Le discours commence par des banalités : « concurrence pour les talents », « décloisonner pour favoriser les synergies », « Shanghai / Saclay »...
Mais surtout « conjurer notre histoire » avec « le vent de face en raison de la démographie ».
C’est important pour la suite.
Le discours se centre sur « repenser totalement le lien entre Lycée et Université » et « la séparation entre les études supérieures et le monde du travail ».
Il fustige une « aristocratie égalitariste » avec la dichotomie Grandes Ecoles (« exellence ») et Université (« masse »).
#debunk Il s’agit d’un classique diviser pour regner/l’herbe est plus verte ailleurs.
Cette opposition (stérile ?) GE/Univ est systématiquement instrumentalisée pour réformer, mais seulement les universités.
« ce n’est pas qu’une question de moyens » (?)
D’après M. Macron « ce système est révolu » car « il ne correspond pas à la compétition internationale et crée des segmentations inefficaces ». C’est « le sens de l’Histoire ».
Il faut donc « une nouvelle politique d’investissement ».
#Point 1 : l’« intolérable gâchis » en Licence
« Nous avons injecté 1 Md€ en plus dans le premier cycle / créé 84000 places / et 28000 oui-si... formidable ! et pourtant seulement 50% des étudiants se présentent aux examens de premières année »
#debunk "Des efforts n’ont pas conduit à des résultats, donc il faut réformer plus en profondeur" est discutable.
Par exemple, il y a en réalité une hausse des taux de réussite, que le discours doit ignorer volontairement pour atteindre son objectif.
▻https://etudiant.lefigaro.fr/article/a-l-universite-un-taux-de-reussite-des-licences-en-pleine-croissan
De plus, ces résultats ne sont pas évaluables en période de pandémie, parce que tout le système est perturbé, et que tirer des conclusions de mesures qui ont trois ans n’est pas intègre.
▻https://www.franceculture.fr/societe/covid-19-la-detresse-croissante-des-etudiants
Enfin, l’effort est en réalité factice, puisque la dépense par étudiant baisse, essentiellement à l’Université.
Tout au contraire, si on en croit les indicateurs, l’Université a donc plutôt obtenu des résultats, sans moyen, et dans un contexte difficile.
▻https://www.alternatives-economiques.fr/rentree-coutera-t-plus-cher-cette-annee/00100263
#Discussion L’échec en Licence lui-même est peut-être un problème factice, instrumentalisé pour atteindre des objectifs pratiquement sans rapport, mais qui a le mérite de faire écho à un soucis très concret qu’on rencontre sur le terrain.
#Point 2 : le financement public et la gratuité des études universitaires.
Cela conduirait a un enseignement qui n’a « aucun prix » à cause d’« un modèle beaucoup plus financé par l’argent public que partout dans le monde »
#Debunk Au delà du marqueur idéologique « ce qui n’a pas de prix n’a aucune valeur », l’affirmation sur le financement public de l’ESR en France est tout simplement fausse : nous sommes dans la moyenne, et en dessous des pays que nous admirons.
▻https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/T165/la_depense_pour_l_enseignement_superieur_dans_les_pays_de_l_ocde
Plus intéressant encore, si on prend le cas extrême de la Grande Bretagne (GB).
D’abord l’évidence : moins de financement public, c’est plus de financement privé, donc plus d’endettement des familles.
E. Macron propose donc de vous endetter plus.
▻https://commonslibrary.parliament.uk/research-briefings/sn01079
Ensuite, le financement "privé" est en réalité sur des prêts garantis par l’État, et qui sont en grande partie (52%) non remboursé, donc payés par le public.
Ça a couté 12Md€ d’argent public l’an dernier (~50% du budget du MESRI).
▻https://www.dailymail.co.uk/news/article-9753557/Almost-10-billion-paid-student-loans-2020-written-off.html
Et enfin, ça n’a apporté aucun financement supplémentaire aux universités.
La proposition est donc d’endetter les ménages, même si ça coute encore plus au contribuable, sans rien rapporter aux universités.
Seuls gagnants : les usuriers.
#Point 3 : la formation réduite à une forme d’insertion professionnelle
« les universités [doivent] garantir l’orientation des jeunes vers l’emploi » avec « de véritables contrats d’objectifs et de moyens ».
En clair : l’emploi conditionne le financement des formations.
« la logique de l’offre doit prendre le pas sur la logique de la demande » « l’orientation doit évoluer pour mieux correspondre aux besoins de la nation »
En clair : ce n’est plus ni aux familles ni aux universitaires de décider de l’orientation et des formations, mais à l’Etat.
D’après E. Macron,ces « besoins de la nation » sont seulement économiques, et tout le reste est un « investissement à perte ».
C’est du bon sens, mais seulement avec une conception de la formation limitée à l’insertion professionnelle.
