeur du bien ».

    À travers ces deux exemples, on comprend que l’appréciation des rapports homme-nature n’est pas univoque en matière de conservation : il y a une lecture selon laquelle, en Europe, l’homme façonne la nature, et une lecture selon laquelle, en Afrique, il la dégrade. En vertu de ce dualisme, les activités agropastorales relèvent ainsi d’une #tradition à protéger en Europe, et d’une pratique destructrice à éliminer en Afrique.

    https://lejournal.cnrs.fr/articles/parcs-Afrique-colonialisme-histoire-nature-faune
    #colonialisme #animaux #ingénierie_démographique

    • La nature des hommes. Une mission écologique pour « sauver » l’Afrique

      Pendant la colonisation, pour sauver en Afrique la nature déjà disparue en Europe, les colons créent des parcs en expulsant brutalement ceux qui cultivent la terre. Et au lendemain des indépendances, avec l’Unesco ou le WWF, les dirigeants africains « protègent » la même nature, une nature que le monde entier veut vierge, sauvage, sans hommes.
      Les suites de cette histoire sont connues : des millions de paysans africains expulsés et violentés, aujourd’hui encore. Mais comment a-t-elle pu advenir ? Qui a bien pu organiser cette continuité entre le temps des colonies et le temps des indépendances ? Guillaume Blanc répond à ces questions en plongeant le lecteur au cœur d’une étrange mission écologique mondiale, lancée en 1961 : le « Projet spécial africain ».
      L’auteur raconte l’histoire de ce Projet, mais, plutôt que de suivre un seul fil narratif, il redonne vie à quatre mondes, que l’on découvre l’un après l’autre : le monde des experts-gentlemen qui pensent l’Afrique comme le dernier refuge naturel du monde ; celui des colons d’Afrique de l’Est qui se reconvertissent en experts internationaux ; celui des dirigeants africains qui entendent contrôler leurs peuples tout en satisfaisant les exigences de leurs partenaires occidentaux ; celui, enfin, de paysans auxquels il est demandé de s’adapter ou de disparaître. Ces hommes ne parlent pas de la même nature, mais, pas à pas, leurs mondes se rapprochent, et ils se rencontrent, pour de bon. Ici naît la violence. Car c’est la nature des hommes que d’échanger, pour le meilleur et pour le pire.

      https://www.editionsladecouverte.fr/la_nature_des_hommes-9782348081750
      #livre

  • Comment les #passeurs profitent des politiques migratoires restrictives dans les #Balkans

    Les #réseaux_criminels étendent leur mainmise sur la route migratoire des Balkans. De plus en plus de passeurs parviennent à exploiter les politiques frontalières de l’Union européenne.

    Dans les zones frontalières de la #Serbie, de la #Bosnie et de la #Hongrie, la dynamique migratoire est en constante évolution. Alors que les camps de détention aux frontières ont été fermés et que les politiques frontalières de l’Union européenne (UE) deviennent de plus en plus restrictives, les migrants empruntent des itinéraires toujours plus dangereux, contrôlés par des réseaux de trafic toujours plus sophistiqués.

    C’est le constat fait par de nombreuses ONG qui travaillent avec les migrants le long de ces itinéraires.

    Milica Svabic, de l’organisation KlikAktiv, une ONG serbe qui développe des politiques sociales, explique que « malheureusement, de plus en plus de migrants ont fait état d’#enlèvements, d’#extorsions et d’autres formes d’#abus de la part de passeurs et de groupes criminels ces derniers mois. »

    Selon elle, des groupes de passeurs afghans opèrent actuellement aux frontières de la Serbie avec la Bosnie et la Hongrie. #KlikAktiv a ainsi recueilli des témoignages d’abus commis aux deux frontières.

    Le paysage changeant des réseaux de passeurs

    En Serbie, ces changements sont frappants. Les camps de fortune ont disparu des zones frontalières. Désormais, les personnes migrantes se retrouvent cachées dans des #appartements_privés dans les centres urbains et ne se déplacent plus que la nuit.

    Les bandes criminelles afghanes et des réseaux locaux ont pris le contrôle à travers une #logistique complexe, clandestine et dangereuse.

    Milica Svabic a expliqué à InfoMigrants que son organisation a également documenté « des cas de migrants enlevés et retenus dans des lieux isolés (généralement des logements privés) jusqu’à ce que leur famille paie une #rançon pour leur libération ». Elle précise que cette rançon s’élève souvent à plusieurs milliers d’euros.

    La plateforme d’investigation Balkan Investigative Reporting Network, le #BIRN, a récemment documenté comment des membres du #BWK, un gang afghan notoire opérant en Bosnie, ont retenu des demandeurs d’asile en otage dans des camps en pleine #forêt, en exigeant des rançons de leurs proches, tout en les soumettant à d’horribles #sévices, y compris des #viols et de la #torture. Ces #agressions sont parfois filmées et envoyées aux familles comme preuve de vie et moyen de pression.

    Rados Djurovic, directeur de l’ONG serbe #Asylum_Protection_Center, confirme que les passeurs ont recours à des #appartements et d’autres lieux tenus secrets dans les grandes #villes pour y cacher des migrants, les maltraiter et organiser le passage des frontières.

    « Ces opérations sont devenues de plus en plus violentes, les passeurs ayant recours à la force pour imposer leur contrôle et obtenir des #pots-de-vin. Ils enlèvent des personnes, les retiennent dans ces appartements et extorquent de l’argent à leurs familles à l’étranger », ajoute-t-il.

    D’autres groupes de défense des droits humains et des experts en migration rapportent des cas similaires.

    Un rapport du #Mixed_Migration_Center (MMC) relate des témoignages de #vol, de #violence_physique et d’extorsion. Roberto Forin, du MMC, souligne toutefois que « le rapport n’identifie pas spécifiquement les groupes armés d’origine afghane comme étant les auteurs de ces actes ».

    L’impact des politiques frontalières et des #refoulements

    Le renforcement des mesures de sécurité le long des frontières expliquerait en partie cette évolution.

    Un porte-parole du Border Violence Monitoring Network (BVMN) explique que « l’apparition de ces groupes est simplement la conséquence de la sécurisation croissante des régions frontalières dans toute l’Europe. Alors que les politiques frontalières européennes déploient des méthodes de plus en plus violentes pour empêcher la migration, les migrants n’ont d’autre choix que de recourir à des méthodes informelles pour franchir les frontières ».

    Ce point de vue est partage par le Mixed Migration Center.

    Le réseau BVMN ajoute qu’en fin de compte, « ce sont les personnes en déplacement qui sont les plus touchées par la violence que ce soit de la part des autorités publiques ou des groupes qui prétendent les aider dans leur périple ».

    Roberto Forin du MMC prévient que « la violence et les restrictions aux frontières exacerbent la #vulnérabilité des migrants à l’#exploitation et aux abus ».

    Rados Djurovic du Asylum Protection Center souligne également le « lien direct entre les pratiques de refoulement à la frontière hongroise et l’augmentation du trafic de migrants, tant en termes d’ampleur que de violence ».

    « Par peur des refoulements et de la violence, les migrants évitent les institutions et les autorités de l’État et font confiance aux passeurs, qui exploitent souvent cette confiance », ajoute Milica Svabic, de KlikAktiv.

    Les Etats concernés dans une forme de #déni

    Le rapport du BIRN montre que des membres du #gang afghan BWK possèdent des documents d’identité délivrés par l’UE sur la base du statut de protection qui leur aurait été accordé par l’Italie.

    Selon le BIRN, certains membres du gang pourraient avoir utilisé ces documents pour franchir sans encombres les frontières dans les Balkans et échapper aux autorités. Contacté par InfoMigrants, les autorités italiennes ont refusé de commenter ces allégations.

    Plus largement, les Etats concernés par des accusations de refoulement ou de négligence le long de leurs frontières nient avec véhémence toute #responsabilité. Cette posture pourrait encourager un sentiment d’#impunité chez les passeurs.

    Les migrants se retrouvent ainsi dans un cercle vicieux. Des demandeurs d’asile déclarent avoir été battus par des forces de l’ordre. Ils se retrouvent ensuite aux mains de #bandes_criminelles qui les soumettent à d’autres #traitements_inhumains.

    Lawrence Jabs, chercheur à l’université de Bologne, affirme dans l’enquête du BIRN qu’il existe « un lien certain entre les refoulements et les prises d’otages ».

    Les conclusions du BIRN mettent en lumière un problème plus général dans les Balkans : le #crime_organisé prospère dans les régions où l’application de la loi est violente et où l’obligation de rendre des comptes semble absente. Dans certains cas, des membres du BWK se seraient infiltrés dans des #camps_de_réfugiés gérés par l’État via l’intermédiaire d’informateurs locaux, qui auraient informé le gang des passages de frontière à venir.

    En octobre 2024, plusieurs membres présumés du BWK ont été arrêtés pour avoir enlevé des migrants turcs et filmé leur torture.

    La police bosniaque décrit les opérations du BWK comme « bien établies et très rentables », certains individus associés au réseau détenant des comptes bancaires avec plus de 70 000 euros de dépôts.

    L’enquête du BIRN décrit comment un gang dirigé par des migrants afghans bénéficie d’une certaine protection en Italie. De nombreux experts en matière de migration soulignent également que la nature de ces gangs est par définition transnationale.

    Selon Rados Djurovic du Asylum Protection Center, « ces réseaux ne sont pas uniquement constitués de ressortissants étrangers. Ils sont souvent liés à des groupes criminels locaux. Il arrive même que des migrants fassent passer de la #drogue pour d’autres, toujours avec le soutien de la population locale ».

    Les bandes criminelles s’appuient aussi sur des chauffeurs et des fixeurs locaux pour faciliter le passage des frontières.

    Rados Djurovic explique à InfoMigrants que ces groupes « impliquent à la fois des populations locales et des réfugiés. Chaque personne a son rôle ». Aussi, son organisation a « documenté des cas de personnes réfugiées voyageant légalement au sein de l’UE pour rejoindre ces groupes en vue d’un gain matériel. »

    Réponse de la police

    Le 14 avril, deux corps de migrants ont été retrouvés près d’un cimetière à Obrenovac, dans la banlieue de Belgrade, la capitale serbe.

    La forêt qui entoure le cimetière est devenue un campement informel exploité par des #passeurs_afghans. Les victimes seraient des ressortissants afghans poignardés à mort. Deux autres migrants ont été blessés, l’un au cou et l’autre au nez.

    Milica Svabic précise que « des incidents similaires se sont produits par le passé, généralement entre des groupes de passeurs rivaux qui se disputent le territoire et les clients ».

    Selon Rados Djurovic, bien qu’il y ait une volonté politique de lutter contre les réseaux criminels et la migration irrégulière, le souci de préserver une bonne image empêche un véritable engagement pour s’attaquer aux causes profondes.

    Il explique que la nature lucrative de l’activité et l’implication de la population locale rendent « presque impossible le démantèlement de ces réseaux ».

    La #dissuasion plutôt que la #protection

    Malgré les efforts des ONG, le soutien institutionnel reste inadapté. « Au lieu de se concentrer uniquement sur la lutte contre la migration irrégulière et le trafic de migrants, les institutions devraient développer des mécanismes pour soutenir ceux qui ont besoin de protection », estime Rados Djurovic.

    Il rappelle que « les routes migratoires ont changé. Elles ne sont plus visibles pour les médias, le public, les institutions et dans les camps. Mais cela ne signifie pas que les gens ne continuent pas à traverser (les frontières) ».

    Cette évolution coïncide avec la fermeture de camps d’accueil de migrants situés le long des principales routes de transit. « Sur 17 camps, seuls cinq fonctionnent encore, et aucun n’est situé sur les principaux axes de transit. Il n’existe plus de camp opérationnel dans toute la région de Voïvodine, dans le nord de la Serbie, à la frontière de l’UE ».

    Or, sans accès à un logement et confrontés à des expulsions régulières, les migrants n’ont que peu d’options. « Cela renforce les passeurs. Ces derniers comblent alors le vide en proposant des logements comme un service payant », observe Rados Djurovic.

    Et les ONG ne peuvent combler l’absence de structures étatiques. Roberto Forin, du Mixed Migration Center, constate que « si certaines ONG fournissent un soutien juridique et psychosocial, la couverture n’est pas permanente et de nombreux migrants ne sont pas au courant des services disponibles ». De plus, les travailleurs humanitaires s’exposent aux dangers des bandes criminelles, limitant ainsi leur champ d’action.

    Enfin, la Serbie a pour objectif de rejoindre l’UE et cherche à s’aligner sur les politiques migratoires européennes. En ce sens, montrer que la frontière serbe est forte est devenu une priorité.

    Selon Rados Djurovic, le Serbie veut « marquer des points sur la question de la migration ». Ainsi « ils peuvent prétendre que le recours à la violence, à la police des frontières et aux opérations conjointes stoppe la migration, même si ce n’est pas vrai. Tout le monde y gagne : les personnes qualifiées d’ »étrangères" sont ciblées et la lutte contre l’immigration devient à la fois politiquement et financièrement lucrative".

    https://www.infomigrants.net/fr/post/64299/comment-les-passeurs-profitent-des-politiques-migratoires-restrictives
    #route_des_Balkans #politiques_migratoires #responsabilité #migrations #réfugiés #frontières #fermeture_des_frontières #criminalité

    ping @karine4

  • En #Algérie, la France coloniale a aussi détruit la #nature

    L’accaparement colonial de la terre en Algérie a détruit des modes d’organisation et de gestion de la terre en commun. Le développement des monocultures et d’une agriculture d’exportation a aussi bouleversé l’environnement.

    Après avoir été suspendu de RTL début mars pour avoir évoqué les massacres français en Algérie au XIXe siècle, Jean-Michel Apathie a décidé de quitter la station. En pleine surenchère du ministre Bruno Retailleau avec l’Algérie et face à une extrême droite qui clame les bienfaits de la colonisation, le flot de réactions hostiles aux propos de l’éditorialiste rappelle que nombre de Français ne connaissent pas l’ampleur des crimes coloniaux commis par la France en Algérie.

    Face aux tentatives de révisionnisme historique, Reporterre s’est intéressé à un pan méconnu de la colonisation française en Algérie : ses dégâts sur la nature. À l’aube de la colonisation, le socle de la société algérienne reposait sur la paysannerie, l’agriculture était la principale source de richesse et rythmait la vie des populations qui alternait entre le travail de la terre et les transhumances saisonnières. Mais de 1830 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, l’accaparement des terres par les colons a complètement bouleversé cet équilibre.

    « L’arrivée des colons en Algérie signe l’accaparement des ressources environnementales et celle du foncier. C’était une pratique d’expropriation sans explication, sans excuse et avec une grande brutalité. Pour les Algériens, c’est un monde qui s’effondre littéralement », relate Antonin Plarier, maître de conférence à l’université Lyon 3 et spécialiste de l’histoire environnementale des sociétés coloniales.

    Au total, d’après ses calculs, plus d’1,2 million d’hectares ont été transférés aux Européens entre 1830 et 1917 : soit l’équivalent de 1 000 fois la superficie de Paris, et trois fois celle de la Belgique.

    Pour réquisitionner des terres algériennes, la France a développé un arsenal juridique légalisant un paradoxe : celui d’une société qui défendait le droit à la propriété et d’une colonisation qui foulait au pied celle des Algériens. L’administration coloniale pouvait ainsi s’emparer de n’importe quelle propriété algérienne, qu’elle soit celle d’un individu comme d’une tribu entière.
    Détruire la paysannerie pour « soumettre le pays »

    La doctrine coloniale et militaire se lit à travers les écrits du maréchal Bugeaud, le militaire qui a permis d’étendre la conquête de l’Algérie. Voici notamment ce que précise cette violente figure de la colonisation, spécialiste des enfumades (pratique consistant à asphyxier des personnes réfugiées ou enfermées dans une grotte en allumant devant l’entrée des feux) : « J’y ai réfléchi bien longtemps, en me levant, en me couchant ; eh bien ! Je n’ai pu découvrir d’autre moyen de soumettre le pays que de saisir l’intérêt agricole ». Il faut donc empêcher les populations « de semer, de récolter, de pâturer », pour les priver des moyens d’existence, souligne l’historien Hosni Kitouni, chercheur en histoire à l’université d’Exeter.

