Au regard de l’actualité sanglante récente, de cette dizaine de #massacres ou tentatives de massacre de masse survenus ces derniers jours en Europe occidentale, il devient sans doute difficile à tout observateur « gauchiste » un tant soit peu honnête – et lucide – d’esquiver la vérité politique fondamentale suivante : la #psychanalyse constitue désormais la dernière ligne de défense substantielle d’un certain principe épistémologique (apanage ancien du communisme dialectique d’origine hégélienne) imposant l’étude critique de la totalité individuelle humaine comme seul accès possible à la compréhension du monde.
Le fait qu’en quelques semaines, une poignée de soi-disant « soldats du Califat » eussent d’abord massacré cinquante homosexuels à Orlando, quatre-vingt-quatre piétons à Nice, puis se soient vus, presque aussitôt, imités en Allemagne par d’autres massacreurs « psychotiques » (soucieux, à leur tour, d’égaler « l’authenticité », c’est-à-dire l’efficacité homicide des djihadistes « authentiques » opérant dans la zone irako-syrienne), ce fait, à lui seul, ruine précisément par avance toute possibilité de dichotomie grossière entre « djihadicité authentique » et simple « passage à l’acte psychotique ». Et quoique, ces temps-ci, pour des raisons conjoncturelles diverses, MM. Valls-Cazeneuve et Mme Merkel s’échinent systématiquement à favoriser a priori – boucherie après boucherie – l’un de ces types d’explications au détriment exclusif de l’autre, leur ineptie unilatérale commune, cependant, ne peut que sauter aux yeux de l’univers. « S’agit-il d’un attentat islamiste ? » se demandent, anxieux, les imbéciles internationaux ? « Ou plutôt d’un pétage de plombs purement individuel ? » se redressent-ils dans un réflexe salubre (et de dignité), cherchant alors dans la foule l’avis du premier psychologue disponible.
C’est là que ce bon vieux Freud (celui de L’Avenir d’une illusion) se rappelle opportunément à notre souvenir critique, lui qui assimile, sans plus d’égards (y’a plus de respect, aussi, faut dire, c’est ça, le problème !) la #religion elle-même – en son intégrité insoupçonnable, dans ses très respectables exigences morales et disciplinaires de base – à une vulgaire « #névrose_obsessionnelle »…Voilà aussi, de manière générale, que nous revient en mémoire la résistance théorique décisive d’une certaine « anthropologie psychanalytique » refusant, au début du vingtième siècle (déjà !), de céder sous les coups de boutoir de « l’anthropologie différentialiste » – sur la question, en particulier, d’un universel du tabou : ce lot irrésistiblement commun de structuration ontogénétique, que révèle l’étude approfondie des mythes et de la culture humaine. Nous pensons et rendons, ici, hommage, en premier lieu, à #Géza_Roheim, disciple de Freud et Ferenczi, accessoirement embarqué, avec ce dernier, dans l’aventure de la révolution prolétarienne hongroise de 1919.
Que le meurtre du « Père » par « les fils de la horde » ait été – partout à la surface de cette planète – fantasmé ou réel, la violence humaine a priori d’un tel conflit primaire, son influence sur le développement de tout individu revêtent, aux yeux de Roheim (suivant là Freud de manière à la fois fidèle, prudente et critique) une effectivité cosmopolite, dont l’absolue nécessité ne saurait s’embarrasser de différences de forme, jugées inessentielles. L’ethnographe Malinovski ayant ainsi nié, dans son ouvrage La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives, au nom de l’étude « concrète » des pratiques de telle tribu trobriandaise, que le célèbre complexe d’Œdipe pût s’appliquer à ses membres tout aussi fortement qu’aux rejetons de la bourgeoisie viennoise, étant donné la disposition matrilinéaire de cette société (l’abence formelle du « père » la caractérisant), on sait comment Géza Roheim, autre grand érudit et « spécialiste de terrain » des mœurs australiennes (et de cette zone trobriandaise, en particulier) rembarra cette initiative : « [Roheim] relève, dans de nombreux récits [trobriandais], la fréquence des thèmes ressortissant à l’analité, découvre l’importance du coït anal, et surtout démontre avec force l’existence du complexe d’Œdipe, dont l’universalité ne faisait à ses yeux aucun doute ; seulement, les relations oedipiennes ont subi dans une société matrilinéaire des déplacements dont la signification avait échappé à Malinovski ; on y trouve tout simplement, ironise Roheim, un homme qui aime sa sœur et qui entretient avec son oncle une relation d’antagonisme chargée d’ambivalence »… (Roger Dadoun, introduction à Psychanalyse et anthropologie, de Géza Roheim, p. 9).