• La preuve par l’expérience : l’anglais pour les riches, le patois pour les pauvres

    L’origine de cet article est un peu inhabituelle. Tout part d’un courrier de lecteur  :

    «  J’aime bien Anarchosyndicalisme !, mais des fois, je trouve que vous exagérez un peu, en particulier contre le régionalisme (…). J’avais été très irrité voici un moment par votre slogan « Le patois pour les pauvres, l’anglais pour les riches ». J’avais oublié l’affaire. Cet été, en vacances à Lloret de Mar, je suis tombé sur un vieil article d’« El Mundo » ci-joint qui m’a interloqué (…) ».

    Suivait un article sur la scolarité des enfants de l’ex-président Catalan Montilla.

    En fait, quand nous avons publié l’article « L’horreur linguistique » , dont «  Le patois pour les pauvres, l’anglais pour les riches » (1) était un titre de paragraphe, nous n’avions pas d’exemple précis (d’autant que l’article portait sur notre région). Nous étions arrivés à cette conclusion par simple déduction. Nous écrivions textuellement ceci  :

    «  Le scénario le plus probable en cas de retour des langues régionales, le voici : on imposera ces dernières au petit peuple (par la force de l’école, de la radio-télé, des politiques d’emploi public ... ). Les "élites" politico-économiques parleront patois avec leur femme de chambre et anglais entre elles. On peut prévoir une nette aggravation de ce qui se passe déjà (...) La babélisation régionaliste ne fera qu’amplifier le mouvement, plus aucune langue ne pouvant faire contre-poids à l’anglais. »

    La coupure de presse reçue nous a incités à faire quelques recherches complémentaires. Le résultat est éloquent. En #Catalogne, région modèle pour les nationaux-régionaliste, le catalan est obligatoire comme langue quasi-unique dans toutes les écoles (c’est ce qu’ils appellent « #immersion_linguistique »)… à quelques rarissimes exceptions près.

    POUR LE FUTUR PRESIDENT, (PROBABLE) C’EST LE LYCEE FRANÇAIS DE BARCELONE

    Joan Laporta, président du Football Club de Barcelone, chantre d’une «  Nation catalane organisée en Etat autonome » et grand « papabile », puisqu’il est susceptible de devenir le prochain président de la Région catalane, a fait son choix éducatif : ses enfants ne sont pas scolarisé en « immersion catalane » mais… au Lycée français de Barcelone.

    C’est un établissement haut de gamme dans lequel se retrouvent bon nombre d’enfants de la bourgeoisie nationaliste catalane (la liste d’attente est impressionnante) tout autant que ceux des hautes classes nationalistes espagnoles. Ainsi, jusqu’à leur récent départ vers les USA, les enfants princiers de l’Infante d’Espagne Cristina y étaient scolarisés. On ne peut pas plus «  espagnoliste  », olé !

    Faisons un petit tour sur le site internet du Lycée français. On y explique en quelques mots le système éducatif catalan et surtout ce qui le différencie des écoles internationales (2)  :

    « (…) Les écoles publiques et privées à Barcelone dispensent une éducation en catalan. Les cours d’espagnol ne sont obligatoires qu’à partir de 6 ans à raison de 2 h. par semaine. Les écoles se divisent en trois groupes : les écoles publiques, les écoles privées bénéficiant de subventions publiques (escuelas concertadas) et les écoles privées. Parmi ces dernières, figurent toutes les écoles internationales. Les écoles françaises de Barcelone sont coûteuses  : près de 4 000 € l’année à Ferdinand de Lesseps, près de 5 000 € au Lycée français de Barcelone. A ces frais de scolarité viennent s’ajouter les frais d’inscription, les repas, le transport, les sorties et excursions, les livres et le matériel scolaire. Le Lycée Français de Barcelone frise le 100% de réussite au bac chaque année. Implanté depuis 1924, … les Catalans aisés y envoyaient leurs enfants et depuis, la tradition est restée. La liste d’attente est toutefois assez longue...  ».

