[...] l’État n’est ni un sujet propre ni un instrument neutre qui puisse être utilisé à souhait par un groupe dominant ou une classe, comme l’ont affirmé par exemple les théories critiques du pluralisme ou encore la théorie du capitalisme monopoliste d’État. Il constitue plutôt une composante structurelle du rapport de production capitaliste lui-même, sa forme spécifiquement politique.
Jusque là tout va bien, mais ça s’emberlificote juste après :
Les rapports de classe et d’exploitation capitalistes sont constitués de telle sorte que la classe dominante sur le plan économique ne peut pas dominer directement sur le pan politique. Sa domination doit ainsi d’abord se réaliser par la médiation d’une instance relativement distanciée des rapports de classes : l’État. En même temps, l’État reste soumis à la logique structurelle et fonctionnelle de la société capitaliste. Il n’est pas une instance qui existerait hors du capital. L’État bourgeois est ainsi un État de classe sans être directement l’instrument d’une classe. Et c’est bien cette « particularisation » ou « relative autonomie » de l’État qui se trouve à la base de l’illusion étatique.
Encore une fois, comme dans tout le marxisme traditionnel, le rapport capitaliste fondamental est rabattu sur un phénomène dérivé, une réalité certes fort désagréable et qui mérite d’être combattue, mais qui n’est que secondaire, dérivée : le rapport capitaliste fondamental, c’est la production marchande en soi, d’où émerge nécessairement des rapports conflictuels de classe, un antagonisme qui n’a de sens que parce que le rapport sous-jacent est en quelque sorte « naturalisé ». Cela explique plus surement la permanence de l’État et de son caractère « inutilisable » dans le cadre d’une lutte contre le capitalisme, que le fait que les bourgeois en tant que classe se cacheraient derrière un artefact dont la dynamique leur échapperaient plus ou moins partiellement.
L’État dérive de la production marchande, de la même façon que la lutte des classes. Le rapport de dérivation ne peut être entre deux phénomènes eux-mêmes dérivés. Ça veut aussi dire que l’on ne peut parler d’État et de lutte des classes dans les sociétés pré-capitalistes sans faire une erreur logique et historique qui consiste à rétro-projeter les catégories spécifiquement capitalistes sur des sociétés passées qui ne l’étaient pas. Cette erreur est aussi un fondement de l’impossibilité de penser vraiment des issues au capitalisme puisqu’elle consiste à « éternaliser » ses catégories. On ne se donne ainsi pas non plus les moyens de penser la spécificité des dominations pré-capitalistes (qui pouvaient être tout aussi dégueulasses) et donc d’anticiper correctement le fait que la fin de la domination capitaliste (sans sujet, impersonnelle) pourrait faire advenir d’autres saloperies et ne pas être une voie vers l’émancipation.