#Massacre_de_Thiaroye et la mention « #Mort_pour_la_France »
Depuis quelques jours, nous assistons à une tempête médiatique suite à l’octroi de la mention « Mort pour la France » pour six ex-#prisonniers_de_guerre assassinés à Thiaroye par l’armée française. Un décryptage me paraît indispensable.
J’ai souvent regretté que les médias ne s’emparent pas de ce fait historique ou donnent la parole à des personnalités qui n’y connaissaient pas grand chose. Avec l’octroi de la mention "Mort pour la France" pour seulement six hommes et une dépêche AFP, ce fut l’emballement dont j’aurais pu me réjouir si son contenu n’avait pas véhiculé des inexactitudes. En premier lieu, évoquer l’attribution de la mention "Mort pour la France à titre posthume" est un regrettable #pléonasme. Avez-vous vu des vivants réclamer cette mention ?
La dépêche, reprise par je ne sais combien de médias, évoque une "révolte" alors qu’ils ont réclamé leur dû avant de quitter le camp de Thiaroye et ce chiffre de 1300 rapatriés (chiffre officiel) alors qu’ils étaient plus de 1600. Puis "des #troupes_coloniales et des gendarmes français avaient tiré sur ordre d’officiers de l’#armée_française sur des tirailleurs rapatriés qui réclamaient leurs arriérés de solde". Les archives consultables sont très claires. Les tirailleurs "sénégalais" du service d’ordre n’ont pas pu tirer puisque leurs fusils n’étaient pas chargés et les gendarmes ont eu un rôle mineur. Le massacre a été perpétré par des armes automatiques dont des automitrailleuses commandées par des officiers. L’#ordre_de_tirer a été donné par le lieutenant-colonel #Le_Berre. Ce dernier a été sanctionné. Amnistié en 1947 comme les condamnés, le motif de sa sanction a été caviardé à tort. En avril 2023, le ministère m’a autorisée à me rendre au SHD, avec un laboratoire spécialisé, pour tenter de lire les lettres. Au prétexte d’une instruction complémentaire, le RDV programmé a été annulé et finalement, en avril 2024, le cabinet de la Secrétaire d’État m’a annoncé que je n’étais pas autorisée à faire cette opération de "désoccultation" alors que le rapporteur public du Conseil d’État, Alexandre Lallet, a suggéré dans ses conclusions du 4 octobre 2019 : "Par conséquent, la description des faits reprochés au lieutenant-colonel A, si elle n’avait pas été occultée, aurait été à notre avis communicable et l’administration pourrait accepter que soit déployé un dispositif technique de révélation des mentions originales, sans qu’on puisse l’y contraindre juridiquement".
J’y vois là une nouvelle tentative d’#obstruction à la manifestation de la #vérité sur un #crime_colonial commis. Cet officier a peut-être outrepassé les ordres en faisant venir des automitrailleuses qui n’ont rien à voir avec une opération de maintien de l’ordre.
La genèse de la liste des six
En 2013, ne parvenant pas à trouver des documents et notamment des circulaires afin de connaître les droits de ces rapatriés, j’ai alerté le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, lorientais comme moi, qui a sollicité le SHD (service historique de la Défense). Le 22 novembre 2013, j’ai reçu une réponse du ministre avec, dans une note de bas de page cette indication "quelques dossiers individuels conservés à Caen par la division des archives des victimes des conflits contemporains qui ont pu être identifiés comme concernant des victimes des événements de Thiaroye". C’est ainsi que j’ai pu obtenir les six dossiers. Ne possédant pas les noms de ces victimes, je n’aurais jamais pu les trouver sans cette intervention. Quelque temps plus tard, j’ai reçu la circulaire du 4 décembre 1944 qui fait croire que les rapatriés avaient perçu l’intégralité des soldes.
