• #Université, service public ou secteur productif ?

    L’#annonce d’une “vraie #révolution de l’Enseignement Supérieur et la Recherche” traduit le passage, organisé par un bloc hégémonique, d’un service public reposant sur des #carrières, des #programmes et des diplômes à l’imposition autoritaire d’un #modèle_productif, au détriment de la #profession.

    L’annonce d’une « #vraie_révolution » de l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) par Emmanuel Macron le 7 décembre, a pour objet, annonce-t-il, d’« ouvrir l’acte 2 de l’#autonomie et d’aller vers la #vraie_autonomie avec des vrais contrats pluriannuels où on a une #gouvernance qui est réformée » sans recours à la loi, avec un agenda sur dix-huit mois et sans modifications de la trajectoire budgétaire. Le président sera accompagné par un #Conseil_présidentiel_de_la_science, composé de scientifiques ayant tous les gages de reconnaissance, mais sans avoir de lien aux instances professionnelles élues des personnels concernés. Ce Conseil pilotera la mise en œuvre de cette « révolution », à savoir transformer les universités, en s’appuyant sur celles composant un bloc d’#excellence, et réduire le #CNRS en une #agence_de_moyen. Les composantes de cette grande transformation déjà engagée sont connues. Elle se fera sans, voire contre, la profession qui était auparavant centrale. Notre objet ici n’est ni de la commenter, ni d’en reprendre l’historique (Voir Charle 2021).

    Nous en proposons un éclairage mésoéconomique que ne perçoit ni la perspective macroéconomique qui pense à partir des agrégats, des valeurs d’ensemble ni l’analyse microéconomique qui part de l’agent et de son action individuelle. Penser en termes de mésoéconomie permet de qualifier d’autres logiques, d’autres organisations, et notamment de voir comment les dynamiques d’ensemble affectent sans déterminisme ce qui s’organise à l’échelle méso, et comment les actions d’acteurs structurent, elles aussi, les dynamiques méso.

    La transformation de la régulation administrée du #système_éducatif, dont nombre de règles perdurent, et l’émergence d’une #régulation_néolibérale de l’ESR, qui érode ces règles, procède par trois canaux : transformation du #travail et des modalités de construction des #carrières ; mise en #concurrence des établissements ; projection dans l’avenir du bloc hégémonique (i.e. les nouveaux managers). L’action de ces trois canaux forment une configuration nouvelle pour l’ESR qui devient un secteur de production, remodelant le système éducatif hier porté par l’État social. Il s’agissait de reproduire la population qualifiée sous l’égide de l’État. Aujourd’hui, nous sommes dans une nouvelle phase du #capitalisme, et cette reproduction est arrimée à l’accumulation du capital dans la perspective de #rentabilisation des #connaissances et de contrôle des professionnels qui l’assurent.

    Le couplage de l’évolution du système d’ESR avec la dynamique de l’#accumulation, constitue une nouvelle articulation avec le régime macro. Cela engendre toutefois des #contradictions majeures qui forment les conditions d’une #dégradation rapide de l’ESR.

    Co-construction historique du système éducatif français par les enseignants et l’État

    Depuis la Révolution française, le système éducatif français s’est déployé sur la base d’une régulation administrée, endogène, co-construite par le corps enseignant et l’État ; la profession en assumant de fait la charge déléguée par l’État (Musselin, 2022). Historiquement, elle a permis la croissance des niveaux d’éducation successifs par de la dépense publique (Michel, 2002). L’allongement historique de la scolarité (fig.1) a permis de façonner la force de travail, facteur décisif des gains de productivité au cœur de la croissance industrielle passée. L’éducation, et progressivement l’ESR, jouent un rôle structurant dans la reproduction de la force de travail et plus largement de la reproduction de la société - stratifications sociales incluses.

