La culture de l’inceste
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Ce qui m’a d’abord frappé quand j’ai lu Claude Lévi-Strauss il y a quelques années, c’est que cet auteur canonisé et diffusé sans critiques à l’université écrive que le tabou de l’inceste fonde les sociétés humaines. Dans le sens où le tabou de l’inceste permettrait de nous déployer en société en échangeant les femmes au lieu d’incestuer ses filles en cercles clos OKLM. Je me suis tout de suite dit que l’inceste était largement pratiqué et donc que l’interdit était d’en parler pas de le faire, que l’objet de l‘inceste était de soumettre en écrasant durablement une personne. Ce genre de texte ne peut être produit et diffuser sans ciller, sans indignation morale aucune, que par ceux qui profitent à plein de ce système de domination. Cette théorie permet de naturaliser et de renforcer la pratique de l’inceste en déclarant in fine que l’inceste n’existerait pas ou si peu - car il serait si bien et universellement interdit - ce qui renforce le tabou d’en parler en renvoyant les victimes à quantité négligeable et les abuseureuses à une monstruosité toute marginale.
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En ce qui concerne la littérature féministe sur l’inceste, je peux parler des productions dont j’ai connaissance avec tous les biais de genre/classe/race et de sélection/publication/distribution que cela comporte. Judith Butler, Luce Irigaray, Gayle Rubin, Monique Wittig en ont parlé et, à ma connaissance, surtout sous un angle : sur ce que le tabou de l’inceste tel que pensé par Claude Lévis Srauss permet de mettre en place en termes de structures sociales patriarcales « autour » de cet interdit. Soit sans remettre en cause que ce soit interdit. En effet, dire que c’est le tabou de l’inceste qui fonde les sociétés en instaurant l’échange des femmes entre les clans d’hommes permet de naturaliser l’hétérosexualité en la prenant comme un donné, ainsi que la binarité de genre et de sexe qu’elle performe et évacue l’hypothèse de l’homosexualité comme principal interdit.
Par exemple dans la Pensée Straight Monique Wittig écrit : « la pensée straight continue de penser que c’est l’inceste et non l’homosexualité qui représente son principal interdit. Ainsi pensé par la pensée straight, l’homosexualité n’est rien, sinon encore de l’hétérosexualité. »
Ou Judith Butler dans Trouble dans le genre : « repenser le tabou de l’inceste comme le mécanisme qui reproduit des identités de genre distinctes et cohérentes dans les termes contraints de l’hétérosexualité » en poursuivant avec l’analyse des productions de Levi Strauss : « à en croire les structures élémentaires de la parenté, l’objet d’échange qui consolide les relations de parenté tout en les différenciant, ce sont les femmes que les clans patrilinéaires se donnent les uns aux autres à travers l’institution du mariage. La fiancée […] n’a pas d’identité. Elle reflète l’identité masculine en étant précisément le lieu où celle-ci n’est pas. »
L’autre aspect de l’inceste dont les féministes ont moins parlé (à ma connaissance) c’est le fait qu’il soit systématiquement pratiqué au point d’être structurant des sociétés humaines fonctionnant selon le principe de domination. En cela qu’il permet la création et la soumission de la classe des enfants par les adultes et, plus particulièrement en intersection avec le genre, de la soumission de la classe des enfants (garçons et filles) par les hommes cis. Bien que les femmes pratiquent également l’inceste dans une proportion minoritaire mais conséquente (24%) qu’il ne s’agit pas d’oublier.
Les féministes qui en ont parlé en tant que rouage du patriarcat comme Louise Amstrong dans les années 70 ont été silenciées par le corps médical/les institutions qui tiennent à pathologiser l’inceste pour garder le pouvoir qui y est lié en refusant de l’envisager comme une production culturelle et donc comme corrigible.
En 2013 l’anthropologue Dorothée Dussy a publié un livre extrêmement important à ce sujet : « Le berceau des dominations, anthropologie de l’inceste livre 1 ». Malheureusement il n’y aura qu’un livre et non pas trois car l’autrice est épuisée du sujet. Mais ce livre précieux centré sur les agresseurs : les incesteurs, envisage l’inceste comme structurel et permettant la soumission des enfants par les adultes d’une manière spécifiquement humaine. En effet, si on écarte le meurtre et si on souhaite garder les forces de travail vives : quelle meilleure manière de dominer en inscrivant la terreur dans les corps ad vitam qu’en violant ou en menaçant de violer ses petits ?
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