    L’enseignement, bien sûr, se fait essentiellement en français, en espagnol et en… anglais. Sur la page d’accueil, en cette rentrée 2015, on trouve une petite publicité pour la préparation « aux examens de Cambridge » qui souligne avec à propos

    « Des cours de préparation … seront de nouveau mis en place en septembre 2015. Sachez que cette formation est d ́excellente qualité (…) une bonne maîtrise de l’anglais est essentielle dans de nombreuses filières post-baccalauréat. Il est donc bon de se préparer à l’avance. La seconde étant la dernière classe sans examen, c ́est donc sans doute l ́occasion de s ́attaquer aux certifications en anglais. ».

    Quant au catalan, il est réduit à la portion congrue. Mais ça ne gêne pas la famille Laporta.

    POUR LE PRESIDENT ACTUEL, UNE ECOLE INTERNATIONALE

    Artur Mas est l’actuel président catalan. Il applique avec férocité aux enfants des autres la loi sur l’immersion linguistique en catalan, mais lui avait eu la prudence d’inscrire ses propres enfants dans une école totalement privée, l’école Aula de Barcelone, qui ne met pas en pratique cette immersion. Aula est un collège d’élite. L’inscription est de l’ordre de 6 000 euros par an. Le programme pédagogique repose sur le plurilinguisme comme le mentionne son site internet,

    « les élèves acquièrent une capacité correcte d’expression orale et écrite en catalan, espagnol, anglais et français ».

    En effet

    « de l’âge de trois à sept ans, l’apprentissage et l’usage de ces quatre langues est introduit progressivement … le projet pédagogique inclut l’usage courant des quatre langues dans les différentes disciplines d’enseignement... L’objectif n’est pas simplement que les élèves s’expriment oralement et par écrit dans ces quatre langues mais bien qu’ils dominent son usage dans les domaines scolaires et intellectuels.  »

    Dominer l’anglais, le français et l’espagnol… pour les enfants de la haute bourgeoisie, il n’y a que ça de vrai  !

    POUR L’ANCIEN PRESIDENT, LE COLLEGE ALLEMAND

    Avant Artur Mas, il y avait José Montilla. Montilla est le président qui a imposé la loi d’immersion linguistique.

    Pour ce qui est de ses enfants, Anna et Hèctor, ils ont été scolarisés au … Collège allemand de Barcelone. L’inscription est d’environ 4 000 euros par an.

    Il pratique encore moins l’immersion que le Lycée français ou l’école Aula. L’enseignement y est prodigué en allemand, espagnol et anglais. Dans certaines classes, il y a un micro-chouya de catalan (une heure par semaine), dans d’autres classes, pas du tout. La maman d’Anna et d’Hèctor Montilla explique très bien son choix éducatif :

    « Je crois que si tu n’apprends pas l’allemand enfant, tu ne l’apprends jamais. Les enfants sortent de ce collège en dominant parfaitement l’allemand et l’anglais. C’est merveilleux. La connaissance de l’allemand, à elle seule, te permet de trouver du travail. C’est comme si tu avais une profession. » (3).

    La vie (de certains) est effectivement merveilleuse.

    Le Collège allemand de Barcelone compte parmi ses anciens élèves d’illustres catalanistes : outre le père Montilla lui-même, on y relève le nom de Jordi Pujol (président de la Catalogne de 1980 à 2003)... aux côtés de celui d’un ex-ministre franquiste et ex-président du CIO (Comité olympique international), le marquis Juan Antonio Samaranch qui fut également ministre de Franco. Que des gens bien, comme on le voit.

    NATIONALISTES FUYARDS

    Nombreux sont les politiciens qui scolarisent leurs enfants loin de toute immersion catalane.