    En filigrane, il s’agissait de punir tous ceux qui tentaient de se révolter, et de dissuader ceux qui en avaient l’intention. En 1838, l’ordonnance royale du maréchal Bugeaud indiquait que toute tribu s’insurgeant contre la domination française pouvait voir ses terres séquestrées. Cette politique monta encore d’un cran en 1871 à la suite d’une insurrection initiée contre la puissance coloniale.

    Cette « tempête des spoliations », selon l’expression d’Hosni Kitouni, a non seulement dispersé les populations, contraintes d’abandonner leurs maisons, leurs cultures, leur bétail, mais a également entraîné leur paupérisation, voire pire, leur famine, puis leur mort. En parallèle, la violence des razzias, ces opérations militaires menées dans des campements, a détruit les habitations et les récoltes. Les arbres fruitiers étaient rasés dans les zones de guerre.
    Spoliation de l’eau et des forêts

    « Devenus des paysans sans terre, sans bétail, sans abris, n’ayant que la force de leurs bras à vendre, ils vont alimenter la masse des candidats à toutes les servitudes », écrit Hosni Kitouni. D’anciens propriétaires algériens sont alors parfois revenus sur leurs terres louer leur force de travail aux colons français. « Des paysans algériens vont revenir cultiver la terre, fournir les semences, et les instruments agraires, en échange de quoi ils vont pouvoir récupérer un ou deux cinquièmes de la récolte, le reste revenant au propriétaire », raconte à Reporterre Antonin Plarier.

    Au-delà des terres, la colonisation s’est emparée des communs que sont les forêts et l’eau. Au XIXe siècle, plusieurs opérations de maîtrise des cours d’eau ont fleuri, toujours dans le but d’irriguer les terres des colons. Dans les années 1860, un projet de barrage a vu le jour dans le département d’Oran. Antonin Plarier pointe ainsi ce qui tient de l’évidence : « Lorsqu’une source en eau est maîtrisée, elle l’est uniquement au bénéfice des colons, et donc au détriment des agriculteurs algériens qui en sont de fait dépossédés. »

    La question de l’eau a entraîné plusieurs conflits, tout comme celle des forêts. Dès les années 1830, l’imposition du Code forestier par les colons a restreint peu à peu aux Algériens l’artisanat, le passage du bétail, le ramassage du bois de chauffe, et la coupe de bois pour les diverses constructions.

    Résultat : entre un tiers et la moitié des ressources économiques de la paysannerie algérienne a été menacée par ce nouveau cadre légal, estime Antonin Plarier. Il faut dire que l’administration coloniale y a très vite vu un filon : l’exploitation des forêts en vue de leur commercialisation.

    Dans la montagne de Beni Khalfoun, dans la vallée de l’Isser, l’administration octroya par exemple une concession d’environ 1 000 hectares de chênes-lièges, un bois cher et prisé pour la fabrication de bouchons, à un exploitant français. Difficile de donner un chiffre précis, mais cet accaparement de ressources essentielles n’a pas été sans conséquences sur l’écosystème algérien.

    « C’est toute une série d’éléments liés à la colonisation qui vont contribuer à dégrader l’environnement algérien. En asséchant les sols via la déforestation, l’État colonial a par exemple favorisé l’érosion des sols », dit l’historienne Hélène Blais, professeure d’histoire contemporaine à l’ENS et autrice de L’empire de la nature. Une histoire des jardins botaniques coloniaux.
    Monocultures et rentabilité

    En Algérie, comme ailleurs, la colonisation s’est accompagnée de l’introduction de nouvelles espèces jugées plus rentables, et d’un bouleversement dans les pratiques agricoles tournées vers une pratique intensive et exportatrice correspondant davantage aux besoins de la métropole.

    Ce qui fait dire à Alain Ruscio, historien spécialiste de la période coloniale, que « la totalité de l’écosystème algérien a été affectée par la colonisation » : « Au fur et à mesure que l’armée française considérait qu’une région était complètement contrôlée, des monocultures étaient rapidement mises en place. D’où aussi la construction de routes servant à acheminer ces marchandises vers la France », nous explique-t-il.

    C’est l’exemple de la vigne et de sa vinification, qui priva une partie de la population d’un accès à la culture de céréales, et entraîna la disparition de terres en jachères — qui fournissaient des pâturages jusqu’ici essentiels pour le bétail des paysans algériens. Mais aussi de l’introduction massive de l’eucalyptus, cette plante endémique d’Australie, dès les années 1860 pour tenter d’assainir les zones humides dans lesquelles le paludisme décimait des colons.

    « Des millions d’arbres ont ainsi été plantés. Dans certains endroits, cela a asséché plus qu’il était nécessaire, au détriment d’autres espèces endémiques qui ont été abattues ou abandonnées dans ce cadre », analyse Hélène Blais. L’historienne a également observé des tentatives d’introduction de moutons mérinos, apporté pour sa laine prisée en Europe.
    Chasses coloniales

    Sans oublier les chasses coloniales qui attiraient des Français originaires de tout l’Hexagone venus traquer hyènes, panthères, lions et autres animaux sauvages. Considérés comme des animaux nuisibles, leurs têtes furent mises à prix via une circulaire du général Bugeaud de 1844 offrant une récompense pour tout animal tué « proportionné à la puissance de chaque bête ». D’après les recherches d’Hosni Kitouni, rien qu’en 1860, ce ne furent pas moins de 61 panthères et 38 lions qui avaient été abattus. Si bien qu’à la fin du XIXe siècle, le plus gros de la faune sauvage avait disparu. Le dernier lion fut abattu en 1958.

    « L’ordre colonial s’accommode peu avec la différence biologique, écologique, humaine qui résiste à sa domination, conclut l’historien auprès de Reporterre. D’où la politique de mise en ordre à force de violence et de juridictions d’exception, empêchant la société autochtone de se développer à son rythme selon ses lois naturelles. »

    Au-delà des crimes commis sur les Algériens, peu d’historiens se sont jusqu’ici emparés des destructions des écosystèmes. L’ampleur d’un éventuel écocide lié à la colonisation française reste à quantifier et est un angle de mort de la recherche.

    https://reporterre.net/En-Algerie-la-France-coloniale-a-aussi-detruit-la-nature
    #destruction #paysage #colonisation #France #France_coloniale #histoire #terres #accaparement_des_terres #communs #agriculture #exportation #monoculture #paysannerie #foncier #expropriation #brutalité #violence #réquisition #droit_à_la_propriété #lois #maréchal_Bugeaud #enfumades #moyens_d’existence #insurrection #paupérisation #famine #razzias #arbres_fruitiers #eau #forêts #forêt #barrage #conflits #Code_forestier #érosion_des_sols #ressources #montagne #déforestation #environnement #érosion_des_sols #rentabilité #routes #vigne #jachères #terres_en_jachères #céréales #pâturages #eucalyptus #zones_humides #paludisme #arbres #laine #chasse #chasses_coloniales #ordre_colonial #animaux_sauvages #écocide
    #géographie_culturelle #géographie_du_droit #legal_geography

  • Border. Space of Violence and Struggle

    What is a border? Is it a line on the map dividing nation states or communities that used to be united? Or is it rather a wall; border infrastructure that is constantly fortified and improved - with cameras, coils of barbed wire, electronics - all that to prevent people from moving, while in fact making their journey more dangerous?

    All these material elements constitute a border. But it is not only about them - the practices that take place there matter as well. On one side, there are soldiers and border guard officers patrolling the territory and using violence against asylum seekers, pushing them back into dangerous areas, where nature itself may detain or hurt them. On the other side, there are people on the move, who cross the border in search of a safe place and dignified life. Hence, the border is constantly produced by (but also produces) the constant processes of reinforcing and contesting it.
    Short story of the crisis

    August 2021 is deemed to be the symbolic starting point of the humanitarian crisis at the Polish-Belarusian border. That was when a group of 32 Afghanis sat in the glade to protest against being pushed back to Belarus and denied the right to apply for international protection for yet another time. The migrant trail across the Białowieża forest is not new, in the past many people would cross this green border in different directions to flee from violence and persecutions and find a better and safer life. The revival of this trail in 2021 was related to simplified visa procedures and increased number of flights to Minsk by President Lukashenko’s regime. Belarus did it in reaction to the sanctions imposed on this country by the European Union after fraudulent presidential elections in 2020 and bloody suppressed “revolution of dignity”.

    This opened up new possibilities to people who sought a way to escape from their country of origin or residence. The Polish government reacted directly and immediately by pushing these people back to Belarus and refusing to accept applications for international protection - each person’s right, regardless of the way they got to a given country.

    In September 2021 a state of emergency was declared in some parts of Podlaskie and Lublin provinces - for the first time since introducing martial law in 1981. The no-entry zone included 183 settlements and was accessible in fact only for the inhabitants of this zone, which made it impossible for journalists, NGO workers and people wanting to help to enter this territory. In October 2021 the so-called “pushback law” came into force. This law has sanctioned the status quo and obliged the persons who crossed the border in an undocumented way to leave the country and banned them from re-entering the territory of Poland and other Schengen area countries. It also entitled border guard officers to “walk these people off to the state border”.

    The due date of the zone was prolonged multiple times - until June 2022. After the initial 30 days it was prolonged by another 60 days - that was what the constitution allowed for. Following these 90 days, a ministerial regulation was issued, and it included the very same region in order to preserve the zone with its bans. After numerous protests of human rights organisations and parliamentary opposition who pointed out that this solution was not in line with the constitution, the State border protection act was amended - from this moment on, it was possible to introduce no-entry zones without declaring a state of emergency. Donald Tusk’s government invoked this very act on 13th June 2024 to declare a “buffer zone” which now ranged from “only” 200 m to 2 km from the borderline.

    These legal measures went hand in hand with advances in militarisation. The omnipresence of the border guard, army and the territorial defence force units became part of everyday life in Podlaskie, just like new fortifications built at the border. Solidarity networks developed in parallel with the violent activity of politicians. These networks included previously existing and newly formed initiatives and organisations created by locals and visitors that informed about human rights violations and provided continuous humanitarian support to the people in the forest, despite multiple attempts to discredit and undermine the legitimacy of their actions. Most of them joined an informal coalition named “Grupa Granica” (“Border Group” - translator’s note). These people and groups remain active to this day.

    The shape the border takes and will take in the future is and will be influenced by new legal acts. The key role here is played by the planned amendment to the Act on Granting Protection to Foreigners on the Territory of the Republic of Poland, which authorizes the state to suspend the right of asylum for a given period or at a given territory, which completely contradicts international law.
    What is “counter-mapping” for?

    Maps have always served as a tool for learning, sharing information, and representing newly discovered and already known areas. Marking roads, rivers, watering places, towns, and streets was supposed to make it easier to get one’s bearings in the world or to exploit the terrain and dominate the land and its inhabitants, if used to gain or consolidate power. And so, maps have also become a tool for exercising control over territories, a way of marking and legitimizing borders, separating “our own” from “others.”

    Migration maps serve a similar function; they often include arrows that are to show numbers and directions in which migrants are moving (usually in an exaggerated scale). They associate with military strategic planning and arouse fear of being invaded by those “from the outside.” Such an image carries the risk of dehumanizing and depoliticizing migration processes and decisions: we do not know who is migrating and why, what distances they have covered and how complicated their journey has been. The diversity of experiences of people on the move is lost.

    So how can we map migrations without falling into these potholes?

    We can use counter-mapping, a method that primarily aims to show control mechanisms, institutional policy, violence, and the impact it has on migrants. It is not bound so strongly by scale and geography; it leaves room for showing the agency and resistance of people on the move. By emphasizing the experience of migration, it can be used to create a more complex and nuanced picture.

    Counter-mapping originated from discussions on engaging research in favour of social change. According to this trend, collectively created knowledge should be useful for a social movement or a group participating in the process and help to better understand the situation or disseminate the reflections they developed. At the same time it should contribute to creating a narrative which is different from the official one. The map presented here was created in this spirit, in cooperation with researchers and activists involved in the activities on the Polish-Belarusian border, who document the processes happening there and provide humanitarian support to people on the move. The project combines already existing reflections and research related to the border space.
    What is there on the map?

    The material created in the counter-mapping process cannot, above all, be another control tool, revealing migration routes or resistance strategies. It could harm people on the move and prejudice their efforts to achieve a better, safe and dignified life. It must skilfully navigate around the challenges of visibility: showing manifestations of violence and resistance in order to serve an educational or advocacy function and strategically refrain from revealing sensitive information. This is why the map presented here does not reflect the real geography of Podlaskie. It includes significant “typical” spaces and objects that are actually located in the border area; however, their exact location and configuration has been changed. The distorted geography allows to show all the important elements of the landscape without endangering the people on the move and the continuity of activist support.

    The map contains 20 places and objects that are a pretext to tell a story about what the border space is and what is happening within it. It also shows us the material elements that influence travel, activism and control strategies.
    Sources and inspirations

    The presented map has been inspired directly by the ethnographic walk led by Inga Hajdarowicz and Natalia Judzińska from March 2023 in the border area. Regular visits that often involve researchers, students, and activists, are one of the ways to present data and research results. They also mobilize alliances and give an opportunity to observe changes in the border landscape and behaviour of the uniformed services.

    The reflections took the form of a map with its descriptions. They are based on the literature in the field of critical border studies, numerous papers published on the Researchers on the Border website and NGOs’ reports, i.a. The We Are Monitoring Association. They are also a record of research and activist experiences of the authors engaged at the Polish-Belarusian border.

    The presented map is a voice in the discussion on the humanitarian crisis that has been going on at the border. It attempts to participate in creating a counter-narrative and forming the memory of past and present events. Thereby, it adds to the growing list of studies on the relationship between space and violence. In addition to the previously mentioned sources, it is worth mentioning the project “Zone of hidden violence” by Border Emergency Collective and Szymon Ruczyński’s animation “There are people in the forest” (Original title: “W lesie są ludzie” - translator’s note).

