• Léonore Le Caisne : « Il n’y a pas de silence de l’inceste »
    https://www.mediapart.fr/journal/france/100121/leonore-le-caisne-il-n-y-pas-de-silence-de-l-inceste?onglet=full
    (pas encore lu mais je me dit que ca interesserait certaines pêrsonnes par ici @tintin @touti )

    En apparence, les deux affaires n’ont rien en commun. D’un côté, le livre de Camille Kouchner La Familia grande, publié le 7 janvier au Seuil, dans lequel l’autrice écrit que son beau-père, Olivier Duhamel, constitutionnaliste, président de la Fondation nationale des sciences politiques et du club très select Le Siècle, a imposé des rapports incestueux à son frère jumeau. Une enquête pour « viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur un mineur de 15 ans » et « viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité » vient d’être ouverte par le parquet de Paris.

    De l’autre, l’affaire Gouardo, du nom, célèbre dans les années 2000, de cette famille où un père a, pendant près de trente ans, violé sa fille adoptive. Six enfants en sont nés, dans un petit village de Seine-et-Marne, près de Meaux, où les commérages allaient bon train, mais sans que la police ou la justice ne s’en mêlent.

    Il a fallu attendre la mort du père, en 1999, pour qu’une enquête soit finalement ouverte – en 2001. Dans ce cadre, la belle-mère de Lydia Gouardo sera condamnée, en 2008, à quatre ans de prison avec sursis pour des faits non prescrits (« non-empêchement de crime » et « agressions sexuelles » sur un des fils de Lydia).

    En novembre 2012, la Civi (Commission d’indemnisation des victimes d’infractions), qui n’impose pas les mêmes délais de prescription que le droit pénal, dédommage Lydia Gouardo, à partir des rapports d’expertise d’un gynécologue, d’un psychiatre et d’un médecin généraliste, de plus d’un million d’euros pour les actes de barbarie, violences et viols subis durant vingt-huit années (1971-1999).

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    Lydia Gouardo a raconté son histoire dans un livre intitulé Le Silence des autres (Michel Lafon, 2008).

    Léonore Le Caisne, directrice de recherche au CNRS, a enquêté pendant un an et publié un livre passionnant sur cette affaire Gouardo, Un inceste ordinaire. Et pourtant tout le monde savait (Belin, 2014). Elle témoigne de l’aveuglement de la société face aux violences sexuelles intrafamiliales (l’inceste), une réalité pourtant largement documentée et souvent connue de l’entourage, mais peu débattue dans la société et très peu dénoncée. Car dans ce petit village d’Île-de-France, « tout le monde savait », mais personne n’a saisi la justice.

    Vous vous êtes penchée sur une affaire spectaculaire par les faits décrits et par la médiatisation importante qu’elle a suscitée. Pourtant, vous avez intitulé votre livre Un inceste ordinaire. Pourquoi ?

    Léonore Le Caisne : Au-delà de la provocation d’un titre, la formule est juste. L’inceste subi par Lydia Gouardo, dans ce village près de Meaux [Seine-et-Marne – ndlr], a été médiatisé comme une affaire extraordinaire. Mais, en réalité, il s’agit d’un père qui viole sa fille : une fille sur dix est victime d’inceste ; c’est ordinaire.

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    Ensuite, c’est un inceste qui a été vécu par les habitants comme un fait assez ordinaire. Personne ne parlait d’« inceste ». L’expression utilisée était : « C’est lui qui fait des enfants à sa fille. » Et sa fille était considérée comme sa femme. C’était finalement assez ordinaire : cela devenait un homme qui fait des enfants à une femme ; et, finalement, un homme et une femme qui ont bâti une famille… C’est banal.

    Quant à la médiatisation, elle ne fut pas immédiate. Au départ, un journaliste local s’y est intéressé – mais son article a eu un faible écho et seule Ondine Millot de Libération a repris l’information et effectué un reportage sur cette famille et le village [en 2007 – ndlr]. Mais cela n’intéressait personne.

    Il a fallu l’affaire Fritzl en Autriche, une affaire spectaculaire [une jeune femme séquestrée à la cave par son père, qui l’avait violée, et plusieurs enfants en étaient nés – ndlr], pour que des journalistes en France se disent que nous disposions d’une affaire similaire : la presse en a alors parlé comme de l’histoire d’une séquestration, d’un silence villageois, d’un secret, d’une omerta. En réalité, c’était un inceste qui se pratiquait et qui était su de tous, comméré. Il n’y a pas eu de silence, de tabou ou d’omerta.

    Vous racontez que, lorsque vous arrivez dans ce village pour vos recherches – vous y avez passé deux ou trois jours par semaine pendant une année en 2008-2009 –, les habitants ne sont absolument pas hostiles. Ni silencieux. Comment cela s’est-il passé ?

    J’avais été mise en garde sur le silence à prévoir des villageois. D’autant que la médiatisation suscitait beaucoup de méfiance. Je me suis présentée comme une sociologue qui travaillait sur la vie d’un petit village de la région parisienne. Ils ne m’ont jamais associée à une journaliste. Et, auprès de moi, ils n’ont pas eu peur de passer pour des salauds. Pas du tout. Ils m’ont parlé de la famille Gouardo comme d’autres familles du village un peu spécifiques.

    Ils m’ont expliqué que tout le monde savait et ils n’en ressentaient aucune honte. À leurs yeux, c’était simplement une famille qui fonctionnait un peu différemment des autres. Elle faisait parler les habitants du village, mais aussi de la cité populaire de la ville voisine [Meaux]. En fait, cet inceste n’était pas pensé comme un crime, c’était juste « un père qui fait des enfants à sa fille ». Et si tout le monde le sait, et que ce n’est pas un crime, alors à qui voulez-vous que l’on dénonce et que voulez-vous que l’on dénonce ?

    L’inceste était tellement su qu’il n’y avait finalement aucune raison de le dénoncer à la justice.

    Seule la médiatisation a créé le scandale. C’est à ce moment-là que les faits ont été qualifiés d’inceste et qu’ils ont récupéré leur charge criminelle. Avant, ils ne sont pas perçus comme tels, la famille était simplement considérée comme une famille un peu différente des autres et qui faisait parler et permettait donc de créer du lien entre habitants.

    Lydia Gouardo, chez elle, à Coulommes, en Île-de-France, le 29 avril 2008. © OLIVIER LABAN-MATTEI / AFP Lydia Gouardo, chez elle, à Coulommes, en Île-de-France, le 29 avril 2008. © OLIVIER LABAN-MATTEI / AFP

    Pourquoi l’inceste n’est-il pas un crime à leurs yeux ?

    Parce que les habitants n’ont pas su d’un coup que cette fille avait été violée par son père pendant vingt-huit ans et qu’elle en avait eu six enfants. Ça, c’est le récit qui en a été fait par les journalistes, après coup.

    Ils ont appris les faits progressivement, en observant la maison, les déplacements des membres de la famille… Ils ont vu un homme avec une femme, avec trois enfants, dont les deux premiers qui quittent la maison familiale. Puis un homme et sa femme, avec une fille qui est restée. Avec un père grande gueule, pas sympa avec les voisins, mais bon travailleur, imprimeur ambulant, qui fait des cartes de visite à Meaux, y compris pour des notables. Il est perçu comme un bosseur, un type sérieux, avec un fort caractère. Un jour, sa fille est enceinte. Pourtant, personne ne vient dans leur maison. Cela commence à parler… Les habitants ne savent pas qui est le père. Mais ils se demandent, s’interrogent. Puis un deuxième enfant naît. Et les deux ont des ressemblances avec le père… Le commérage se poursuit.

    Peu à peu, cela fait un nombre faramineux de gens qui parlent. Du village au centre commercial de Meaux en face duquel Gouardo a installé son camion d’imprimerie. Aux caisses de Super M où tout le monde fait ses courses, on en parle. Tout le monde est au courant. Progressivement, les faits et le commérage qu’ils suscitent entrent dans la vie quotidienne des habitants, des voisins, des notables de Meaux.

    C’est un commérage qui devient structurant. Il crée des sociabilités. La circulation de l’information ne s’organise pas n’importe comment. Les élus se parlent entre eux ; la secrétaire de mairie est assez fière de savoir ; les anciens du village sont aussi contents de mieux connaître l’histoire que les nouveaux arrivés, car ça montre qu’ils sont vraiment « du pays ».

    Les habitants ont des relations de commerçants avec lui, et même de voisinage, quand bien même ce sont des relations conflictuelles. Pour eux, c’est un mec courageux, qui élève ses enfants à la dure, mais qui les élève bien. Et qui tient bien sa famille.

    Et Gouardo est une grande gueule ; il est trapu, musclé. Il leur fait un peu peur. On est donc content de bien s’entendre avec lui, de pouvoir lui parler. Sans compter qu’il ne fait que des garçons – les six enfants nés des viols sont des garçons –, dans l’imaginaire, cela compte. Le fait qu’il les fasse à sa fille montre aussi qu’il se joue des lois. Il est au-dessus d’elles. Gouardo incarne finalement un certain pouvoir. En le côtoyant, ou en essayant, certains espèrent peut-être récupérer de sa force.