    Ainsi, Oriol Junqueras, chef officiel de « l’opposition » ( « gauche républicaine catalane » ) qui siégeait au parlement européen dans le groupe des Verts, a déjà annoncé qu’il scolariserait ses enfants au Lycée italien. Pas pour qu’ils échappent au rouleau compresseur catalaniste bien sûr, mais par simple «  tradition familiale ».

    Comme c’est triste, d’être obligé de suivre une tradition.

    L’ex-maire indépendantiste de Barcelone, Xavier Trías, avait pris soin lui aussi de scolariser ses enfants à l’école Santa Claus, une école anglaise, dont l’objectif est que les élèves, à l’issue de leur scolarité primaire, parlent aussi parfaitement l’anglais qu’ils parlent l’espagnol ou le catalan.

    Parmi les nationalistes fuyards de leur propre système éducatif, nous avons trouvé également la vice-présidente du PSC (Parti des socialistes de Catalogne), Manuela de Madre ; le secrétaire à l’organisation du PSC, José Zaragoza ; les ministres (ou ex-ministres) du gouvernement catalan à la Politique territoriale, Joaquim Nadal ou celle au Travail ; Mar Serna,… et il y en a certainement pas mal d’autres.

    Une mention spéciale doit être décernée à Pilar Rahola, l’égérie de la «  gauche  » nationaliste catalane. Pour scolariser fifille (Miss Ada), elle n’y est pas allé par quatre chemins la Rahola, elle n’en a pris qu’un, celui qui mène tout droit à un collège… suisse, et des plus huppés : l’Aiglon College.

    ET POUR L’EGERIE DE LA « GAUCHE » NATIONALISTE, C’EST CARREMENT LA SUISSE

    L’Aiglon College pratique bien l’immersion linguistique… mais uniquement en anglais, comme le précise son site web :

    « You will benefit from immersion in an English-speaking community ».

    On y est discret sur les tarifs (ah, ce charme discret de la bourgeoisie et de la noblesse), mais ils dépassent plusieurs dizaines de milliers d’euros par an, pouvant atteindre (d’après certains journaux) 130 000 euros pour les meilleures « prestations ». Parmi les anciens élèves, la fille de Amancio Ortega (créateur de la marque Zara - fortune estimée à 64 milliards de dollars en 2014), la princesse Tatiana de Grèce, le non moins prince Alfonso de Orléans y Borbon.

    Comme le note (en catalan) un commentateur auquel nous laisserons le mot de la fin

    « Les classes són en anglès, i el català no el parlen ni per dir “Barcelona és bona si la bossa sona“ » (« Les cours sont en anglais, et le catalan ne s’utilise même pas pour dire ‘Barcelone est bonne si la bourse résonne’ ») (4),

    et d’ajouter que, comme tous les politiciens, Rahona

    « pide la asfixia idiomática en catalán para els fills del Pepet i la Maria, i ella porta la seva filla a estudiar a Suiza en 3 idiomas » (« demande l’asphyxie linguistique par le catalan des enfants de Monsieur et Madame Tout-Le-Monde, mais elle, elle envoie sa fille étudier en Suisse en trois langues »).

    (1) - Article paru dans la publication qui a précédé notre magazine actuel, «  LE COMBAT SYNDICALISTE  », Numéro 68, Mai-Juin 2001. [Repris dans cette brochure : http://www.cntaittoulouse.lautre.net/IMG/pdf/BROCHURE_NATIONALISME.pdf]

    (2) - Les textes de sites webs cités ont été relevés au 31 août 2015.

    (3) - « Al descubrimiento de Montilla », biographie autorisée, Gabriel Pernau, 2010.

    (4) - « Barcelone est bonne si la bourse résonne » est l’un des proverbes catalans les plus connus. Il trouve son origine chez les marchands Pisans venus faire un lucratif commerce avec l’opulente bourgeoisie barcelonaise.

    NDLR : Les citations ont été traduites du catalan par nos soins.

    @anarchosyndicalisme ! n°146

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