    Of course, the map presents only a fragment of the border reality from the perspective of the people involved in the project. People on the move were not directly involved in the process of its preparation. Involving people with migration experience would require planning a completely different, long-term action that would be sensitive to their well-being. However, this does not mean that the voice of the very entities and subjects of the crisis does not appear in the project. Yes, it does - though it is mediated by the authors. It is because we assume that people from Poland (the country that perpetrates violence and violates human rights) are primarily responsible for informing about the ongoing humanitarian crisis. Their first-hand knowledge, engagement and meetings with people on the move, allow for this discussion about creating border space to happen.

    https://mapa.bbng.org/en

    #cartographie #visualisation #carte_interactive #frontières #migrations #violence #luttes #contre-cartographie #Pologne #crise #Biélorussie #forêt

    ping @karine4 @visionscarto

  • How To Erase a People

    They did it to Native Americans, to Palestinians like my family in 1948, and now Trump wants to do it again in Gaza. It’s called ’forcible transfer,’ and it kills something much greater than any individual life.

    https://www.youtube.com/watch?v=IcVR3qwdkgM


    #peuples_autochtones #effacement #génocide #transferts_de_population #vidéo #Gaza #Trump #perte #Palestine #forêt #nakba #kibbutz #Kibboutz #destruction #Tlingit #langue #archipel_Alexandre #USA #Etats-Unis #saumon #Lakota #bisons #cherokee #irrigation #agriculture #Lakhota #nature #wilderness #histoire #Oklahoma #auto-suffisance #dépendance #enfants #assimilation #culture #expulsion #terre #fruits #légumes #oliviers #arbres #Israël #nettoyage_ethnique #réfugiés_palestiniens #camps_de_réfugiés #Liban #histoire_familiale #graines #semences #Cisjordanie #colonisation #écocide #pins #autochtonie
    ping @reka

    –—

    La réalisatrice fait référence à ce tableau intitulé « The immigrant » de #Sliman_Mansour :


    https://zawyeh.store/product-category/limited/sliman-mansour
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Sliman_Mansour

    #Piste_des_larmes (#trail_of_tears) :

    La Piste des larmes (en cherokee : Nunna daul Isunyi, « La piste où ils ont pleuré » ; en anglais : Trail of Tears) est le nom donné au #déplacement_forcé de plusieurs peuples natif américains par les États-Unis entre 1831 et 1838. Ces populations s’établissent à l’ouest du #Mississippi et leurs anciennes terres sont remises à des colons américains, en application de l’#Indian_Removal_Act, #loi proposée et signée par le président #Andrew_Jackson. Les Cherokees sont alors le plus important groupe autochtone de la zone impliquée.


    https://fr.wikipedia.org/wiki/Piste_des_larmes

    #Bruce_King :


    https://brucekingartist.weebly.com/smaller-paintings.html
    #art

    via @freakonometrics

  • Derrière le vernis vert de la start up bretonne #Ecotree, des plantations pas si écologiques
    https://splann.org/derriere-le-vernis-vert-de-la-start-up-bretonne-ecotree-des-plantations-pas-

    Le discours d’Ecotree est tout aussi vertueux que l’ambition affichée de planter des #arbres au nom de la préservation de la biodiversité. La réalité est plus épineuse. À l’image de ces hectares de pins, plantés en zone Natura 2000 ou à proximité. Cette gestion principalement économique de la #forêt est soutenue financièrement et politiquement par la région #Bretagne. L’article Derrière le vernis vert de la start up bretonne Ecotree, des plantations pas si écologiques est apparu en premier sur Splann ! | ONG d’enquêtes journalistiques en Bretagne.

    #Grands_projets #crédit_carbonne

  • Les « #minerais_de_sang » du #numérique, clé de la guerre en #RDC

    Au Congo, le mouvement armé #M23 soutenu par le Rwanda s’est emparé de la ville de Goma, capitale d’une province riche en #minerais_stratégiques. Indispensables aux #smartphones, ils alimentent ce #conflit meurtrier et écocidaire.

    C’est un tournant dans la guerre qui ravage l’est de la République démocratique du Congo (RDC) depuis trente ans. Dimanche 26 janvier, des combattants du #Mouvement_du_23_mars (M23), un #groupe_armé antigouvernemental, appuyés par 3 000 à 4 000 soldats rwandais, sont entrés dans Goma, la capitale de la province du #Nord-Kivu où vivent un million de personnes.

    Au cœur de ce conflit, les « minerais de sang » — #coltan, #nickel, #étain et #or — indispensables à la fabrication des équipements électroniques et notamment des smartphones. Reporterre fait le point avec #Fabien_Lebrun, chercheur en sociologie et auteur de Barbarie numérique. Une autre histoire du monde connecté (L’Échappée, octobre 2024).

    Reporterre — Quel est le lien entre le conflit à l’est de la RDC et les minerais utilisés pour fabriquer nos smartphones ?

    Fabien Lebrun — Au cœur de cette guerre se trouvent les minerais de sang, aussi appelés #minerais_de_conflits : le coltan, le nickel, l’étain et l’or. Le coltan est transformé en #tantale, indispensable à la fabrication des #condensateurs pour smartphones : sans ce #métal très résistant à la chaleur et à la corrosion qui permet la miniaturisation des composants, les téléphones chaufferaient tellement qu’ils pourraient prendre feu. Or, les deux tiers des réserves mondiales de coltan se trouvent dans et à l’est du Congo. L’Afrique des Grands Lacs — Congo et #Rwanda confondus — en assure la moitié de la production mondiale.

    L’est du Congo est également riche en #cassitérite, dont provient l’étain indispensable pour les soudures des circuits électroniques ; en #wolfram, ou #tungstène, qu’on retrouve dans les vibreurs et les haut-parleurs des téléphones portables ; et en or, dont l’industrie numérique siphonne 10 % de l’extraction mondiale pour la fabrication de ses #cartes_mères et ses circuits imprimés. Depuis la première guerre de 1996, ces minerais occupent une place dans ce qu’on peut appeler une #économie_de_guerre, une économie militarisée qui perdure à ce jour.

    Depuis avril dernier, les rebelles du M23 contrôlent la zone minière de #Rubaya, qui fournit 15 % du coltan mondial. Quel intérêt stratégique y trouvent-ils ?

    En contrôlant administrativement la zone, le M23 peut élaborer tout un système de #taxes et ainsi financer le conflit. D’après un rapport de l’ONU, le groupe exporte désormais 120 tonnes de coltan par mois et les taxes qu’il prélève sur la production lui assurent un revenu d’environ 800 000 dollars mensuels. D’un point de vue économique et financier, les intérêts sont importants.

    Le M23 est soutenu par l’armée rwandaise. Depuis plusieurs années, le président de la RDC Félix Tshisekedi accuse le Rwanda de convoiter ses #ressources en #minerai. Quel rôle ont ces ressources dans l’aggravation des tensions géopolitiques dans la région ?

    Ces #métaux sont, si ce n’est la principale cause, au moins un déterminant important dans l’#instabilité de la #région_des_Grands_Lacs. L’exploitation et la commercialisation de ces minerais de sang structurent l’#économie, l’#industrie et la #politique de la région. Elles produisent une rente qui enrichit les #élites et favorise la #corruption.

    On parle beaucoup du Rwanda, plaque tournante pour ces minerais indispensables aux équipements électroniques, mais l’Ouganda et dans une moindre mesure le Burundi sont aussi dans le coup. L’État congolais lui-même est en partie responsable de la situation : 2 000 kilomètres séparent Goma de la capitale, Kinshasa, et les institutions étatiques y sont absentes.

    Quelles sont les conséquences humaines et écologiques de l’#industrie_minière pour les habitants du Nord-Kivu ?

    Depuis le milieu des années 1990, début de la révolution numérique, le coût humain et écologique de ce conflit autour des minerais de sang est démentiel. Avant même le regain de #violence des trois dernières semaines, les analystes parlaient de plusieurs millions de #morts, de 7 millions de #déplacés dans des conditions terribles et de 4 millions de réfugiés qui ont fui le Congo. Près de 30 millions de Congolais sont en situation de #malnutrition aiguë.

    Au-delà du conflit, le bilan écologique est dévastateur. Les terres du Nord-Kivu, fertiles et qui auraient pu bénéficier à l’agriculture locale, ont été saccagées par les activités minières. L’#air est pollué d’effluves toxiques.

    « À certains endroits, il n’y a plus de vie aquatique »

    L’industrie minière est aussi en partie responsable de la destruction de la #forêt du bassin du Congo, deuxième massif forestier tropical mondial crucial dans la lutte contre le changement climatique. Les espèces en voie d’extinction qui y vivent — gorilles des montagnes, bonobos, rhinocéros — sont massacrés par les groupes armés qui contrôlent les activités minières.

    Mais la première victime de l’extractivisme est l’#eau, comme l’explique l’ingénieure à SystExt Aurore Stéphant. Cela se vérifie au Congo, avec des centaines de kilomètres de cours d’eau contaminés aux #métaux_lourds — plomb, cadmium, etc. Le fleuve Congo est touché, ainsi que les #nappes_phréatiques. À certains endroits, il n’y a plus de #vie_aquatique.

    L’appétit des États occidentaux et des #multinationales de la tech pour ces ressources n’est pas étranger à ce désastre…

    Cela fait des décennies que la #responsabilité de l’#industrie_numérique dans la déstabilisation de la RDC est pointée du doigt. Mi-décembre, le président de la RDC a porté #plainte contre #Apple pour recel de #crime_de_guerre, blanchiment de faux et #tromperie des consommateurs.

    Déjà, en 2019, l’organisation internationale Right Advocates avait lancé une action collective contre Apple, #Microsoft, #Tesla, #Google et #Dell, qu’elle accusait de profiter du #travail_d’enfants dans les mines de cobalt congolaises. Malheureusement, la plainte n’avait pas abouti.

    « La production de masse de la #Playstation 2 de #Sony avait entraîné une ruée vers les activités minières »

    En 2016, Amnesty International et Afrewatch accusaient de grandes marques électroniques comme Apple, #Samsung et Sony d’acheter du cobalt à des négociants s’approvisionnant dans des mines où travaillent des enfants.

    En 2000, la flambée des prix du coltan, alimentée par la production de masse de la Playstation 2 de Sony, avait entraîné une ruée vers les activités minières à l’est de la RDC avec des conséquences très néfastes pour les communautés.

    Or, les États appuient bien souvent ces multinationales. En février, Bruxelles et Kigali signaient un accord pour un approvisionnement « durable » de l’Union européenne en minerais critiques. Alors qu’on sait très bien que 90 % des minerais de sang qui sortent du Rwanda proviennent du Congo !

    Peut-on parler de #néocolonialisme ?

    L’extractivisme est la pratique coloniale historique par excellence. Dès le XVIᵉ siècle, les conquistadors ont pillé l’or et l’argent des Amérindiens, qu’ils ont exterminés. Cet épisode a été un tournant pour l’enrichissement des États occidentaux et la naissance du capitalisme et de la mondialisation.

    Les activités minières, polluantes, génératrices de conflits sociaux, d’usages des terres et de l’eau, étaient sorties de nos imaginaires. Mais depuis trente ans, on assiste à un regain de l’extractivisme pour alimenter la #révolution_numérique.

    Il est évident que l’accord qui permet à l’Union européenne de piller la RDC en passant par le Rwanda est typiquement néocolonial. De même que la #mainmise de la #Chine sur le cobalt et le #cuivre congolais. On pourrait parler de #technocolonialisme.

    Que faudrait-il faire pour aider la région du Nord-Kivu à s’apaiser ?

    Nous ne pourrons pas diminuer la pression minière dans la région des Grands Lacs sans décroissance minérale et métallique. Pour être solidaires avec les Suds, il faudra forcément acheter moins et favoriser des appareils plus durables et mieux réparables.

    Réduire notre demande en métaux rares va aussi impliquer d’avoir des outils moins rapides, moins performants. C’est tout notre quotidien numérique et la numérisation à marche forcée qui sont à revoir.

    https://reporterre.net/Les-minerais-de-sang-du-numerique-cle-de-la-guerre-en-RDC
    #République_démocratique_du_congo #Congo #extractivisme #minerais #pollution

  • New Zealand’s Mount #Taranaki is now legally a person

    The designation recognizes the mountain as a sacred ancestor of the Māori and relinquishes government ownership.

    #Mount_Taranaki, a towering 8,261-foot stratovolcano popular among skiers and snowboarders, was recognized as a legal person in New Zealand on Thursday.

    Known by its #Māori name #Taranaki_Maunga, the mountain is the latest natural feature in the country to be granted the rights, powers, duties, responsibilities and liabilities of a person.

    The government has effectively ceased ownership of the mountain, which the indigenous Māori people consider among their ancestors.

    Its legal name is #Te_Kāhui_Tupua, and is viewed by the law as “a living and indivisible whole.” It includes Taranaki and its surrounding peaks and land, “incorporating all their physical and metaphysical elements.”

    Now, members from the local Māori iwi, or tribe, and government officials will work together to manage it. The mountain will also no longer be called by its colonial name, #Mount_Egmont.

    New Zealand became the first country in the world to grant living rights to natural features in 2014 when it recognized the personhood of #Te_Urewera sacred forest in North Island, with guardianship handed to the #Tūhoe tribe.

    Then in 2017, the #Whanganui river was deemed human and turned over to the care of its local #iwi.

    The #Taranaki_Maunga_Collective_Redress_Bill passed Thursday also acknowledges the injustices and land confiscations against the Māori in the Taranaki region.

    “The mountain has long been an honored ancestor, a source of physical, cultural and spiritual sustenance and a final resting place,” Paul Goldsmith, a government official involved in the negotiations, told Parliament in a speech on Thursday.

    New Zealand’s colonizers first took the name, then the mountain itself, which the bills states was in breach of a treaty the Crown signed with Māori representatives.

    “The Crown failed to create most of the reserves it had promised,” the bill reads. “After further protest by Māori in Taranaki, the Crown eventually returned some reserves, but refused to include most of the mountains in those reserves, instead proclaiming them as a forest reserve, and later a national park.”

    The legal rights provided to the mountain are meant to be used for its preservation and the protection of its wildlife, and public access will continue.

    “I look forward very much to visiting Taranaki to deliver the Crown apology in the near future,” Goldsmith said.

    https://www.nbcnews.com/news/world/new-zealand-mount-taranaki-legal-person-rcna190124
    #personne_légale #Nouvelle_Zélande #peuples_autochtones #maoris #toponymie #montagne #droits #loi #rivière #forêt #protection

    • New Zealand mountain gets same legal rights as a person

      A settlement under which a New Zealand mountain has been granted the same legal right as a person has become law after years of negotiations.

      It means Taranaki Maunga [Mt Taranaki] will effectively own itself, with representatives of the local tribes, iwi, and government working together to manage it.

      The agreement aims to compensate Māori from the Taranaki region for injustices done to them during colonisation - including widespread land confiscation.

      “We must acknowledge the hurt that has been caused by past wrongs, so we can look to the future to support iwi to realise their own aspirations and opportunities,” Paul Goldsmith, the government minister responsible for the negotiations, said.

      The Taranaki Maunga Collective Redress Bill was passed into law by New Zealand’s parliament on Thursday - giving the mountain a legal name and protecting its surrounding peaks and land.

      It also recognises the Māori worldview that natural features, including mountains, are ancestors and living beings.

      “Today, Taranaki, our maunga [mountain], our maunga tupuna [ancestral mountain], is released from the shackles, the shackles of injustice, of ignorance, of hate,” said Debbie Ngarewa-Packer, co-leader of political party Te Pāti Māori [the Māori Party].

      Ngarewa-Packer is among one of the eight Taranaki iwi, on New Zealand’s west coast, to whom the mountain is sacred.

      Hundreds of other Māori from the area also turned up at parliament on Thursday to see the bill become law.

      The mountain will no longer be officially known as Egmont - the named given to it by British explorer James Cook in the 18th Century - and instead be called Taranaki Maunga, while the surrounding national park will also be given its Māori name.

      Aisha Campbell, who is also from a Taranaki iwi, told 1News that it was important for her to be at the event, and that the mountain “is what connects us and what binds us together as a people”.

      The Taranaki Maunga settlement is the latest that has been reached with Māori in an attempt to provide compensation for breaches of the Treaty of Waitangi - which established New Zealand as a country and granted indigenous people certain rights to their land and resources.

      The settlement also came with an apology from the government for the confiscation of Mt Taranaki and more than a million acres of land from local Māori in the 1860s.

      Paul Goldsmith acknowledged that the “breaches of the Treaty mean that immense and compounding harm have been inflicted upon the whānau [wider family], hapū [sub-tribe] and iwi of Taranaki, causing immeasurable harm over many decades”.

      He added that it had been agreed that access to the mountain would not change and that “all New Zealanders will be able to continue to visit and enjoy this most magnificent place for generations to come”.

      The mountain is not the first of New Zealand’s natural feature’s to be granted legal personhood.

