• LE CORONAVIRUS, DOUBLE PEINE POUR LES RÉFUGIÉS DANS LES BALKANS

    À Zagreb, dans le quartier de Dugave, des barbelés ont été récemment installés autour de l’hôtel Porin, le centre d’accueil pour les demandeurs d’asile. La construction de cette clôture, pour un budget de 90 694 euros, était prévue de longue date. Le contexte de la pandémie a permis d’accélérer sa réalisation sans faire de vagues. « Les ouvriers sont venus avec leur matériel et ont commencé à monter la clôture », expliquent des pensionnaires de Porin dans une lettre ouverte. « Ce qui était jusqu’à présent une prison symbolique est en train de devenir une véritable prison fermée. La construction de la clôture a lieu dans le silence, elle n’a pas été annoncée aux gens qui vivent dans le camp, on ne leur a pas expliqué ce que ça signifierait exactement pour leur vie quotidienne, et il n’y a pas eu la moindre protestation des ONG locales. Le timing est idéal : la menace sanitaire nécessite l’état d’urgence, l’occasion idéale de détourner l’attention des politiques répressives et restrictives qui sont menées à l’arrière-plan. »
    « Même si nous ne pouvons pas empêcher la construction de la clôture, nous pouvons au moins élever la voix et ne pas laisser ça se passer dans l’ignorance totale », conclut la lettre. « Nous voulons dire que nous avons bien vu les ouvriers, nous avons bien vu qu’ils construisaient une clôture. On nous déshumanise à nouveau, on nous humilie, nous sommes en colère et nous en avons plus qu’assez de tout ça, nous en avons assez d’être les prisonniers d’une Europe raciste, des barbelés, de la violence et d’être traités comme si nous n’étions pas des êtres humains. »
    L’un des pensionnaires de Porin, présentant des symptômes de coronavirus, a été placé à l’isolement dans le centre de détention de Ježevo. « Pourquoi cette personne, qui bénéficie en tant que réfugié de la protection internationale et donc de droits quasiment égaux à ceux des citoyens croates, n’a-t-elle pas été placée en isolement dans l’un des bâtiments prévu à cet effet mis à disposition par la ville de Zagreb ? », demande l’Initiative Bienvenue.
    Pourquoi ? Parce que les réfugiés et les migrants, même quand ils bénéficient sur le papier de la protection internationale et des droits afférents, demeurent dans les faits des êtres humains de seconde zone. C’est que confirment de jour en jour les mesures prises contre eux dans les Balkans et le reste de l’Europe. Il y a quelques jours, des tentes ont été installées à Lipa, près de Bosanski Petrovac, afin d’y reloger une partie des migrants qui séjournent actuellement dans des bâtiments abandonnés ou dans les rues de Bihać.
    SEULS DANS LE FROID
    « Dans une période particulièrement critique pour le monde entier, au lieu de chercher des moyens d’aider, d’apaiser tout le monde, de réveiller la solidarité, de survivre, les autorités de Bosnie-Herzégovine et du canton d’Una-Sana construisent des camps », déplore la journaliste Nidžara Ahmetašević, membre active du groupe Soutien aux réfugiés en Bosnie-Herzégovine. « Bien entendu, ils sont encouragés par ce qui se fait en UE et par la manière dont de nombreux États membres traitent les gens. C’est si inhumain qu’on ne peut le comparer qu’avec ce qui a été fait en Bosnie-Herzégovine au début des années 1990. La Krajina est une région désertée. Il y a suffisamment de locaux pour fournir à ces gens un logement décent, des hôtels qui vont rester vides un certain temps, des écoles qui ne vont certainement pas rouvrir avant la prochaine année scolaire. Faire ce genre de choses a pour but non seulement d’humilier ces malheureux, mais également de montrer à tous les habitants de Bosnie-Herzégovine ce qui les attend s’ils ne vivent pas selon les règles des dominants. Finir seuls et abandonnés dans le froid. »
    “C’est peu dire qu’ils ne nous facilitent pas la tâche pour nous nourrir, il faudrait dire qu’ils nous affament”
