Coronavirus : l’urgence absolue de créer des structures de prise en charge des patients peu symptomatiques, Franck Nouchi
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Les spécialistes de santé publique s’alarment : le risque, en confinant chez eux les malades peu graves, est de transmettre le virus à leur famille, créant ainsi des milliers de « clusters » intrafamiliaux. Il faut, d’urgence, organiser leur accueil dans des centres d’hébergement ou des hôtels.
C’est un patient parmi des milliers d’autres. Il se présente à l’hôpital. Fiévreux, il tousse, a mal à la gorge et une légère difficulté pour respirer. Le médecin qui le reçoit porte un masque. Il lui explique qu’on ne peut pas lui faire de test, les instructions étant qu’on les réserve aux malades graves et aux personnels de santé. Il ajoute : « Vous souffrez très probablement d’une infection à coronavirus. Votre état ne nécessitant pas d’hospitalisation, je vais vous prescrire du paracétamol et des masques de protection. Vous irez les retirer à la pharmacie près de chez vous. De retour à votre domicile, faites attention à bien respecter les mesures barrières. Mais, rassurez-vous, à votre âge, vous ne risquez rien. »
A la pharmacie, la pharmacienne est désolée : « Pas de masque, je n’ai pas été livrée. Et on les réserve de toute façon aux personnels de santé. »
De retour chez lui, le patient informe le reste de sa famille de la situation. Il est étiqueté « cas probable ». Vu ses symptômes, on doit se comporter avec lui comme s’il était atteint du #Covid-19. L’épouse, les deux enfants et la belle-mère du patient accusent le coup. Dans leur trois-pièces, la belle-mère dort sur le canapé-lit du salon. Vivant seule et pas très en forme, inquiète des mesures de confinement, elle s’était réfugiée près de sa fille et de ses enfants, qui l’ont accueillie sans problème, puisque ça ne « devait pas durer plus de quinze jours ».
Plus de 42 000 confinés à domicile
Anecdotique cette histoire ? Nullement. Des dizaines de milliers de personnes malades mais ne nécessitant pas d’hospitalisation immédiate sont aujourd’hui #confinées_à_domicile, où elles sont prises en charge par des médecins libéraux. Déjà 42 000 au 22 mars, selon l’estimation de Santé publique France dans son rapport hebdomadaire. Combien depuis ? Combien la semaine prochaine ? Il existe des situations de logement bien pires que celle-là, en Seine-Saint-Denis par exemple.
Les spécialistes de santé publique sont unanimes : le risque en renvoyant chez eux ces malades peu graves, c’est qu’ils transmettent le virus à plusieurs membres de leur famille, créant ainsi des centaines, des milliers de « clusters » intrafamiliaux.
C’est bien ce qui s’est passé en Chine, avant que les Chinois ne reprennent le contrôle de la situation. En ouvrant des #structures_intermédiaires permettant de mettre en #quarantaine ce type de patients, et en coupant du reste de la Chine et du monde la totalité de la province du Hubei. Le rapport de la mission d’experts de l’Organisation mondiale de la santé (#OMS) envoyée en Chine à la mi-février décrit parfaitement les mesures mises en œuvre. Les experts indépendants, américains et européens (aucun Français), étaient tellement impressionnés par les succès chinois que leur coordinateur, le Canadien Bruce Aylward, a tenu une conférence de presse dès son retour, le 24 février. Pour que tous les pays puissent comprendre à la fois les difficultés rencontrées par la Chine, et comment elle a su y faire face, le rapport intégral a été mis en ligne deux jours plus tard. Force est de constater que ce rapport a fait très peu d’émules, en particulier en Europe.
Voir cette chronologie de l’émergence du corona virus
►https://seenthis.net/messages/834457
Attention aux illusions d’optique
Par rapport à d’autres pays européens qui recensent plus de cas (mais qui font plus de #tests), la situation de la France pourrait, à première vue, paraître légèrement plus favorable. Rien n’est moins sûr. Nous ne savons pas combien de personnes âgées sont mortes dans les établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (Ehpad). Contrairement aux pays asiatiques, nous faisons face à une grave pénurie de #masques_de_protection. Attention donc aux illusions d’optique. Pour autant, serions-nous condamnés aux centaines de milliers de morts que prédisent les modélisateurs ?