    À la fin des années 1960, l’expansion du secondaire se poursuit dans un contexte où la détention de diplômes devient un avantage pour s’insérer dans l’emploi. D’abord pour la bourgeoisie. La massification du supérieur intervient après les années 1980. C’est un phénomène décisif, visible dès les années 1970. Rapidement cela va télescoper une période d’austérité budgétaire. Au cours des années 2000, le pilotage de l’université, basé jusque-là sur l’ensemble du système éducatif et piloté par la profession (pour une version détaillée), s’est effacé au profit d’un pilotage pour et par la recherche, en lien étroit avec le régime d’accumulation financiarisé dans les pays de l’OCDE. Dans ce cadre, l’activité économique est orientée par l’extraction de la valeur financière, c’est à dire principalement par les marchés de capitaux et non par l’activité productive (Voir notamment Clévenot 2008).
    L’ESR : formation d’un secteur productif orienté par la recherche

    La #massification du supérieur rencontre rapidement plusieurs obstacles. Les effectifs étudiants progressent plus vite que ceux des encadrants (Piketty met à jour un graphique révélateur), ce qui entrave la qualité de la formation. La baisse du #taux_d’encadrement déclenche une phase de diminution de la dépense moyenne, car dans l’ESR le travail est un quasi-coût fixe ; avant que ce ne soit pour cette raison les statuts et donc la rémunération du travail qui soient visés. Ceci alors que pourtant il y a une corrélation étroite entre taux d’encadrement et #qualité_de_l’emploi. L’INSEE montre ainsi que le diplôme est un facteur d’amélioration de la productivité, alors que la productivité plonge en France (voir Aussilloux et al. (2020) et Guadalupe et al. 2022).

    Par ailleurs, la massification entraine une demande de différenciation de la part les classes dominantes qui perçoivent le #diplôme comme un des instruments de la reproduction stratifiée de la population. C’est ainsi qu’elles se détournent largement des filières et des établissements massifiés, qui n’assurent plus la fonction de « distinction » (voir le cas exemplaire des effectifs des #écoles_de_commerce et #grandes_écoles).

    Dans le même temps la dynamique de l’accumulation suppose une population formée par l’ESR (i.e. un niveau de diplomation croissant). Cela se traduit par l’insistance des entreprises à définir elles-mêmes les formations supérieures (i.e. à demander des salariés immédiatement aptes à une activité productive, spécialisés). En effet la connaissance, incorporée par les travailleurs, est devenue un actif stratégique majeur pour les entreprises.

    C’est là qu’apparaît une rupture dans l’ESR. Cette rupture est celle de la remise en cause d’un #service_public dont l’organisation est administrée, et dont le pouvoir sur les carrières des personnels, sur la définition des programmes et des diplômes, sur la direction des établissements etc. s’estompe, au profit d’une organisation qui revêt des formes d’un #secteur_productif.

    Depuis la #LRU (2007) puis la #LPR (2020) et la vague qui s’annonce, on peut identifier plusieurs lignes de #transformation, la #mise_en_concurrence conduisant à une adaptation des personnels et des établissements. Au premier titre se trouvent les instruments de #pilotage par la #performance et l’#évaluation. À cela s’ajoute la concurrence entre établissements pour l’#accès_aux_financements (type #Idex, #PIA etc.), aux meilleures candidatures étudiantes, aux #labels et la concurrence entre les personnels, pour l’accès aux #dotations (cf. agences de programmes, type #ANR, #ERC) et l’accès aux des postes de titulaires. Enfin le pouvoir accru des hiérarchies, s’exerce aux dépens de la #collégialité.

    La généralisation de l’évaluation et de la #sélection permanente s’opère au moyen d’#indicateurs permettant de classer. Gingras évoque une #Fièvre_de_l’évaluation, qui devient une référence définissant des #standards_de_qualité, utilisés pour distribuer des ressources réduites. Il y a là un instrument de #discipline agissant sur les #conduites_individuelles (voir Clémentine Gozlan). L’important mouvement de #fusion des universités est ainsi lié à la recherche d’un registre de performance déconnecté de l’activité courante de formation (être université de rang mondial ou d’université de recherche), cela condensé sous la menace du #classement_de_Shanghai, pourtant créé dans un tout autre but.

    La remise en question du caractère national des diplômes, revenant sur les compromis forgés dans le temps long entre les professions et l’État (Kouamé et al. 2023), quant à elle, assoit la mise en concurrence des établissements qui dépossède en retour la profession au profit des directions d’établissement.