    Ces jours-ci, de nombreuses supérettes de Bihać ont interdit l’entrée aux migrants, compliquant encore plus leur approvisionnement en nourriture en ces temps difficiles. « C’est peu dire qu’ils ne nous facilitent pas la tâche pour nous nourrir, il faudrait dire qu’ils nous affament », commente Faris, un jeune Afghan qui loge dans un bâtiment abandonné en ville où il dort à même le béton depuis des mois. Dans les camps, il n’y a pas de place pour tout le monde. Les réfugiés et migrants qui logent dehors dépendent de l’aide de quelques bénévoles épuisés depuis longtemps et qui, avec la fermeture des frontières, ne peuvent plus recevoir d’aide d’autres pays. Depuis peu, le couvre-feu est également en vigueur, il est de plus en plus difficile de sortir de chez soi, de circuler en ville et d’apporter l’aide nécessaire.
    Tandis que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) se targue sur sa page Facebook « de procéder à une désinfection supplémentaire quotidienne du matériel dans les centres d’accueil, d’organiser des opérations de nettoyage, de faire respecter la distance de sécurité entre les gens lors de la distribution de nourriture et autre produits, de faire en sorte que les draps et couvertures soient envoyés plus régulièrement à la laverie, et d’organiser des réunions d’information pour le personnel sur les dernières consignes de l’OMS », des vidéos nous arrivent du camp de Bira, géré par l’OIM, où les migrants sont regroupés à l’extérieur dans le froid glacial pendant la désinfection du camp.
    « Je ne suis pas bien dehors, mais ce n’est pas mieux dans les camps », raconte Faris. « Mes amis du camp me disent qu’ils ont faim, qu’on leur donne de moins en moins à manger. Ils n’ont pas non plus le droit de sortir à cause du virus, si bien qu’ils ne peuvent rien acheter ni recevoir de la part des bénévoles dehors. La nourriture qu’on leur donne n’est pas bonne pour l’immunité, c’est toujours du pain avec un truc à tartiner, ou bien des pâtes sans sauce. »
    L’eau chaude et le savon, les contacts physiques à éviter et l’utilisation de désinfectant sont des thèmes secondaires par rapport aux estomacs vides, aux matraques de la police, aux doigts gelés... Depuis un an, les migrants qui se dirigent vers Bihać par la nationale sont souvent arrêtés dans le village de Velečevo, dans la commune de Ključ. Il y a quelques jours, la Croix-Rouge de Ključ a annoncé qu’une petite fille de sept ans se trouvait depuis déjà dix jours dans cette localité avec ses parents venus d’Iran. Arrivés avec un groupe d’une trentaine de migrants, ils logeaient dans une petite tente, dépourvue des conditions de base, hygiéniques et autres, pour un séjour long.
    UNE MEILLEURE SOLUTION ?
    Des citoyens serbes ont aussi pu ressentir intimement la réalité des camps : à cause de la pandémie, la Serbie a en effet logé les Serbes rapatriés de l’étranger dans les camps de Morović et de Subotica. Ce dernier camp était précisément utilisé ces dernières années pour loger les migrants. « Il y a dix lits superposés dans chaque chambre, elles sont petites, nous sommes les uns sur les autres », témoigne un ressortissant serbe confiné dans ce centre. « Les salles de bains et les sanitaires sont collectifs. Au moins deux ou trois WC et douches sont en mauvais état. Il y a des cafards dans toutes les chambres. Les oreillers sont tachés, il y a des trous dans les draps. » « Il fait froid dans les parties communes, et là où se trouvent les douches et les toilettes, il fait si glacial que je porte trois paires de chaussettes dans mes tennis », raconte un autre. Suite aux nombreuses plaintes, le Président Aleksandar Vučić a déclaré qu’il fallait trouver une meilleure solution.
    Peut-être les autorités vont-elles trouver une meilleure solution. Ce ne devrait pas être si difficile, car il y a actuellement de nombreux locaux vides : hôtels, auberges de jeunesse, salles de conférences, écoles, complexes sportifs et de loisirs… Le problème est que si une meilleure solution est trouvée, elle ne concernera que les citoyens du pays. La réalité quotidienne des réfugiés et des migrants, elle, restera inchangée. Entrée interdite dans les magasins, barbelés, rêves d’eau chaude et de savon, promiscuité dans les camps, un bout de pain en guise de dîner, doigts gelés et regards hostiles. Qui se révoltera devra se préparer, comme l’a dit Nidžara Ahmetašević, à finir seul et abandonné dans le froid.

    https://www.courrierdesbalkans.fr/Balkans-le-coronavirus-double-peine-pour-les-migrants

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