Gaza : un territoire entre marginalisation économique et destruction - tousdehors
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... le système de tunnel à Gaza a d’abord et avant tout était un moyen de survie économique pour accéder à l’Égypte. Nicolas Pelham raconte l’émergence de l’économie des #tunnels dans un article paru dans le Journal of Palestine Studies de 2012 qui mérite d’être cité longuement :
“La prise de pouvoir par les armes par le Hamas, à #Gaza, à l’été 2007, a marqué un tournant pour l’#économie des tunnels. Le siège de la bande, déjà en place, a été renforcé. L’Égypte a fermé le terminal de Rafah. Gaza a été désignée comme « entité hostile » par Israël et, après le tir d’une salve de roquettes sur ses zones frontalières en novembre 2007, a diminué de moitié l’importation de denrées alimentaires et a restreint l’approvisionnement en carburant. En janvier 2008, #Israël a annoncé un blocage total de carburant après des tirs de roquettes sur Sderot, interdisant toutes les catégories de fournitures humanitaires, à l’exception de sept d’entre elles. Lorsque les réserves d’essence se sont taries, les habitants de Gaza ont abandonné leurs voitures sur le bord de la route et ont acheté des ânes. Sous la pression du blocus israélien en mer et du siège égypto-israélien sur terre, la crise humanitaire de Gaza menaçait le pouvoir du Hamas. La première tentative des islamistes pour briser l’étau a visé l’Égypte, considérée comme le maillon faible. En janvier 2008, les forces du Hamas ont détruit au bulldozer un pan de mur au point de passage de Rafah pour permettre à des centaines de milliers de Palestiniens de se déverser dans le Sinaï. Bien que la demande longtemps refoulée en matière de consommation ait été libérée, la mesure n’a apporté qu’un soulagement à court terme. En l’espace de onze jours, les forces égyptiennes ont réussi à refouler les Palestiniens. L’Égypte a alors renforcé le contingent de l’armée chargé de maintenir le point de passage clos et a construit un mur d’enceinte renforcé à la frontière. Avec l’intensification du siège, le nombre d’emplois dans l’industrie manufacturière de Gaza a chuté de 35 000 à 860 à la mi-2008, et le produit intérieur brut (PIB) de Gaza a diminué d’un tiers en termes réels par rapport à son niveau de 2005 (contre une augmentation de 42 % en Cisjordanie au cours de la même période). L’accès à la surface étant interdit, le mouvement islamiste a supervisé un programme de creusement de tunnels souterrains à échelle industrielle. La construction de chaque tunnel coûtant entre 80 000 et 200 000 dollars, les mosquées et les réseaux caritatifs ont lancé des programmes offrant des taux de rendement irréalistes, faisant ainsi la promotion d’un système pyramidal de crédits qui s’est soldé par un désastre. Les prédicateurs vantaient les mérites des tunnels commerciaux comme une activité de « résistance » et saluaient les travailleurs tués au travail comme des « martyrs ». Les Forces de sécurité nationale (FSN), une branche de l’Autorité palestinienne reconstituée par le Hamas à partir de membres des Brigades Izz al-Din al-Qassam (BIQ), mais comprenant également plusieurs centaines de transfuges de l’Autorité palestinienne (Fatah), ont gardé la frontière, échangeant parfois des coups de feu avec l’armée égyptienne, tandis que le gouvernement du Hamas supervisait les activités de construction. Parallèlement, la municipalité de Rafah, dirigée par le Hamas, a modernisé le réseau électrique pour alimenter des centaines d’engins de levage, a maintenu les services d’incendie de Gaza en état d’alerte et a éteint à plusieurs reprises des incendies dans des tunnels utilisés pour pomper du carburant. Comme l’a expliqué Mahmud Zahar, un dirigeant du Hamas à Gaza, « il n’y a pas d’électricité, pas d’eau, pas de nourriture venant de l’extérieur. C’est pourquoi nous avons dû creuser les tunnels ». Des investisseurs privés, y compris des membres du Hamas qui ont réuni des capitaux par l’intermédiaire de leurs réseaux de mosquées, se sont associés à des familles vivant de part et d’autre de la frontière. Des avocats ont rédigé des contrats