• En Allemagne, une fraude massive aux « allocations coronavirus » pour les travailleurs indépendants
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/04/27/en-allemagne-une-fraude-massive-aux-allocations-coronavirus-pour-les-travail

    Outre-Rhin, des centaines de milliers d’autoentrepreneurs ont obtenu des aides publiques depuis le début du confinement. Mais, profitant de la faiblesse des contrôles, de nombreux escrocs ont abusé de la générosité de l’Etat.

    L’escroc n’avait pas fait les choses à moitié. Après que les autorités du Land de Berlin eurent mis en place, le 27 mars, un programme d’aides d’urgence pour les petites entreprises et les travailleurs indépendants mis en difficulté par le Covid-19, ce Berlinois de 31 ans et son épouse avaient demandé en tout 80 000 euros de subventions pour sept sociétés de nettoyage. Le couple avait obtenu 35 000 euros de l’IBB, la banque publique d’investissement berlinoise. Jeudi 23 avril, la justice a placé le fraudeur en détention provisoire. « Plusieurs de ces sociétés étaient fictives », a déclaré Nina Thom, procureure générale du Land de Berlin, à la radio publique Deutschlandfunk.

    C’était la première arrestation pour fraude aux aides publiques liées au coronavirus en Allemagne. Et il y en aura probablement d’autres. Dans la capitale, la justice a d’ores et déjà lancé 46 procédures, auxquelles s’ajoutent une centaine d’enquêtes de la police criminelle (LKA), pour un préjudice estimé à 700 000 euros. C’est certes une goutte d’eau par rapport au 1,7 milliard d’euros d’« allocation corona » que l’IBB a versé à 200 000 autoentrepreneurs berlinois en un temps record, mais le nombre d’enquêtes s’accroît désormais tous les jours.

    Un salafiste et une influenceuse

    Pour secourir au plus vite les travailleurs indépendants privés de revenu du fait de la pandémie, le Land de Berlin avait, en effet, allégé au maximum la procédure : en quelques clics, le formulaire de demande d’allocation était envoyé. Mais cette simplicité présentait un inconvénient majeur. « Il n’y a pas de contrôle pour vérifier l’identité du requérant ou l’existence réelle de sa société », a déploré Jochen Sindberg, inspecteur en chef au LKA de Berlin.

    Les criminels hameçonnaient les données confidentielles des requérants, puis les utilisaient pour obtenir les aides publiques à leur place
    Grâce à la réactivité des banques, obligées par la loi de signaler tout retrait d’espèces suspect, la police berlinoise a pu rapidement identifier quelques indélicats. Ainsi, le LKA a d’ores et déjà saisi les 18 000 euros de subvention perçus par un prédicateur salafiste fiché par les services de renseignement, ainsi que les allocations indûment versées à une « instagrameuse » de 22 ans.

    Le problème est toutefois loin de se limiter à la capitale allemande. En Rhénanie-du-Nord-Westphalie, l’étendue de la fraude était telle que les autorités régionales ont dû suspendre le versement des aides d’urgence pendant une semaine, du 9 au 16 avril. Dans le Land le plus peuplé d’Allemagne, des aigrefins avaient créé plus de 100 fausses pages Internet imitant le site officiel de demande de subvention. Grâce à ces formulaires frauduleux, les criminels hameçonnaient les données confidentielles des requérants, puis les utilisaient sur la page officielle pour obtenir les aides publiques à leur place.

    « J’en appelle aux citoyens : de grâce, évitez ces faux sites Web et n’y saisissez pas vos données », avait alors imploré Herbert Reul (CDU), le ministre de l’intérieur du Land. Des sites d’hameçonnage ont également fleuri en Saxe, ainsi qu’à Hambourg. Dans cette ville-Etat, les autorités ont dû interrompre toute demande de subvention les 15 et 16 avril.

    Des faiblesses bien allemandes

    Cependant, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie est de loin la région la plus visée par ces sites d’hameçonnage, ou phishing. Selon les autorités régionales, entre 3 500 et 4 000 utilisateurs ont été pris au piège de ces sites hébergés à l’étranger, et 20 000 dossiers douteux (sur plus de 400 000 demandes) ont été bloqués. La raison de cette vulnérabilité était, là encore, la simplicité de la procédure. Le gouvernement régional s’en était d’ailleurs vanté. « En Rhénanie-du-Nord-Westphalie, il était possible d’effectuer toute la démarche sur un formulaire en ligne, souligne Isabel Skierka, experte en cybersécurité à l’institut ESMT de Berlin. Dans d’autres Länder, les demandeurs devaient d’abord télécharger le formulaire, puis l’envoyer au ministère par courrier électronique ou postal, souvent avec une preuve d’identité. »

    A Hambourg, comme en région rhénane, les autorités ont donc renforcé les contrôles. Ainsi, l’IFB, la banque publique d’investissement du Land de Hambourg, a introduit une procédure d’identification par vidéo pour les demandeurs de l’« allocation corona ». Ceux-ci doivent désormais joindre des documents officiels à leur dossier. Pour les spécialistes, ces déboires sont révélateurs de faiblesses bien allemandes. « Au niveau régional et fédéral, l’administration a pris des années de retard dans la transition numérique, juge Mme Skierka. Or, le succès de cette transformation n’est pas qu’une question de technologie, mais surtout de processus, de bonne gestion et de coopération entre les différents acteurs. »

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