    L’agriculteur qui vivait en face de Gouardo était ravi de me raconter qu’il était allé dans sa maison, qu’il arrivait à parler avec lui. Cela l’intéressait bien plus que de s’inquiéter de ce que l’homme pouvait faire subir à sa fille et de ce que celle-ci subissait.

    Cela en fait-il des complices ?

    Non, pas du tout. Par contre, détenir l’information leur permet de s’élever socialement en occupant une place enviable au sein du village. Cela n’est pas de la complicité.

    Mais comment expliquez-vous que personne ne soit alarmé ? Que personne ne se soit dit qu’il s’agissait d’un crime ?

    Parce que les faits se sont sus petit à petit et qu’ils ont été sus par beaucoup, y compris par des représentants de la justice. Les magistrats du coin participaient certainement au commérage, ne serait-ce que dans leur bureau ou dans leur cercle familial et amical. J’ai également rencontré une avocate du barreau de Meaux, qui défendait des victimes d’inceste et qui, elle aussi, commérait. Elle n’a pas cru Lydia Gouardo quand elle a dénoncé son crime, elle a minimisé…

    Les policiers, aussi, savaient : quand Lydia fuguait, c’est eux qui la ramenaient chez elle. Gouardo avait de nombreux conflits de voisinage ; la police était souvent à la porte de sa maison.

    Lui-même ne se cachait pas. Ses enfants l’appelaient « papa », ils sortaient avec lui, il les emmenait à l’école. Il parlait de « ses enfants ». Les formules étaient ambiguës. Même à l’hôpital quand elle allait accoucher, le personnel demandait qui était le père. Elle disait : « C’est mon père. » Lui répondait : « Oui, car c’est moi qui vais les élever. »

    Il ne se cachait pas, parce qu’il savait que ce qu’il faisait subir à sa fille, sa paternité incestueuse, ne ferait pas scandale. Et pour les habitants, s’il ne se cache pas, c’est bien qu’il n’y a pas crime. Cela crée un brouillage dans les repères. Dans les discussions avec les habitants, certains confondaient fille et femme. Ils parlaient parfois de Lydia comme de sa femme.

    Ce qui est sidérant dans ce que vous trouvez, c’est qu’au-delà des voisins ou des commérages du village, des représentants de la police et de la justice sont, eux aussi, alertés…

    Oui, bien sûr. Gouardo était très régulièrement au tribunal pour des affaires de conflits de voisinage, de droit de passage et de parcelles communes… La belle-mère de Lydia l’avait aussi brûlée dans un bain d’eau brûlante. Lui avait porté plainte contre l’office HLM pour négligence. Donc les juges parlaient de cet homme.

    Il était connu, avec son camion devant la grande surface de Meaux où tout le monde allait faire ses courses. Les maires successifs – dont Jean-François Copé – passaient lui serrer la main. Tout le monde était pris là-dedans. Pour que cela cesse, pour que cet inceste fasse scandale, il a fallu un public extérieur, qui n’a existé qu’avec la médiatisation du procès de la belle-mère, grâce à ce journaliste local et à la reprise des articles, une année plus tard, par la presse nationale.

    Avec la presse, le regard a-t-il alors changé sur la famille ?

    Ce n’est pas parce qu’il y a eu scandale que Lydia Gouardo a été considérée comme une victime. D’une avocate défendant des victimes d’inceste à l’agriculteur d’en face, on entendait les mêmes discours : on s’interrogeait sur les révélations tardives, sur le fait que le nombre des grossesses montrait qu’elle était consentante, etc. Quelle que soit la classe sociale, les arguments sont identiques pour laisser un inceste se perpétrer.

    Et quand la presse met en cause ce « silence » ?

    Les habitants, les voisins, ne comprennent pas ce qui leur tombe dessus. On les accuse d’omerta, d’avoir tu l’inceste. Mais il n’y a pas eu de silence ! C’était pris dans le brouhaha du commérage. Le problème n’était donc pas qu’ils n’en aient pas parlé.

    Et puis, avec son père, elle a formé une famille. Avec six garçons. C’était, en apparence, une jolie famille ; le père était autoritaire, il faisait travailler ses enfants, il allait acheter les pommes de terre chez le maire. Les enfants « avaient une bonne bouille », ils allaient à l’école, ils « étaient propres », c’est ce qu’on m’en disait, il « s’en occupait bien ».

    Lire aussi

    L’affaire Duhamel, révélatrice du « système de l’inceste » Par Lénaïg Bredoux et Marine Turchi

    Quand elle dénonce l’inceste, Lydia casse la famille et son image, et jette l’opprobre sur le village. Les victimes d’inceste qui le révèlent sont très souvent exclues de la famille. Là, les habitants ont exclu Lydia du village, peu ont continué à lui parler, alors qu’avant la famille faisait partie du village.

    Elle est brutalement devenue la salope. Dès que son père est mort, des garçons du village sont venus frapper à sa porte pour la draguer. On m’a aussi rapporté des rumeurs selon lesquelles elle allait se prostituer dans la forêt d’à côté avec une amie.

    Là encore, ce discours était porté par tous les milieux sociaux confondus. Les agriculteurs comme les enseignants. Ces habitants ne sont pas des « autres », ce sont des habitants ordinaires, de classes sociales différentes, et qui furent pris dans une configuration sociale qui intégrait cet inceste.

    Vous parlez d’enseignants, mais comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas eu de signalements auprès de la protection de l’enfance ? Des procédures existent.

    Je pense que c’est davantage le cas aujourd’hui qu’autrefois. Le père est mort en 1999. Les faits ont commencé au début des années 1970…

    De toute façon, disons-le : l’inceste a à voir avec une représentation très patriarcale de la société. L’homme dans sa famille fait ce qu’il veut chez lui ; il est autoritaire ; il fait des enfants, c’est le plus important, et les enfants vont bien, ils mangent à leur faim. Et si la femme n’est pas d’accord, elle n’a qu’à partir.

    À vos yeux, et en dépit de spécificités – le jeune âge des victimes, le lien familial et la durée des violences subies –, l’inceste est-il une « forme paroxystique » des rapports de domination au cœur des violences sexuelles ?

    J’en suis certaine. L’inceste, c’est le début des violences sexuelles, le début de la domination des femmes [les femmes sont très majoritaires parmi les victimes d’inceste, et les auteurs sont à 95 % des hommes – ndlr]. C’est une manière de former, d’élever et de socialiser des enfants.

    Si les femmes laissent faire leur mari, c’est parce que c’est lui qui tient la famille. Les hommes incesteurs, ou agresseurs, sont des hommes à qui les proches reconnaissent une espèce de force. Il s’agit souvent d’une personne respectée, quel que soit le milieu, occupant une place importante dans la famille.

    Comme je l’explique dans mon livre, cette idée est celle popularisée par les féministes nord-américaines, selon lesquelles l’inceste serait l’une des banales violences masculines perpétrées au foyer. Louise Armstrong, porte-parole de la position féministe américaine sur l’inceste, écrivait : « [La pédophilie], c’est ce que les hommes font couramment et régulièrement à la maison parce qu’ils considèrent ça comme un droit. »

    Mais, parce que cette violence est moralement intolérable et parce que trop d’hommes « normaux » devraient sinon être criminalisés et punis, et plus généralement parce qu’elle participe du maintien de la société patriarcale, il faudrait taire cette violence, notamment l’inceste, et, à partir de toutes sortes de « tactiques » et de « stratégies d’occultation », faire croire qu’elle n’existe pas ou qu’elle est rare et ponctuelle, et seulement le fait de « pervers » ou d’hommes « trop aimants ».

    © Editions du Seuil © Editions du Seuil
    On a, en effet, souvent décrit les incesteurs comme des « monstres ». Les études sur l’ampleur du phénomène prouvent que c’est faux. Comment avez-vous réagi en prenant connaissance du livre de Camille Kouchner La Familia grande ?

    J’ai travaillé sur la réception d’une affaire d’inceste dans ce village. Le contexte est ici différent. Mais dans les extraits que j’ai lus, on comprend que, là aussi, l’entourage était au courant et en parlait ou en avait parlé. Il n’y a donc pas eu de « silence », « d’omerta » au sens strict du terme – ce n’était pas un silence réfléchi face à une autre communauté. En réalité, cela se savait, les uns et les autres en parlaient, plus ou moins, selon la place de chacun. Mais cela n’a pas été dénoncé à la justice…

    Mais dans cette affaire encore, l’inceste a été comméré. La question, c’est : pourquoi l’entourage ne s’est-il pas tourné vers la justice ? Il faudrait comprendre pourquoi, selon les places occupées par chacun, cet inceste n’a pas pu être dénoncé. Comme dans l’affaire Gouardo. Parler de silence ou d’omerta conduit à passer à côté de la question fondamentale.

    Dans ce cas, cela va encore plus loin qu’une absence de dénonciation à la justice : la justice elle-même a classé l’enquête lancée en 2011… Avant d’ouvrir une nouvelle enquête, après la publication dans Le Monde et L’Obs des extraits du livre.