pour des coopératives chargées de construire et d’exploiter des tunnels commerciaux. Ces contrats précisaient le nombre d’associés (généralement de quatre à quinze), la valeur des parts respectives et le mécanisme de distribution des bénéfices des actionnaires. Un partenariat type regroupe un échantillon représentatif de la société gazaouie : par exemple, un gardien au point de passage terrestre de Rafah, un agent de sécurité de l’ancienne administration de l’Autorité palestinienne, des travailleurs agricoles, des diplômés issus de l’université, des employés d’organisations non gouvernementales (ONG) et des ouvriers chargés de creuser ces tunnels. Abu Ahmad, qui gagnait entre 30 et 70 shekels par jour en tant que chauffeur de taxi, a investi les bijoux de sa femme, d’une valeur de 20 000 dollars, pour s’associer avec neuf autres personnes dans la construction d’un tunnel. Les investisseurs pouvaient rapidement récupérer leur mise de fonds. Pleinement opérationnel, un tunnel peut générer le coût de sa construction en un mois. Chaque tunnel étant géré conjointement par un partenariat de part et d’autre de la frontière, les propriétaires gazaouis et égyptiens se partagent généralement les bénéfices à parts égales. […] À la veille de l’opération Plomb durci en décembre 2008, leur nombre était passé de quelques douzaines de tunnels essentiellement militaires à la mi-2005 à au moins cinq cents ; les recettes commerciales des tunnels sont passées d’une moyenne de 30 millions de dollars par an en 2005 à 36 millions de dollars par mois. Ils ont permis d’atténuer dans une certaine mesure la forte contraction de l’économie de Gaza, résultat du boycott international du Hamas…”
Le Hamas a mis en place un comité des tunnels pour réguler cette activité économique. Il prélevait ainsi des taxes, assurait la sécurité et contrôle la nature des biens qui transitaient. Comme l’écrit Tannira (2021) dans l’excellent recueil The Political Economy of Palestine :
“Sous la tutelle du Hamas, de modestes hommes d’affaires sont autorisés à investir dans la construction de tunnels qui permettent l’acheminement de biens et de fournitures. Des ouvriers (chargés de leur construction) sont également associés à la propriété de ces tunnels de manière à accéder à une part donnée des revenus ainsi générés. Le Hamas a, dans le même temps, reçu entre 25 et 40 % des revenus issus de cette activité […] Les commerçants ont profité des prix nettement moins élevés des marchandises passées en contrebande depuis l’Égypte […] Les marchandises étaient ensuite vendues sur les marchés locaux au même prix que les biens taxés par Israël […] Les nouveaux commerçants ont ainsi été en mesure de réaliser d’importants profits […] Les risques élevés et les considérations de sécurité […] ont conduit le Hamas à n’autoriser qu’un groupe restreint de commerçants validés par l’organisation…”
À l’apogée de cette économie, au début des années 2010, le Hamas pouvait générer annuellement jusqu’à 750 millions de dollars de revenus. Le système des tunnels a aussi permis, et c’est un point crucial, l’importation de matériaux de construction, offrant la possibilité pour Gaza d’assurer la demande en logement et de reconstruire après la désastreuse confrontation avec Israël de 2008-2009. Comme le rapporte la CNUCED :
“[…] entre 2007 et 2013, plus de 1 532 tunnels souterrains [ont été construits] sous les 12 km de frontière qui séparent Gaza de l’Égypte. […] La part du commerce assuré par le tunnel était plus importante que celui entrepris par des canaux officiels (Banque mondiale, 2014a). Selon le Programme des Nations unies pour les établissements humains, il aurait fallu 80 ans pour reconstruire, en utilisant uniquement les matériaux autorités par Israël, les quelque 6000 habitations détruites au cours de l’opération militaire de décembre 2008 et janvier 2009. Les importations au moyen des tunnels ont cependant permis de réduire ce laps de temps à 5 ans (Pelham, 2011). De manière similaire, la centrale électrique de Gaza tourne grâce au diesel importé depuis l’Égypte à hauteur d’un million de litres par jours avant juin 2013 (OCHA, 2013).”