      In 2014, the Urewera native forest became the first to gain such status, followed by the Whanganui River in 2017.

      https://www.bbc.com/news/articles/czep8gg5lx4o

  • Retour en Millevaches : le champ, l’arbre et le sociologue
    https://www.terrestres.org/2025/01/20/retour-en-millevaches-le-champ-larbre-et-le-sociologue

    En hommage à Raphaël Larrère, décédé le 4 janvier 2025, nous republions un important article du sociologue, paru dans la revue Études rurales en 1978 et intitulé « Désertification ou annexion de l’espace rural ? L’exemple du plateau de Millevaches ». Cette réédition est précédée d’une introduction par Rémi Beau et Virginie Maris. L’article Retour en Millevaches : le champ, l’arbre et le sociologue est apparu en premier sur Terrestres.

    #Agriculture #Foncier #Forêt #Nature #Territoire #Vivants

  • The gendered forest: Digital surveillance technologies for conservation and gender-environment relationships - Trishant Simlai, Chris Sandbrook, 2024
    https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/26349825241283837

    The above sections of this article aim to illustrate the complex and gendered relationships between nature and society in the forests of the CTR. Furthermore, the argument presented herein posits that gendered practices of forest produce collection extend beyond merely fulfilling material or livelihood needs but are also shaped by culturally specific practices that shape identities and gendered social relations. Women residing around the CTR use the forest as a multifaceted space for material requirements, cultural associations, seeking privacy or escaping patriarchal violence. The forests of the CTR are hence not a fixed space but constitute a landscape with multiple meanings and relations. It is important for scholars doing research on forests, conservation or environmental governance to account for these locally specific and multiple constitutions of forests. In the following sections of this article, we will demonstrate how digital technologies of surveillance in gendered spaces such as the forests of CTR impact women’s interactions with the forest multiple and the myriad of social relations discussed in this section. We start by engaging with the literature on feminist surveillance studies and connecting it to the use of digital technologies for conservation.

    Gendered surveillance: Voyeurism and control
    Research on video surveillance has provided the basic framework for addressing gender issues in surveillance practice. Surveillance by video has been broadly interpreted as part of ‘male policing’ (Brown, 1998, 2007). Such research has pointed out the voyeuristic uses of video surveillance where men, sitting comfortably in control rooms, have the power to monitor unsuspecting women and others from a distance. Studies have shown that voyeurism is one of the primary motivations for surveillance operators to watch women (Norris and Armstrong, 2020 [1997]). Koskela (2000) described such voyeuristic practices through video surveillance as the masculinization of space, where women are subjected to increased scrutiny without necessarily receiving any protection from sexual assault or harassment.
    Murray (2018) argued that surveillance results in women conforming to gendered expectations and becoming acutely aware of the consequences of not doing so. Murray’s analysis reveals that surveillance exacerbates structural violence against women by determining their every move even when they manage to stay safe from direct physical violence. Such surveillance practices are closely connected to stalking and can have extremely serious consequences that perpetuate violence against women.
    In their landmark paper on surveillance and violence against women, Mason and Magnet (2012) demonstrated how surveillance technologies reflect the cultural context in which they are deployed. These contexts are often rife with entrenched gender inequalities and violence against women. Yet, the implications of surveillance technologies on physical and structural violence against women are understudied within the discipline of surveillance studies, barring a few notable exceptions (Harris and Vitis, 2020; Monahan, 2017; Shelby, 2020).
    Surveillance technologies leading to voyeurism and violence against women may be the clearest point for feminist critique.

  • Il canto del Principe. Storia di un albero

    Questa del Principe sembra una fiaba, ma non lo è. È una storia vera. Una storia di vita, di morte e di vita. Il Principe – «alla cui ombra amava sostare Sigmund Freud e che certamente è stato ammirato anche da Robert Musil», ci ricorda Rigoni Stern nel suo Arboreto salvatico – non era solo un monumento della natura o l’albero dei primati, non era solo meta di incessanti pellegrinaggi da parte di escursionisti, botanici, curiosi e amanti di riti propiziatori delle selve. C’era, in quell’abete bianco, un elemento immateriale che aveva a che fare con gli abitanti dell’Altopiano, gli eredi degli antichi Cimbri. Ecco perché dopo il suo schianto, avvenuto durante una tempesta di vento, giornali e televisioni annunciarono: «L’Altopiano ha perso la sua anima». Ma si sbagliavano. L’anima, un certo tipo di anima, prese forma da quel nobile legno grazie alle mani di un maestro liutaio, così come i due violini, la viola e il violoncello che l’avrebbero contenuta. E il Principe canterà per i secoli futuri. A partire da questa vicenda, Ferrari ci invita a seguirlo nel fitto del bosco dove tesse una trama esemplare, un vero apologo che ci esorta a scardinare la contrapposizione uomo-natura e al contempo a liberarci dalla mitizzazione del selvaggio, per trovare nella cura attiva dell’ambiente la via necessaria a preservare il pianeta e noi stessi.

    https://www.ponteallegrazie.it/libro/il-canto-del-principe-marco-albino-ferrari-9791255820826.html

    #montagne #forêt #arbre #libre #musique #Marco_Albini_Ferrari #instruments_de_musique

  • Sottocorteccia

    A seguito della tempesta Vaia di fine 2018, una minaccia incombe sulle foreste del Nord-Est. Si tratta del bostrico tipografo, un coleottero che attacca la specie più diffusa e importante dei boschi alpini: l’abete rosso. L’insetto si è diffuso a macchia d’olio dopo il tremendo stress di quella notte, ma anche grazie all’inesorabile incedere del riscaldamento globale. Come ogni crisi, anche questa può nascondere opportunità. Ci obbliga ad aprire gli occhi sulle conseguenze della crisi climatica, ci costringe a riflettere sul destino delle nostre montagne e ci spinge a rinsaldare un legame antico e imprescindibile, quello con il più grande e dimenticato dei tesori italiani: le foreste. In questo libro-diario, Pietro e Luigi raccontano del piccolo coleottero che li ha fatti incontrare e del loro viaggio – che è anche un’amicizia – tra le Alpi. Due punti di vista diversi, uno antropologico e uno scientifico, dipanano la complessità e offrono una prospettiva nuova sul futuro di Uomini, Foreste e Insetti, protagonisti di questa avventura e della vita sul nostro pianeta.

    Avevamo raccolto pagine e pagine di appunti e analizzato decine di documenti, intervistato tanti esperti e ragionato sui temi enormi che il piccolo coleottero aveva portato alla luce, dalla gestione forestale del passato alla crisi climatica. E ora? Ora bisognava attraversare davvero le Alpi, per guardare avanti. Non solo al destino delle peccete, sempre più fragili, ma a quello più ampio delle nostre montagne nei decenni che verranno. Il bostrico tipografo, scandagliato ormai da ogni punto di vista, ci stava urlando in faccia prepotentemente una sola, ultima, grande domanda finale: che foreste vogliamo, che montagna vogliamo, nel nostro futuro?

    https://www.peoplepub.it/pagina-prodotto/sottocorteccia
    #livre #forêt #Italie #Vaia #tempête #tempête_Vaia #Trentin #Alpes #crise #montagne #épicéa #Bostryche #insecte #insectes

  • Un front commun contre l’#industrialisation des #forêts françaises

    #Creuse, juin 2024. Les murs de la salle sont couverts de photos et de textes. Certains portent sur l’installation d’un parc photovoltaïque dans les forêts de la #montagne de #Lure, dans les #Alpes-de-Haute-Provence. D’autres annoncent la tenue, quelques jours plus tard durant l’été, de l’assemblée générale du #Réseau_pour_les_alternatives_forestières (#RAF). Dans un coin, une table accueille des brochures, des fanzines et quelques parutions récentes portant sur les forêts, la lutte pour les préserver, leur gestion. Une grande banderole au nom de SOS Forêt est tendue au-dessus des baies vitrées et une large toile peinte faisant figurer la tête d’un lynx entourée d’un massif diversifié, mélangeant feuillus et résineux, surplombe l’estrade. Au-dessus de celle-ci, sur un fond de couleur violette, se détache le titre donné aux retrouvailles qui se sont tenues les 28 et 29 juin dernier : « Assemblée pour des forêts vivantes ».

    Nous, c’est-à-dire deux doctorants en sciences sociales et un camarade musicien, tous trois sympathisants des initiatives décrites dans cet article et participant à l’occasion à certaines d’entre elles, assistons ce matin-là à la plénière d’ouverture, deux ans après une première édition à Nestier, dans les Hautes-Pyrénées1.

    Les prises de parole s’enchaînent et renseignent sur les actualités les plus récentes concernant les forêts françaises, évoquent des initiatives à soutenir et à rejoindre, rappellent le fonctionnement de ces deux jours de rencontres. Des tee-shirts floqués à l’insigne d’Adret Morvan, du #Groupe_national_de_surveillance_des_arbres (#GNSA) ou de la Marche pour les forêts organisée quelques années plus tôt par les syndicats de forestiers de l’#Office_national_des_forêts (#ONF), sont portés pour l’occasion.

    C’est au tour de C. de monter sur l’estrade. Elle habite sur le territoire, s’initie depuis un moment aux divers métiers de la forêt ou du bois et vient présenter la grande carte qu’un de ses camarades déplie derrière elle (dont des extraits illustrent cet article, ndlr). Elle commence : « Ici on lit souvent qu’il n’y a pas de culture forestière. Ce n’est pas si évident. Il y a une culture industrielle mais aussi un rapport habitant aux forêts et une histoire de luttes. » Pour l’attester, raconte-t-elle, un petit groupe s’est attaché à récolter des témoignages et à compiler des archives afin de « cartographier des événements et des récits à propos de l’histoire de la forêt sur la Montagne limousine ». Suivons l’invitation et observons la carte de plus près.

    Le territoire représenté est à cheval sur les départements de la Creuse, de la #Corrèze et de la #Haute-Vienne. Il est tout entier maillé de petites phrases et de vignettes qui illustrent une culture forestière contrastée mais bien présente : une commune est associée à la formation au bûcheronnage qui s’y déroule depuis plusieurs années, une autre à la « tentative désespérée d’empêcher la #coupe_rase d’une #hêtraie ». On lit des histoires de champignons et de cabanes, mais aussi les conséquences sur le milieu et l’emploi de l’industrialisation de l’exploitation forestière. Quatre bêtes fantastiques et menaçantes encadrent ainsi la carte. Elles symbolisent les « usines à bois » qui amputent les forêts de la région – la #scierie #Farges_Bois, le papetier #Sylvamo, la société #Groupe_bois_et_scieries_du_Centre ainsi que le projet d’usine de #granulés #Biosyl2.

    Cartographier les luttes

    Deux jours durant, on partage des données, des anecdotes, des témoignages, mais aussi des outils. À plusieurs reprises durant l’Assemblée, la #cartographie est apparue comme une pratique pertinente pour rendre compte des « petites et grandes histoires populaires de la forêt », donc, mais aussi pour représenter des lieux à surveiller et à défendre ou pour contester les données fournies par les acteurs dominants de la filière forêt-bois. Ces deux derniers enjeux ont fait l’objet d’un atelier durant lequel des outils récemment élaborés par un groupe forestier local rattaché au #Syndicat_de_la_Montagne limousine et par l’association #SOS_Forêt_Dordogne ont été transmis aux participant·es.

    L. et T. rappellent le contexte ayant mené à la création de #Vigie_Feuillus, un protocole de veille sur les coupes rases qui affectent quotidiennement les « forêts désenchantées3 » du #Plateau_de_Millevaches. Après plusieurs mobilisations contre des chantiers forestiers jugés inacceptables par une partie de la population, il leur a semblé important de trouver un mot d’ordre plus précis qu’une seule opposition à l’industrialisation des forêts locales. Un « guide d’intervention » fraîchement sorti de l’imprimerie est distribué à l’assistance et le sera dans toute la région durant les mois suivants. « Ce protocole, lit-on au dos de la brochure, offre quelques bases pour déterminer quelle stratégie d’intervention est la plus judicieuse et adaptée à la situation ». Il s’agit non seulement d’affûter le regard des habitant·es sur l’#exploitation_forestière dans leur territoire, mais également de s’exercer à les surveiller en identifiant les indices d’activité et à coordonner des actions afin de « créer des précédents sur les alternatives à proposer en cas de coupe rase ». Deux exemples sont convoqués pour illustrer l’éventail de situations qu’il est possible de rencontrer.

    Le premier cas a fait suite à une alerte donnée sur une probable coupe rase dans la forêt qui jouxte l’habitation de sympathisant·es du Syndicat de la Montagne limousine. Une personne a permis de gagner un temps précieux en s’opposant aux premiers travaux d’abattage, fournissant à l’organisation l’espace pour inviter les parties prenantes à une discussion conjointe, lors de laquelle les propriétaires de la parcelle boisée ont expliqué procéder à une coupe pour des raisons financières. Une issue semble alors possible par le biais du Parc naturel régional (PNR) de Millevaches dans lequel la parcelle est située : une proposition de contrat à hauteur des gains espérés par la coupe est acceptée par les propriétaires et inscrit dans la réglementation Natura 2000. L. conclue son récit en rappelant qu’il importe d’être « lucides sur là où il faut taper » : « pas sur les travailleurs », ni sur certains « petits propriétaires forestiers » dont les contraintes peuvent être tout à fait compréhensibles.

    Le second cas présente les effets qu’un outil comme #Vigie_Feuillus pourrait être susceptible de produire. En janvier 2023, sur la commune de #Tarnac, en #Corrèze, des travaux d’exploitation sont en passe de commencer sur une parcelle de plusieurs hectares que traverse la #Vienne. Plus précisément, une coupe rase est prévue dans ce qui a été identifié comme un « taillis dépérissant de châtaigniers », qui est aussi une belle forêt de feuillus appréciée des riverains. Aussitôt, un comité local se met en place pour défendre la forêt menacée. Très vite est décidée une série d’actions – « surveillance accrue, garde, blocage, occupation » – qui permettent de suspendre le chantier. À la différence de l’exemple précédent, la propriétaire n’a pas besoin d’argent : il s’agit seulement d’appliquer les mesures décidées dans le plan de gestion de sa forêt. Et de les appliquer coûte que coûte, peu importe les offres faites par le PNR ou la région pour lui acheter sa parcelle et ainsi empêcher son déboisement. Le point d’orgue de la contestation est atteint un matin de mars, lorsque les représentant·es de la filière forêt-bois du département, invité·es à un rassemblement sur place afin de soutenir la propriétaire, la coupe et un modèle forestier extractiviste, reçoivent une délégation d’opposant·es. « Le Bois du chat, symbole de la lutte entre deux visions de la forêt » titrera un journaliste présent sur place4.

    Au moment où, son récit terminé, L. s’interrompt, un hélicoptère de la gendarmerie survole le site du rassemblement pendant une longue minute, rappelant qu’ici les forêts sont un sujet sensible. Le bruit des pâles étouffe momentanément les discussions.

    M. prend ensuite la parole au nom de SOS Forêt Dordogne pour présenter une contre-expertise cartographique et collaborative menée par son association à la suite d’assises départementales sur la forêt tenues quelques années auparavant, lors desquelles le pourcentage de coupe rase réalisé chaque année leur a paru largement sous-évalué. « On s’est dit que pour parler à ces gens-là, il fallait qu’on ait des chiffres », commence-t-elle. Et d’ajouter : « Vous nous dites qu’il n’y a pas plus de coupes rases qu’auparavant : on a un outil cartographique qui montre le contraire ». Celui-ci se fonde sur l’identification in situ menée par un réseau de correspondant·es volontaires répartis sur l’ensemble du département, là où les chiffres de l’#Inventaire_forestier_national (#IFN) dépendent des #photographies_satellites. Il est simple de s’approprier la méthode proposée : une photo, un point GPS et un référencement sur une carte accessible en ligne suffisent à contribuer à l’effort de contre-cartographie.

    Tous ces exemples nous le rappellent : les forêts et les #cartes, c’est toute une histoire5. Leur mariage peut en effet aussi bien aller dans le sens d’une simplification des écosystèmes forestiers, être un outil de conquête et d’appropriation6, qu’être des plus efficaces pour mieux connaître les forêts et agir en leur sein, y travailler avec plus de précision, en préserver certaines parties ou, comme le montrent les exemples précédents, les défendre.