    L’inceste est un fait social très important, pratiqué dans tous les milieux sociaux. Malgré son ampleur, il n’est encore l’objet d’aucun grand débat public. Au-delà de leurs actes, les agresseurs occupent une place sociale importante : au sein de la famille, de leur voisinage, professionnellement. Les familiers, les proches, les amis, les voisins, les collègues ont des engagements moraux envers l’agresseur, ou même envers la victime, qui peut demander à la sœur, au frère, à l’autre parent, de ne pas « dire », et qui les empêchent de dénoncer l’agresseur à la justice. Certains peuvent aussi avoir peur de perdre des avantages liés à leur relation avec lui : leur travail, un salaire, ou l’image d’une famille unie. Beaucoup privilégient ces engagements moraux plutôt que de faire acte de citoyenneté en dénonçant les faits à la justice. L’enfant compte souvent moins que ces engagements. Et puis, les faits sont banalisés. Souvent, on entend aussi : « C’était il y a longtemps », « C’est passé », « Ce n’est pas si grave ! ».

    Je pense aussi que la justice ne sait pas bien saisir ces affaires et que ce n’est peut-être pas par elle qu’il va falloir passer pour éradiquer ces pratiques. Actuellement, je travaille sur le recueil des informations préoccupantes. Je constate les difficultés qu’ont les travailleurs sociaux, les policiers et les magistrats à saisir l’inceste : ils cherchent des « faits » et des « traces ». Dans l’inceste, bien souvent, il n’y a ni témoins ni traces. À moins qu’il ne s’agisse d’enfants très jeunes, il peut y avoir pénétration sans déchirure. Sans parler des fellations ou des attouchements… Et après, c’est « parole contre parole », expliquent les professionnels, et la parole de l’enfant n’est pas suffisamment comprise pour faire le poids face à celle de l’adulte.

    La parole des enfants n’est sans doute pas non plus toujours bien considérée.

    De nombreux dossiers sont alors classés. Et ces classements découragent par avance les particuliers et les professionnels qui voudraient dénoncer des incestes à la justice.

    • Les policiers, aussi, savaient : quand Lydia fuguait, c’est eux qui la ramenaient chez elle. Gouardo avait de nombreux conflits de voisinage ; la police était souvent à la porte de sa maison.

      Lui-même ne se cachait pas. Ses enfants l’appelaient « papa », ils sortaient avec lui, il les emmenait à l’école. Il parlait de « ses enfants ». Les formules étaient ambiguës. Même à l’hôpital quand elle allait accoucher, le personnel demandait qui était le père. Elle disait : « C’est mon père. » Lui répondait : « Oui, car c’est moi qui vais les élever. »

      Les gamins ne fuguent pas sans de très bonnes raisons. Mais la société les ramène encore et encore au point de départ.

    • De toute façon, disons-le : l’inceste a à voir avec une représentation très patriarcale de la société. L’homme dans sa famille fait ce qu’il veut chez lui ; il est autoritaire ; il fait des enfants, c’est le plus important, et les enfants vont bien, ils mangent à leur faim. Et si la femme n’est pas d’accord, elle n’a qu’à partir.

    • Je viens de le lire, une telle hypocrisie partagé c’est tellement dément. Et à part les victimes même ici toujours pas de commentaires sur un sujet aussi grave. OSEF. Ce bon père de famille laisse 6 fils probablement aussi bons pères de famille qui suivent ce bon modèle qui fonctionne si bien... pourquoi cela s’arrèterait ? Ca me rend dingue.

      Le comble c’est :

      Quand elle dénonce l’inceste, Lydia casse la famille et son image, et jette l’opprobre sur le village. Les victimes d’inceste qui le révèlent sont très souvent exclues de la famille. Là, les habitants ont exclu Lydia du village, peu ont continué à lui parler, alors qu’avant la famille faisait partie du village.

      Elle est brutalement devenue la salope. Dès que son père est mort, des garçons du village sont venus frapper à sa porte pour la draguer. On m’a aussi rapporté des rumeurs selon lesquelles elle allait se prostituer dans la forêt d’à côté avec une amie.

      Incroyable qu’on avorte les fœtus de fille par millions alors que la malédiction de cette planète ce sont les garçons sur absolument tous les terrains : pollueurs, violeurs, tueurs, agresseurs, prédateurs, pornographe, prostitueurs, viandards...

      Tous les hommes ne sont pas pères, mais 1 femme sur 10 est survivante de l’inceste... Ca fait combien de pères incesteurs ? 1 sur 5, 1 sur 2 ? Personne pour faire ce calcule de l’horreur ?

      Sans compter qu’ il ne fait que des garçons – les six enfants nés des viols sont des garçons –, dans l’imaginaire, cela compte.

      Vivement l’extinction de notre espèce de merde.
      #rage #haine #furie #all_men

    • LE SILENCE DES AUTRES - VICTIME DE SON PÈRE PENDANT 28 ANS

      Ça s’est passé en Seine-et-Marne, dans un charmant village à une demi-heure de Paris, au vu et au su de chacun, dans l’#indifférence totale des voisins, des gendarmes, des services sociaux, de la justice et des médecins... « Pourtant, tout le monde savait ». Avec la collaboration de Jean-Michel Caradec’h, grand reporter, Prix Albert-Londres.

      http://www.michel-lafon.fr/livre/572-Le_silence_des_autres_-_Victime_de_son_pere_pendant_28_ans.html

      #livre

    • Affaire Duhamel : d’autres éléments pourraient intéresser la justice
      https://www.mediapart.fr/journal/france/130121/affaire-duhamel-dautres-elements-pourraient-interesser-la-justice

      Deux jours avant la publication du livre de Camille Kouchner, le parquet de Paris a annoncé l’ouverture d’une enquête préliminaire des chefs de « viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur un mineur de 15 ans » et « viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité ».

      Les investigations ont été confiées à la Brigade de protection des mineurs (BPM). L’objectif, d’après le parquet de Paris, est de « faire la lumière » sur les accusations de viols incestueux visant Olivier Duhamel, mais aussi d’« identifier toute autre victime potentielle » et vérifier si les faits dénoncés sont prescrits.

      Dans La Familia grande, paru le 7 janvier aux éditions du Seuil, la juriste et universitaire Camille Kouchner affirme que son frère jumeau – qu’elle nomme « Victor » pour protéger son identité –, a subi, pendant plusieurs années, alors qu’il était mineur, des viols de la part de leur beau-père, le politiste Olivier Duhamel, âgé de 70 ans aujourd’hui.

      Au-delà des viols qu’aurait subis « Victor » – situés par sa sœur à partir de ses 13 ou 14 ans, « à Paris, à Sanary », pendant « des années », « deux ou trois » –, d’autres éléments relatés par Camille Kouchner pourraient intéresser les enquêteurs.

      La juriste affirme notamment que « plus tard », une enfant de douze ans lui a expliqué qu’Olivier Duhamel lui avait « roulé une pelle » « derrière le dos de ses parents » et qu’elle n’avait « rien dit ».

      Elle-même a fait l’objet, d’après son récit, de remarques sexuelles et de commentaires réguliers sur son corps, lorsqu’elle était mineure. Au moment de la baignade par exemple, « surveill[ant] l’évolution des corps », son beau-père commentait, d’après elle : « Dis-donc, ça pousse, ma Camouche ! Mais tu ne vas tout de même pas garder le haut ? T’es pas comme Mumu, la coincée ? [Muriel, la meilleure amie de sa mère, qui se veut pas exposer son corps – ndlr]. » Un autre jour, il lui lançait, selon elle, qu’il « n’aim[ait] pas [sa] bouche » : « Tes lèvres sont trop fines. C’est dérangeant. »

      Elle relate que son beau-père aimait photographier « les culs, les seins, les peaux, les caresses ». Lorsqu’elle était âgée d’« à peine 15 ans », il aurait pris en photo ses seins en gros plan et aurait affiché le cliché en « quatre par quatre » dans la cuisine de la Ferme – la maison des enfants à Sanary –, aux côtés d’autres photos, telle « une photo des fesses de ma sœur dévalant le chemin » et celle de sa « vieille mère, quasi nue dans le jacuzzi, seins flottants ».

      Le soir, après être allé dans la chambre de son jumeau « Victor » à Paris, Olivier Duhamel se rendait dans la sienne, et s’asseyait sur son lit, écrit-elle. « Il me disait : "Tu as mis une culotte ? Tu sais que je ne veux pas que tu mettes de culotte pour dormir. C’est sale. Ça doit respirer." » D’après son récit, Olivier Duhamel venait aussi « parfois » voir leur frère aîné – qu’elle nomme « Colin » –, « dans sa chambre », pour « lui mesurer le sexe avec un double décimètre » dès que leur mère « regardait ailleurs ».

      Il reviendra à la justice de qualifier ces faits. « Les investigations en cours porteront notamment sur les faits susceptibles de revêtir une qualification pénale évoqués dans l’ouvrage écrit par Camille Kouchner », fait savoir ce mercredi à Mediapart le parquet de Paris.

      Dans La Familia grande, Camille Kouchner décrit, plus largement, un climat ultra sexualisé dans lequel évoluaient adultes et enfants, notamment à l’occasion des vacances à Sanary-sur-Mer, où famille et amis se retrouvaient. Aucune frontière ne semble séparer adultes et enfants, d’après son témoignage. « À 7 ans, à 15 ou à 40 », il faut savoir débattre de politique lors de « dîners de révolte » animés. Danser et voir les couples se former. Se baigner nu. Jouer au poker et autres jeux d’argent.