Le contenu des dossiers
Contrairement à ce que prétend le ministère des armées comme indiqué dans Le Monde Afrique Le massacre de Thiaroye, enjeu politique entre le Sénégal et la France (lemonde.fr), "dont les dossiers, en possession du Service historique de la défense, mentionnent qu’ils sont décédés à la suite du massacre de Thiaroye", il n’y a aucune mention du massacre. Bien au contraire. Dans le dossier #N'Gour_N'Dour, on trouve un courrier daté du 26 mai 1952 avec : "décédé le 1er décembre 1944 à Thiaroye (Dakar) au cours d’une rébellion du détachement, n’est pas Mort pour la France". Sur des dossiers de décès est effectivement estampillé "N’a pas droit à la mention Mort pour la France".
Dans un autre courrier daté du 31 août 1951, le commandement supérieur des forces terrestres d’AOF écrit au Gouverneur du Sénégal que "le tirailleur N’Gour N’Dour est décédé au camp de Tiaroye, le 1er décembre 1944, jour de la #répression dans ce camp d’une mutinerie fomentée par les tirailleurs rapatriés de France". Il arrive de découvrir des propos ubuesques comme ce rapport provenant du DIC (Dépôt des Isolés coloniaux) de Dakar : "Aucun décès n’étant survenu parmi les militaires du service d’ordre, la mort du soldat de 2e classe #Ibrahima_N'Diaye ne peut donc être considérée comme survenue en service commandé". C’est un argumentaire incompréhensible et un non sens.
Récemment j’ai saisi la justice administrative pour obtenir les archives du DIC de Dakar et le ministère invariablement répond que ces archives n’existent pas ou plus. Pourtant on en trouve mais que pour montrer le fait de rébellion et de mutinerie.
Ces six dossiers existent au SHD vraisemblablement parce que les familles ou l’administration ont réclamé des explications.
Dans le dossier de #M'Bap_Senghor, le plus volumineux avec les courriers de son fils Biram que j’ai pu ainsi retrouver, on trouve une demande d’enquête par le ministre Hernu et son chef de cabinet Serge Daël (que j’ai rencontré alors qu’il était président de la CADA). Il n’y a pas eu d’enquête car le département de la Défense a prétendu qu’il n’y avait pas de dossier.
Thiaroye n’est qu’une succession de #mensonges pour camoufler l’#ignominie.
L’octroi de la mention "Mort pour la France"
Le dernier courrier de Biram Senghor demandant la mention "Mort pour la France" à l’ONaCVG date de janvier 2023, il n’a eu aucune réponse et il s’apprêtait à saisir le tribunal judiciaire, seul compétent et non la justice administrative. Mais le 18 avril 2023, les conseillers de la secrétaire d’État Patricia Mirallès, m’annoncent que le gouvernement réfléchit à une loi mémorielle et que les victimes de Thiaroye sont reconnues "Mort pour la France", c’est acquis. Ils m’ont demandé les cotes des dossiers. J’ai tout de suite informé Biram Senghor mais il n’a reçu aucun courrier, RIEN. J’ai évidemment demandé des explications à cette annonce non suivie d’effet. Pour moi, il y avait urgence. Il a fallu attendre le 8 juillet 2024, lendemain des législatives, pour recevoir enfin de l’ONaCVG, un courriel avec l’octroi de la mention pour cinq des victimes et avec une précision importante, la signature de la décision collective. J’ai réclamé la liste des cinq noms et cette décision collective. Je n’ai reçu que la liste non pas de cinq mais de six noms. J’ai signalé que le SHD possède un feuillet nominatif de contrôle (FNC) au nom de #Fara_Gomis qui prouve qu’il est décédé le 1er décembre 1944 et j’ai adressé un acte de décès d’un autre rapatrié. J’ai mentionné également que les trois condamnés morts durant leur détention doivent obtenir la mention "MPF". Ils sont bien décédés des suites de la guerre et n’ont pas été amnistiés. En parallèle, depuis des années je réclame au ministère, la liste des rapatriés et des victimes avec les archives du DIC de Dakar.
Je dois comprendre que l’annonce officielle a été retardée pour l’inscrire dans un chemin mémoriel, une communication voulue par l’Elysée. Mais ont-ils pensé au seul descendant d’une victime âgé de 86 ans ? Cela donne un goût amer.