    La dynamique de #mise_en_concurrence par les instruments transforme les carrières et la relation d’#emploi, qui reposaient sur une norme commune, administrée par des instances élues, non sans conflit. Cela fonctionne par des instruments, au sens de Lascoumes et Legalès, mais aussi parce que les acteurs les utilisent. Le discours du 7 décembre est éloquent à propos de la transformation des #statuts pour assurer le #pilotage_stratégique non par la profession mais par des directions d’établissements :

    "Et moi, je souhaite que les universités qui y sont prêtes et qui le veulent fassent des propositions les plus audacieuses et permettent de gérer la #ressource_humaine (…) la ministre m’a interdit de prononcer le mot statut. (…) Donc je n’ai pas dit qu’on allait réformer les statuts (…) moi, je vous invite très sincèrement, vous êtes beaucoup plus intelligents que moi, tous dans cette salle, à les changer vous-mêmes."

    La démarche est caractéristique du #new_management_public : une norme centrale formulée sur le registre non discutable d’une prétérition qui renvoie aux personnes concernées, celles-là même qui la refuse, l’injonction de s’amputer (Bechtold-Rognon & Lamarche, 2011).

    Une des clés est le transfert de gestion des personnels aux établissements alors autonomes : les carrières, mais aussi la #gouvernance, échappent progressivement aux instances professionnelles élues. Il y a un processus de mise aux normes du travail de recherche, chercheurs/chercheuses constituant une main d’œuvre qui est atypique en termes de formation, de types de production fortement marqués par l’incertitude, de difficulté à en évaluer la productivité en particulier à court terme. Ce processus est un marqueur de la transformation qui opère, à savoir, un processus de transformation en un secteur. La #pénurie de moyen public est un puissant levier pour que les directions d’établissement acceptent les #règles_dérogatoires (cf. nouveaux contrats de non titulaires ainsi que les rapports qui ont proposé de spécialiser voire de moduler des services).

    On a pu observer depuis la LRU et de façon active depuis la LPR, à la #destruction régulière du #compromis_social noué entre l’État social et le monde enseignant. La perte spectaculaire de #pouvoir_d’achat des universitaires, qui remonte plus loin historiquement, en est l’un des signaux de fond. Il sera progressivement articulé avec l’éclatement de la relation d’emploi (diminution de la part de l’emploi sous statut, #dévalorisation_du_travail etc.).

    Arrimer l’ESR au #régime_d’accumulation, une visée utilitariste

    L’État est un acteur essentiel dans l’émergence de la production de connaissance, hier comme commun, désormais comme résultat, ou produit, d’un secteur productif. En dérégulant l’ESR, le principal appareil de cette production, l’État délaisse la priorité accordée à la montée de la qualification de la population active, au profit d’un #pilotage_par_la_recherche. Ce faisant, il radicalise des dualités anciennes entre système éducatif pour l’élite et pour la masse, entre recherche utile à l’industrie et recherche vue comme activité intellectuelle (cf. la place des SHS), etc.

    La croissance des effectifs étudiants sur une période assez longue, s’est faite à moyens constants avec des effectifs titulaires qui ne permettent pas de maintenir la qualité du travail de formation (cf. figure 2). L’existence de gisements de productivité supposés, à savoir d’une partie de temps de travail des enseignants-chercheurs inutilisé, a conduit à une pénurie de poste et à une recomposition de l’emploi : alourdissement des tâches des personnels statutaires pour un #temps_de_travail identique et développement de l’#emploi_hors_statut. Carpentier & Picard ont récemment montré, qu’en France comme ailleurs, le recours au #précariat s’est généralisé, participant par ce fait même à l’effritement du #corps_professionnel qui n’a plus été à même d’assurer ni sa reproduction ni ses missions de formation.

    C’est le résultat de l’évolution longue. L’#enseignement est la part délaissée, et les étudiants et étudiantes ne sont plus au cœur des #politiques_universitaires : ni par la #dotation accordée par étudiant, ni pour ce qui structure la carrière des universitaires (rythmée par des enjeux de recherche), et encore moins pour les dotations complémentaires (associées à une excellence en recherche). Ce mouvement se met toutefois en œuvre en dehors de la formation des élites qui passent en France majoritairement par les grandes écoles (Charle et Soulié, 2015). Dès lors que les étudiants cessaient d’être le principe organisateur de l’ESR dans les universités, la #recherche pouvait s’y substituer. Cela intervient avec une nouvelle convention de qualité de la recherche. La mise en œuvre de ce principe concurrentiel, initialement limité au financement sur projets, a été élargie à la régulation des carrières.