      Elle rapporte cette scène, où, lors d’un jeu de mimes à Sanary, « parents et enfants mélangés », elle a dû mimer le film La Chatte sur un toit brûlant. « Tu connais pas ? C’est un film de cul. Démerde-toi », lui aurait-on expliqué. « Me voilà faisant semblant de baiser devant les parents », se souvient-elle. « Aux enfants, il n’y a rien à cacher ! »

      « À Sanary, rien n’est interdit », mais cette liberté implique de vivre « comme les grands », écrit-elle. Dans son livre se mêlent des comportements qui relèvent du libertinage ou de l’adultère, et d’autres qui peuvent poser davantage question. Là-bas, écrit-elle, « certains des parents et enfants s’embrassent sur la bouche. Mon beau-père chauffe les femmes de ses copains. Les copains draguent les nounous. Les jeunes sont offerts aux femmes plus âgées ». Elle se souvient notamment du « clin d’œil » que lui aurait adressé son beau-père lorsque, petite, elle a découvert que, « sous la table, il caressait la jambe de la femme de son copain, le communicant avec lequel nous étions en train de dîner ». « Il n’y a rien de mal à ça. [...] La baise c’est notre liberté », lui aurait rétorqué sa mère, à qui elle avait confié cet épisode.

      « Tu comprends, j’ai l’amour à l’âge de 12 ans. Faire l’amour c’est la liberté. Et toi, qu’est-ce que tu attends ? », lui aurait encore lancé sa mère, qui, comme sa tante, se « préoccupait » de sa virginité, dit-elle.

      Camille Kouchner rapporte aussi que son frère aîné est encore « un jeune adolescent » lorsque leur mère lui envoie l’une de ses amies – une Sanaryenne de vingt ans de plus – « pour le déniaiser ». Il est alors « flatté, mais largement effrayé », dit-elle.

      Ces comportements et relations sexuels étaient-ils consentis ? Pas tous, si l’on en croit son livre. Elle affirme qu’après une soirée à Sanary, « une main courante a été déposée ». « La jeune femme, à peine vingt ans, était endormie lorsqu’un garçon s’est glissé dans son lit. Elle s’était enfuie à Paris et avait prévenu ses parents. Des explications avaient suivi. La jeune femme a été répudiée, vilipendée par mon beau-père et ma mère, effarés par tant de vulgarité. Quant à moi on m’a expliqué ce qu’il fallait en comprendre : la fille avait exagéré. Mais avec mon frère, ça aussi c’est autorisé », interroge-t-elle dans La Familia grande.

      Un autre livre est susceptible d’intéresser les enquêteurs : celui d’Évelyne Pisier, la mère des jumeaux et compagne d’Olivier Duhamel jusqu’à son décès, en 2017. Dans Une question d’âge (Stock), publié en 2005 – trois ans avant les révélations de « Victor » à sa mère –, la politologue relate des accusations d’inceste de leur fille adoptive à l’encontre de son mari, « Thierry », un professeur d’économie issu de la bourgeoisie, homme de réseaux proche de Michel Rocard et des cercles de pouvoir, « chef de bande » pendant les vacances en « tribu » dans leur maison au soleil.

      Dans un « avertissement » en préambule de l’ouvrage, évoqué par Libération et que Mediapart a lu, Évelyne Pisier donne du crédit à son récit : « J’introduis des éléments autobiographiques dans un récit fictif. Pas exactement fictif. La plupart des faits et gestes de mes héros ne relèvent pas de mon imagination. À ma propre histoire, je mêle des histoires vécues par d’autres. Un entrelacs qui préserve la fonction de témoignage que j’assigne à ce roman ».

      Le livre s’adresse à sa fille adoptive à la seconde personne du singulier. Certains passages sont troublants, au regard de l’affaire que révèle aujourd’hui le livre de Camille Kouchner. Comme cet échange, entre la narratrice et « Thierry » :

      « Mes rapports avec Thierry se détériorent. Entre nous, la tension monte. Ce n’est pas la guerre, mais c’est sinistre. Il ne partage pas mes engouements associatifs. "Tu vas encore chez tes Alcooliques anonymes ?" Je rétorque, glaciale : "Tu préfères les réseaux de pédophiles ?" ».

      Ou cet extrait, au commissariat, lorsque « Thierry » fait l’objet, pendant trois mois, d’une enquête judiciaire :


      Extrait du livre d’Évelyne Pisier paru en 2005. Extrait du livre d’Évelyne Pisier paru en 2005.

      Face à ces accusations, la narratrice dit dans ce livre « tenir bon » : « Elles sont nombreuses à douter de leurs maris. D’autres tiennent bon. J’en suis, écrit-elle dans ce livre. Jusqu’à quand ? Une « amie » confie gentiment à Nina [la fille aînée d’Évelyne Pisier dans le livre, ndlr] : « Je ne crois pas au viol. Même pas aux attouchements. Mais tout de même, Thierry entretient une relation trop ambiguë avec sa fille. Je me suis toujours demandé comment ta mère le supportait… Et avec toi, comment était-il ? »

      « Trois mois plus tard, notre dossier est classé, raconte-t-elle. Le juge renonce à mettre Thierry en examen. Sur les abus sexuels, tu t’es rétractée. Comme le fils de Camille [une amie de la famille dans le livre, ndlr]. Comme tant d’autres enfants dont je fréquente désormais les parents. Rien ne prouve que tu n’as pas menti. Rien ne prouve l’inverse non plus. De cette aventure nauséabonde, quelle trace restera-t-il ? Notre couple se défait. »

      En 2011, une enquête judiciaire avait déjà été ouverte par le parquet de Paris, après la transmission d’éléments découverts en marge d’une autre enquête : celle concernant la mort de l’actrice Marie-France Pisier, 66 ans, la sœur cadette d’Évelyne Pisier.

      Le 24 avril 2011, la comédienne avait été retrouvée morte au fond de la piscine de sa résidence de Saint-Cyr-sur-Mer (Var), encastrée dans une lourde chaise en fer forgé, bottes en caoutchouc aux pieds. Accident ? Suicide ? Meurtre ? À l’époque, la presse s’interroge. D’autant que l’autopsie n’a pas décelé d’eau dans les poumons de l’actrice. Les analyses toxicologiques indiquent un taux d’alcoolémie important et la présence d’antidépresseur et d’antalgique à doses thérapeutiques.

      Dans La Familia grande, Camille Kouchner présente sa tante comme l’une de leurs rares soutiens : au fil des années, « seule Marie-France se débat », écrit-elle. « [Elle] s’est lancée dans une entreprise acharnée. Elle a lutté contre l’horreur comme elle pouvait. Elle a prévenu ses amis. Sa sœur avec un pédophile qui s’en était pris à son fils. C’était insupportable, inacceptable. Pendant des mois elle a cherché des appuis pour convaincre ma mère, pour lui ouvrir les yeux et la persuader de le quitter. » Mais l’actrice a fini par se « désespérer », et les deux sœurs Pisier « se sont fâchées ».

      Les gendarmes de la brigade de recherches de Toulon interrogent à l’époque le cercle familial et amical de Marie-France Pisier. C’est dans ce cadre qu’ils recueillent incidemment des confidences sur des violences sexuelles qu’aurait commises Olivier Duhamel sur son beau-fils.

      L’enquête n’a pas établi de lien entre la connaissance par l’actrice de ces éléments et sa mort, assure à Mediapart une source proche du dossier. Mais les enquêteurs ont à l’époque rédigé un rapport incident au procureur adjoint de Toulon, Pierre Cortès, qui dirigeait l’enquête sur la mort de l’actrice. Celui-ci transmet ces éléments au parquet de Paris, celui de Toulon n’étant pas compétent territorialement.

      Dans son livre, Camille Kouchner relate que l’ordinateur de sa tante a été exploré dans le cadre de l’enquête et que ses échanges de mails avec Évelyne Pisier ont dû être trouvés. Elle explique aussi qu’une amie de l’actrice s’était confiée aux policiers.

      Les enquêteurs auditionnent alors « Victor ». Le jeune homme de 36 ans accepte de répondre à leurs questions, mais il refuse de porter plainte. « Cette histoire ne vous regarde pas », dit-il aux policiers, d’après le récit de sa sœur. Fait étonnant, Olivier Duhamel n’a lui jamais été auditionné. « L’enquête s’est arrêtée. Sous mes yeux, le récit d’un inceste. Et l’enquête s’est arrêtée. Police partout, justice nulle part. Pas la peine de me le rappeler », écrit Camille Kouchner dans son livre.

      Selon nos informations, l’enquête a été classée sans suite en novembre 2011, par la procureure adjointe. Avec quel motif ? Questionné par Mediapart, le parquet de Paris élude, et indique simplement que « la procédure initiée en octobre 2011 n’a pas donné lieu à suites judiciaires ». Une source proche du dossier évoque auprès de Mediapart « un problème de possible prescription de l’action publique ». Il n’en demeure pas moins qu’Olivier Duhamel n’a pas été questionné par les enquêteurs.

