• Des appareils de #surveillance de #Frontex sont utilisés par les #gardes-côtes_libyens pour intercepter illégalement des migrants

    « Le Monde » a identifié l’origine de sept images aériennes publiées par les gardes-côtes libyens sur leurs pages Facebook. Elles ont été réalisées par des appareils de surveillance de Frontex, et démontrent comment les activités de l’agence européenne facilitent des #interceptions illicites par les Libyens en Méditerranée. Frontex a toujours soutenu ne pas collaborer avec les garde-côtes libyens.

    « Le patrouilleur #Fezzan a porté secours à un chalutier en feu et a sauvé son équipage de huit personnes. » Le 24 août 2021, la page Facebook « Gardes-côtes et sécurité portuaire » publie le bilan d’une opération de sauvetage menée au cours de la journée par les gardes-côtes libyens. Pour l’illustrer, la page publie une photo du chalutier en feu.


    La présence d’informations temporelles et de localisations sur l’image indique qu’il s’agit d’une prise de vue réalisée par un appareil de #surveillance_aérienne, et non par un simple appareil photo. Ce genre d’images, entre 2018 et 2022, les gardes-côtes libyens en ont publié une douzaine, sur différents comptes et réseaux. Sauf que la #Libye n’est pas dotée d’appareils capables de réaliser ces images. Qui en est à l’origine ?

    Pour identifier leur source, Le Monde a recoupé les informations qu’elles contiennent avec des données #ADS-B, un signal émis par les #avions en vol, ainsi qu’avec les journaux de bord de plusieurs ONG actives en Méditerranée, dans les airs ou en mer. Dans le cas du 24 août 2021, par exemple, les informations présentes sur l’image indiquent les coordonnées, l’altitude et l’heure précise à laquelle l’appareil se trouvait lorsqu’il a réalisé cette image. Elles donnent aussi la position approximative du chalutier observé par l’appareil.

    Nous avons reconstitué le trafic aérien au-dessus de la Méditerranée dans la matinée du 24 août 2021. En comparant les parcours des différents appareils avec les données disponibles sur l’image, nous avons ainsi pu identifier un appareil qui se trouvait précisément aux coordonnées et à l’altitude à laquelle la photo a été prise, lorsqu’elle a été réalisée : le #drone AS2132, opéré par Frontex.

    Pour d’autres images, nous avons eu accès aux observations d’ONG, comme SeaWatch ou SOS Méditerranée, consignées dans des journaux de bord. Ceux-ci sont librement accessibles ici. Au total, ce travail nous permet d’affirmer que sur cinq dates différentes les images publiées par les gardes-côtes libyens ont été réalisées par des appareils de Frontex. Au moins une autre l’a été par un appareil de l’#EunavforMed, la force navale européenne en Méditerranée, qui collabore avec Frontex.

    Des interceptions impossibles sans renseignements extérieurs

    Sollicitée, l’agence de garde-frontière l’assure : « il n’y a pas de collaboration entre Frontex et les gardes-côtes libyens », ce qu’affirmait déjà en mars 2021 son ex-directeur Fabrice Leggeri. L’agence précise, en revanche : « Chaque fois qu’un avion de Frontex découvre une embarcation en détresse, une alerte – et une image, le cas échéant – est immédiatement envoyée au centre de coordination des sauvetages régional. L’information envoyée inclut notamment la position, la navigabilité du navire et la probabilité qu’il n’atteigne pas sa destination finale. »

    De fait, dans les cinq cas identifiés par Le Monde, les images de Frontex ont pourtant bien fini entre les mains des gardes-côtes libyens. Et certaines ont vraisemblablement rendu possible l’interception d’embarcations, autrement impossibles à localiser pour les Libyens. Dans le cas du 8 mai 2019, par exemple, l’avion de Frontex découvre une embarcation en route pour l’Europe en Méditerranée centrale. Un contact est établi entre les autorités libyennes et l’agence, mais il n’émet pas de Mayday. Ce message d’urgence aurait pu être capté par tous les avions et navires à proximité à ce moment-là, dont le Mare Jonio, de l’ONG Mediterranea Saving Humans, spécialisé dans le sauvetage. Frontex dit n’envoyer des Maydays que « lorsqu’il existe un danger imminent pour la vie des occupants ».

    Les gardes-côtes libyens retrouvent finalement sans difficulté l’embarcation, pourtant située à plus d’une centaine de kilomètres de leurs côtes. A 17 heures, ils font monter les migrants à bord de leur patrouilleur avant de les rapatrier en Libye. Une interception que les informations de Frontex ont vraisemblablement facilitée, voire rendue possible. Pendant toute la durée de l’opération, l’avion de Frontex continue de survoler la zone, et de filmer la scène. Des images auxquelles les gardes-côtes ont aussi eu accès.

    Frontex souligne que, conformément au règlement européen relatif à la surveillance des #frontières_maritimes_extérieures, ses alertes ne sont pas adressées aux gardes-côtes libyens, mais au « #centre_régional_de_coordination_des_sauvetages (#RCC) [libyen] (…) internationalement reconnu ». Une fois l’alerte envoyée, « Frontex ne coordonne pas les opérations de recherche et de sauvetage (...), c’est la responsabilité des centres de secours régionaux« . Reste à savoir si ce RCC existe réellement. Frontex s’en tient à la position de l’#Organisation_maritime_internationale (#OMI), qui a reconnu officiellement l’existence d’un RCC en 2018.

    Plusieurs enquêtes ont pourtant mis en doute l’existence d’un tel RCC libyen. Derrière les adresses e-mail et les numéros de téléphone du RCC se trouvent en réalité les gardes-côtes, selon les différentes ONG impliquées dans des opérations de sauvetage en mer Méditerranée. Et le 8 novembre 2022, le vice-président de la commission européenne, Josep Borrell, lui-même affirmait : « Le centre de coordination des secours maritime n’est pas encore opérationnel. »

    Parmi les règles européennes, que Frontex dit respecter, figure le principe du non-refoulement : « Nul ne peut être (…) débarqué, forcé à entrer, conduit dans un pays ou autrement remis aux autorités d’un pays où il existe (…) un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture, à la persécution ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Des situations courantes en Libye, de sorte qu’en 2020 la Commission européenne affirmait que le pays n’était pas un « lieu sûr » vers lequel il serait possible de renvoyer des migrants. Dans un rapport de 2018, l’ONU constatait que « les migrants subissent des horreurs inimaginables en Libye (…). Ils s’exposent à des meurtres extrajudiciaires, à la torture et à des mauvais traitements, à la détention arbitraire (…), au viol (…), à l’esclavage et au travail forcé, à l’extorsion et à l’exploitation ».

    https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/23/enquete-comment-des-appareils-de-surveillance-de-frontex-sont-utilises-par-l

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