    De simples cartes de localisation seraient sans doute utiles, aussi, afin de mieux se retrouver parmi le foisonnement de collectifs forestiers présents lors cette deuxième Assemblée pour des forêts vivantes. La pluralité des espaces géographiques représentés est une force : de la #Meurthe-et-Moselle aux #Pyrénées, la défense des forêts suscite l’émergence de groupes locaux, mêlant habitant·es, professionnel·les et associations. Mais l’hétérogénéité des situations décrites peut aussi apparaître comme un frein à l’élaboration de mots d’ordre nationaux à même de massifier les mobilisations locales. Se pose, dès lors, la question du besoin d’une coordination nationale pour assurer l’organisation de tels événements.

    Adversaires et alliés : identifier les acteurs et les actrices de la forêt

    Après un déjeuner où des discussions enforestées ont porté sur les liens à consolider entre l’amont et l’aval de la filière bois et ont suscité l’envie d’aller rencontrer nos voisin·es Suisses pour apprendre de leur modèle sylvicole, il est temps de regagner la salle principale. Sur les bancs en bois ayant servi pour la plénière introductive, une petite vingtaine de personnes attend que commence l’atelier animé par un membre de l’association #Canopée – Forêt vivante. La séance est consacrée à l’identification des différents acteurs de la filière forêt-bois, des grandes coopératives forestières aux collectifs d’habitant·es, des sociétés de placement financier aux associations de gestionnaires forestiers.

    Par souci stratégique et didactique, ces acteurs, représentés par leur logo imprimé sur des rectangles de papier cartonné, sont placés sur un tableau déterminé par deux coordonnées. L’abscisse indique le positionnement politique de chacun par rapport aux écosystèmes forestiers et socio-professionnels. Plus ils se placent à gauche du tableau, plus ils sont considérés comme éloignés d’une sylviculture et d’une attention forestière privilégiant la vie, la diversité, la santé mentale et physique au travail, la constitution de communs inter-espèces, la subsistance. Ils sont au contraire caractérisés par leurs objectifs de profits à court terme, de maîtrise de la terre, des corps et des ressources, d’inattention écologique, de gestion des flux et d’opportunisme vert. L’ordonnée montre quant à elle le degré d’influence politique des structures et infrastructures. En haut de la ligne se retrouvent celles dont les ressorts sont les plus efficaces – en termes de taille, de capacité d’alliance, de communication, de maîtrise de l’opinion et donc de poids dans les sphères de la haute administration décisionnaire – pour faire peser la balance vers une orientation ou une autre.

    Chaque participant·e est invité·e à donner son avis sur le placement, au sein du tableau, des rectangle présentés par l’animateur de l’atelier. On apprend ainsi que Fransylva est l’unique syndicat des propriétaires forestiers privés, réduisant par conséquent à une seule liste le choix électoral, le reconduisant tous les six ans. Son président, Antoine de Ponton d’Amecourt, effectue sur ses propres parcelles forestières des coupes rases allant jusqu’à vingt hectares7.

    Par ailleurs, son syndicat contribue à légitimer, par des éléments de langage, l’industrialisation forcenée de la filière, la monoculture de résineux et le rajeunissement des peuplements – ce qui n’est pas pour déplaire à un proche de l’organisation nommé Jean-Michel Servant, ancien président de l’interprofession nationale France bois forêt et encore délégué interministériel à la forêt, au bois et à ses usages en juin dernier. À la lumière de ces informations sur le syndicat, Fransylva trouve une place évidente sur le tableau : très en haut, tout à gauche.

    L’animateur poursuit en mentionnant Pro Silva (à ne pas confondre avec la structure précédente), une association de propriétaires, gestionnaires, professionnel·les et ami·es de la forêt, reconnue d’utilité publique depuis 2013. Elle organise principalement des formations techniques prônant la sylviculture mélangée à couvert continu, pratique fondée sur le temps long, la diversification des essences et des âges. Ses principes sont applicables partout mais le faciès des forêts ainsi gérées n’est jamais le même, et s’oppose en cela au modèle monoculturel. Si Pro Silva a montré, depuis son lancement en 1989, son importance dans la balance politique, sa visibilité médiatique reste encore faible. Elle sera placée dans le quart inférieur droit.

    À la cartographie comme outil de lutte succède donc le plan. Les nombreux autres acteurs seront à leur tour présentés et disposés afin de mieux s’orienter dans le paysage institutionnel de la forêt française.
    Débrancher les forêts

    Au même moment, une discussion consacrée à la rencontre entre « forêt et production d’énergie », ou « comment résoudre l’équation impossible », débute sous un barnum nommé « bouleau » pour l’occasion. Certain·es participant·es feront remarquer qu’il n’y a pas de barnum « douglas », ni « pin maritime », les mal aimés, les pas beaux. C’est pourtant souvent de ces essences dont il est question, en ce qu’elles composent largement les forêts « sous camisole8 » impliquées dans les projets énergétiques qui seront discutés au cours de cet atelier.

    Quelques personnes préparent l’espace de discussion. Deux intervenants accrochent des photographies de parcs solaires sur la bâche blanche et jaune du barnum. L’un d’eux porte un tee-shirt du Réseau pour les alternatives forestières (RAF), dont il fut l’un des administrateurs. Un slogan y est inscrit : « Ça te branche ? ». La question prend ici une tout autre tournure.

    Deux clichés, « avant/après », amènent à constater l’impact forestier de la « centrale industrielle » de Monfort, développée par Engie Green dans les Alpes-de-Haute-Provence. Au-dessus, une cartographie « clandestine et non-exhaustive » permet d’insérer cette prise de vue dans ce qui est qualifié de « mitage en cours ». On comprend vite le sens de cette expression et de ce qu’elle recouvre : si la loi APER de 2023, relative à « l’accélération de la production d’énergies renouvelables », interdit les installations photovoltaïques supérieures à 25 hectares sur des zones forestières lorsque celles-ci nécessitent une autorisation de défrichement, n’amène-t-elle pas à la multiplication de projets certes moins grands, mais toujours aussi vastes dès lors qu’on accède à un aperçu global du phénomène ?

    Une dizaine de personnes a pris place – il y en aura une vingtaine lors de la session suivante. Quelques-unes étaient présentes aux Résistantes, les « rencontres des luttes locales et globales » qui ont eu lieu sur le plateau du Larzac l’année précédente. L’impact des parcs photovoltaïques sur les espaces agricoles ou forestiers y avait été discuté lors d’une table-ronde, à l’issue de laquelle une coordination nationale s’était créée9.

    Un nouveau « tour d’horizon des projets contestés et des luttes engagées » commence donc. Un intervenant venu des Bouche-du-Rhône aborde le cas de Gardanne, où l’avenir de la centrale à charbon reconvertie en usine à biomasse reste encore incertain. On estime sa consommation à 850 000 tonnes de bois par an. Ses propos sont ensuite complétés par un témoin des Pyrénées-Atlantiques, qui détaille pour sa part le projet BioTJET – une usine de bio-kérozène située à Lacq, censée alimenter les besoins de l’aéronautique en carburant à partir du bois. La production s’appuie sur l’électrolyse, un procédé lui-même très coûteux en énergie. Drôle de transition, pense-t-on, que celle nécessitant de nouvelles unités de production d’électricité, de nouvelles lignes de transports et, qui sait, de nouveaux panneaux solaires en forêt.

    Beaucoup attestent sur ce point d’une véritable « déferlante photovoltaïque » dans les milieux forestiers, que ce soit en Dordogne, en Franche-Comté, en Gironde ou dans les Alpes-de-Haute-Provence. La pression sur les espaces concernés est parfois double. Sur la Montagne de Lure, l’association Elzeard a dénombré plus de 1 000 hectares de zones naturelles convoitées par l’industrie photovoltaïque. Or, cette montagne fait déjà partie de la Zone d’Approvisionnement Prioritaire de la centrale de Gardanne.

    Là comme ailleurs, la pression s’intensifie par le biais d’un nouvel outil conçu par la loi APER : les Zones d’Accélération. Les communes doivent désormais identifier des sites jugés propices à l’installation d’unités de production et rapidement en fournir une cartographie. D’où l’organisation de balades « botanovoltaïque » dans le Buëch, comme nous l’a expliqué un membre du Collectif citoyen pour un autre photovoltaïque dans les Alpes du Sud. En se promenant sur ces terres convoitées et soumises à une spéculation nouvelle, il est sûrement possible de découvrir ce que la superposition de données oublie ou ne sait dire de la forêt.

    Une membre du Collectif Citoyens Résistants Champagnole est venue témoigner de ce qui aurait dû être le plus gros parc photovoltaïque de Franche-Comté dans les forêts de Loulle et de Mont-sur-Monnet. La voilure a dû être revue à la baisse. C’est également le cas en Gironde, ce dont témoignent des opposant·es au projet Horizeo, grand vainqueur de cette course au gigantisme. Les porteurs du projet envisagent l’installation de 700 hectares de panneaux photovoltaïques dans la forêt des Landes girondines, au sud de Bordeaux, au lieu des 1 000 hectares prévus initialement. Mais ce projet, qui serait alors le plus important en France, a toutefois du plomb dans l’aile. Il fut récemment désavoué par le même gouvernement qui avait adapté la loi APER à son calendrier, rendant ainsi possible le dépôt des demandes d’autorisation avant que l’interdiction des sites de plus de 25 hectares soit effective.

    Si les projets s’accumulent en entrent en concurrence, l’espace dédié à la compensation forestière également – une aubaine, malgré tout, pour des coopératives forestières attentives à l’expansion de leur domaine d’intervention, transformant des forêts de « faible valeur » en hectares compensateurs. Alors, les hectares en forêts se font plus chers, et c’est le foncier agricole qui apparaît comme une solution miracle.

    Nous l’avons vu, même si les argumentaires et les conditions matérielles sur lesquelles s’appuient ces projets varient en fonction des territoires, ils s’inscrivent néanmoins dans des dynamiques globales. Un chercheur qui enquête depuis Bruxelles sur le lobbying européen des grandes entreprises, notamment sur l’industrie de la biomasse, nous le raconte. Il rappelle l’intérêt de comprendre les directions de l’Union pour appréhender le contexte national et ses répercussions sur nos milieux de vie. Les contraintes sont fortes et les pénalités financières bien réelles. La France, seul État membre à n’avoir pas atteint ses objectifs de production d’énergie renouvelable en 2020 et dont la trajectoire a été jugée insuffisante, s’est vu infliger une amende de l’ordre de 500 millions d’euros.

    L’industrialisation de la forêt, largement évoquée lors de ces journées, est tout à fait compatible avec la « transition énergétique » telle qu’elle nous a été témoignée. En fait, cette mise au travail des forêt permet au moins deux choses. D’une part, elle garantit la pérennité et la progression d’une ressource en bois qui doit s’adapter à de nouveaux besoins : la production d’une énergie « verte » et « décarbonnée ». D’autre part, elle assure à cette production un espace dédié où pourront être implantées les infrastructures nécessaires à la transformation des ressources, qu’il s’agisse de bois ou de soleil. Pour ce faire, l’industrie emploie un argumentaire qui opère comme une épée à double tranchant. À la fois capable d’écologiser la forêt – un bien renouvelable pour une énergie propre – elle n’hésite pas à nier son existence quand cela l’arrange – au mieux elle est en dépérissement, au pire ce n’est pas une vraie forêt. Dans tous les cas, il s’agit de la couper pour satisfaire l’envolée d’une demande en énergie rarement ou jamais questionnée.

    Face à cette industrialisation de la forêt, une éclosion de luttes territorialisées est soucieuse de se mettre en lien. S’il convient de distinguer les nombreux domaines que couvrent la question de l’énergie (biomasse, photovoltaïque, biocarburants, etc.), ce travail de témoignages, de partages d’expériences et de réflexions ouvre à des prises de positions, enquêtes et actions communes aux participant·es. C’est toute une culture qui se construit, là où les développeurs, nous l’avons entendu, croient souvent tomber sur des « incultes », des habitant.es peu informé.es, et pensent bénéficier de causes parfois considérées comme indéfendables : il est compliqué de concevoir qu’un projet dit « de transition énergétique » puisse être contesté. « On l’entend dans la presse : les écolos attaquent les écolos ».

    Démanteler le complexe sylvo-industriel

    Défendre les forêts conduit donc bien souvent à en sortir pour comprendre ce qui les menace. Quitte à remonter pour cela une ligne à grande vitesse ou à suivre le parcours d’un camion chargé d’arbres fraîchement abattus. Depuis plusieurs mois, le collectif Méga-Scierie Non Merci lutte contre l’extension de la scierie Farges-Bois, en Corrèze, à Égletons – une lutte qui, pour l’heure, est sur la bonne voie : les procédures judiciaires en cours à l’encontre de l’industriel l’ont contraint à suspendre momentanément son projet d’extension. Et ce malgré l’achat récent de la propriété d’une riveraine et opposante par l’industriel, suite à l’expropriation de l’habitante par la communauté de communes Ventadour-Égletons-Monédières10.

    Cette histoire nous est racontée par deux membres du collectif. Ils reviennent sur les raisons de leur implication contre l’extension de la plus grosse scierie limousine, qui a pu être visitée lors de portes-ouvertes mémorables en septembre 202311. Rien ne les destinait à enquêter sur l’industrie forestière, à calculer des volumes de bois sur pied, abattus et sciés, ni à entamer un véritable travail de recherche pour mieux comprendre la réalité de ces « méga-scieries » qui s’installent et se développent de l’Alsace aux Pyrénées. Leur rencontre les a conduits à tenter de comprendre ce que l’aval d’une filière industrielle fait à la ressource qu’elle mobilise et aux forêts qui la produisent.

    En décembre 2022, plus de 200 personnes ont manifesté dans les rues d’Égletons pour protester contre le projet d’extension et elles étaient autant à participer à la première réunion d’information organisée par les opposants au début de l’année 2024. Aujourd’hui, le public de l’atelier est beaucoup plus clairsemé : l’outil industriel, sa logique de standardisation, de capitalisation et d’investissement, son rapport de prédation à la ressource en bois ne sont peut-être pas les sujets les plus séduisants de cette Assemblée pour des forêts vivantes. Le même après-midi, il est en effet possible de composer des vers ou des haïkus pour les déclamer ensuite en forêt, ou de s’initier à la grimpe d’arbre avec des membres du GNSA. Difficile, aussi, de trouver des failles chez des groupes composés de plusieurs centaines de salarié·es et qui bénéficient d’un soutien politique fort au-delà de la seule – et nécessaire – opposition.

    C’est notamment pour cette raison que A. et A. ont commencé à enquêter sur le monde discret des plus grosses scieries françaises. Mieux connaître ses réalités donne des prises pour envisager une riposte un tant soit peu suivie d’effets. Une démarche proche de celle qui a mené l’Atelier paysan à écrire le livre Reprendre la terre aux machines, dans lequel un retour critique sur la modernisation agricole et la constitution d’un complexe agro-industriel précède une série de propositions concrètes à l’adresse du monde paysan. Une heure durant, ils relatent leur cheminement, convoquent l’histoire récente du territoire et celle de l’industrie forestière avant d’ouvrir le débat sur quelques questions simples : comment démanteler de tels sites industriels ? Par où commencer ? Et qu’est-ce que démanteler, dans ce cas, veut dire ?