      À l’époque, l’affaire est sensible. Certes, Olivier Duhamel n’est plus, en 2011, conseiller du président du Conseil constitutionnel (1983-1995), ni député européen PS (1997-2004). Mais il est un personnage influent, constitutionnaliste de renom, invité des médias et proche des cercles du pouvoir. Il dirige déjà la revue Pouvoirs, siège au conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), l’organe de gouvernance de Sciences-Po Paris, et est vice-président du club le Siècle, deux entités dont il prendra la tête par la suite. Quatre ans plus tôt, en 2007, il a participé au Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, mis en place par le chef de l’État Nicolas Sarkozy et présidé par Édouard Balladur.

      Ce dossier mettant en cause une personnalité publique a-t-il été placé sous haute surveillance politique ? Le Garde des Sceaux de l’époque, Michel Mercier, affirme à Mediapart n’avoir « jamais su qu’il y avait eu cette enquête préliminaire » et n’avoir « jamais entendu parler de l’affaire de M. Duhamel », qu’il n’a « jamais rencontré et à qui [il] n’[a] jamais parlé ». « Personne ne m’a averti », dit-il. Il ajoute que, ministre, il avait « pris une position toute simple » : « Je savais bien qu’il ne fallait surtout pas que le ministre se mêle des procès, enquêtes. Donc je n’ai jamais demandé à être informé sur aucun procès. Et à l’époque la direction des affaires criminelles et des grâces n’était pas informée des classements ». Le ministre de l’intérieur de l’époque, Claude Guéant, nous répond n’avoir « aucun souvenir de cette enquête ».

      Sollicités mardi et mercredi par Mediapart, Olivier Duhamel et son avocate, Frédérique Baulieu, n’ont pas donné suite.

      L’affaire continue en tout cas de susciter des remous. Mercredi 13 janvier, le conseiller d’État Marc Guillaume – par ailleurs mis en cause par des accusations de « comportements sexistes » portées par des conseillères de l’Élysée –, a annoncé qu’il démissionnait des fonctions occupées dans « des établissements » où il a « travaillé avec Olivier Duhamel » : la FNSP, la revue Pouvoirs, qu’il a longtemps codirigée avec le constitutionnaliste, et le club Le Siècle. « Fréquentant Olivier Duhamel depuis des années, je me sens trahi et condamne absolument ces actes », a ajouté l’ancien secrétaire général du gouvernement et actuel préfet d’Ile-de-France dans un communiqué, assurant qu’il ignorait « totalement » les accusations d’inceste visant Olivier Duhamel.

  • Islamisme, séparatisme : l’offensive payante des « laïcards », Cécile Chambraud et Louise Couvelaire
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/07/islamisme-separatisme-l-offensive-payante-des-laicards_6062429_3224.html

    Aurel, au top, exploite l’espace rendu libre par le soit disant équilibre dont Le Monde se doit de faire (à l’occasion) la preuve.
    (c’est le #dessin qui vaut le coup, ce qui le suit est là pour mémoire)

    Les partisans d’une laïcité offensive se félicitent de l’évolution d’Emmanuel Macron sur le sujet. Ils voient dans le projet de loi « renforçant les principes républicains », qui doit être examiné en conseil des ministres mercredi 9 décembre, une victoire idéologique.

    Leur moment est arrivé, ils tiennent leur victoire, ils en sont convaincus. Cela fait des années que les partisans d’une #laïcité offensive, érigée en priorité politique, travaillent à faire gagner leurs idées pour sauver une République qu’ils estiment menacée par les revendications d’un islam politique de conquête et par les accommodements de politiques timorés. L’examen en conseil des ministres, mercredi 9 décembre, du projet de loi « confortant les principes républicains » est, à leurs yeux, autant un aboutissement qu’une incitation à poursuivre. Un gage de plus donné par Emmanuel Macron à la lutte contre « le séparatisme islamiste », comme l’est la présence au gouvernement de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, et l’arrivée à l’intérieur de #Gérald_Darmanin et de #Marlène_Schiappa, convertie à la cause. Dans la bataille des différentes conceptions de la laïcité, le vent a tourné en leur faveur, se félicitent-ils.

    Là où d’autres voient dans la laïcité un simple cadre juridique et non une doctrine, eux en font un combat idéologique, à la manière de moines-soldats. Une lutte menée au départ « seuls contre tous », raconte l’ancien premier ministre de François Hollande, Manuel Valls, contre les partisans « du déni dans une gauche trop conciliante, mal à l’aise avec la question de l’islam, la religion des pauvres, des immigrés, des victimes de la colonisation ».

    C’est ainsi que se vivent ces ardents défenseurs de cette spécificité française que le reste du monde peine à saisir. Une cause qu’ont désormais ralliée des sympathisants issus de nombreux cercles de pouvoir, du gouvernement à la préfectorale, en passant par des députés La République en marche (LRM), des think tanks de gauche, une partie de la loge maçonnique du Grand Orient.

    Certains les appellent les « laïcards », les tenants d’une « laïcité de combat », « exigeante » ou « dure ». Eux se voient comme « un bouclier », selon les mots de l’écrivaine Caroline Fourest, face aux intégristes islamistes et à leur idéologie mortifère. Ils refusent d’être adjectivés, ils sont des « défenseurs de la laïcité », point, martèlent-ils, à l’image du titre du livre coécrit par Marlène Schiappa, Laïcité, point ! (L’Aube, 2018). Leurs opposants les accusent de vouloir imposer l’invisibilisation du religieux dans l’espace public pour, en réalité, combattre l’islam. « C’est une réactualisation de l’affrontement entre les deux France au tournant XIXe-XXe siècle, analyse Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’islam de France. A l’époque, on a pensé avoir réglé l’affaire du religieux en ayant réglé celle du catholicisme. Et voilà que depuis deux décennies, une sorte de religieux revient en force. Cela a fait ressurgir le ras-le-bol de ceux qui avaient pensé en avoir fini avec cela. Ajoutez le terrorisme, et on assiste à un triomphe idéologique autour d’une laïcité drastique. »
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    Trahison

    Plus qu’un courant organisé, ils constituent une galaxie de personnalités engagées. Il y a des intellectuels tels que les essayistes Caroline Fourest et Elisabeth Badinter ; les artisans historiques, lobbyistes numériques aguerris, moins connus du grand public, Laurent Bouvet et Gilles Clavreul, fondateurs de l’association Printemps républicain en mars 2016. Il y a des journalistes comme Zineb El Rhazoui et Mohamed Sifaoui, tous les deux sous protection policière ; d’anciens socialistes comme Manuel Valls et l’Avignonnais Amine El Khatmi. Il y a des préfets comme Christian Gravel, un ancien des équipes de Manuel Valls récemment nommé à la tête du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation sur la proposition de Marlène Schiappa, qui est en train de constituer une « unité de contre-discours républicain sur les réseaux sociaux ».

    Il y a aussi les nouveaux venus, comme la députée (LRM) des Yvelines Aurore Bergé ; les soldats de l’ombre, qui œuvrent dans les cabinets ministériels et dans des institutions telle que la #Fondation_Jean-Jaurès, think tank de gauche dont les publications diffusées aux députés et aux sénateurs, à l’Elysée et dans les ministères aident « à peser sur les décisions », explique Jérémie Peltier. Le directeur du secteur études de la Fondation Jean-Jaurès cite en exemple l’enquête menée en 2019 sur les Français et la laïcité révélant que « les Français ayant voté pour Emmanuel Macron n’étaient pas sur la ligne anglo-saxonne du multiculturalisme, mais bien sur la ligne républicaine française ».

    Presque tous issus de la gauche, ils sont partis en guerre contre ce qu’ils vivent comme une trahison de certains de leurs anciens camarades, jugés aveugles au grignotage insidieux d’un islam politique ou de rupture qui serait en train de détruire la trame républicaine de la société. La laïcité est leur trait d’union, leur magistère. Leur mouvance a commencé à se « coaguler » après les attentats de 2015. « Des réseaux se sont mis à se parler », témoigne Aurélien Taché, député ex-LRM, opposé à leurs conceptions qui, selon lui, « virent à l’obsession des musulmans » et « poussent à l’amalgame entre islamisme et islam ».

    « Gauche réaliste »

    Une marque de fabrique de ces « lanceurs d’alerte », comme les appelle Jérémie Peltier, est de se serrer les coudes : ils affichent une solidarité sans faille, quels que soient leurs désaccords, légion en coulisses. « Je ne parle plus à Zineb El Rhazoui depuis 2015 mais qu’importe, je la soutiendrai quoi qu’il arrive », tranche Caroline Fourest, qui décrit le mouvement comme un groupe de gens d’une « gauche réaliste ». « Il existe cinquante nuances de laïcards, s’amuse Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, proche du #Printemps_républicain. Ce n’est pas un groupe homogène mais plutôt complexe et divers. »
    Lui-même et Caroline Fourest veulent, par exemple, permettre aux mères accompagnatrices voilées de conserver leur foulard lors des sorties scolaires, tandis que d’autres, comme Jean-Michel Blanquer et Aurore Bergé, souhaitent le leur interdire. « Nous ne sommes pas une secte ni un groupement clandestin, on se voit, on se parle, de manière informelle, avec Schiappa, Darmanin et Blanquer, mais personne ne joue les arbitres, témoigne Manuel Valls. Les dérives de la gauche, qu’il s’agisse du PC ou du PS, sont le fruit de ce manque de combat collectif, alors oui, nous restons solidaires, parce qu’on veut gagner ! » « Personne n’a de comptes à rendre à personne », renchérit Jérémie Peltier.