    La connaissance, et de façon concrète le niveau de diplôme des salariés, est devenu une clé de la compétitivité, voire, pour les gouvernements, de la perspective de croissance. Alors que le travail de recherche tend à devenir une compétence générale du travail qualifié, son rôle croissant dans le régime d’accumulation pousse à la transformation du rapport social de travail de l’ESR.

    C’est à partir du système d’#innovation, en ce que la recherche permet de produire des actifs de production, que l’appariement entre recherche et profit participe d’une dynamique nouvelle du régime d’accumulation.

    Cette dynamique est pilotée par l’évolution jointe du #capitalisme_financiarisé (primauté du profit actionnarial sur le profit industriel) et du capitalisme intensif en connaissance. Les profits futurs des entreprises, incertains, sont liés d’une part aux investissements présents, dont le coût élevé repose sur la financiarisation tout en l’accélérant, et d’autre part au travail de recherche, dont le contrôle échappe au régime historique de croissance de la productivité. La diffusion des compétences du travail de recherche, avec la montée des qualifications des travailleurs, et l’accumulation de connaissances sur lequel il repose, deviennent primordiaux, faisant surgir la transformation du contenu du travail par l’élévation de sa qualité dans une division du travail qui vise pourtant à l’économiser. Cela engendre une forte tension sur la production des savoirs et les systèmes de transmission du savoir qui les traduisent en connaissances et compétences.

    Le travail de recherche devenant une compétence stratégique du travail dans tous les secteurs d’activité, les questions posées au secteur de recherche en termes de mesure de l’#efficacité deviennent des questions générales. L’enjeu en est l’adoption d’une norme d’évaluation que les marchés soient capables de faire circuler parmi les secteurs et les activités consommatrices de connaissances.

    Un régime face à ses contradictions

    Cette transformation de la recherche en un secteur, arrimé au régime d’accumulation, suppose un nouveau compromis institutionnalisé. Mais, menée par une politique néolibérale, elle se heurte à plusieurs contradictions majeures qui détruisent les conditions de sa stabilisation sans que les principes d’une régulation propre ne parviennent à émerger.

    Quand la normalisation du travail de recherche dévalorise l’activité et les personnels

    Durant la longue période de régulation administrée, le travail de recherche a associé le principe de #liberté_académique à l’emploi à statut. L’accomplissement de ce travail a été considéré comme incompatible avec une prise en charge par le marché, ce dernier n’étant pas estimé en capacité de former un signal prix sur les services attachés à ce type de travail. Ainsi, la production de connaissance est un travail entre pairs, rattachés à des collectifs productifs. Son caractère incertain, la possibilité de l’erreur sont inscrits dans le statut ainsi que la définition de la mission (produire des connaissances pour la société, même si son accaparement privé par la bourgeoisie est structurel). La qualité de l’emploi, notamment via les statuts, a été la clé de la #régulation_professionnelle. Avec la #mise_en_concurrence_généralisée (entre établissements, entre laboratoires, entre Universités et grandes écoles, entre les personnels), le compromis productif entre les individus et les collectifs de travail est rompu, car la concurrence fait émerger la figure du #chercheur_entrepreneur, concerné par la #rentabilisation des résultats de sa recherche, via la #valorisation sous forme de #propriété_intellectuelle, voire la création de #start-up devenu objectifs de nombre d’université et du CNRS.

    La réponse publique à la #dévalorisation_salariale évoquée plus haut, passe par une construction différenciée de la #rémunération, qui rompt le compromis incarné par les emplois à statut. Le gel des rémunérations s’accompagne d’une individualisation croissante des salaires, l’accès aux ressources étant largement subordonné à l’adhésion aux dispositifs de mise en concurrence. La grille des rémunérations statutaires perd ainsi progressivement tout pouvoir organisationnel du travail. Le rétrécissement de la possibilité de travailler hors financements sur projet est indissociable du recours à du #travail_précaire. La profession a été dépossédée de sa capacité à défendre son statut et l’évolution des rémunérations, elle est inopérante à faire face à son dépècement par le bloc minoritaire.