    Tandis que l’atelier prend fin, la discussion se poursuit avec trois personnes mobilisées contre le rachat et l’agrandissement d’une scierie à proximité de leur lieu de vie. Dans la grande salle, un chœur entame des chants, vite repris par le public. Nous mettons quelques chaises à l’écart pour recueillir le récit de G., X et E., trois membres d’un collectif situé autour de Brassac, dans le Tarn, qui se mobilise contre le projet porté par le groupe SIAT, propriétaire de la plus grosse scierie française, située en Alsace. Celui-ci entend faire d’une scierie moyenne, déjà reprise mainte fois, l’une des plus importantes d’Occitanie. Quelques semaines plus tôt, une petite délégation issue du collectif Méga-Scierie Non Merci est allé à leur rencontre pour entamer une collaboration militante. Des connexions commencent à se faire.

    « Nous, on habite à côté ». G. et M. ont assisté à l’émergence et la croissance de la scierie installée en face de chez eux, à Brassac, depuis 1997, jusqu’à son rachat récent par le groupe SIAT. Ils n’en sont pas à leur premier combat pour la sauvegarde de terres agricoles et naturelles : voilà une dizaine d’années qu’ils posent des recours pour contester le changement d’affectation des sols autour de chez eux, quelles que soient les sociétés concernées.

    Néanmoins, un changement d’échelle est cette fois à prévoir : « L’argument de SIAT est de dire qu’ils vont faire un site miroir de celui qu’ils ont en Alsace. Donc on a voulu savoir comment c’était en Alsace ». Une visio-conférence organisée avec des riverains du site d’Urmatt dans le Bas-Rhin a fini de convaincre les trois opposant·es : s’il se réalise, ce méga-projet industriel produira un niveau de nuisances et de pollutions invraisemblables pour les riverain·es, ainsi qu’une pression accrue sur des forêts déjà soumises à une exploitation importante et des perturbations climatiques de plus en plus intenses.

    Dès lors, dans le Tarn comme ailleurs, tous les moyens sont bons pour convaincre les habitant·es concerné·es qu’il est impératif de s’opposer à ce qui les attend. Des festivités se sont ainsi tenues le 22 septembre 2024 à Brassac dans l’espoir de faire changer d’échelle la lutte locale contre l’implantation du groupe SIAT. Un événement d’une tout autre ampleur, appelé par nombreux collectifs, associations et syndicats du Limousin a rassemblé le premier week-end d’octobre plus de 3 000 personnes à Guéret, dans la Creuse, là où le groupe Biosyl entend installer une usine à granulés qui menace les forêts de feuillus des environs. Cette journée de mobilisation populaire massive, soutenue aussi bien par des syndicats agricoles et de travailleurs que des associations environnementales, a été une véritable réussite.

    https://www.terrestres.org/2024/11/26/un-front-commun-contre-lindustrialisation-des-forets-francaises
    #forêt #France

  • Résultats 2024 de l’Inventaire forestier national : les forêts françaises de plus en plus affectées par le changement climatique
    https://www.ign.fr/espace-presse/memento-2024


    Taux de boisement par départements en 2023

    Malgré une surface forestière qui continue d’augmenter (en France hexagonale et Corse, la #forêt couvre 17,5 millions d’hectares, soit 32 % du territoire), la croissance du volume total des #arbres ralentit. En effet, les forêts sont impactées par le dérèglement #climatique ayant entrainé des conditions de vie de plus en plus défavorables pour les arbres (manque d’eau, températures élevées) et la prolifération de bioagresseurs (champignons, insectes, bactéries…). Cela a un impact sur la croissance et la mortalité des arbres.

    L’#IGN observe un bilan net des flux d’évolution du volume de #bois sur pied des forêts divisé par deux en 10 ans (de +41,7 Mm3/an sur la période 2005-2013 à +19,5 Mm3/an sur la période 2014-2022). Cela s’explique par :

    – un ralentissement de 4 % de la croissance des arbres (de 91,5 Mm3/an en 2005-2013 à 87,9 Mm3/an en 2014-2022) ;

    – une très forte accélération de la mortalité des arbres avec un doublement en 10 ans (de 7,4 Mm3/an en 2005-2013 à 15,2 Mm3/an en 2014-2022), ce qui représente 0,5 % du volume total d’arbres présents en forêt ;

    – une augmentation de 13 % des prélèvements d’arbres (de 47,2 Mm3/an en 2005-2013 à 53,1 Mm3/an en 2014-2022), comprenant pour les deux périodes des coupes subies (coupes de la tempête Klaus de 2009, récolte des arbres morts et dépérissant avant dépréciation, coupes préventives visant à stopper la prolifération des bioagresseurs).

  • La justice condamne les travaux de coupe rase au Bois du Chat- Paris Luttes
    https://paris-luttes.info/la-justice-condamne-les-travaux-de-18595

    À Tarnac (Corrèze), la coupe rase qui avait commencé en novembre 2022 au Bois du Chat avait suscité la mobilisation d’une partie des habitant·es de la commune. Nous nous sommes opposé·es à la destruction de cette forêt de feuillus située en zone Natura 2000 aux abords de la Vienne et au cœur du Parc (...) @Mediarezo Actualité / #Mediarezo

  • Deforestation amplifies climate change effects on warming and cloud level rise in African montane forests

    Tropical montane forest ecosystems are pivotal for sustaining biodiversity and essential terrestrial ecosystem services, including the provision of high-quality fresh water. Nonetheless, the impact of montane deforestation and climate change on the capacity of forests to deliver ecosystem services is yet to be fully understood. In this study, we offer observational evidence demonstrating the response of air temperature and cloud base height to deforestation in African montane forests over the last two decades. Our findings reveal that approximately 18% (7.4 ± 0.5 million hectares) of Africa’s montane forests were lost between 2003 and 2022. This deforestation has led to a notable increase in maximum air temperature (1.37 ± 0.58 °C) and cloud base height (236 ± 87 metres), surpassing shifts attributed solely to climate change. Our results call for urgent attention to montane deforestation, as it poses serious threats to biodiversity, water supply, and ecosystem services in the tropics.

    #Afrique #montagnes #montagne #forêt #déforestation #changement_climatique #climat #biodiversité #services_écosystémiques #température

  • La Terre se consume

    En reliant les premières traces d’utilisation du feu il y a au moins 400 000 ans avec le feu qui ravage la Californie, on se demande si les humains n’ont pas perdu la main. Ce mégafeu dévore 2000 ha par heure (plus de 100 000 ha à ce jour), des milliers de personnes sont évacuées à Payne Creek, au nord de Chico. (Gilles Fumey)

    Stephen Pyne, historien des forêts, nous aide à situer ces épisodes dans la longue généalogie du feu. Distinguons ce qui est provoqué par les éclairs par temps d’orage, des feux aborigènes allumés intentionnellement par Homo erectus il y a 2 millions d’années, des feux industriels pour la combustion de matières fossiles depuis trois siècles. Le terme de mégafeu ne faisant pas l’unanimité, la philosophe Joëlle Zask, prix Pétrarque 2000 pour son livre Quand la forêt brûle (Premier Parallèle), propose feu extrême ou feu géant [1]. Ce sont des feux hors normes, mesurés par les hectares de forêt disparus ou par l’aire d’activité d’un Canadair « fixant » des feux jusqu’à 10 000 kW par mètre [2]. Sachant qu’en Australie en 2019, certains atteignaient une intensité de 80 000 kW par mètre.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/08/14/la-terre-se-consume

    #ecologie #feu #foret

  • California’s forest carbon offsets buffer pool is severely undercapitalized

    California operates a large forest carbon offsets program that credits carbon stored in forests across the continental United States and parts of coastal Alaska. These credits can be sold to buyers who wish to justify ongoing emissions, including in California’s cap-and-trade program. Although fossil CO2 emissions have effectively permanent atmospheric consequences, carbon stored in forests is inherently less durable because forests are subject to significant socioeconomic and physical risks that can cause temporarily stored carbon to be re-released into the atmosphere. To address these risks, California’s program is nominally designed to provide a 100-year guarantee on forest carbon claims based on a self-insurance program known as a buffer pool. Projects contribute credits to the buffer pool based on a suite of project-specific risk factors, with buffer pool credits retired as needed to cover carbon losses from events such as wildfire or drought. So long as the buffer pool remains solvent, the program’s permanence claim remains intact. Here, we perform an actuarial analysis of the performance of California’s buffer pool. We document how wildfires have depleted nearly one-fifth of the total buffer pool in less than a decade, equivalent to at least 95 percent of the program-wide contribution intended to manage all fire risks for 100 years. We also show that potential carbon losses from a single forest disease, sudden oak death, could fully encumber all credits set aside for disease and insect risks. These findings indicate that California’s buffer pool is severely undercapitalized and therefore unlikely to be able to guarantee the environmental integrity of California’s forest offsets program for 100 years.

    https://www.frontiersin.org/journals/forests-and-global-change/articles/10.3389/ffgc.2022.930426/full

    #forêt #Californie #feu_de_forêt #incendie #crédits_carbone #buffer_pool #zone_tampon #USA #Etats-Unis

    • Offsets on fire

      UP IN SMOKE: The Park Fire blazing near Chico, California — now the fourth largest in state history — has burned 400,000 acres and destroyed some 640 structures.

      About 43,000 of those acres are forests that were supposed to stay intact for at least 100 years under California’s carbon offset program, says the nonprofit research group CarbonPlan.

      That’s a problem for California’s climate goals because companies are relying on carbon to stay in those trees. When the trees burn, they release the CO2 that companies paid to trap in lieu of reducing their own emissions under the state’s cap-and-trade program.

      The last two years were more quiet on the fire front, but this year, after wet winters fueled vegetation growth that’s turned into kindling in a hot, dry summer, fires are rearing their head.

      “This is a wild summer for this,” said William Anderegg, a professor at the University of Utah who researches forest carbon offsets and buffer pools. “This is feeling a lot like those very big fire years from two, three years ago.”

      The four offset parcels burning in the Park Fire belong to Sierra Pacific Industries, the second largest lumber company in the U.S. They were enrolled to sell credits under cap-and-trade with the promise that they would be protected for 100 years to substitute for refineries, factories and other big emitters reducing their own greenhouse gas emissions. At the moment, one of the parcels, where an oil refiner and an energy trading company tapped 2,700 tons worth of credits to meet their cap-and-trade obligations in 2022, is roughly 20 percent burned.

      California regulators thought of this when they designed their offset program. They created an extra pool of credits that forest project developers have to deposit some credits into — roughly a 10 to 20 percent margin — in order to serve as insurance against fires and other destruction.

      But as fires keep destroying offset projects, there are serious questions about whether the buffer pool is big enough.

      “There is a lot of evidence that California’s buffer pool is not big enough,” said Grayson Badgley, a research scientist with CarbonPlan, who in 2022 published a report showing that wildfires over the past decade had already depleted one-fifth of the buffer pool, and almost all of the buffer pool set aside for fire risk, which is meant to last a century.

      “It is not ready to deal with a warmer future where fires are more frequent and more intense, and that’s what we’re seeing across North America, especially in the American West,” he said.
      A map shows burned areas overlapping with carbon offset projects in the footprint of the Park Fire.

      https://www.politico.com/dims4/default/92126b3/2147483647/resize/762x/quality/90/?url=https%3A%2F%2Fstatic.politico.com%2F94%2Fb3%2Fff3326cb43f6b3813b596fd

      These aren’t the only forests in California’s offset program that are going up in smoke right now.

      In Washington State, a complex of fires, now mostly contained, just burned through 17,000 acres of a project on the Colville Indian Reservation, one of the largest sellers of carbon credits under the California cap-and-trade program. A project run by the Mescalero Apache Tribe in New Mexico that has sold over a million credits to Chevron lost about 13,000 acres, roughly six percent of its project area, to this summer’s Salt and South Fork fires.

      This also isn’t the first time the California Air Resources Board has had to deal with these threats to the carbon credits in its program, which mostly come from forests.

      The summers of 2020 and 2021 saw a spate of fires burn through compliance forests, including the Bootleg Fire, which wiped out 3.3 million tons of carbon dioxide from Green Diamond Resources Corporation land in Oregon and required CARB to retire more than 1.1 million credits from the buffer pool. The fires currently ablaze on the Colville Indian Reservation, in Washington, mark the fourth year the project has burned since 2015; in 2020 and 2021, fires wiped out over 3.7 million credits.

      It could take up to two years for state regulators to calculate the carbon losses from this year’s fires and decide how much to tap from the buffer pool. A lot depends on how severe the fires are that burn through the forests, and whether or not they burn along the ground or jump into the canopy and destroy whole trees.

      “This all just further underscores how vulnerable these [offsets] are to climate risks and how crucial it is to have an adequate buffer pool,” he said.

      CARB, which is currently revising its cap-and-trade program to make it more stringent, has said it doesn’t plan to update its forest offset protocol or reassess the risk of wildfires this time around.

      “Our regulation has provisions to address any impacts of wildfires on compliance forestry offset projects,” said spokesperson David Clegern.

      But the agency has said it’s interested in revisiting how it calculates the risk of losing forest credits to wildfire and last year contracted researchers to develop new risk assessments for use in the next protocol. CARB says they have nothing to share yet from the research. — BB

      https://www.politico.com/newsletters/california-climate/2024/08/06/offsets-on-fire-00172970

  • « La #forêt_amazonienne est habitée depuis toujours »

    Sous ses dehors sauvages, la forêt amazonienne est habitée depuis des millénaires par des populations qui ont su l’exploiter tout en la préservant, comme le raconte le géographe François-Michel Le Tourneau dans ce 4ᵉ volet de notre série d’été consacrée à la forêt.

    On imagine la forêt amazonienne comme un espace vierge de présence humaine. Mais c’est loin de la vérité. Vous êtes spécialiste de la région amazonienne, notamment dans sa partie brésilienne. Pouvez-vous nous dire qui habite cette forêt aujourd’hui ?
    François-Michel Le Tourneau1. Depuis une trentaine d’années, le concept de forêt vierge appliqué à l’Amazonie est en train de voler en éclats. L’histoire de la région a été dominée jusqu’aux années 1970 par des archéologues occidentaux, qui avaient imposé l’idée d’une forêt impénétrable, produisant peu de ressources, en particulier peu de protéines animales, où ne pouvaient subsister que quelques tribus nomades. Mais c’est faux ! D’abord, le peuplement de cette région remonte au moins à 11 000 ans avant notre ère. Différentes populations ont peu à peu domestiqué des plantes comme le riz et le manioc. Elles ont par ailleurs développé des civilisations denses et quasi-urbaines dans les siècles qui ont précédé la colonisation européenne, comme le montre l’apport récent du lidar, une technique de télédétection laser qui traverse la canopée et révèle le modelé exact du sol.

    Mais à cause de l’arrivée des Européens et, avec eux, des épidémies, 80 % à 90 % de cette population a été décimée. Les Portugais ont alors importé de la main-d’œuvre depuis l’Afrique et une partie de ces esclaves, les quilombolas, appelés aussi « Noirs marrons », se sont échappés pour vivre en forêt. Par ailleurs, des métissages ont eu lieu entre Amérindiens et Européens, dont sont issus les caboclos, des paysans qui ont formé petit à petit le gros de la population du bassin amazonien. Le peuplement de la forêt amazonienne est donc le fruit d’une histoire où se sont succédé et mélangées des populations d’origines très différentes.

    Les Amérindiens ne sont donc pas les seuls habitants de cette forêt ?
    F.-M. Le T. Non, en effet. Et l’histoire ne se termine pas là ! Au XIXe et au XXe siècle, deux grandes vagues d’immigration ont entraîné des afflux de population du Nord-Est. À la fin du XIXe siècle, quand la demande de latex a explosé dans le monde, 500 000 seringueiros sont venus pratiquer en forêt la saignée des hévéas (seringueira en portugais, Ndlr). L’euphorie liée au commerce du caoutchouc n’a pas duré longtemps, car la Malaisie a repris cette exploitation à grande échelle. Comme dans le conte de Cendrillon, la région amazonienne s’est rendormie pour plus d’un siècle. Jusqu’à ce que le régime militaire brésilien arrivé au pouvoir en 1964 décide de développer une région considérée – toujours à tort ! – comme vide et arriérée et de l’arrimer au reste du pays, craignant une prise de contrôle par d’autres puissances. Il organise alors un grand plan de colonisation agricole par des populations paysannes sans terre, ce qui lui permet en même temps d’éviter une réforme agraire dans le reste du pays.