    Certaines personnalités de ce mouvement né à #gauche n’hésitent plus à flirter avec l’#extrême_droite, telle que Zineb El Rhazoui, devenue l’icône des plus fervents (elle n’a pas répondu à nos sollicitations). Editée par une maison d’édition – Ring – souvent jugée à la droite de la droite, prenant la pose avec Papacito, blogueur identitaire également édité chez Ring, cette ancienne de Charlie Hebdo est régulièrement menacée de mort. Personne, au sein de son camp, ne remet en question ses outrances. « Toutes les digues sont en train de sauter, s’insurge Isabelle Kersimon, fondatrice de l’Institut de recherches et d’études sur les radicalités, cible régulière des attaques des « laïcards ». Officieusement, ils sont prêts à toutes les compromissions avec la droite et l’extrême droite qu’ils prétendent pourtant combattre. »

    Choc du réel

    Cette stratégie du « front uni » est en tout cas payante. Ils gagnent en influence et convertissent chaque jour davantage d’adeptes. Le premier d’entre eux : Emmanuel Macron. Du moins veulent-ils le croire. Ils interprètent le discours des Mureaux (Yvelines), prononcé par le président de la République le 2 octobre, et le projet de loi, comme la preuve de ce tournant, qui « marque la fin de trente ans de compromissions », assure Thomas Urdy, le référent laïcité de Marlène Schiappa, qui est sur leur ligne. Ils étaient en désaccord avec le Macron de 2015-2017. Aujourd’hui, ils applaudissent sa mue.

    « Par rapport au Macron qui disait, en novembre 2015, que la société française avait “une part de responsabilité” dans le “terreau” sur lequel a prospéré le djihadisme, le projet de loi sur le séparatisme est une étape importante dans son évolution », estime Gilles Clavreul. « Entre le Macron candidat qui critiquait le “laïcisme” chez Mediapart [en novembre 2016] et le discours des Mureaux, il y a une différence nette », abonde Amine El Khatmi, le président du Printemps républicain.

    La cause de l’évolution du chef de l’Etat serait avant tout le choc du réel. « Ce ne sont pas les militants de la laïcité qui changent les mentalités, ce sont les attentats », affirme Elisabeth Badinter. « Une fois au pouvoir, face aux notes des renseignements, aux remontées d’informations des préfets et des attentats, les dirigeants changent, analyse Caroline Fourest. L’idéologie qui les retenait finit par peser peu au regard des informations qui leur parviennent. » « Face aux faits, Macron s’est rangé à notre combat », se réjouit #Manuel_Valls.
    Dans quelle mesure ? Dès le début de son mandat, le président de la République a fait l’objet d’un procès d’intention sur son « laxisme » supposé vis-à-vis de ces questions. « Ils attendaient Macron avec un fusil et n’ont pas relâché la pression un seul instant », raconte un fin connaisseur du dossier. Absentes de la campagne présidentielle de 2017, les questions régaliennes se sont imposées en cours de mandat avec les attentats, obligeant le chef de l’Etat à se positionner. Il a surtout choisi de laisser le champ libre à des ministres en pointe sur la laïcité davantage par « opportunisme politicien » que par conviction personnelle, estime Aurélien Taché.

    Virage

    #Jean-Michel_Blanquer a organisé en juillet une réception à l’occasion de la parution du livre numérique Le Péril identitaire (L’Observatoire, 29 pages, 1,99 euro) du cofondateur du Printemps républicain, Laurent Bouvet. Un mois et demi plus tard, le président de la République décorait de l’ordre du mérite sa femme, Astrid Panosyan, cofondatrice d’En marche ! Autant de signaux, aux yeux de certains, qui confirmeraient le virage du chef de l’Etat. « Le président n’a pas dévié de ligne sur le fond, ce sont les priorités gouvernementales qui ont évolué, dément Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement. Ce qui est monté en puissance, c’est la lutte contre le séparatisme islamiste. »
    Au groupe des députés LRM, après des débuts laborieux, ces thèses ont indéniablement progressé. « La question n’avait pas émergé entre nous en 2017, résultat, lorsque l’actualité nous a obligés à avoir un positionnement politique, nous avions peu d’éléments doctrinaux [ça alors ! ndc] sur le sujet et les divergences se sont exprimées », raconte Aurore Bergé. En 2018, lorsqu’un toilettage de la loi de 1905 pour mieux encadrer les associations musulmanes a été envisagé, un groupe de travail s’est constitué pour permettre à ceux qui le souhaitaient de se former à ces questions. Mais le projet est resté dans les tiroirs de la Place Beauvau et le groupe a cessé de travailler avant d’avoir pu forger une ligne majoritaire.

    Les relais actifs du camp laïc, comme Francis Chouat, député de l’Essonne et ancien maire d’Evry, Aurore Bergé, François Cormier-Bouligeon, député du Cher, Jean-Baptiste Moreau, député de la Creuse, ont poursuivi leurs efforts. Ils ont profité du faible bagage idéologique sur ces questions d’une bonne partie des primo-députés et d’un certain « amateurisme des tenants du libéralisme culturel qui, eux, déplore Aurélien Taché, n’ont pas su s’organiser ».

    Résultat : la « ligne laïque » s’est renforcée, poussant vers la sortie certains opposants, comme M. Taché. « Désormais, là où on pouvait se sentir isolés, aujourd’hui, on sent que notre doctrine s’est imposée », commente Aurore Bergé, qui échange régulièrement avec Manuel Valls et participait au groupe informel composé de Caroline Fourest, la sociologue Dominique Schnapper, Gilles Clavreul, Frédéric Potier et quelques autres, rassemblés sous la houlette de Jean-Michel Blanquer depuis juin. « Globalement, notre ligne est majoritaire, au moins relativement, dans le groupe, nuance Jean-Baptiste Moreau, proche de Zineb El Rhazoui, qu’il a fait venir devant le groupe. Mais il reste un ventre mou, que nous devons essayer de convaincre, et une frange qui n’est pas sur notre ligne. » Et qu’on entend peu. Depuis dix jours, le groupe LRM organise des séminaires pour préparer la discussion parlementaire, qui commencera en janvier 2021.

    Transformation en parti politique

    Emmanuel Macron et les députés ne sont pas les seuls à bouger. Le clan laïc loue l’évolution de Marlène Schiappa, qui avait guerroyé avec Manuel Valls il y a six ans sur la question de l’antisémitisme dans les quartiers et n’aurait « pas toujours été aussi ferme », d’après Amine El Khatmi. Ils notent aussi des mouvements au Parti socialiste. « Cela fait des années que nous disons que la gauche a un problème avec la République, rappelle le président du Printemps républicain. Aujourd’hui, je relève qu’Olivier Faure et Anne Hidalgo disent que sur ce sujet, les positions ne sont pas irréconciliables. Quand on a été insulté, méprisé, menacé et qu’on voit des gens venir vers soi, même avec des nuances, c’est une satisfaction. »

    Il fut un temps où bien des caciques du Parti socialiste se gardaient de mettre les pieds sur ce terrain. Si Jérôme Guedj, le monsieur laïcité du PS ne cachait pas ses convictions « laïcistes », la plupart optaient pour la prudence et choisissaient de rester muets. « La gauche n’était pas torturée par ces questions, rappelle Elisabeth Badinter, qui se définit comme un “compagnon de route du Printemps républicain”, sans en faire partie. On n’entendait pas beaucoup les dirigeants politiques, aujourd’hui, cela change. » Quitte à reléguer la question sociale au second plan. « La question #identitaire dépasse parfois la question économique et sociale, estime Manuel Valls. Parfois, elle la transcende, mais la gauche a longtemps refusé de penser le sujet hors du social. » Aujourd’hui, le patron du PS, Olivier Faure, proclame que « l’ADN de la gauche, c’est la défense de la laïcité », tandis qu’Anne Hidalgo souligne « les ambiguïtés » de Jean-Luc Mélenchon sur le sujet.

    Comment transformer une influence croissante en part de pouvoir politique ? C’est le défi de 2022. Pour le préparer, le 30 novembre 2019, l’association le Printemps républicain a annoncé sa transformation en parti politique. Quelque 350 personnes se sont pressées à l’événement organisé pour l’occasion dans un café parisien. Parmi les présents, Valérie Pécresse, Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Brard, ex-maire apparenté PCF de Montreuil (Seine-Saint-Denis), tandis que Bernard Cazeneuve avait fait parvenir une vidéo. « Nous voulons nous structurer pour être plus présents, et sur tous les sujets », explique Gilles Clavreul. « Nous devons déterminer comment faire en sorte que nos idées soient représentées à la présidentielle et aux législatives », annonce Amine El Khatmi. Certains, tel Aurélien Taché, les soupçonnent de faire « de l’entrisme » dans différentes formations politiques en vue d’obtenir des circonscriptions – du PS à LRM, voire chez les Verts et le PCF.