En France, disait-on dans les années soixante-dix, « on n’a pas de pétrole, mais on a des idées ». Aujourd’hui, des idées novatrices, originales, il n’est que temps d’en avoir. Et, pour ce faire, en regardant ce que font nos voisins, l’Espagne en particulier, qui ne cesse, pour désengorger des hôpitaux débordés, d’ouvrir des structures intermédiaires d’accueil.
A Madrid, l’hôtel Gran Colon a été le premier à ouvrir une telle #structure_médicalisée. Initiative d’autant plus intéressante que cet établissement est situé à dix minutes à pied de l’hôpital Gregorio-Marañon, le plus grand de la capitale. D’autres établissements – une quarantaine pour l’heure – ont ouvert ou vont ouvrir dans la capitale espagnole. Au total, 9 000 lits devraient être mis à disposition.
Parmi ces #hôtels reconvertis en centres médicalisés figurent même des établissements classés 5 étoiles. Ainsi du Cotton House Hotel, au centre de Barcelone, qui a décidé de mettre à disposition 83 chambres. Pour s’occuper des malades, il aura, selon la direction, « un personnel qui a reçu une formation spécifique pour la protection de la santé ». « Le personnel de nettoyage, de restauration et de blanchisserie qui travaillera dans cet hôtel a l’expérience du secteur sanitaire public et privé de Barcelone », ajoute-t-on, avant de conclure : « Ce virus, nous l’arrêterons unis. »
Une question de justice sociale
L’effort de « guerre » demandé aux Français et aux entreprises pourrait trouver dans cet exemple espagnol une source d’inspiration stimulante. Déjà, le groupe hôtelier Accor a mis à disposition des chambres pour les personnels soignants et un hôtel pour des personnes sans-abri. Il faut aller beaucoup plus loin. Les chambres et studios de pratiquement tous les hôtels des grandes villes sont assez grands pour accueillir ce type de patients. Ils sont équipées en réseaux Wifi et télévisions de manière à pratiquer la télémédecine.
A priori, il n’y a aucune raison pour que la plupart des personnes symptomatiques, ou des patients guéris à l’hôpital mais devant respecter quinze jours de quarantaine, ne soient pas volontaires pour se rendre dans ce type d’établissement ; ne serait-ce que pour ne pas risquer de contaminer leurs proches (ce qui est inévitable, sauf pour les familles qui ont au moins une pièce par personne et deux salles de bains).
C’est donc – aussi – une question de justice sociale. Tous les patients qui disposent de vastes logements où ils peuvent s’isoler facilement n’ont d’ailleurs pas besoin d’y aller et préféreront sûrement rester chez eux, ce qui ne pose pas de problème.
Les 40 000 médecins et infirmières qui se sont portés volontaires pour la réserve sanitaire pourraient être affectés préférentiellement à la surveillance médicale de ces lieux d’accueil. Resterait à organiser la logistique, distribution de repas en particulier. Là encore, les hôtels et les municipalités espagnoles nous montrent la voie à suivre.
660 000 chambres d’hôtel inoccupées
Il y a là une urgence absolue. Si l’on ne fait rien, les hôpitaux des régions les plus touchées seront débordés au point qu’ils ne pourront même plus servir de lieux de consultation pour ces patients « suspects ». Un engrenage infernal s’ensuivra, avec la multiplication de ces contaminations intrafamiliales ou entre amis.
Les pouvoirs publics, les grands groupes hôteliers, les groupes de services d’aide à la personne doivent se mobiliser sans tarder. Chaque journée de perdue, ce sont des milliers de contaminations qui auraient pu, qui auraient dû être évitées. Il y a aujourd’hui en France 660 000 chambres d’hôtel inoccupées.
Il y a deux jours, en regardant la télévision, les Français ont certainement dû être frappés par une image : visitant le nouvel hôpital militaire de campagne de Mulhouse, le chef de l’Etat avait revêtu un masque de protection. Cette image insolite rappelait à chacun la #pénurie qui frappe le pays. Rien de plus normal évidemment que de voir le président de la République ainsi doté de matériel de protection. Mais, n’ergotons pas à l’infini : il n’y a, aujourd’hui, pas de masque pour tout le monde alors qu’il en faudrait. Il n’y en a même pas pour les personnes professionnellement les plus exposées au virus. Ces dernières n’ont pas le choix : médecins, infirmiers, aides-soignants, policiers, caissiers de supermarché, éboueurs, etc., leur présence est requise. En revanche, un patient suspect de coronavirus, non seulement sa présence n’est pas requise à son domicile s’il vit dans une relative promiscuité avec son entourage, mais elle est dangereuse.