    Plusieurs millions de personnes arrivent ainsi dans les années 1970-1980, profitant des routes qui sont construites dans le même temps à travers la forêt. La population urbaine commence à dépasser la population rurale… au point que la géographe brésilienne Bertha Becker qualifiait dès 2000 cette Amazonie brésilienne de « forêt urbanisée » ! Aujourd’hui, environ 25 millions de personnes vivent en Amazonie brésilienne, dont 753 000 Amérindiens. Parmi elles, 350 000 habitent au cœur même de la forêt.

    La population amérindienne est à nouveau en progression ?
    F.-M. Le T. Oui, elle a fortement augmenté depuis trente ans au Brésil en général et en Amazonie en particulier. Depuis les années 1970, une meilleure prise en charge sanitaire, notamment vaccinale, a amélioré la santé des Amérindiens. Surtout, une convergence est apparue à partir de 1985 entre la montée des préoccupations environnementales d’une part et les luttes sociales des populations autochtones d’autre part.

    En 1988, une nouvelle constitution a reconnu leurs droits et leurs langues, et leur a restitué de larges pans de territoires : aujourd’hui, sur 3,3 millions de kilomètres carrés de forêt amazonienne brésilienne, environ 1,3 million de kilomètres carrés (trois fois la France métropolitaine environ) sont exclusivement réservés aux Amérindiens. À cela s’ajoutent les terres allouées à d’autres populations traditionnelles, comme les seringueiros. Confrontés dans les années 1970 à l’arrivée de propriétaires qui défrichent massivement, ils ont obtenu une gestion communautaire de ces terres. Même chose pour les ribeirinhos vivant sur les berges du fleuve, qui ont récupéré des réserves de développement durable et des droits spécifiques dans la préservation de ces écosystèmes.

    On oublie trop souvent que des centaines d’espèces et de variétés étaient cultivées en forêt par les Amérindiens avant le contact avec les Européens, sans entraîner de dégradation de la fertilité des sols, au contraire ! Là où les grandes entreprises agricoles défrichent d’immenses surfaces pour ne faire pousser que quelques espèces à grand renfort d’intrants chimiques.

    De quelle façon ces populations vivent-elles de la forêt ?
    F.-M. Le T. Les Amérindiens pratiquent pour la plupart un système mixte qui repose sur une agriculture rotative par abattis-brûlis, la collecte de ressources végétales (graines, semences, lianes), ainsi que la pêche et la chasse. Pour fonctionner, ce système impose d’avoir accès à de vastes surfaces qu’ils parcourent en fonction des saisons et des besoins.

    Les autres populations traditionnelles ont repris certaines bases des Amérindiens, notamment l’agriculture rotative, mais elles utilisent souvent plus intensivement d’autres ressources car elles tirent une partie de leur subsistance de la vente de ces produits (noix, fibres, semences, etc.) sur les marchés. Dans les deux cas, de plus en plus, les allocations sociales et les salaires participent aussi aux économies des familles, entraînant des changements de régimes alimentaires pas toujours heureux.

    Ces populations traditionnelles sont-elles un rempart contre la déforestation ?
    F.-M. Le T. En partie oui. Le gouvernement brésilien considère d’ailleurs que les territoires amérindiens participent au réseau des unités de conservation de l’environnement. Dans le même temps, les politiques de développement se pensent toujours face à une nature sauvage qu’il s’agirait de domestiquer, avec des plantations monospécifiques, des pâturages destinés aux élevages ovins et bovins, des grandes cultures, qui ne laissent aucune place aux processus naturels. L’idée perverse d’une profusion inépuisable de la forêt n’est pas remise en question...

    Mais les peuples autochtones deviennent aussi, pour certains, prisonniers d’une injonction à sauver la forêt. Or, leur projet de développement dans le futur n’est pas forcément de conserver un mode de vie traditionnel. De nouveaux besoins se font jour, qui nécessitent souvent l’accès à des revenus monétaires. Certains, pour subsister, acceptent de faire des coupes à blanc (abattage sur de très grandes surfaces de la totalité des arbres d’une exploitation forestière, Ndlr) dans la forêt afin d’y créer des pâturages pour de l’élevage. Doit-on les en empêcher ? Il faut noter enfin que la plupart ne résident plus seulement dans leurs territoires d’origine mais pratiquent des mobilités circulaires entre ville et forêt, utilisant l’espace périurbain pour continuer leurs activités agricoles et de collecte tout en profitant des avantages de la ville, comme l’accès à la scolarité ou à des emplois rémunérés.

    Le sujet est compliqué. En réalité, ce devrait être à l’État de protéger cet environnement, tout en acceptant le droit à l’autodétermination de ces populations et leur aspiration à une prospérité matérielle équivalente à celle du reste du Brésil.

    https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-foret-amazonienne-est-habitee-depuis-toujours

    #géographie_du_vide #géographie_du_plein #Amazonie #peuples_autochtones #forêt #Amérique_latine #forêt_vierge #exploitation #Brésil #peuplement #quilombolas #noirs_marrons #esclavage #histoire #caboclos #agriculture #villes #urbanité #latex #hévéas #caoutchouc #colonisation #colonisation_agricole #réforme_agraire #forêt_urbanisée #vaccins #vaccination #démographie #agriculture_rotative #abattis-brûlis #alimentation #régime_alimentaire #déforestation #plantations #pâturages #terres #coupes_à_blanc #élevage #mobilités_circulaires

  • Planter un milliard d’arbres en dix ans, une #fausse_bonne_idée ?

    Incendies, sécheresses... La #forêt française va mal. Pour la sauver, Emmanuel Macron veut renouveler 10 % de la surface forestière en dix ans. Une promesse choc mais qui inquiète ONG et scientifiques. Ils alertent sur la complexité de ce milieu qui requiert « prudence et discernement ».

    Planter pour sauver la forêt : tel était, fin 2023, l’un des mantras écolos d’Emmanuel Macron. Alors que les étés caniculaires ont mis à rude épreuve les massifs forestiers ces dernières années, le chef de l’Etat a même fixé un objectif très ambitieux : mettre en terre un milliard d’arbres d’ici à 2032. Un chantier énorme, qui implique de renouveler l’équivalent de 10 % de la surface boisée française et devrait coûter 8 à 10 milliards d’euros.
    L’immense défi du stockage de carbone

    « Nous jouons à la roulette russe avec notre planète ! » : l’avertissement n’émane pas d’une organisation écologiste en mal de notoriété, mais du patron de l’ONU, António Guterres, le 5 juin dernier.

    Alors que le réchauffement climatique s’accroît à un « rythme sans précédent », comment inverser la tendance ? Le défi est titanesque. D’autant que baisser – même drastiquement – nos émissions ne suffira pas : il va nous falloir, aussi, absorber une grande partie de ce CO2 qui s’accumule dans l’atmosphère et nous menace tant.

    C’est tout l’enjeu de la sauvegarde et de la restauration de ce que les scientifiques appellent les « puits de carbone ». Forêts, océans, prairies… Tous ces écosystèmes sont capables d’absorber des quantités colossales de gaz à effet de serre, et donc de nous rendre un sacré service. Des chercheurs planchent, eux, sur des solutions techniques pour aspirer et stocker le carbone émis.

    « Le Nouvel Obs » a choisi de mettre en lumière le rôle clé de ces initiatives. A travers une série de reportages, réalisés grâce au Centre européen du Journalisme (EJC) et à son programme « Solutions Journalism Accelerator », soutenu par la fondation Gates, nous vous emmenons à la découverte de ces ingénieurs, forestiers, agriculteurs qui refusent de baisser les bras. Et s’efforcent de renforcer ces si précieux alliés.

    De fait, l’heure est grave tant notre forêt se porte mal. En dix ans, la mortalité des arbres a grimpé de 80 % et leur capacité d’absorption du CO₂ – on parle de « puits de carbone » – s’est effondrée de moitié, alors même qu’ils sont censés être de précieux alliés contre le changement climatique.

    Dans la forêt de Tronçais, considérée comme l’une des plus belles futaies de chênes d’Europe, 15 à 20 % des jeunes chênes meurent avant d’avoir atteint leur maturité, notamment en raison du manque d’eau. Dans le Grand Est, où les scolytes prolifèrent à cause du réchauffement climatique et déciment les épicéas, la situation est déjà critique puisque les forêts de ce territoire sont si affaiblies qu’elles émettent désormais du CO₂. Et d’autres régions pourraient vite connaître le même bouleversement. « Au rythme actuel, les forêts françaises pourraient émettre plus de carbone qu’elles n’en absorbent dès 2026 », avertit le climatologue Philippe Ciais, du Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement du Commissariat à l’Energie atomique (CEA).

    Au niveau mondial, la dynamique est plus préoccupante encore : selon une étude que le chercheur vient de publier, les forêts et les sols ont seulement absorbé entre 1,5 milliard et 2,6 milliards de tonnes de CO₂ en 2023. Contre 9,5 milliards en 2022 !

    Une approche simpliste ?

    Si l’état des forêts est critique, l’ambition élyséenne a néanmoins été accueillie fraîchement par nombre de forestiers, scientifiques et défenseurs de l’environnement. « Ce chiffre est un excellent coup de com, mais il traduit une approche comptable et simpliste de la forêt », égratigne Sylvain Angerand, membre de l’ONG Canopée. Comme d’autres esprits critiques, cet ingénieur forestier redoute que ce plan de relance n’encourage les coupes rases.

    Cette pratique, qui consiste à abattre tous les arbres d’une même parcelle en une seule fois, est souvent suivie d’une plantation en monoculture, c’est-à-dire avec une seule espèce d’arbre. Un procédé brutal et peu vertueux d’un point de vue écologique. Car en mettant à nu un terrain forestier et en retournant la terre, les coupes rases se révèlent non seulement désastreuses pour la biodiversité mais aussi pour le climat : alors que la moitié du CO2 stocké par une forêt est enfouie dans le sol, elles ont pour conséquence de libérer ce carbone dans l’atmosphère.

    Or la politique forestière initiée sous Emmanuel Macron n’a fait qu’encourager ces coupes. Ainsi, le plan de relance élaboré en 2020, lors de la crise Covid, et dont l’une des ambitions était – déjà ! – de planter massivement des arbres (50 millions en deux ans), a très largement financé ce type d’opérations, selon un bilan réalisé par l’ONG Canopée.

    En 2023, la publication d’un rapport du Conseil supérieur de la Forêt et du Bois (CSFB), qui dessine les orientations du gouvernement en la matière, a renforcé les inquiétudes : on peut y lire que pour atteindre l’objectif d’un milliard d’arbres, les plantations après coupes rases - dites plantations « en plein » - seront largement privilégiées.
    « Un prétexte pour mener un grand remembrement »

    Quels arbres seront coupés ? Le ministère de l’Agriculture, en charge de la politique forestière, se veut rassurant : seuls les arbres « dépérissants », « vulnérables » et « pauvres » seront supprimés. Mais ces critères sont vivement contestés. Sont par exemple considérées comme « dépérissantes » les parcelles où 20 % des arbres sont morts. Un chiffre bien trop bas, pour Sylvain Angerand, qui estime que l’« on est en train de condamner par anticipation des forêts qui pourraient ne pas mourir ».

    Son ONG redoute, par ailleurs, que le plan ne crée un « effet d’aubaine » : des propriétaires pourraient être tentés de « sacrifier » les arbres existants en vue de toucher de l’argent public pour replanter. « Le gouvernement se sert du climat comme d’un prétexte pour mener un grand remembrement », accuse Sylvain Angerand, convaincu que l’objectif d’un milliard d’arbres n’a pas pour mission première d’aider la forêt à s’adapter au changement climatique, mais plutôt « aux besoins de l’industrie du bois, qui réclament des parcelles de résineux toujours plus standardisées ».

    Comment armer réellement les massifs forestiers pour qu’ils résistent à un climat qui se réchauffe ? Partout en France, des forestiers expérimentent d’autres approches. A la tête d’AviSilva, une entreprise d’expertise et de gestion forestière basée dans les Alpes-de-Haute-Provence, Nicolas Luigi applique, dans les forêts méditerranéennes et montagnardes où il intervient, les principes de la « sylviculture mélangée à couvert continu » (SMCC). Une appellation barbare, qui cache un mode de gestion plus doux, où la coupe rase n’est qu’une solution de dernier recours.

    A rebours du modèle dominant qui, pour des questions de rentabilité, privilégie les parcelles constituées d’arbres d’une seule essence et du même âge, Nicolas Luigi s’efforce, lui, de diversifier leur composition, persuadé que « c’est en complexifiant les écosystèmes, et non en les uniformisant, qu’on les rendra plus résilients ».

    Cette diversité permet le maintien d’une forme de fraîcheur sous les arbres, salutaire – pour eux aussi ! – en temps de canicule. C’est également une façon de se prémunir contre toute mauvaise surprise, alors que l’on peine encore à déterminer quelles essences parviendront à s’adapter à une France plus chaude de 2, 3 ou 4 °C. « Dans un contexte de fortes incertitudes, il est essentiel de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier et de se défaire de l’idée qu’il y aurait des essences miracles », plaide l’ingénieur forestier de 43 ans, tandis qu’il nous fait visiter l’une des parcelles dont il a la gestion, dans les environs de Sisteron. S’y mélangent pins noirs, cèdres, chêne pubescent, sorbiers, alisiers, sapins ou encore tilleuls…
    « Leur temporalité n’est pas la même que la nôtre »

    Des arbres, Nicolas Luigi en coupe et en plante, mais jamais sur la totalité d’une parcelle, ni sans avoir observé minutieusement au préalable le fonctionnement de l’écosystème, les interactions des arbres entre eux, la qualité du sol, l’exposition à la lumière, etc.

    La « régénération naturelle » est toujours privilégiée : le renouvellement se fait principalement à partir des graines issues des arbres en place. Nicolas Luigi n’intervient que par petites touches, en procédant seulement à des plantations « d’enrichissement », ou en coupant ici et là certains arbres pour en aider d’autres à croître. Une « sylviculture de la patience », selon lui plus efficace et moins risquée qu’un vaste chantier de reboisement.

    Il en veut pour preuve les nombreux ratés des récents programmes de reboisement. Deux ans après avoir été mis en terre, 38 % des arbres plantés en plein dans le cadre du plan de relance de 2020 étaient déjà morts... Un taux d’échec énorme, qui démontre qu’il est bien plus raisonnable de s’appuyer sur les écosystèmes existants, en mettant en œuvre des transformations progressives, que de faire le pari de mesures drastiques. Pour Nicolas Luigi, « il ne s’agit pas de renoncer à agir, mais de le faire avec prudence et discernement ».