    La contradiction intervient avec les dispositifs de concurrence qui tirent les instruments de la régulation professionnelle vers une mise aux normes marchandes pour une partie de la communauté par une autre. Ce mouvement est rendu possible par le décrochage de la rémunération du travail : le niveau de rémunération d’entrée dans la carrière pour les maîtres de conférences est ainsi passé de 2,4 SMIC dans les années 1980 à 1,24 aujourd’hui.

    Là où le statut exprimait l’impossibilité d’attacher une valeur au travail de recherche hors reconnaissance collective, il tend à devenir un travail individualisable dont le prix sélectionne les usages et les contenus. Cette transformation du travail affecte durablement ce que produit l’université.

    Produire de l’innovation et non de la connaissance comme communs

    Durant la période administrée, c’est sous l’égide de la profession que la recherche était conduite. Définissant la valeur de la connaissance, l’action collective des personnels, ratifiée par l’action publique, pose le caractère non rival de l’activité. La possibilité pour un résultat de recherche d’être utilisé par d’autres sans coût de production supplémentaire était un gage d’efficacité. Les passerelles entre recherche et innovation étaient nombreuses, accordant des droits d’exploitation, notamment à l’industrie. Dans ce cadre, le lien recherche-profit ou recherche-utilité économique, sans être ignoré, ne primait pas. Ainsi, la communauté professionnelle et les conditions de sa mise au travail correspondait à la nature de ce qui était alors produit, à savoir les connaissances comme commun. Le financement public de la recherche concordait alors avec la nature non rivale et l’incertitude radicale de (l’utilité de) ce qui est produit.

    La connaissance étant devenue un actif stratégique, sa valorisation par le marché s’est imposée comme instrument d’orientation de la recherche. Finalement dans un régime d’apparence libérale, la conduite politique est forte, c’est d’ailleurs propre d’un régime néolibéral tel que décrit notamment par Amable & Palombarini (2018). Les #appels_à_projet sélectionnent les recherches susceptibles de #valorisation_économique. Là où la #publication fait circuler les connaissances et valide le caractère non rival du produit, les classements des publications ont pour objet de trier les résultats. La priorité donnée à la protection du résultat par la propriété intellectuelle achève le processus de signalement de la bonne recherche, rompant son caractère non rival. La #rivalité exacerbe l’effectivité de l’exclusion par les prix, dont le niveau est en rapport avec les profits anticipés.

    Dans ce contexte, le positionnement des entreprises au plus près des chercheurs publics conduit à une adaptation de l’appareil de production de l’ESR, en créant des lieux (#incubateurs) qui établissent et affinent l’appariement recherche / entreprise et la #transférabilité à la #valorisation_marchande. La hiérarchisation des domaines de recherche, des communautés entre elles et en leur sein est alors inévitable. Dans ce processus, le #financement_public, qui continue d’endosser les coûts irrécouvrables de l’incertitude, opère comme un instrument de sélection et d’orientation qui autorise la mise sous contrôle de la sphère publique. L’ESR est ainsi mobilisée par l’accumulation, en voyant son autonomie (sa capacité à se réguler, à orienter les recherches) se réduire. L’incitation à la propriété intellectuelle sur les résultats de la recherche à des fins de mise en marché est un dispositif qui assure cet arrimage à l’accumulation.

    Le caractère appropriable de la recherche, devenant essentiel pour la légitimation de l’activité, internalise une forme de consentement de la communauté à la perte du contrôle des connaissances scientifiques, forme de garantie de sa circulation. Cette rupture de la non-rivalité constitue un coût collectif pour la société que les communautés scientifiques ne parviennent pas à rendre visible. De la même manière, le partage des connaissances comme principe d’efficacité par les externalités positives qu’il génère n’est pas perçu comme un principe alternatif d’efficacité. Chemin faisant, une recherche à caractère universel, régulée par des communautés, disparait au profit d’un appareil sous doté, orienté vers une utilité de court terme, relayé par la puissance publique elle-même.

