[c&f] Les DREAMERs aux États-Unis, Superman et la culture participative
[lettre d’information de C&F éditions du 6 septembre 2017]
Bonjour,
Il est rare que je vous envoie deux messages la même semaine. Mais l’actualité vient de nouveau de percuter nos projets éditoriaux.
Donald Trump vient de rejeter le droit des enfants de migrants nés ou arrivés très jeunes aux États-Unis à y vivre et y rester, alors que ce pays est pourtant le seul qu’ils ou elles aient connu. On parle d’eux comme étant les DREAMERs, jeu de mot entre le projet de loi les protégeant débattu dans les années 2000 (le DREAM Act : Loi pour le développement, le soutien et l’éducation des mineurs étrangers, initialement proposée en 2001) et le fait de les considérer comme "les enfants du rêve" : devenir américains.
Or ces DREAMERs, par le style de leur mobilisation et par leurs usages de l’internet et de la culture populaire sont siouvent débattus et présentés dans le prochain livre de C&F éditions à paraître fin septembre.
Ce livre est une conversation entre trois grand chercheurs spécialistes des médias et des usages de l’internet : Henry Jenkins, Mizuko Ito et danah boyd. Son titre : « Culture participative : Une conversation sur la jeunesse, l’éducation et l’action dans un monde connecté »
Plus de nouvelles à venir bientôt, mais pour l’instant un extrait du livre qui parle de ces DREAMERs, de l’immigration et de la culture populaire des États-Unis.
Attention : ce teaser ne doit pas dédouaner notre propre pays de sa politique dramatique envers les migrants en général et les mineurs en particulier. Il nous montre au contraire la fluidité mondiale des idées nocives... en espérant que la mobilisation (et les succès jusqu’à la remise en cause intervenue hier) des jeunes migrants des États-Unis donnent des idées et des perspectives aux jeunes migrants d’Europe.
Bonne lecture,
Hervé Le Crosnier
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Extraits de deux interventions d’Henry Jenkins dans le livre à paraître
« Culture participative : Une conversation sur la jeunesse, l’éducation et l’action dans un monde connecté » C&F éditions
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Nous observons certaines similarités au niveau des vecteurs de motivation et de mobilisation. Les jeunes les plus politisés ont souvent un côté artistique prononcé. Ils apprennent à produire et à partager des médias. Et même les groupes qui semblent incarner des politiques identitaires relativement traditionnelles – les activistes pro-DREAM, les musulmans américains – utilisent des points de référence issus de la culture populaire pour décrire leur identité et leurs objectifs politiques. L’activisme des fans ne constitue pas forcément un nouveau modèle pour les changements sociétaux, mais l’appropriation et le remix du contenu médiatique sont devenus des tactiques largement répandues chez les différents mouvements politiques de jeunes.
En observant ces espaces, nous voyons surgir un nouveau type de rhétorique, destiné à stimuler l’imaginaire civique des participants, qui sied parfaitement à cette génération d’activistes. La jeunesse s’est souvent sentie exclue par le langage des « conseillers politiques » ou des « décideurs technocratiques » employé dans les organisations plus traditionnelles. Ces experts s’imaginent que leurs partisans sont déjà très investis dans le processus politique et qu’ils connaissent les rouages du système. Ils fondent la politique sur des connaissances spécialisées, ce qui la coupe des réalités de la vie quotidienne.
Les nouveaux styles de politique participative empruntent à ce que les jeunes connaissent déjà en tant que fans, consommateurs et membres des réseaux sociaux. Ils s’appuient sur ce capital culturel populaire comme point de départ de l’action politique. Nous espérons que ce nouveau modèle pourra aider les exclus de la politique à trouver leur chemin vers une participation pleine et entière. [...]
Je suis très intéressé par le rôle que joue le mythe du super-héros chez les DREAMers.
Durant l’été 2011, Superman a renoncé à sa citoyenneté américaine en déclarant qu’il ne se battrait plus seulement pour le « mode de vie américain », mais aussi pour la justice mondiale. Bien que cet événement se déroule dans l’univers alternatif d’une bande dessinée publiée par DC et qu’il n’affecte pas la continuité de la saga Superman, les animateurs de radio et les leaders politiques conservateurs se sont indignés et ont hurlé à l’antipatriotisme.
Les activistes pro-DREAM ont alors rétorqué : « Quand Superman est-il jamais devenu citoyen américain ? ». S’il y a eu un jour un « étranger en situation irrégulière », c’est bien Kal-El de Krypton, que ses parents envoient sur un autre monde en quête d’une vie meilleure, qui traverse la frontière au milieu de la nuit, qui atterrit près de Smallville et qui finit adopté par une famille d’Américains d’origine européenne. Il masque sa véritable identité et passe le restant de ses jours à se cacher. Il est néanmoins suffisamment généreux pour se mettre au service du peuple d’Amérique, alors qu’il n’est jamais vraiment en mesure de s’affirmer Américain.
Ce recadrage constitue donc un moyen parfaitement efficace pour déconstruire et réécrire le mythe de Superman. Il vient bouleverser la perception de la vie de l’immigré et permet aux gens d’associer le combat pour les droits des immigrants à un récit dans lequel beaucoup d’entre nous sont déjà investis. Il relie également notre lutte actuelle en faveur des jeunes sans-papiers à une histoire plus globale de l’immigration en Amérique. L’histoire de Superman fut créée par deux étudiants d’Europe de l’Est issus de la première génération et vivant à Cleveland, dans l’Ohio. Superman était dès le départ un récit classique d’immigration, et les DREAMers rappellent cette analogie sur soixante-dix années d’histoire culturelle.
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