#debunk Si on colle les trois points, on a une forme de logique :
1. Les jeunes échouent en Licence
2. Car ils se moquent d’études qui ne coutent rien
3. Et qui de toutes façons ne mènent à aucun emploi.
Faire payer les familles apparait alors comme une solution, non pas pour augmenter les financements (ils n’augmenteront pas, au contraire), mais seulement pour augmenter l’implication des familles, et restructurer « l’offre et la demande » de la formation.
La réussite par l’augmentation de l’implication des familles repose sur la croyance « ce qui n’a pas de prix n’a aucune valeur ».
Quand on regarde les indicateurs, c’est plutôt une question de moyens.
▻https://twitter.com/anouchka/status/1481928533308022785La restructuration de « l’offre et la demande » imagine une vertu : si les études impliquent un endettement personnel, alors le choix d’orientation sera vers les formations qui permettent de rembourser, donc là où il y a des emplois.
Et sinon c’est à la charge des familles.
Julien Gossa
@JulienGossa
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17h
Les formations qui conduisent aux emplois bien payés peuvent augmenter leurs frais d’inscription, donc leur qualité. Les autres ferment ou de toutes façons ne coutent plus rien.
Le marché comme solution à l’orientation et la formation, donc à la stratification sociale.
C’est la vision qui a bien fonctionné au XXe siècle. Malheureusement, elle ne fonctionne plus. Tout simplement parce que « démographie » et « besoins [économiques] de la nation » sont désynchronisés.
Il n’y a pas d’emplois non pourvus en France, il y a du chômage.
Les emplois qui recrutent ne concernent pas les filières universitaires.
Les formations universitaires montrent un léger chômage, qui indiquent qu’elles remplissent parfaitement leur rôle de fournisseur de main d’œuvre qualifiée.
▻https://statistiques.pole-emploi.org/bmo/bmo?graph=1&in=1&le=0&tu=10&pp=2021&ss=1
On revient à cette évidence, que le discours de M. Macron semble ignorer : diplômer quelqu’un ne crée pas un emploi.
En terme d’emplois, la politique proposée est donc vouée à l’échec. Pire, elle enferme dans une sorte d’immobilisme économique.
▻https://twitter.com/Taigasangare/status/1481897423437979649En toute logique, la politique proposée consiste donc non pas à augmenter le nombre de diplômés, puisque ça ne ferait que baisser le taux d’insertion professionnelle.
Elle consiste forcément à baisser le nombre d’étudiants, seul moyen d’éviter un « investissement à perte ».
Et ça nous mène à la question principale qui se pose pour l’avenir, même si on n’ose jamais l’affronter :
Quel est le rôle des études supérieures ?
Si c’est seulement économique, sans progrès futurs, alors Macron a raison : il faut endetter et réduire le nombre d’étudiants.
Mais si c’est plus large que ça, que les études supérieures permettent de former des citoyens qui vont devoir gérer des crises graves... Alors il vaut mieux des chômeurs bien formés que des chômeurs mal formés.
Et le projet proposé est très dangereux.
Il est d’autant plus dangereux que la loi ORE a déjà posé des bases très solides pour sa réalisation :
l’Etat contrôle désormais les places dans toutes les formations publiques. La réduction du nombre d’étudiants est donc techniquement possible.
#Parcoursup est à la fois une sorte de concours national pour accéder aux places, et en plus une market-place pour les formations, incluant déjà des informations sur les "débouchés" et un module de paiement des frais.
Toute la technique a été préparée pour ce projet politique.
Reste que le projet politique de M. Macron, tout idéalisé et idéologisé qu’il soit, se confronte à une question toute simple : Que fait-on des jeunes surnuméraires par rapport aux besoin de l’emploi, si on ne les forme plus ?
Ce fameux « vent de face de la démographie ».
Julien Gossa
@JulienGossa
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16h
Pour conclure, le discours de M. Macron est bien rodé, puisqu’il a plus de 50 ans... Mais il est objectivement anachronique.
Il faudrait un peu de courage, et attaquer vraiment la seule vraie question : Quel est le rôle des études supérieures au XXIe siècle ?
Rappel qu’il y a une cohérence entre baisser le nombre d’étudiants et réduire le nombre de lycéens qui font des mathématiques.
Si on n’a pas le courage d’aller jusqu’au bout, on aura donc autant d’étudiants, juste moins bien préparés à nos études.
▻https://twitter.com/OlivierMusy/status/1481960693784092673NB : Si M. Macron souhaitait vraiment mettre en œuvre ce programme, il lui suffirait de donner une autonomie réelle aux universités, dont l’intérêt est effectivement de réduire le nombre d’étudiants et de les faire payer.
Sauf que c’est impossible :
▻https://blog.educpros.fr/julien-gossa/2021/10/17/selection-impossible-autonomie-fantome
Ici le verbatim, qui termine sur cette blague « Et que fait-on ce soir, Cortex ? »
▻https://t.co/9HYisOq789
Et bien sûr la plus pathétiques des hypothèses : tout ce projet n’a en réalité aucun sens, complètement dépourvu de vision et d’ambition autre que séduire les présidents d’université dans une perspective tristement électoraliste.