    Un bloc hégémonique réduit, contre la collégialité universitaire

    En tant que mode de gouvernance, la collégialité universitaire a garanti la participation, et de fait la mobilisation des personnels, car ce n’est pas la stimulation des rémunérations qui a produit l’#engagement. Les collectifs de travail s’étaient dotés d’objectifs communs et s’étaient accordés sur la #transmission_des_savoirs et les critères de la #validation_scientifique. La #collégialité_universitaire en lien à la définition des savoirs légitimes a été la clé de la gouvernance publique. Il est indispensable de rappeler la continuité régulatrice entre liberté académique et organisation professionnelle qui rend possible le travail de recherche et en même temps le contrôle des usages de ses produits.

    Alors que l’université doit faire face à une masse d’étudiants, elle est évaluée et ses dotations sont accordées sur la base d’une activité de recherche, ce qui produit une contradiction majeure qui affecte les universités, mais pas toutes. Il s’effectue un processus de #différenciation_territoriale, avec une masse d’établissements en souffrance et un petit nombre qui a été retenu pour former l’élite. Les travaux de géographes sur les #inégalités_territoriales montrent la très forte concentration sur quelques pôles laissant des déserts en matière de recherche. Ainsi se renforce une dualité entre des universités portées vers des stratégies d’#élite et d’autres conduites à accepter une #secondarisation_du_supérieur. Une forme de hiatus entre les besoins technologiques et scientifiques massifs et le #décrochage_éducatif commence à être diagnostiquée.

    La sectorisation de l’ESR, et le pouvoir pris par un bloc hégémonique réduit auquel participent certaines universités dans l’espoir de ne pas être reléguées, ont procédé par l’appropriation de prérogatives de plus en plus larges sur les carrières, sur la valorisation de la recherche et la propriété intellectuelle, de ce qui était un commun de la recherche. En cela, les dispositifs d’excellence ont joué un rôle marquant d’affectation de moyens par une partie étroite de la profession. De cette manière, ce bloc capte des prébendes, assoit son pouvoir par la formation des normes concurrentielles qu’il contrôle et développe un rôle asymétrique sur les carrières par son rôle dominant dans l’affectation de reconnaissance professionnelle individualisée, en contournant les instances professionnelles. Il y a là création de nouveaux périmètres par la norme, et la profession dans son ensemble n’a plus grande prise, elle est mise à distance des critères qui servent à son nouveau fonctionnement et à la mesure de la performance.

    Les dispositifs mis en place au nom de l’#excellence_scientifique sont des instruments pour ceux qui peuvent s’en emparer et définissant les critères de sélection selon leur représentation, exercent une domination concurrentielle en sélectionnant les élites futures. Il est alors essentiel d’intégrer les Clubs qui en seront issus. Il y a là une #sociologie_des_élites à préciser sur la construction d’#UDICE, club des 10 universités dites d’excellence. L’évaluation de la performance détermine gagnants et perdants, via des labels, qui couronnent des processus de sélection, et assoit le pouvoir oligopolistique et les élites qui l’ont porté, souvent contre la masse de la profession (Musselin, 2017).

    Le jeu des acteurs dominants, en lien étroit avec le pouvoir politique qui les reconnait et les renforce dans cette position, au moyen d’instruments de #rationalisation de l’allocation de moyens pénuriques permet de définir un nouvel espace pour ceux-ci, ségrégué du reste de l’ESR, démarche qui est justifié par son arrimage au régime d’accumulation. Ce processus s’achève avec une forme de séparatisme du nouveau bloc hégémonique composé par ces managers de l’ESR, composante minoritaire qui correspond d’une certaine mesure au bloc bourgeois. Celles- et ceux-là même qui applaudissent le discours présidentiel annonçant la révolution dont un petit fragment tirera du feu peu de marrons, mais qui seront sans doute pour eux très lucratifs. Toutefois le scénario ainsi décrit dans sa tendance contradictoire pour ne pas dire délétère ne doit pas faire oublier que les communautés scientifiques perdurent, même si elles souffrent. La trajectoire choisie de sectorisation déstabilise l’ESR sans ouvrir d’espace pour un compromis ni avec les personnels ni pour la formation. En l’état, les conditions d’émergence d’un nouveau régime pour l’ESR, reliant son fonctionnement et sa visée pour la société ne sont pas réunies, en particulier parce que la #rupture se fait contre la profession et que c’est pourtant elle qui reste au cœur de la production.

    https://laviedesidees.fr/Universite-service-public-ou-secteur-productif
    #ESR #facs #souffrance

  • La #géographie, c’est de droite ?

