« Or à cet égard, c’est-à-dire en termes de chances de mener une bonne vie, être hongroise, vivre en Hongrie, c’est incontestablement être dans le camp des privilégiés, des dominants, des vainqueurs – satellite du G7, vous êtes.
Vous fermez les yeux.
Très fort : paupières serrées, crispées.
Bientôt ils seront triés.
Réfugiés, migrants économiques.
Bientôt ils seront triés.
Gentils persécutés, vilains parasites.
Bientôt ils seront triés.
Tendres agneaux, sangsues dégueulasses.
Il y aura des erreurs : certains qui réellement étaient dans une situation d’urgence n’obtiendront pas l’asile. Il y aura des rejets juridiquement corrects : à ceux qui ne correspondent pas aux critères, on dira de retourner vivre leur existence pourrie dans leur pays pourri. Tous ces refusés, la plupart de ces refusés, ont beaucoup risqué pour venir en Europe. Ils n’avaient pas de Lada, ils n’avaient pas de visa de trente jour pour l’Ouest. Ils ne se sont pas contentés de partir en vacances et d’oublier de rentrer. Ils vous regardent, ils vous demandent : et pourquoi pas nous, et pourquoi pas nous ? Vous n’avez rien à leur répondre, parce que rien ne justifie que vous parents, qui n’étaient pas persécutés, qui ne mouraient pas de faim, aient obtenu le droit de vivre à l’Ouest tandis qu’aujourd’hui ce même Ouest rejetera des personnes ayant un dossier identique. Rappelez-vous les paroles de votre avocat imaginaire : aujourd’hui, une telle demande ne passerait plus. »
Nina Yargekov, Double nationalité, P.O.L., 2016, pp.607-608.