A Hongkong, le désarroi des « ex-covidés » contraints à l’isolement
Un nouvel espace pour personnes guéries a ouvert, dimanche 2 janvier, dans l’un des halls du centre d’exposition Asia World. Témoignages de ces « isolés » vivant dans des conditions kafkaïennes, où seule compte la « procédure ».« Le pire de tout, ce n’est ni l’inconfort ni le manque complet d’intimité, c’est l’absence totale d’explication et de communication sur les raisons de notre présence ici ! » Cette personne, qui s’est confiée au Monde sous le couvert de l’anonymat, est l’une des premières à avoir été envoyées dans le nouvel espace d’isolement pour « ex-covidés » de Hongkong, installé au sein du centre d’exposition Asia World Expo, ouvert dimanche 2 janvier. En vertu de la nouvelle politique annoncée par le gouvernement, fin octobre 2021, les patients guéris ne doivent plus seulement s’imposer une période d’isolement après leur séjour à l’hôpital, mais, en dépit de leur non-contagiosité, ils doivent le faire sous surveillance et en groupe, dans l’un des centres de quarantaine ad hoc.
Déjà mobilisé en 2020 pour accueillir les malades légers du Covid-19 (Hongkong hospitalise tous ses cas, même asymptomatiques), l’Asia World Expo vient donc d’être transformé en un gigantesque dortoir public pour patients guéris. Pour l’heure, une cinquantaine de personnes, principalement des résidents étrangers de Hongkong, y sont installées. Leur isolement est d’ailleurs relatif puisque les pensionnaires confinés dans cet espace de la taille d’environ deux terrains de football vivent dans une grande promiscuité. lls n’ont, de surcroît, accès ni à l’air libre ni à la lumière du jour. Il leur est interdit de se faire livrer des repas de l’extérieur et sont constamment surveillés. Certains se plaignent de la température glaciale due à l’air conditionné, qui les oblige à porter leur manteau jour et nuit.
Les quelque cinq cents box d’environ 12 mètres carrés chacun, entourés de trois cloisons, sont collés les uns aux autres, par blocs de dix-huit. Chaque espace individuel est équipé d’un lit d’hôpital sur roulettes, d’une tablette de travail, d’une chaise en plastique et d’une commode. Les hommes et les femmes sont installés dans deux zones distinctes, mais tous ont droit aux mêmes pyjamas des hôpitaux de Hongkong, taillés depuis l’époque coloniale dans un indémodable tartan, vert, bleu et blanc. Dans cet environnement, le coin détente équipé de canapés colorés et d’une télévision ne parvient à combattre l’aspect angoissant d’un lieu totalement déshumanisé, rendu plus glauque encore par la lueur blafarde de grosses lampes industrielles, dont la moitié restent allumées toute la nuit.
Chaque cellule ressemble plus à un stand d’exposition donnant sur l’allée-couloir qu’à une chambre. Les images du site évoquent une œuvre dystopique, une installation surréaliste où chaque être humain se trouve dans une case rigoureusement identique à celle du voisin, relié à sa vraie vie par son écran. Séparés les uns des autres par une simple cloison en Plexiglas et sans le moindre rideau pour offrir un minimum d’intimité, les « isolés » sont constamment exposés aux regards. Les seuls endroits où le « patient » peut savourer un peu de solitude sont les salles d’eau et les toilettes, installées dans un conteneur à l’extérieur du bâtiment. « Ils ont l’air convaincus que nous sommes malades, en dépit du fait que nous avons tous été négatifs aux tests », un des pensionnaires. Des stations médicales automatisées sont mises à la disposition des anciens malades, obligés, une fois par jour, de contrôler leur tension et leur température. Les résultats sont envoyés automatiquement à des infirmiers invisibles, qui réagissent parfois en téléphonant. « Ils nous appellent régulièrement pour nous demander si nous n’avons pas de symptômes du Covid. Ils ont l’air convaincus que nous sommes malades, en dépit du fait que nous avons tous été négatifs aux tests à plusieurs reprises. C’est totalement absurde », raconte un des pensionnaires de l’Asia World Expo. Il constate, comme tous ses camarades d’infortune, que, depuis le début de cette opération, ils n’ont vu aucun responsable de ce système et n’ont eu affaire qu’à des