Les conséquences de la mention "Mort pour la France" dans le cas du massacre de Thiaroye
Je ne connais pas de situation similaire dans l’histoire militaire contemporaine avec la mention "Mort pour la France" attribuée par l’État français suite à une #exécution_extrajudiciaire commise par ce même État.
En octobre 2023, j’ai été reçue par la direction des Affaires criminelles et des grâces comme en 2014. Les conseillères du Garde des Sceaux ont clairement indiqué qu’en cas d’officialisation de la mention "#MPF", le ministre pourra saisir la commission d’instruction de la Cour de cassation afin de faire aboutir le procès en révision pour les 34 condamnés. Cette mention "MPF" peut être considérée comme un élément nouveau.
Le ministère pourra t-il et osera t-il refuser une #indemnisation à Biram Senghor dont le père a bien été assassiné et qui, du fait du #mensonge_d'Etat, a perdu tous ses droits. Comment évaluer un tel préjudice ?
M’Bap Senghor désormais reconnu "Mort pour la France" repose dans une #fosse_commune. Je me demande si l’État français n’a pas obligation à faire des test ADN pour identifier son corps afin qu’il repose dans une sépulture individuelle à son nom.
En tant qu’historienne qui avait, dès 2014, transmis au ministère et au président Hollande la synthèse de mes travaux faisant état du massacre prémédité, je veux comprendre comment la DMPA (Direction de la mémoire du patrimoine et des archives) a pu mettre en place trois panneaux réitérant le mensonge d’État alors que le ministère possédait les mêmes documents qu’en 2024.
La décision d’attribuer la mention "Mort pour la France" n’a pu se faire qu’avec des documents qui prouvent qu’ils ne sont pas des mutins alors que les archives consultables montrent la rébellion armée, la #mutinerie, les revendications illégitimes. Le ministère ne peut plus prétendre que ces #archives n’existent pas ou plus ou ont été perdues ou détruites. Une enquête interne s’impose afin de voir au plus près l’origine de ces dysfonctionnements.
Il va falloir procéder à la fouille des fosses communes et des tombes du cimetière. Le Sénégal a tout pouvoir pour le décider. Le ministère des armées a mentionné, pour un rapport de l’assemblée nationale, que des #tombes in mémoriam avaient été construites sur trois fosses communes, information gravée dans le marbre de notre République. Pour la DMPA (devenue DPMA puis DMCA), l’Islam interdit d’exhumer des corps. C’est leur credo, tout faire pour ne pas connaître l’étendue du massacre.
L’octroi de la mention "MPF" est une petite avancée dans une étendue de renoncements, de manque de courage politique et de #racisme. Il n’y aurait pas eu d’#affaire_Thiaroye - qui rappelle l’affaire Dreyfus - si ces soldats avaient été des métropolitains blancs.
Puisque le 15 août le président Macron ne pourra donc pas annoncer l’octroi de la mention "Mort pour la France", il peut annoncer que le Garde des Sceaux (qui est toujours ministre) a saisi la Cour de Cassation, qu’il y aura réparation et que le ministère des Armées a versé au SHD toutes les archives sans exception et que je pourrais lire les lettres du motif de la sanction. Ces décisions sont du ressort de l’État français.
Je signale par ailleurs que le ministère des Armées et l’ONaCVG, par un jugement du 24 juin ont injonction à me transmettre dans les deux mois les documents qui prouvent que les disparus nommés sur les plaques du "#Tata " de #Chasselay inaugurées en janvier 2022 par Geneviève Darrieussecq, devenue vice-présidente de la Commission défense, sont bien inhumés dans cette nécropole militaire. Le ministère a d’abord fait croire à des recherches génétiques. Thiaroye c’est un massacre commis par l’armée française avec l’impossibilité de nommer les victimes (sauf 6) et à Chasselay c’est un massacre commis par l’ennemi allemand. Si je ne reçois pas ces documents, nous serons confrontés à une #imposture_mémorielle.
▻https://blogs.mediapart.fr/armelle-mabon/blog/010824/massacre-de-thiaroye-et-la-mention-mort-pour-la-france
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