• Que l’Académie tienne sa langue, pas la nôtre !
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    Depuis que les éditions Hatier ont publié un manuel qui applique en partie l’écriture inclusive, le débat fait rage. Une simple mesure d’égalité, qui applique les recommandations du Guide pratique pour une communication publique sans stéréotypes de sexes mis en ligne par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes ? Un « péril mortel » pour la langue, comme l’a proclamé l’Académie française — qui ne compte pourtant pas de linguiste dans ses rangs ? Ou, plus simplement, un débat sans importance ? C’est pour tenter de clarifier certains termes du débat, pour dénoncer l’incompétence et l’anachronisme de l’Académie, que plus de 70 linguistes francophones ont décidé de riposter, par la présente tribune, en exprimant un souhait commun : que la langue française devienne un objet de réflexion collective.

    Que cela plaise ou non, il n’est pas seulement question de linguistique, mais également de politique. Pour les personnes qui se sentent à l’étroit dans l’opposition binaire femme/homme, il n’y a pour l’instant pas de pronom neutre en français : la forme « iel », ainsi que de nombreuses autres nouvelles formes, sont en train de se diffuser et pourraient permettre de combler ce besoin. Les grammaires actuelles ne proposent pas de réponses à tout, et quand elles le font, ces réponses sont parfois politiquement contestables ou obsolètes. C’est pour cela que ces questions sont visibles plus dans les médias que dans les livres de grammaires. Il nous semble important de faire savoir que la grammaire prescriptive, celle qui codifie la langue, est liée à la politique et à l’organisation sociale des personnes qui partagent une langue ; elle n’a rien d’immuable, comme la force d’attraction gravitationnelle ou la course de la Terre autour du Soleil ! Différentes règles linguistiques se font concurrence, car les gens ne parlent ni n’écrivent de manière homogène. L’institution chargée de l’enseignement permet de faire pression sur les règles en concurrence permanente, en attribuant une valeur prestigieuse à une variante plutôt qu’à une autre, ou bien en acceptant la variation, selon les cas. Mais cela se renégocie sans cesse. Il en sera toujours ainsi, et il n’y a là rien d’inquiétant. Au fond, il suffit de faire participer le plus grand nombre à ces débats et, au bout d’un moment, des tendances émergent, les dictionnaires et les grammaires les enregistrent, et les débats se calment… avant de reprendre, trente ou cinquante ans plus tard .