Le gouvernement, en éliminant un contre-pouvoir soutenu par la paysannerie, a choisi son camp : celui du secteur agro-industriel. Un peu d’histoire nous rappelle que l’espace rural a toujours été le théâtre de luttes des classes, de luttes pour la subsistance et les communs.
Par : Inès Léraud, Journaliste indépendante, autrice de la bande dessinée d’enquête « Algues vertes, l’histoire interdite », Christophe Bonneuil ⏚, Directeur de recherches au CNRS, François Jarrige ⏚, Maître de conférences à l’université de Bourgogne, et Léandre Mandard, Doctorant au centre d’histoire de Sciences-Po Paris
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La dissolution [des SLT ⏚] demandée depuis plusieurs mois par [...] la FNSEA, a été relancée suite aux événements du 11 juin 2023. Au cours de cette journée d’action [...], des dizaines de personnes pénétraient dans des parcelles appartenant à la Fédération des maraîchers nantais et au groupe Vinet.
Radicalisation récente ? Violence inacceptable ? Un peu d’histoire nous rappelle que l’espace rural a toujours été le théâtre de luttes des classes, de luttes pour la subsistance et les communs.
Sans remonter aux « jacqueries » contre les extorsions subies par les paysan·ne·s sous l’Ancien Régime ou à la guerre des Demoiselles des années 1820 contre l’appropriation des forêts par l’industrie au détriment des droits d’usage des communautés villageoises, un retour sur les mobilisations agricoles des dernières décennies peut nous rafraîchir la mémoire. [...]
Comme l’a montré Nicolas Legendre dans son récent ouvrage, Silence dans les champs (2023), la domination du système agro-industriel dans les campagnes se perpétue à travers de multiples formes de violence économique, psychologique, symbolique, parfois physique, et l’installation d’un climat d’omerta et d’intimidation, que ce soit sur les journalistes (telle Morgan Large en Bretagne, qui a vu ses roues de voiture déboulonnées à deux reprises, en 2021 et 2023), les lanceurs d’alerte ou les agriculteurs eux-mêmes (tel Paul François, agriculteur charentais ayant remporté un procès contre Monsanto, violemment agressé chez lui par des hommes cagoulés en janvier). [...]
A côté de cette violence corporatiste du lobby agro-industriel, il y eut aussi des luttes d’autodéfense paysanne. N’oublions pas celles des métayers du Sud-Ouest des années 20 aux années 50 face aux propriétaires qui les exploitaient. C’est grâce à des actions parfois musclées contre les accapareurs de terres que la deuxième loi d’orientation agricole de 1962 renforce le contrôle sur les baux et les ventes de terre pour éviter la concentration excessive. N’oublions pas non plus les luttes de paysans dépossédés par des opérations de remembrement, se couchant devant les bulldozers, ou arrachant des bornes ; les occupations de terres par les Paysans-Travailleurs dans les années 70 contre des renvois abusifs de fermiers par leurs propriétaires ; ou encore le combat du Larzac et la bataille contre les OGM, menés grâce à de nombreuses actions de désobéissance légitimées par la société française.
Ainsi, ce que les mobilisations des derniers mois (contre les mégabassines, les effets néfastes du maraîchage industriel ou des cimenteries) manifestent, c’est le retour d’une lutte pour la terre dans les campagnes entre les « petits » (les fermes de taille humaine, les jeunes qui ont des difficultés à s’installer) et les « gros ». La FNSEA et le gouvernement, en exigeant aujourd’hui la liquidation des Soulèvements de la terre, ont choisi leur camp : celui d’un secteur agro-industriel, construit et maintenu par la violence, qui cherche à éliminer toute entrave à son expansion et à faire main basse sur la terre.