#guy-debord

  • Notes sur la « question des immigrés » (Guy Debord)

    "Faut-il donc les assimiler ou « respecter les diversités culturelles » ? Inepte faux choix. Nous ne pouvons plus assimiler personne : ni la jeunesse, ni les travailleurs français, ni même les provinciaux ou vieilles minorités ethniques (Corses, Bretons, etc.) car Paris, ville détruite, a perdu son rôle historique qui était de faire des Français. Qu’est-ce qu’un centralisme sans capitale ? Le camp de concentration n’a créé aucun Allemand parmi les Européens déportés. La diffusion du spectacle concentré ne peut uniformiser que des spectateurs. On se gargarise, en langage simplement publicitaire, de la riche expression de « diversités culturelles ». Quelles cultures ? Il n’y en a plus. Ni chrétienne ni musulmane ; ni socialiste ni scientiste. Ne parlez pas des absents. Il n’y a plus, à regarder un seul instant la vérité et l’évidence, que la dégradation spectaculaire-mondiale (américaine) de toute culture.

    Ce n’est surtout pas en votant que l’on s’assimile. Démonstration historique que le vote n’est rien, même pour les Français, qui sont électeurs et ne sont plus rien (1 parti = 1 autre parti ; un engagement électoral = son contraire ; et plus récemment un programme — dont tous savent bien qu’il ne sera pas tenu — a d’ailleurs enfin cessé d’être décevant, depuis qu’il n’envisage jamais plus aucun problème important. Qui a voté sur la disparition du pain ?). On avouait récemment ce chiffre révélateur (et sans doute manipulé en baisse) : 25 % des « citoyens » de la tranche d’âge 18-25 ans ne sont pas inscrits sur les listes électorales, par simple dégoût. Les abstentionnistes sont d’autres, qui s’y ajoutent.

    Certains mettent en avant le critère de « parler français ». Risible. Les Français actuels le parlent-ils ? Est-ce du français que parlent les analphabètes d’aujourd’hui, ou Fabius (« Bonjour les dégâts ! ») ou Françoise Castro (« Ça t’habite ou ça t’effleure ? »), ou B.-H. Lévy ? Ne va-t-on pas clairement, même s’il n’y avait aucun immigré, vers la perte de tout langage articulé et de tout raisonnement ? Quelles chansons écoute la jeunesse présente ? Quelles sectes infiniment plus ridicules que l’islam ou le catholicisme ont conquis facilement une emprise sur une certaine fraction des idiots instruits contemporains (Moon, etc.) ? Sans faire mention des autistes ou débiles profonds que de telles sectes ne recrutent pas parce qu’il n’y a pas d’intérêt économique dans l’exploitation de ce bétail ; on le laisse donc en charge aux pouvoirs publics.

    Nous nous sommes faits américains. Il est normal que nous trouvions ici tous les misérables problèmes des U.S.A., de la drogue à la Mafia, du fast-food à la prolifération des ethnies. Par exemple, l’Italie et l’Espagne, américanisées en surface et même à une assez grande profondeur, ne sont pas mélangées ethniquement. En ce sens, elles restent plus largement européennes (comme l’Algérie est nord-africaine). Nous avons ici les ennuis de l’Amérique sans en avoir la force. Il n’est pas sûr que le melting-pot américain fonctionne encore longtemps (par exemple avec les Chicanos qui ont une autre langue). Mais il est tout à fait sûr qu’il ne peut pas un moment fonctionner ici. Parce que c’est aux U.S.A. qu’est le centre de la fabrication du mode de vie actuel, le cœur du spectacle qui étend ses pulsations jusqu’à Moscou ou à Pékin ; et qui en tout cas ne peut laisser aucune indépendance à ses sous-traitants locaux (la compréhension de ceci montre malheureusement un assujettissement beaucoup moins superficiel que celui que voudraient détruire ou modérer les critiques habituels de « l’impérialisme »). Ici, nous ne sommes plus rien : des colonisés qui n’ont pas su se révolter, les béni-oui-oui de l’aliénation spectaculaire. Quelle prétention, envisageant la proliférante présence des immigrés de toutes couleurs, retrouvons-nous tout à coup en France, comme si l’on nous volait quelque chose qui serait encore à nous ? Et quoi donc ? Que croyons-nous, ou plutôt que faisons-nous encore semblant de croire ? C’est une fierté pour leurs rares jours de fête, quand les purs esclaves s’indignent que des métèques menacent leur indépendance ! "

    Guy Debord

    http://bougnoulosophe.blogspot.be/2009/11/la-version-debordienne-de-lidentite.html

  • « Le #spectacle comme illusion et réalité », par #Gérard-Briche (version 2013). - Critique radicale de la #valeur
    http://palim-psao.over-blog.fr/article-le-spectacle-comme-illusion-et-realite-par-gerard-brich

    Mon propos ne sera pas de préciser la théorie #situationniste du spectacle. Il sera beaucoup plus modeste. Enfin, en même temps plus modeste et plus ambitieux. Modeste, car il va se limiter à situer le concept situationniste de spectacle. Ambitieux, car il prétend en marquer le développement : je montrerai qu’en articulant l’analyse du spectacle à l’analyse de la #marchandise. Je rappelle que la société du spectacle est désignée comme société spectaculaire-marchande ! #Guy-Debord lui donne une consistance critique rigoureuse. Mais, c’est en tout cas l’hypothèse que je voudrais vous proposer, il ne va pas au bout du chemin.