    Reste que dans cette lutte sans merci qui les oppose à ceux qu’ils qualifient volontiers d’« islamo-gauchistes », il reste peu de place pour la discussion et la pédagogie. Sur les réseaux sociaux, où se joue une partie de cette guerre, la « laïcosphère », comme l’appelle Caroline Fourest, chasse en meute, se « like » à foison et se retweete à l’envi. Aurélien Taché apparente leurs méthodes en ligne à « la cancel culture », réduisant au silence leurs opposants, tétanisés à l’idée d’être accusés de complaisance avec l’ennemi terroriste. En ligne et sur les plateaux télé, le combat est souvent binaire et réducteur. « Il ne reste plus de place à la pensée complexe », se désole-t-on dans les deux camps, faisant mine d’ignorer qu’ils y contribuent.

    #laïcisme #racisme #dessin_d'actualité

    • De quoi la lutte contre l’« islamo-gauchisme » est le nom ?
      Vu par Jlm

      J’ai expliqué dans une précédente note comment l’accusation « islamo-gauchiste » est devenue la ligne du camp macroniste pour construire une nouvelle organisation du champ politique. Qui refuse de discriminer, insulter, montrer du doigt les musulmans doit être désigné comme ennemi obscurantiste, anti-laïque, misogyne, antisémite, terroriste en puissance ou tout du moins ami ou complice du crime. Bref : un « islamo-gauchiste ». Ainsi se construit une nouvelle stratégie du « barrage » politique prenant la suite du « barrage contre le Pen ». Celle-ci est au contraire accueillie à bras ouvert dans la nouvelle alliance du bien contre le mal.

      Disqualifier la France insoumise est alors seulement le point d’entrée de ce discours. Une fois que la lâcheté et le chacun-pour-soi a ouvert le passage, les coups pleuvent sur tout ce qui de près ou de loin résiste au pouvoir et à ses agents. Comment en être sûr ? Tout simplement en se demandant « qu’est-ce que l’islamo-gauchisme ? ». Et la réponse vient vite : cela n’existe pas. Il n’existe en effet ni définition ni faits permettant d’illustrer ce concept. C’est juste un produit d’appel fantasmagorique pour installer les esprits fragiles sur un toboggan conceptuel qui finit dans les filets de l’extrême droite. Car, très vite, les accusateurs passent à un autre registre : ils opposent les « islamo-gauchistes » aux « républicains ». Alors il est possible de faire un inventaire. Mais pour nous, ce sera celui du prétendu camp des républicains. On y retrouve les policiers factieux et leurs organisations politico-syndicales, une poignée « d’essayistes », « politologues » et autres déclassés, plus tout l’arc politique depuis l’extrême droite qui a inventé ce concept jusqu’aux macronistes. Entre les deux, une poignée de journalistes à gage, les uns carrément perturbés, les autres servant cyniquement des intérêts matériels les plus divers.

      L’accusation « islamo-gauchiste » en rappelle d’autres dans l’histoire de France. Avant nous, Jaurès fut accusé d’être « le parti de l’Allemagne » puis les communistes d’être des « judéo-bolchéviques ». Le cas le plus récent d’usage de cette méthode est le fameux « Maccarthysme américain ». Son histoire est comparable à ce que nous avons sous les yeux. Au début de la guerre, l’opinion dominante dans les médias nord-américains et dans la sphère politique était le refus absolu de se mêler de la guerre en Europe. C’est un groupe d’acteur à Hollywood qui déclencha l’alerte contre le nazisme et l’antisémitisme. Au lendemain de la guerre, ces lanceurs d’alerte furent les premiers dans le collimateur des anti-communistes. Diabolique « argument » : leur vigilance prémonitoire aurait été la preuve du fait qu’ils auraient été sous influence communiste avant-guerre. À partir de là et jusqu’aux années 60, une répression récurrente s’abattit sur tout ce qui contestait le système aux USA quel que soit le motif. Une commission contre les activités « anti-américaines » pourchassait de tous côtés. Journalistes à gage, patrons des firmes de télé ou de cinéma bras dessus bras dessous faisaient la chasse à toute résistance. Comme on le devine, une telle aberration ne pouvait être servie, comme aujourd’hui, que par les individus les plus vils ou les moins talentueux, prêts, contre avantage, à renoncer à toute dignité personnelle en s’abandonnant à une chasse aux sorcières de cette nature. Nous y sommes en France. Quand une Saint-Cricq glapit ses ordres au plateau de journalistes dans une régie ou elle se croit en présence d’esclaves sans cerveaux et sans oreilles : « Vous êtes trop gentils ! allez maintenant on tape : les Tchétchènes ! les Tchétchènes ! » pour provoquer une agression contre l’invité insoumise, on a une idée et une caricature du pire de ce dont ce genre de « journaliste » est capable. En fait, c’est la même insulte à chaque fois : la gauche conspirerait avec l’ennemi extérieur et intérieur contre la France. Ce qui change, c’est simplement le fantasme raciste du moment qui doit être accolé au mot politique. Hier les juifs et les communistes, aujourd’hui les musulmans et les Insoumis.

      Que Marine Le Pen utilise l’expression n’a donc rien d’étonnant. Elle le fait d’ailleurs de longue date. Les unes de Valeurs Actuelles ne sont pas plus surprenantes. Tout cela est conforme à ce qu’ils ont toujours été dans l’histoire. Mais c’est aussi devenu le cri de ralliement contre nous de la petite bourgeoisie bon teint. Ce fut d’abord installé dans le paysage par les éléments les plus réactionnaires du quinquennat Hollande : Manuel Valls et Bernard Cazeneuve. Puis, par les ministres les plus droitiers du gouvernement : Jean-Michel Blanquer et Gérald Darmanin. Plusieurs médias ont aussi participé avec entrain à cette manœuvre pour placer une cible dans le dos des anti-racistes. L’hebdomadaire Marianne évidemment. Mais pas seulement. Là encore, ce n’est pas sans précédent dans l’histoire médiatique de notre pays. Il suffit de consulter l’ampleur de la liste des médias confisqué à la Libération pour avoir une idée de la dégringolade morale qui l’avait précédé. Puis ce fut le tour des partis. Encerclé par la hargne de petits groupes s’instituant garde barrières morales comme le « printemps républicain » et d’autres, l’assaut sur la gauche traditionnelle a rapporté gros. Notamment au PS dirigé par un personnage très ambigu sur toutes les questions fondamentales du socialisme historique.

      Cette aile du parti socialiste, la plus proche de Macron, en attente de passerelle de ralliement complet, a très bien perçu le signal venu du pouvoir. À l’approche de l’élection présidentielle, elle s’en fait le relai car c’est pour elle le meilleur moyen de raccrocher les wagons avec la macronie. On comprend qu’il leur faille d’abord se rendre fréquentable. C’est pourquoi le mot même de socialiste dans le nom du parti ou la référence à la période d’alliance avec les communistes doivent être passé par-dessus bord. C’est la stratégie d’Olivier Faure, dont il ne faut jamais oublier qu’en 2017, il disait « nous voulons la réussite de Macron. Nous souhaitons participer à cette majorité ». Dans Libération, le 3 décembre dernier, il parle de moi comme le ferait un député marcheur lisant ses éléments de langage : « Jean-Luc Mélenchon s’égare (…) Il est dans un registre glissant. Pour moi ça n’est pas possible. Donc je réaffirme notre attachement aux valeurs républicaines ». Puis, à propos de la marche du 10 novembre 2019 en réaction à l’attentat contre la mosquée de Bayonne : « la gauche ne pouvait pas défiler sous des mots d’ordre en contradiction avec nos valeurs ». Bien sûr, il ne précise pas lesquels. Ni pourquoi je serais sur un « terrain glissant ». Il en va de même un peu partout dans les chaînes audiovisuelles du gouvernement où les amis ouverts ou secrets du régime macroniste, en quête de stabilité pour leur poste ou parce qu’ils visent celui du voisin, font du zèle dans ce sens. En fait, ils dessinent les contours d’un bloc politique dont les condiments essentiels sont déjà fixés. Politique de l’offre, libre échange sans limite, Europe des traités, écologie de marché, union nationale sur la base de la discrimination religieuse.

      Oui, il est décidément important pour cette partie du PS de fabriquer de toute pièce un clivage avec les insoumis. Dans un premier temps, cela leur permet de justifier de l’intérêt de leur propre candidature à l’élection présidentielle. C’est plus confortable d’inventer des ambiguïtés plutôt que d’expliquer leur désaccord sur le passage à la sixième République, la retraite à 60 ans ou la sortie des traités européens. Car sur tous ces sujets, ils ont perdu leur hégémonie d’autrefois parce que la société a changé d’angle de vision. La deuxième raison est la préparation d’un éventuel barrage anti-insoumis. Ils ne peuvent ignorer que tous les sondages nous placent en troisième position. Et en tête de la gauche. Nous sommes à cette heure les mieux placés pour briser le duo Macron – Le Pen. En cas de réussite, il faudra bien trouver une autre raison de voter Macron que le péril fasciste. Ce sera donc le « barrage aux islamo-gauchistes ». Par-dessus tout pour eux comme pour tant d’autres il s’agit d’écarter le retour au cauchemar de 2017 : le risque d’un second tour des présidentielles auquel participerait l’abominable homme des neiges, Jean-Luc Mélenchon.