exécutants. Leur maître mot : la « procédure » à respecter. « Nous n’avons aucune idée de la raison de notre transfert ici, que j’ai appris la veille de ma sortie de l’hôpital, sans la moindre explication. On a été amenés en bus, les gens étaient restés en pyjama… Il n’y a personne à qui nous adresser. Déjà, à l’hôpital, les infirmiers et les médecins disaient que ce n’était pas eux qui décidaient. Et quand on appelle nos consulats, ils assurent tous qu’il s’agit d’une politique locale sur laquelle ils n’ont aucune prise », témoigne un autre « isolé ». « Quand quelqu’un est privé de sa liberté, un droit élémentaire est qu’il soit informé des raisons de sa situation », commente un avocat des droits de l’homme, consulté sur cette situation, qui, dans le contexte de plus en plus punitif de Hongkong, a souhaité, lui aussi, conservé l’anonymat. Dans le grand hall des guéris isolés, les journées sont rythmées par des annonces incessantes qui résonnent de loin, comme dans un aéroport ; une voix doucereuse rappelle l’obligation du port du masque et l’importance de la distanciation physique. Trois fois par jour, et toujours en trois langues (cantonais, mandarin, anglais), ils annoncent aussi que les repas sont servis et qu’il faut aller chercher sa boîte. « Il y a tellement d’annonces qu’il est presque impossible de passer un appel professionnel », affirme un jeune homme d’affaires, qui aura passé trente-cinq jours sous « surveillance », sans n’avoir jamais eu de fièvre ou de symptômes. Les personnes présentes dans ce centre étaient toutes positives au virus soit à leur arrivée à Hongkong soit pendant leur séjour de quarantaine obligatoire à l’hôtel (vingt et un jours pour la quasi-totalité des visiteurs) ; elles ont donc toutes déjà passé au moins quatorze jours à l’hôpital.
La nouvelle politique exige en outre une charge virale extrêmement faible pour être autorisé à sortir des centres de soin. Dès l’annonce de cette nouvelle mesure, en octobre 2021, le professeur Ben Cowling, chef du département d’épidémiologie de l’université de Hongkong, l’avait qualifiée de « gaspillage de ressources, qui nuit activement au bien-être du patient sans apporter aucun bénéfice à la communauté. C’est de toute évidence contraire à l’éthique ». « On a la preuve, sur la base de plus de 10 000 patients (…) que, dès lors qu’un médecin estime qu’un patient n’est plus contagieux, il n’y a plus aucun risque pour la communauté à le laisser rentrer chez lui », a-t-il affirmé, mercredi, au Monde. Il rappelle qu’il n’y a pas eu un seul cas documenté de transmission par un patient soigné pour le Covid à Hongkong, après son retour à la maison. Hongkong était déjà à l’avant-garde, avec la Chine, des mesures extrêmes dans sa gestion zéro Covid de la crise sanitaire. Mais l’ouverture de ces centres d’isolement pour personnes saines franchit un cap. Au bout de deux ans, le bilan de l’épidémie est de 213 morts et de 12 761 cas – la plupart importés et donc interceptés à la frontière ou pendant les premiers jours de quarantaine.
Depuis l’apparition du premier cas de Covid contaminé par Omicron sur le territoire, dans un restaurant, fin décembre 2021, plus de deux cents personnes ont été envoyées dans un autre camp de quarantaine, situé à Penny’s Bay, pendant au moins deux semaines. La sévérité des mesures risque de se resserrer encore dans les jours à venir avec la prise de conscience que le nouveau variant circule déjà de manière significative.
Pour autant, aucun média local n’a relevé le problème de légitimité médicale, voire de légalité, de ces séjours. Il faut dire que l’essentiel de la presse d’opposition de Hongkong a disparu au cours de ces six derniers mois et que le nouveau Parlement, investi lundi, est entièrement composé de « patriotes », soigneusement sélectionnés par les autorités et la police. Et les députés sont unis derrière la chef de l’exécutif, Carrie Lam. Paradoxalement, cette dernière est en faveur de la réouverture des frontières avec la Chine, où le nombre de foyers de Covid-19 se multiplie. Mercredi, Hongkong a interdit, pour deux semaines, l’arrivée de voyageurs en provenance de huit pays, dont la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Inde.