• "Des « Radio Alice 2.0 » ~ Entretien avec #François_Huguet à propos des réseaux MESH à Détroit"
    http://syntone.fr/des-radio-alice-2-0-entretien-avec-francois-huguet-a-propos-des-reseaux-mesh

    Le développement des « réseaux communautaires sans fil » (#MESH) ne peut pas manquer de faire penser aux radios amateurs et à l’histoire des #radios_libres ou de la Mini-FM. L’universitaire François Huguet nous invite à explorer les possibilités ouvertes par les nouvelles capacités d’émetteur et de récepteur de nos ordinateurs et de nos téléphones portables.

    Quelques extraits :

    « MESH » veut dire « maillage » et signifierait pour certains « MEtro Scale ad Hoc network », donc des réseaux de points à points à une échelle métropolitaine, de petite taille. On peut également traduire ce terme par l’idée de réseaux communautaires sans fil, distribués et mobiles, dans lesquels les appareils informatiques deviendraient l’infrastructure, dans lesquels on ne s’appuie plus sur une infrastructure Télécom déjà existante mais on la créée soi-même.

    Je m’y intéresse depuis 2011, au moment où les terminaux mobiles ont acquis des capacités suffisantes de « meshage ». En fait l’idée de réseau communautaire sans fil existait depuis un moment, sous la forme d’ordinateurs reliés par des antennes sur ondes radio. Mais en 2011, il est devenu possible d’avoir ces capacités à l’intérieur d’un smartphone et ces petits logiciels infrastructures locales pouvaient devenir ultra-mobiles, être émetteurs et récepteurs sans qu’il y ait besoin d’installer une antenne sur un toit. Ces capacités des terminaux mobiles ont permis de réinterroger ce genre de technologie et la notion même de média dans son ensemble.

    (...) En 2011, pendant les printemps arabes, on parlait beaucoup de la liberté que permettait l’Internet, on entendait : « Facebook est une arme face aux méchants dictateurs », ce genre de choses. C’est à ce moment que la New America Foundation (une sorte de grand think-tank écologiste américain), via son projet Open Technology Initiative, a créé un logiciel baptisé Commotion, destiné à établir des réseaux MESH. Ils surfaient sur les récits et les discours de la technologie libératrice dans les pays arabes, avec l’idée de développer une technologie qui permettrait d’éviter la censure ou les coupures de l’Internet. La possibilité d’établir des réseaux MESH avec des terminaux mobiles permettait de cristalliser les enjeux de liberté : si les militants de la place Tahir utilisaient Commotion, Mubarak pouvait bien couper les tuyaux de l’Internet, les gens continueraient de discuter et de s’organisaient afin de déjouer les mécanismes de censure égyptiens.

    Du coup j’ai voulu suivre cette technologie et Commotion à partir de 2011. J’étais persuadé que j’allais partir en Égypte. Mais au final je me suis rendu compte qu’il n’y avait là que des discours, des sortes d’opérations de promotion politique qui permettaient de justifier et de légitimer l’utilité de la technologie Commotion, pour obtenir de l’argent du Département d’État américain, de Google ou de Microsoft et en faire comprendre l’intérêt au plus grand nombre. J’ai suivi tout ça et je me suis rendu compte que c’est ailleurs qu’ils déployaient ces technologies et notamment à Détroit, que les gens de l’Open Technology Initiative connaissaient bien pour avoir travaillé là-bas avec des associations de Community Organizing sur des problèmes liés à la fracture numérique. Je me suis aussi aperçu que Commotion y servait à quelque chose de complètement différent : il ne s’agissait pas de résoudre des problèmes liés à la censure d’un régime politique mais de résoudre les problèmes d’infrastructure communicationnelle d’une ville en crise.

    (...) À #Détroit, l’idée de pouvoir créer son propre réseau de communication faisait sens parce que c’est une ville immense, avec des espaces vides et abandonnés partout. Les opérateurs de télécommunication classique ne veulent pas y venir et y investir, parce que creuser une tranchée et installer du câble pour une seule maison isolée n’est pas rentable.

    (...) Je pense que la réflexion globale qui sous-tend Commotion et les réseaux communautaires sans fil en général n’est pas seulement la possibilité d’accéder à la parole, comme ce que racontent Berardi ou Guattari à propos des radios libres, ni de faire acte de « thérapie sociale » comme le raconte Kogawa. Il s’agit plutôt de se battre pour une certaine idée de ce que doit être une infrastructure #Télécom et de ce que doit être #Internet : un #bien_public.

    (...) Pour faire le parallèle avec les radios libres, il y a bien des « tactiques », au sens de De Certeau, afin de peser sur un débat politique. Mais là le débat n’est plus le même, il s’agit aujourd’hui de créer de l’ « empowerment » et de faire comprendre aux gens comment fonctionne l’architecture du Web, comment fonctionnent les infrastructures. C’est ce qui fait qu’ils seront capables de se positionner sur des débats très compliqués : on n’arrête pas de parler de la « neutralité du Net » mais peu de gens comprennent ce que ça veut dire. Avec les réseaux MESH, on a un cas d’étude précis qui permet à des utilisateurs, à partir de la compréhension de ce qu’est une infrastructure à leur niveau, peuvent mieux comprendre ces enjeux et s’opposer aux modèles dominants. En fait les réseaux MESH sont des contres-modèles.

    (...) Il y a peu de chance qu’on les retrouvent en France parce que nos infrastructures communicationnelles sont performantes et que les gens n’ont pas envie de se compliquer la vie.

    (...) D’un certain point de vue, ce qui est en train de se passer pourrait être vu comme le plus gros coup de poker de l’histoire des télécommunications : alors que les opérateurs classiques ont déboursé des millions et des millions de dollars ou d’euros pour se voir attribuer des fréquences garanties, les grands groupes d’Internet rêvent de fréquences ouvertes tombées dans le #domaine_public que leurs objets connectés pourront utiliser sans qu’ils aient eu à sortir un centime.

    cc @ari

    #Félix_Guattari #Franco_Berardi #nouvelles_transmissions #Tetsuo_Kogawa #Etats-Unis #médias_libres et peut-être aussi #cccp, @fil ?