    Moins clinquante qu’un vaste chantier de reboisement, considérée pendant des années avec dédain, la « sylviculture mélangée à couvert continu », reste minoritaire à l’échelle du territoire. Mais elle gagne du terrain, y compris au sein de l’Office national des forêts (ONF), où l’on s’est longtemps enorgueilli de faire pousser de grandes futaies régulières, mais où l’on constate que cette uniformité constitue aujourd’hui une vulnérabilité majeure. « La SMCC est un mode de gestion plus fin donc plus difficile, car il demande une certaine technicité, souligne Claire Nowak, responsable du service forêts au sein de l’établissement public.
    " « Mais c’est la meilleure option pour se prémunir contre le changement climatique. » "

    Elle continue néanmoins de se heurter à des obstacles, tant économiques que politiques. Car opter pour cette gestion implique de travailler sur une échelle de temps longue et donc de rompre avec les exigences de rentabilité à très court terme qui s’imposent à l’industrie du bois. En SMCC, on ne prélève par exemple jamais plus de 15 à 20 % du volume de bois d’une parcelle à la fois. « Nos forêts ne sont pas moins productives que les autres, assure Nicolas Luigi.
    " Mais elles ne permettent pas une rentabilité sur dix ans. On ne voit pas la forêt seulement comme un stock de bois, mais aussi comme un capital dont il faut prendre soin pour le valoriser à long terme. » "

    La « sylviculture mélangée à couvert continu » est surtout un mode de gestion peu adapté au temps politique et ses exigences d’immédiateté des résultats. Production de bois, aborption du CO2... « On demande aujourd’hui beaucoup de choses aux forêts, et ce dans un temps très court, juge Nicolas Luigi.
    " Or on ne peut pas attendre d’elles qu’elles évoluent aussi vite que nos besoins. Leur temporalité n’est pas la même que la nôtre. » "

    Plutôt que de s’en remettre une nouvelle fois à « des solutions qui entretiennent l’illusion d’une maîtrise absolue de la nature », l’ingénieur forestier est persuadé que, face au changement climatique, le moment est venu de changer de paradigme. Et d’accepter, au contraire, de « lâcher un peu prise ».
    En Ile-de-France, des châtaigniers menacés de disparition

    Il n’y a pas que dans le Grand Est et sur le pourtour méditerranéen que les forêts françaises souffrent. Cimes dégarnies, feuilles flétries et jaunies… En Ile-de-France aussi, plusieurs d’entre elles accusent le coup. Dans la forêt de Versailles (Yvelines), la maladie de l’encre, qui prolifère en raison du changement climatique, est même en train de décimer un nombre important de châtaigniers, désormais menacés de disparition. Pour sauver ces forêts franciliennes, l’ONF tente de diversifier leur composition, en introduisant notamment des essences plus adaptées au climat futur. Chaque année, des campagnes de plantation sont menées, mais uniquement sur de petites surfaces, de 1 à 3 hectares maximum.

    Cet hiver, ce sont 200 000 arbres, d’une douzaine d’essences différentes, qui ont été plantés dans 25 forêts domaniales de la région : du chêne sessile, du chêne pubescent, du chêne tauzin - réputé plus résistant au stress hydrique - des pins maritimes, des pins laricio de Corse… S’il est beaucoup trop tôt pour en évaluer les résultats, ceux de la campagne précédente sont encourageants : 85 % des 210 000 arbres plantés vivent toujours, malgré un été 2023 particulièrement sec.

    https://www.nouvelobs.com/ecologie/20240731.OBS91844/planter-un-milliard-d-arbres-en-dix-ans-une-fausse-bonne-idee.html
    #arbres #France #reboisement #politique_forestière #simplisme #remembrement

  • Sur les versants du #Donon, les #sapins de la colère

    Communes forestières sans forêt, #Raon-lès-Leau et #Raon-lès-Plaine se battent depuis 150 ans pour récupérer leurs #bois, rattachés à l’#Alsace après la Grande guerre. Reportage.

    Dans la salle du conseil municipal de Raon-lès-Leau en #Meurthe-et-Moselle, des cartes vieilles d’environ deux siècles trônent au milieu des gravures et des photos sépia du village sous la neige. « Ce sont les #plans_cadastraux de la commune avant 1871 », explique Étienne Meire, qui les connaît par cœur. Lunettes sur le bout du nez, le maire de la commune scrute les documents jaunis par les ans avant de pointer l’index sur les anciennes frontières communales :

    « Tout ça, ce sont des bois. Autrefois, le territoire de la commune s’étendait jusqu’au Donon sur 1 193 hectares. Aujourd’hui il ne nous en reste que 193. Nous n’avons plus de #forêts, nous n’avons plus rien. » Étienne Meire, maire de Raon-lès-Leau

    Une ancienne carte retrace le territoire perdu après l’annexion de l’Alsace.

    (#paywall)

    https://www.rue89strasbourg.com/sur-les-versants-du-donon-les-sapins-de-la-colere-309449

  • #Journal du #Regard : Juillet 2024

    https://liminaire.fr/journal/article/journal-du-regard-juillet-2024

    https://youtu.be/6GGKDRayg1E

    Chaque mois, un film regroupant l’ensemble des images prises au fil des jours, le mois précédent, et le texte qui s’écrit en creux. « Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture “préalable” ». Jorge Luis Borges, Fictions Nous ne faisons qu’apparaître dans un monde soumis comme nous au pouvoir du temps. Dans le silence qui suit la fin du signal de départ. Dans un seul et unique instant. Non pas suites sans principe de (...) #Journal, #Vidéo, #Architecture, #Art, #Écriture, #Voix, #Sons, #Mémoire, #Paysage, #Ville, #Journal_du_regard, #Regard, #Dérive, #Paris, #Foret, #Photographie (...)

  • #Pologne : les forces armées peuvent tirer sur des migrants sans responsabilité pénale

    En Pologne, la crise migratoire à la frontière avec la #Biélorussie continue de s’intensifier. Cet été, le gouvernement a mis en place une #zone-tampon complètement militarisée le long de la frontière pour empêcher les migrants de pénétrer dans le pays. Ce vendredi 12 juillet, le gouvernement a élargi les prérogatives des forces armées. Elles ont désormais le droit de tirer sur les migrants sans en être tenues responsables pénalement. Une mesure qui inquiète les humanitaires sur place.

    Tirer de façon préventive et à #balles_réelles sur quiconque tenterait de violer la frontière. Ce vendredi, les députés polonais ont levé la #responsabilité_pénale des #soldats désormais autorisés à tirer face aux migrants.

    Une erreur selon l’activiste humanitaire Kasia Mazurkiewicz, qui s’inquiète pour la vie des réfugiés : « En voyant quelqu’un dans la #forêt, on n’est pas en mesure de dire s’il représente une menace ou s’il s’agit d’une personne fuyant un pays en guerre, et qui cherche juste à survivre. Et il faut les traiter comme des humains. Or, on ne tire pas sur des humains ».

    Avec son association d’aide aux migrants, elle arpente régulièrement la forêt le long de la frontière, et craint désormais pour sa propre sécurité.

    « Pour nous, c’est très inquiétant, car on sauve des vies humaines, mais on a peur de se faire fusiller en portant secours aux autres. Désormais, on va réfléchir à deux fois avant d’aller sauver quelqu’un, car on sait qu’on risque nous-mêmes d’y rester ».

    Entre les forces armées et les activistes, les tensions sont au plus haut cet été. Cette année, plus de 18 000 personnes ont tenté de traverser illégalement la frontière. La zone tampon, elle, restera en vigueur au moins jusqu’au 13 septembre.

    https://www.rfi.fr/fr/europe/20240716-pologne-les-forces-arm%C3%A9es-peuvent-tirer-sur-des-migrants-sans-resp
    #tir #tirs #armes_à_feu #migrations #asile #réfugiés #tirs_préventifs #frontières #militarisation_des_frontières #responsabilité #armée

    • Greater use of firearms at the border with Belarus: PACE Rapporteur expresses deep human rights concerns at Polish draft law

      PACE rapporteur #Stephanie_Krisper (Austria, ALDE) has expressed concerns at the decision by the Polish government in June 2024 to enhance the operations of the armed forces, the police and the border guard in Poland in the event of a threat to state security. The draft law suggests that the use of firearms at the border be liberalised, and that soldiers be granted immunity when using such firearms in the border area.

      "The draft law risks running counter to human rights obligations of Council of Europe’s member states, including non-derogable rights such as the prohibition of torture,” said Ms Krisper.

      “These measures would supplement the ministerial regulation temporarily restricting access to the border area contiguous with Belarus, including for citizens, media, NGOs and parliamentarians, and which has significantly limited public oversight over the respect of human rights standards in this particular border zone.

      This decision by the government suggests that pushbacks and the use of firearms against individuals crossing the border will continue unsanctioned, in clear violation of the non-refoulement principle and the right to seek asylum. Non-derogable Convention rights such as the right to life, and the prohibition of torture and inhumane or degrading treatment, may also be at risk.

      The Polish government’s policy regarding the situation at the border with Belarus has been negatively assessed by the Polish Ombudsman, the UNHCR, and Polish human rights organisations.

      As stressed in Resolution 2555 (2024), ‘policies of deterrence have neither demonstrated their efficiency in enhancing domestic security nor strengthened the protection of civil liberties’. I call on the Polish government to cease work on this draft law and to implement human rights compliant border management policies.”

      https://pace.coe.int/en/news/9550/greater-use-of-firearms-at-the-border-with-belarus-pace-rapporteur-express

    • Pour repousser les migrants, la Pologne adopte une loi permettant aux garde-frontières de tirer plus facilement

      Le Parlement polonais a légiféré pour modifier les règles d’engagement des militaires polonais à la frontière avec la Russie et la Biélorussie après une série d’incidents impliquant des migrants.

      Cette loi a largement fait consensus chez les Parlementaires polonais. 401 députés ont voté en sa faveur, 17 y étaient opposés. Le Parlement a adopté un texte allégeant les règles d’engagement des militaires, garde-frontières et gendarmes aux frontières entre la Pologne, la Biélorussie et la Russie, qui sont soumises à une intense pression migratoire.

      Adopté en deuxième lecture le 11 juillet dernier, le texte exonère de toute responsabilité les militaires qui utilisent leurs armes à la frontière, en situation de légitime défense, mais aussi de manière préventive, lorsque la vie, la santé et la liberté des membres des forces de l’ordre sont menacées dans le cadre d’une « atteinte directe et illégale contre l’inviolabilité de la frontière de l’État ».

      Comme le rapporte le quotidien polonais Gazeta Wyborcza, le projet de loi a été très critiqué par certaines associations qui y voient un « droit de tuer ». Le journal polonais explique que le gouvernement avait d’abord prévu d’exonérer de toute responsabilité pénale des soldats pour tout acte constituant un crime commis lors d’une opération à la frontière. Le gouvernement a ensuite amendé lui-même son texte pour préciser les circonstances dans lesquels la responsabilité des militaires pouvait être allégée.

      Le Parlement polonais a légiféré après une série d’incidents impliquant des militaires polonais et des migrants. En mars, trois soldats polonais ont ainsi été poursuivis par la justice de leur pays pour avoir tiré à balles réelles sur des migrants qui traversaient la frontière biélorusse. Cette décision judiciaire avait suscité une forte réprobation dans l’opinion publique. Elle avait été dénoncée par de nombreuses personnalités politiques.

      En mai dernier, un soldat polonais est mort après avoir été poignardé alors qu’il tentait, derrière une clôture, d’empêcher des migrants de pénétrer sur le territoire polonais. L’événement avait provoqué une forte émotion en Pologne et même conduit le premier ministre Donald Tusk à déclarer que les forces de sécurité aux frontières pourraient désormais utiliser leurs armes face aux migrants. Le PiS, parti conservateur d’opposition à la coalition libérale au pouvoir avait accusé le gouvernement de « persécuter les soldats polonais » et de « déshonorer l’uniforme polonais », comme le rapporte aussi la Gazeta Wyborcza.
      17.000 tentatives de passage

      Moscou et Minsk, accusé de déstabiliser volontairement les frontières de l’UE, maintiennent une pression migratoire constante sur la Pologne depuis l’automne 2021 où une grave crise diplomatique avait éclaté entre l’UE et la Biélorussie. La France avait accusé le chef d’État biélorusse d’être derrière un « trafic » d’êtres humains « savamment organisé » avec des pays tiers, vers l’Union européenne, via la Turquie et Dubaï. L’Union européenne accuse les dirigeants de la Biélorussie d’orchestrer l’afflux de migrants.

      Selon les garde-frontières polonais, plus de 17.000 tentatives de passage illégal depuis la Biélorussie ont été détectées depuis le début de l’année. La Pologne prévoit de renforcer sa présence militaire à la fois avec l’enclave russe de Kaliningrad mais aussi avec la Biélorussie.

      Il s’agit de soutenir les garde-frontières mais aussi de renforcer la frontière orientale de l’Otan dans le contexte de la guerre d’Ukraine. « Actuellement, il y a près de 6000 militaires » mais « à terme, il y en aura jusqu’à 17.000, dont huit sur place et 9000 en réserve », prêts à y être déployés en 48 heures, formant « une force de réaction frontalière rapide », a précisé le chef de l’état-major de l’armée polonaise, le général Wieslaw Kukula. Dans le cadre de ce projet, Varsovie va investir plus de deux milliards d’euros dans la sécurité et la fortification de sa frontière avec la Russie et la Biélorussie, avait récemment déclaré le premier ministre Donald Tusk.

      https://www.lefigaro.fr/international/pour-repousser-les-migrants-la-pologne-adopte-une-loi-permettant-aux-garde-

    • Polish MPs allow security forces to use arms with impunity

      Polish lawmakers on Friday (26 July) voted to allow the security forces to use lethal weapons with impunity in response to active threats, including at the tense border with Belarus.

      The pan-European rights body Council of Europe and other activists had expressed concern that the police, border guards and soldiers would now be able to act — or even kill — without accountability.

      The bill, which still requires the president’s signature, was introduced after a Polish soldier was fatally stabbed on the Belarusian border.

      NATO and EU member Poland has accused Minsk’s ally Moscow of what it calls attempts to smuggle thousands of people from Africa to Europe by flying them to Russia and then sending them to the Polish border with Belarus.

      The new legislation “excludes criminal liability for the use of arms or direct force in violation of the rules” by the security forces if there was a threat to the safety of an individual or the country.

      The Council of Europe’s Commissioner for Human Rights, Michael O’Flaherty, voiced concern that the bill could “foster a lack of accountability and suggest a lack of commitment to human rights obligations”.

      It “may create a legal and policy framework that provides a disincentive for state agents deployed in the border areas, or in other situations within its scope, to act in respect of the rules on the proportionality in the use of force and firearms”, he added earlier this month.

      Polish lawyer and activist Hanna Machinska on Friday said that “the issue of national security cannot be a carte blanche for acts that violate human rights”.

      “Nothing justifies introducing rules that are a licence to kill, as some people have said,” she told TOK FM radio.

      Earlier this month Poland said it would boost its military presence and defence fortifications along its Belarusian border because of “constant provocations”.

      In June, a soldier on patrol at the border was stabbed through a five-metre-high metal fence that Poland had erected in 2022 to deter migrants.

      The Polish army also reported other attacks on troops at the border.

      https://www.euractiv.com/section/global-europe/news/polish-mps-allow-security-forces-to-use-arms-with-impunity

  • Les forêts françaises face au défi climatique - Public Sénat
    https://www.publicsenat.fr/actualites/environnement/les-forets-francaises-face-au-defi-climatique

    Remodeler la forêt… au risque de planter des champs d’arbres, adaptés aux besoins de l’industrie, plutôt que de véritables forêts vivantes ? C’est le reproche que font les associations environnementales au plan de reboisement du gouvernement.

    Sur le plateau de Millevaches, au cœur du Limousin, Vincent Magnet lutte contre le mode de gestion industrielle de la forêt. Sa bête noire : les « coupes rases », une pratique consistant à récolter une parcelle de forêt en une seule fois. « Cela conduit à une mise en lumière massive du sol, qui est compacté par le passage des abatteuses et sur lequel rien ne repousse pendant plusieurs années » explique ce technicien forestier et citoyen engagé dans la défense de la forêt.

    « Ici ils n’ont replanté que du mélèze, bien en ligne, en monoculture » constate Vincent Magnet sur la parcelle qu’il tient à montrer à Public Sénat. « Dans quarante ans, on va tout couper, et repartir de zéro. Sauf qu’on repart de moins que zéro, parce qu’entre-temps on aura dégradé le milieu ».

    #forêts #climat #extractivisme #usure_du_monde