• Crise sanitaire : des centaines de familles privées de regroupement familial
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/27/crise-sanitaire-des-centaines-de-familles-privees-de-regroupement-familial_6

    depuis le début de la crise sanitaire due au Covid-19, une partie des procédures est bloquée et certains visas nécessaires pour entrer en France ne sont pas délivrés. Le mari de Kahina a donc découvert sa fille à travers l’écran de son téléphone, de son village situé près de Tizi-Ouzou, en Algérie.Plusieurs centaines de familles ayant obtenu le droit au regroupement familial – ou à la réunification pour les réfugiés – sont toujours séparées depuis le mois de mars. A l’issue du premier déconfinement, en mai, la France a pourtant organisé la réouverture progressive des frontières.
    Outre les personnes venant de pays de l’Union européenne et d’une petite liste de pays strictement identifiés, comme la Suisse, Monaco, le Royaume-Uni ou encore le Japon, plusieurs catégories de personnes ont obtenu la possibilité de rejoindre l’Hexagone : parmi elles, les conjoints et enfants de ressortissants français, mais aussi certains étudiants, enseignants, chercheurs et salariés étrangers. En revanche, les familles des résidents étrangers qui sont installés légalement en France ne figurent pas sur cette liste de dérogations. Elles se voient donc refuser l’instruction de leur demande de visa, dernière étape nécessaire avant de procéder au regroupement familial. « C’est une rupture d’égalité, s’indigne le député du Rhône (ex-La République en marche) Hubert Julien-Laferrière, qui a adressé deux courriers au ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, sans réponse à ce jour. Les Français peuvent se voir délivrer des visas pour faire venir leur famille mais les étrangers ne le peuvent pas. » « On ne comprend pas le deux poids, deux mesures, témoigne Lofti, un ingénieur algérien de 40 ans, arrivé en France il y a deux ans. On se sent humilié et frustré. » Le père de famille ajoute : « Je paye mes taxes, mes impôts, j’ai une maison, je n’attends pas d’aides financières de l’Etat. Je veux juste voir ma femme et mon fils de 3 ans parce que c’est mon droit. Je suis prêt à payer les tests PCR s’il faut, 100, 200, 1 000 euros… Je paye mais qu’ils les laissent passer. » Le désarroi est similaire chez Volodymyr Poselsky, un enseignant ukrainien de 47 ans, présent en France depuis vingt-quatre ans, qui attend sa femme et sa fille de 14 mois. Depuis des semaines, il multiplie les courriers aux parlementaires afin qu’ils interpellent les autorités sur leur situation. Il se désole : « La procédure de regroupement familial est déjà très longue, ça dure un an, parfois deux ans. Une fois que le préfet accepte, il n’y a plus qu’à obtenir le visa et on nous bloque à ce moment-là. C’est aberrant. »
    Dans les consulats et auprès des représentants de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) à l’étranger – l’institution traite une partie de la procédure de regroupement familial –, la tension grandit. Les e-mails, coups de fil et déplacements se multiplient pour tenter de comprendre et débloquer cette situation. En 2019, l’immigration familiale a concerné plus de 90 000 personnes, dont 27 000 membres de famille d’étrangers. Différentes actions commencent aussi à voir le jour. La semaine dernière, plus de 230 familles ont écrit au premier ministre et au ministre de l’intérieur par le biais de leur avocat, Me Matthieu Odin. « On leur a signalé que beaucoup d’entre elles étaient en grande souffrance, qu’il s’agit d’une situation humaine lourde sur le plan matériel et psychologique. Tout ce qu’on demande, c’est la reprise de l’instruction des demandes de visas », rapporte Me Odin.
    En parallèle, certaines familles ont entamé des démarches contentieuses. A deux reprises, les requêtes introduites devant le tribunal administratif ont néanmoins été considérées sans objet : avant même la tenue des audiences, le ministère de l’intérieur a demandé aux consulats concernés d’instruire les demandes de visas. « Ils débloquent des situations au compte-gouttes et poussent les gens à faire des recours s’ils veulent voir leur situation évoluer », déplore Me Odin. « De cette manière, l’Etat évite de voir les affaires jugées au fond et d’être condamné sur des arguments comme la rupture d’égalité et l’arbitraire des dérogations accordées aux conjoints français et à certains étrangers », analyse Me Camille Nouel, chargée de plusieurs dossiers similaires. Sollicité sur une éventuelle évolution de la situation, le ministre de l’intérieur a simplement indiqué au Monde que les ressortissants étrangers ayant droit au regroupement familial « ne [faisaient] pas partie des publics prioritaires », précisant que toute évolution « [dépendrait] de la situation sanitaire ». Pour Gérard Sadik, de la Cimade, « quand on voit que des étudiants, des chercheurs et des passeports talents peuvent venir depuis des pays classés en zone rouge, on se dit que le gouvernement pratique très clairement la politique de l’immigration choisie ».

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