      Le PS de Faure va donc de plus en plus ne parler que de laïcité. Bien sûr, il s’agit de stigmatiser les musulmans. Mais dans cette opération, comme d’autres ils ont beaucoup à perdre. Contrairement à ce que certains journalistes racontent, ceux qui sont gênés, divisés ou « pas clairs » sur ce sujet, ce sont les dirigeants socialistes, pas les insoumis ! Car il leur faudra assumer les bilans et héritages. Et la masse des socialistes ne partagent pas l’ambiguïté de ses dirigeants. Le bilan de Hollande n’est pas bon. Les milieux militants laïques se souviennent de son recul face aux militants de l’enseignement religieux en Alsace-Moselle. Il avait promis de rendre cet enseignement, qui existe dans toutes les écoles primaires de ce département, réellement facultatif dans tous les établissements, avant de reculer. Pendant sa campagne de 2012, il avait même proposé d’inscrire le régime concordataire dans la Constitution !

      Faure en est l’héritier direct puisqu’il était à l’époque président du groupe à l’Assemblée nationale. D’ailleurs, Olivier Faure s’est déjà pris une volée de bois vert de la part des élus socialistes pour avoir évoqué la suppression du concordat en bureau national. Plusieurs élus de Moselle lui ont écrit un courrier pour dénoncer cette prise de position. « Sur la forme, nous tenons à noter qu’aucun de nous, responsables fédéraux ou élus locaux, n’a été associé à cette démarche ou consulté sur sa pertinence », écrivent plusieurs élus PS de Moselle et d’Alsace, soucieux de se mettre à très grande distance de l’idée laïque. Parmi eux : Pernelle Richardot, présidente du groupe socialiste de la région Grand-Est, Michael Weber, Maire de Wœlfling-lès-Sarreguemines, Antoine Home, Maire de Wittenheim dans le Haut-Rhin, Catherine Trautmann, ancienne ministre et maire de Strasbourg, Jean-Marc Todeschini, sénateur de Moselle ou encore Michel Liebgott, Maire de Fameck pour le compte des maires socialistes et républicains de Moselle. On voit où est le « terrain glissant » et pour qui.

      Anne Hidalgo, candidate la mieux placée au PS, s’est très vite inscrite dans ce registre d’accusation ce qui est le meilleur révélateur de ses intentions. Il est notable que son attaque fut lancée le jour où elle apporta son soutien à la loi macroniste « sécurité globale ». J’ai montré dans une précédente note ce qu’il en était réellement de son bilan en matière de laïcité à la tête de la mairie de Paris. Il y aura donc bientôt une compétition au PS pour paraitre toujours plus antimusulmans. Manuel Valls souffle donc sur des braises déjà bien chaudes. Mais ils s’exposent à un haut le cœur de la tradition socialiste. Ainsi, écœuré, le socialiste marseillais Patrick Menucci s’est hâté de prendre ses distances avec l’interview de Faure dans Libération. Celle-ci est en effet d’un grossier déterminisme social très insultant pour les personnes en situation de détresse économique. « Je ne souhaite pas qu’en mon nom, on explique la radicalisation islamiste et le terrorisme par le chômage structurel et la pauvreté » a-t-il tweeté immédiatement. En mettant le doigt dans cet engrenage, Olivier Faure se condamne à la rupture avec la tradition socialiste historique et a un alignement sur les plus extrémistes de son camp. Et ceux-là ne veulent pas que l’on se paye de mots : le discours sur la laïcité est dirigé contre les musulmans et rien d’autre. Cette pente a déjà un précédent dans l’histoire du mouvement socialiste. C’est celle que prit Marcel Déat avant-guerre qui, sous prétexte d’attachement à l’ordre et de dénonciation des « métèques », finit dans l’extrême droite.

      Pour nous, la partie est simple à jouer. Résistance sans faille. Nous sommes clairs. Nous n’avons aucun problème pour dénoncer le ciblage exclusif contre l’islam et des musulmans. En toutes circonstances, nous défendons la paix civile et l’unité du peuple en France. La laïcité n’est pas un sujet de débat chez nous, ni une découverte. Nous avons des propositions ancrées pour étendre ce principe émancipateur. Il suffit de les mettre sur la table pour différencier les véritables laïcs des tartuffes anti-musulmans. Nous le ferons sans faiblir jour après jour autant qu’il le faudra. Et nous rallieront à nous tous ceux qui progressivement vont savoir reconnaitre où est le camp de la paix civile.

      J’en ai fait l’expérience récemment lors d’un débat à l’Assemblée nationale. Il s’agissait d’une niche du groupe Les Républicains. À l’ordre du jour, une proposition de loi constitutionnelle qui prétendait inscrire dans la Constitution des dispositions qu’elle consacre déjà comme le fait que « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ». L’intérêt juridique était nul puisque tout ceci est déjà dit dans des termes très clairs par la Constitution ou la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le but était encore une fois d’exciter la peur de l’islam. Après avoir dénoncé cette honteuse stigmatisation, j’ai défendu plusieurs amendements comme l’abolition du concordat d’Alsace-Moselle et le statut de Charles X ou l’interdiction pour le Président de la République de recevoir un titre clérical comme celui de « Chanoine de Latran ». Les ambitions laïques des députés LR furent tout de suite plus discrètes. Mais ni Olivier Faure, ni aucun autre député socialiste n’a souhaité défendre à mes côtés ces revendications élémentaires de la laïcité. Défendre la laïcité avec Mélenchon, pourquoi cela est-il impossible ? On voit dans cette situation une illustration de ce que produit la ligne qui nous assigne à résidence « contre la République » selon la rhétorique de Faure. On voit quel est le coût de l’insupportable campagne sur l’islamo-gauchisme. Une pure et simple division sans objet des forces pourtant disponibles comme elles l’étaient déjà dans cet hémicycle.

      https://melenchon.fr/2020/12/07/la-semaine-brut-macron-annonce-quil-sen-ira

    • Les croisades de Caroline Fourest
      La trajectoire dévoyée d’une propagandiste de « gauche »
      https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2017-1-page-74.htm

      Caroline Fourest semble avoir fait une – toute relative – cure médiatique pour se reconvertir en éminence grise et visiteuse du soir de la gauche au pouvoir. On dit ainsi qu’elle a l’oreille de #Valls, et même celle de Hollande. Que de chemin parcouru depuis le temps où, jeune militante pour les droits homosexuels à la fin des années 1990, elle se réclamait de l’antiracisme. Elle s’est, depuis, muée en #furie d’une #laïcité_ultra-républicaine parfois utilisée pour banaliser la stigmatisation des musulmans. Mais cette trajectoire est moins un cheminement personnel que le reflet d’une #dérive : celle d’une gauche hagarde pour qui la « République » tient lieu depuis quinze ans de question sociale. C’est la raison pour laquelle, malgré ses propos confus, parfois mensongers ou son agressivité en bandoulière, elle est restée, du Monde à Marianne en passant par France Culture, indéboulonnable, vigie anxieuse d’une France sous « menace islamiste ».

  • 22 – LA TOUR DES HOMMES ET LA MAISON DE DIEU – TROISIÈME PARTIE – 3×7
    http://www.3x7.org/fr/22-la-tour-des-hommes-et-la-maison-de-dieu-troisieme-partie

    Au chant IX de l’Enfer, Dante pose à nouveau dans son décor une haute tour.[4] À son sommet embrasé se dressent tout d’un coup les trois Furies, qui sont ensuite rejointes par Méduse. Cristoforo Landino, dans son commentaire sur ce passage, dit que les Furies sont apparues au sommet de la tour parce que la fureur ne peut rester cachée et qu’elle n’est jamais sans orgueil et inflammation extrême.[5] Ici encore, par conséquent, la tour est évocatrice de l’orgueil humain et le sommet en est enflammé. Landino révèle l’identité des trois Furies en analysant leurs noms :

    Alecto signifie « sans repos », et l’inquiétude est le principe de la fureur ; Tisiphone en langue grecque veut dire « vengeresse de meurtre » et c’est le remords de la conscience […] ; #Mégère, tire sa signification de « haine », par laquelle on atteint une fureur extrême. Les Furies sont à prendre comme l’appétit désordonné, qui incendie l’esprit humain comme une furie, et l’aveugle et la précipite sans secours dans les vices. Je pense que ce n’est rien d’autre que le désir amoureux, la colère, la haine, l’ambition et toutes les cupidités sans retenue, pour ne pas dire fureur, laquelle comme un cheval emballé emporte l’homme par les ravins et les escarpements jusqu’à ce qu’il se rompe le cou.[6]

    Dans la carte, la troisième jambe de la triskèle cachée pose le pied sur la tête de l’homme qui tombe, comme pour accélérer sa chute vers le bas. Si on se représente la triskèle comme un système rotatif en mouvement, on peut imaginer que les coups de pieds vont se succéder alternativement sur la tête du personnage. De cette façon, le dessin paraît illustrer l’idée selon laquelle le châtiment divin s’exerce par celui-là même qui en est la victime, en raison de ses appétits sans freins.

    #tarot_de_Marseille #Mégère #furies #La_Tour_Dieu