• Grève de la faim d’un militant d’ultragauche pour protester contre sa détention à l’isolement
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    L’hôpital du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne), le 25 novembre 2020. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

    Florian D., mis en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle », est en détention provisoire depuis quinze mois. Ses avocats dénoncent la qualification terroriste de ce dossier.

    Au trente-deuxième jour de sa grève de la faim, jeudi 31 mars, Florian D. pesait 47 kg. Ce militant d’ultragauche de 37 ans, qui se définit comme « libertaire », est détenu à l’hôpital du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne). Il a perdu 15 kg depuis le début de son action, le 27 février, est perfusé en permanence, ne peut plus se lever de son lit et se rend à la douche en chaise roulante. « Nous sommes extrêmement inquiets », s’alarment ses avocats, Coline Bouillon et Raphaël Kempf.

    Florian D. est en détention provisoire depuis le 12 décembre 2020, soit quinze mois, dans le cadre de sa mise en examen pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Il lui est reproché, avec six autres personnes – cinq hommes et une femme –, d’avoir préparé ou projeté des « actions violentes » au nom d’une idéologie d’extrême gauche.

    Florian D. est le seul des sept mis en examen encore en détention. Depuis le début, il est placé à l’isolement. Une mesure décidée par l’administration pénitentiaire pour des détenus qui présentent des risques de fuite, de concertation ou de trouble à l’ordre public. Mais l’isolement a des implications lourdes sur la santé mentale et physique des détenus : leur promenade se déroule dans un lieu confiné et étroit, il ne leur est pas possible d’entretenir un suivi médical et des liens sociaux réguliers en dehors des parloirs.

    « Absence d’écoute »

    Dans le cas de Florian D., son « comportement exemplaire » en détention, attesté par les rapports de l’administration et des conseillers pénitentiaires d’insertion et probation, aurait dû déboucher sur un assouplissement de son régime de détention. Ce n’est pas le cas, son régime d’isolement a, au contraire, été confirmé par le directeur interrégional de l’administration pénitentiaire et même par le ministre de la justice.

    « C’est cette absence de d’écoute et de perspective que nous dénonçons », expliquent les conseils de Florian D., dont la dernière demande de remise en liberté, le 16 février, a été rejetée malgré les vérifications diligentées par la justice sur l’existence réelle d’un emploi stable indispensable à sa sortie de détention.

    Dès le début de la détention de Florian D., ses avocats avaient contesté cette mesure d’isolement, perçue comme punitive et vexatoire, en saisissant le juge administratif de Versailles en référé. Ce dernier a décidé qu’il n’y avait pas lieu de statuer en référé. La procédure peut prendre plusieurs années, voire aboutir après la fin de la période d’isolement, comme ce fut le cas de Yassine Atar, un autre client de Me Kempf jugé actuellement dans le procès des attentats du 13-Novembre.

    Le 25 mars, Florian D. était transféré de la prison de Bois-d’Arcy (Yvelines) à l’hôpital de Fresnes. Le 28, il lui a été notifié − sans explication − la levée de sa mesure d’isolement et de son interdiction de communiquer avec Camille, sa compagne, elle aussi mise en examen dans la même affaire. Florian D. a décidé, pour le moment, de poursuivre sa grève de la faim. « Son objectif est sa remise en liberté sous contrôle judiciaire jusqu’au procès », précise Me Kempf. C’est le cas des quatre autres mis en examen, qui ont effectué de quatre mois et demi à onze mois de détention provisoire.

    Pour la première fois depuis le début de l’affaire, Camille, qui souhaite rester anonyme, a pris la parole, jeudi, pour souligner la dureté du traitement réservé par la justice aux sept mis en examen. Elle-même a eu droit aux fouilles à nu à l’occasion de chaque parloir, et n’a eu accès à son dossier qu’au bout de cinq mois. Elle s’est dite « fatiguée et broyée ».

    « Criminalisation de l’internationalisme »

    Au-delà de la dénonciation des excès de la détention provisoire de Florian D., Mes Bouillon et Kempf ont « dénoncé avec force la qualification terroriste dans ce dossier. Depuis plusieurs années, la DGSI [la direction générale de la sécurité intérieure]cherche à criminaliser des militants qualifiés d’ultragauche. Elle a construit un récit plaqué sur les schémas usités en matière de djihadisme. On use du même vocable en parlant de revenants ».

    Florian D. a combattu avec les milices kurdes du YPG (Unités de protection du peuple) en Syrie contre l’organisation Etat islamique (EI). La DGSI le soupçonne d’avoir acquis un savoir-faire militaire qu’il aurait eu l’intention de mettre en œuvre depuis son retour en France pour mener des attentats contre les forces de l’ordre. Ce dossier est le seul ouvert au titre de l’ultragauche devant la justice antiterroriste. « Assimiler Florian D. au risque djihadiste, c’est injurieux ou, au minimum, choquant, ajoutent ses avocats. Nous lui sommes redevables moralement pour son action [contre l’EI]. »

    Camille estime que ce dossier s’inscrit dans un contexte de « criminalisation de l’#internationalisme ». Et de citer en exemple les demandes d’extradition d’anciens militants d’extrême gauche italiens, l’interdiction des manifestations de soutien à la Palestine et les entraves juridiques au mouvement de boycott propalestinien BDS (pour Boycott, Désinvestissement, Sanctions).

    Ses avocats questionnent notamment l’attitude du Parquet national antiterroriste. Si la DGSI communique en pointillé sur la menace terroriste d’ultragauche, le parquet, dont c’est pourtant le rôle, n’a jamais pris la peine de préciser sa vision de cette menace qui pèserait sur la société. Les deux avocats ont demandé au juge de faire préciser par la DGSI ce qu’elle entend par « l’ultragauche ». La demande est restée lettre morte.

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