#hydrochloroquine

  • Un sachant sachant chasser les autres sachants - UP’ Magazine
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    Comme une enquête policière, l’épistémologue Vincent Israel-Jost s’est penché pour UP’ Magazine sur l’incroyable controverse provoquée en pleine crise du Covid-19 par l’Hydroxychloroquine et a pu décortiquer, dans ses ressorts les plus intimes, le système de parole du professeur le plus connu de France : Didier Raoult.
    EXCLUSIF

    Avec les quelques mois de recul dont nous disposons maintenant et les nombreux rebondissements auxquels nous avons assisté sur l’hydroxychloroquine (HCQ), le temps semble venu d’entreprendre une analyse de ce qui s’est passé. Nous ne disposons certes toujours pas d’un dénouement sur cette controverse publique qui permettrait de reprendre toute l’histoire à la lumière d’une réponse claire à la question « Est-ce que, oui ou non, l’HCQ est un traitement au Covid-19 ? », mais c’est justement une bonne chose pour l’analyse. Il serait en effet difficile, si nous disposions d’une telle réponse ferme, de reprendre les contributions des uns et des autres autrement qu’en attribuant bons et mauvais points en fonction du résultat désormais connu. Dans le cas présent, l’incertitude planant toujours, c’est à une analyse plus circonspecte qu’il convient encore de se livrer, ignorante de l’issue d’une controverse encore en cours, mais par là-même plus réceptive aux arguments des uns et des autres qui doivent encore être considérés sur un pied d’égalité.

    Pour aborder les problèmes soulevés par cette controverse publique, c’est-à-dire cette dispute scientifique qui a été largement suivie, commentée et influencée par le public, le terme même de controverse ne peut être prononcé sans évoquer son personnage principal, celui dont on peut dire qu’il a le plus contribué à faire d’une question scientifique une controverse, le professeur Didier Raoult.

    Figure dominante du domaine des maladies infectieuses en France, spécialiste mondialement reconnu, directeur de l’IHU Méditerranée, le professeur Raoult allie à cette reconnaissance et ce pouvoir institutionnel une facilité déconcertante à prendre la parole pour exposer ses vues d’une manière qui a beaucoup séduit et en tout cas laissé peu indifférent.
    Le ton est généralement posé, un mélange de sérieux, de badinage et d’âpreté parfois ; les arguments scientifiques sont la plupart du temps compréhensibles et le décryptage des jeux de pouvoir et d’argent, des dynamiques institutionnelles ou des travaux faits par d’autres équipes apporte une touche de nouveauté par rapport aux communications scientifiques souvent plus austères et centrées sur une seule et même question.
    Mais ce qui domine et qui fait vraiment le succès de ses interventions, c’est la liberté de ton, l’absence totale de concessions par rapport à ses convictions qui semblent pouvoir être exposées sans aucun filtre. Il peut quitter un plateau quand il veut, accabler les plus hauts décisionnaires scientifiques, se saisir pleinement de la liberté académique qu’il revendique pour s’exprimer en restant toujours au plus près de qui il est et ce en quoi il croit. Les résultats sont assez prévisibles : tout le monde n’est pas derrière lui, notamment dans sa propre communauté scientifique, mais le soutien populaire, dans les médias et chez bon nombre de personnalités ne se dément pas, faisant du professeur Raoult la star incontestée de la crise en France.

    Or de cet état de chose découle une question un peu embarrassante. Puisque nous avons affaire à un homme qui jouit à la fois d’une position scientifique, institutionnelle et médiatique ultradominante, et que cet homme a pris fait et cause pour l’HCQ, comment se fait-il que la question ne soit pas tranchée ? Comment se fait-il que les travaux menés par l’IHU Méditerranée qui, selon les dires du professeur Raoult, démontrent une claire utilité de l’HCQ dans la prise en charge des patients atteints de Covid-19, ne closent pas la question ?
    Tous les ingrédients sont pourtant réunis : un leader et leader d’opinion doté d’une véritable aura, qui pilote le fleuron français des instituts de recherche en maladies infectieuses, animé d’une conviction forte et ayant agi en conséquence, traitant plusieurs milliers de personnes et publiant plusieurs articles. Et pourtant, après plusieurs mois, et sans présumer de ce qu’il adviendra lorsque de nouveaux éléments paraîtront encore sur la question, l’HCQ est toujours loin de faire l’unanimité et la tendance est même plutôt défavorable dans le milieu scientifique.
    D’où cette situation inconfortable dans laquelle nous nous trouvons, entre la parole d’autorité et qui semble pleine de bon sens du professeur Raoult et l’image plus large que propose la science : comment nous situer et en vertu de quoi ? Le public, forcément touché par une question des traitements au Covid-19 qui le concerne, et obligé depuis le début de faire son chemin au milieu de sources discordantes, n’a d’autre choix que de soupeser à la fois les arguments des uns et des autres, mais aussi leur crédibilité, celle de leurs commentateurs, etc. Chacun est ainsi amené à appréhender cet épisode en épistémologue, s’interrogeant sur le chemin qui mène à la connaissance, dont on redécouvre avec cette controverse combien il est semé d’embûches !

    L’ambition de ce texte est donc d’accompagner une réflexion épistémologique populaire et de mettre au jour les éléments qui expliquent pourquoi, en dépit d’une situation hyper-favorable au professeur Raoult, celui-ci peine à convaincre sur le plan scientifique.

    #Epistémologie #Didier_Raoult #Hydrochloroquine