    #aliénation #fétichisme #réification #Histoire #Marx #Henri-Lefebvre #capitalisme #critique_de_la_valeur #wertkritik #internationale-situationniste

  • La planète malade

    La « pollution » est aujourd’hui à la mode, exactement de la même manière que la révolution : elle s’empare de toute la vie de la société, et elle est représentée illusoirement dans le spectacle. Elle est bavardage assommant dans une pléthore d’écrits et de discours erronés et mystificateurs, et elle prend tout le monde à la gorge dans les faits. Elle s’expose partout en tant qu’idéologie, et elle gagne du terrain en tant que processus réel. Ces deux mouvements antagonistes, le stade suprême de la production marchande et le projet de sa négation totale, également riches de contradictions en eux-mêmes, grandissent ensemble. Ils sont les deux côtés par lesquels se manifeste un même moment historique longtemps attendu, et souvent prévu sous des figures partielles inadéquates : l’impossibilité de la continuation du fonctionnement du capitalisme.

    L’époque qui a tous les moyens techniques d’altérer absolument les conditions de vie sur toute la Terre est également l’époque qui, par le même développement technique et scientifique séparé, dispose de tous les moyens de contrôle et de prévision mathématiquement indubitable pour mesurer exactement par avance où mène - et vers quelle date - la croissance automatique des forces productives aliénées de la société de classes : c’est à dire pour mesurer la dégradation rapide des conditions mêmes de la survie, au sens le plus général et le plus trivial du terme.

    Tandis que des imbéciles passéistes dissertent encore sur, et contre, une critique esthétique de tout cela, et croient se montrer lucides et modernes en affectant d’épouser leur siècle, en proclamant que l’autoroute ou Sarcelles ont leur beauté que l’on devrait préférer à l’inconfort des « pittoresques » quartiers anciens, ou en faisant gravement remarquer que l’ensemble de la population mange mieux, en dépit des nostalgiques de la bonne cuisine, déjà le problème de la dégradation de la totalité de l’environnement naturel et humain a complètement cessé de se poser sur le plan de la prétendue qualité ancienne, esthétique ou autre, pour devenir radicalement le problème même de la possibilité matérielle d’existence du monde qui poursuit un tel mouvement. L’impossibilité est en fait déjà parfaitement démontrée par toute la connaissance scientifique séparée, qui ne discute plus que de l’échéance ; et des palliatifs qui pourraient, si on les appliquait fermement, la reculer légèrement. Une telle science ne peut qu’accompagner vers la destruction le monde qui l’a produite et qui la tient ; mais elle est forcée de le faire avec les yeux ouverts. Elle montre ainsi, à un degré caricatural, l’inutilité de la connaissance sans emploi.

    On mesure et on extrapole avec une précision excellente l’augmentation rapide de la pollution chimique de l’atmosphère respirable ; de l’eau des rivières, des lacs et déjà des océans, et l’augmentation irréversible de la radioactivité accumulée par le développement pacifique de l’énergie nucléaire ; des effets du bruit ; de l’envahissement de l’espace par des produits en matières plastiques qui peuvent prétendre à une éternité de dépotoir universel ; de la natalité folle ; de la falsification insensée des aliments ; de la lèpre urbanistique qui s’étale toujours plus à la place de ce que furent la ville et la campagne ; ainsi que des maladies mentales - y compris les craintes névrotiques et les hallucinations qui ne sauraient manquer de se multiplier bientôt sur le thème de la pollution elle-même, dont on affiche partout l’image alarmante - et du suicide, dont les taux d’expansion recoupent déjà exactement celui de l’édification d’un tel environnement (pour ne rien dire des effets de la guerre atomique ou bactériologique, dont les moyens sont en place comme l’épée de Damoclès, mais restent évidemment évitables).

    Bref, si l’ampleur et la réalité même des « terreurs de l’An Mil » sont encore un sujet controversé parmi les historiens, la terreur de l’An Deux Mille est aussi patente que bien fondée ; elle est dès à présent certitude scientifique. Cependant, ce qui se passe n’est rien de foncièrement nouveau : c’est seulement la fin forcée du processus ancien. Une société toujours plus malade, mais toujours plus puissante, a recréé partout concrètement le monde comme environnement et décor de sa maladie, en tant que planète malade. Une société qui n’est pas encore devenue homogène et qui n’est pas déterminée par elle-même, mais toujours plus par une partie d’elle-même qui se place au-dessus d’elle, qui lui est extérieure, a développé un mouvement de domination de la nature qui ne s’est pas dominé lui-même. Le capitalisme a enfin apporté la preuve, par son propre mouvement, qu’il ne peut plus développer les forces productives ; et ceci non pas quantitativement, comme beaucoup avaient cru le comprendre, mais qualitativement.

    Guy Debord