L’économie des tunnels a atteint son acmé entre 2011 et 2013, après le renversement du régime répressif de Moubarak au cours des printemps arabes et l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir au Caire. Grâce à l’afflux de biens et à l’essor du secteur de la construction, le PIB par habitant de Gaza a rebondi après l’effondrement de 2008. Mais c’est sans compter sur la double catastrophe qui a suivi.
En juillet 2013, les militaires égyptiens prennent le pouvoir et renversent les alliés du Hamas. Un an plus tard, en juillet 2014, Israël lance une guerre de 50 jours contre le Hamas. Une dévastation plus grande encore s’en est suivie. Non seulement les gazaouis ont été soumis à de terribles bombardements de dizaines de milliers d’obus et de bombes larguées depuis des avions, mais une campagne conjointe israélo-égyptienne a, de plus, entraîné la fermeture des tunnels. En mai 2015 le nombre de réfugiés palestiniens dépendants des distributions alimentaires de l’UNWRA a augmenté pour atteindre 868 00 individus, soit la moitié de la population de Gaza et 65 % des habitants enregistrés comme réfugiés (UWRA, 2015b).
Les bombardements et l’isolement n’ont pas non plus été les seules menaces auxquelles l’économie gazaouie a dû faire face. Comme le montrent les données du FMI, l’économie gazaouie a rebondi après le choc massif de 2014, avant de subir en 2017 une crise financière et une compression des dépenses publiques. Tannira résume l’escalade désastreuse de cette austérité :
“· Les dépenses publiques dans la bande de Gaza sont passées de 985 millions de dollars en 201 à 860 millions de dollars en 2017 (soit une chute de 12,6 %), pour atteindre ensuite 849 millions de dollars en 2018 et finalement 788 millions de dollars en 2019. Les dépenses du gouvernement de l’Autorité palestinienne dans la bande de Gaza ont donc décliné de 20 % depuis 2017 (PCBS, 2019).
· Le PIB par habitant s’est effondré de 1 731 dollars en 2016 à 1 557 en 2017, puis 1 458 en 2018 pour finalement tomber à 1 417 dollars en 2019, soit une chute de 18 % depuis 2016 (PCBS, 2019).
· L’investissement total a chuté pour atteindre 440 millions de dollars en 2019, alors qu’il était de 623 millions de dollars en 2016. Les investisseurs locaux ont perdu toute capacité de se lancer dans de nouvelles activités, car les risques étaient bien trop élevés (PCBS, 2019).
· Les taxes collectées par le gouvernement du Hamas à Gaza ont augmenté après l’échec de l’application de l’accord de réconciliation de 2017 entre le Hamas et le Fatah.
· La crise continue de l’électricité constitue un poste de dépense supplémentaire sur le secteur privé et augmente ainsi les coûts de production et de fonctionnement.
· La suspension de la contribution des États-Unis au budget de l’UNRWA à partir de 2018 a eu des répercussions sur plus de 60 % des bénéficiaires de transfert d’argent (UNWRA, 2018). Dans le même temps, le Programme Alimentaire Mondial a réduit son aide à des milliers de familles parmi les plus pauvres en décembre 2017 (WFP, 2017).”
Pour aggraver les pressions financières exercées sur les autorités palestiniennes, Israël retient régulièrement les recettes fiscales dues en vertu des accords économiques de Paris de 1994. Sous l’effet de ces pressions, même avant l’explosion de violence actuelle, il était devenu de plus en plus difficile de parler de développement économique gazaoui. Le PIB par habitant s’est effondré pour atteindre à peine 1500 dollars par habitant. Le taux de chômage à Gaza oscille entre 40 et 50 %, soit environ trois fois plus qu’en Cisjordanie.
Comme le montrent les données de Shir Hever, les salaires à Gaza stagnent tout en bas de la pyramide raciale en Israël/Palestine.