    En pleine torpeur estivale, les géographes #Aurélien_Delpirou et #Martin_Vanier publient une tribune dans Le Monde pour rappeler à l’ordre #Thomas_Piketty. Sur son blog, celui-ci aurait commis de coupables approximations dans un billet sur les inégalités territoriales. Hypothèse : la querelle de chiffres soulève surtout la question du rôle des sciences sociales. (Manouk Borzakian)

    Il y a des noms qu’il ne faut pas prononcer à la légère, comme Beetlejuice. Plus dangereux encore, l’usage des mots espace, spatialité et territoire : les dégainer dans le cyberespace public nécessite de soigneusement peser le pour et le contre. Au risque de voir surgir, tel un esprit maléfique réveillé par mégarde dans une vieille maison hantée, pour les plus chanceux un tweet ironique ou, pour les âmes maudites, une tribune dans Libération ou Le Monde signée Michel Lussault et/ou Jacques Lévy, gardiens du temple de la vraie géographie qui pense et se pense.

    Inconscient de ces dangers, Thomas Piketty s’est fendu, le 11 juillet, d’un billet de blog sur les #inégalités_territoriales (https://www.lemonde.fr/blog/piketty/2023/07/11/la-france-et-ses-fractures-territoriales). L’économiste médiatique y défend deux idées. Premièrement, les inégalités territoriales se sont creusées en #France depuis une génération, phénomène paradoxalement (?) renforcé par les mécanismes de #redistribution. Deuxièmement, les #banlieues qui s’embrasent depuis la mort de Nahel Merzouk ont beaucoup en commun avec les #petites_villes et #villages souffrant de #relégation_sociospatiale – même si les défis à relever varient selon les contextes. De ces deux prémisses découle une conclusion importante : il incombe à la #gauche de rassembler politiquement ces deux ensembles, dont les raisons objectives de s’allier l’emportent sur les différences.

    À l’appui de son raisonnement, le fondateur de l’École d’économie de Paris apporte quelques données macroéconomiques : le PIB par habitant à l’échelle départementale, les prix de l’immobilier à l’échelle des communes et, au niveau communal encore, le revenu moyen. C’est un peu court, mais c’est un billet de blog de quelques centaines de mots, pas une thèse de doctorat.

    Sus aux #amalgames

    Quelques jours après la publication de ce billet, Le Monde publie une tribune assassine signée Aurélien Delpirou et Martin Vanier, respectivement Maître de conférences et Professeur à l’École d’urbanisme de Paris – et membre, pour le second, d’ACADIE, cabinet de conseil qui se propose d’« écrire les territoires » et de « dessiner la chose publique ». Point important, les deux géographes n’attaquent pas leur collègue économiste, au nom de leur expertise disciplinaire, sur sa supposée ignorance des questions territoriales. Ils lui reprochent le manque de rigueur de sa démonstration.

    Principale faiblesse dénoncée, les #données, trop superficielles, ne permettraient pas de conclusions claires ni assurées. Voire, elles mèneraient à des contresens. 1) Thomas Piketty s’arrête sur les valeurs extrêmes – les plus riches et les plus pauvres – et ignore les cas intermédiaires. 2) Il mélange inégalités productives (le #PIB) et sociales (le #revenu). 3) Il ne propose pas de comparaison internationale, occultant que la France est « l’un des pays de l’OCDE où les contrastes régionaux sont le moins prononcés » (si c’est pire ailleurs, c’est que ce n’est pas si mal chez nous).

    Plus grave, les géographes accusent l’économiste de pratiquer des amalgames hâtifs, sa « vue d’avion » effaçant les subtilités et la diversité des #inégalités_sociospatiales. Il s’agit, c’est le principal angle d’attaque, de disqualifier le propos de #Piketty au nom de la #complexité du réel. Et d’affirmer : les choses sont moins simples qu’il n’y paraît, les exceptions abondent et toute tentative de catégoriser le réel flirte avec la #simplification abusive.

    La droite applaudit bruyamment, par le biais de ses brigades de twittos partageant l’article à tour de bras et annonçant l’exécution scientifique de l’économiste star. Mais alors, la géographie serait-elle de droite ? Étudier l’espace serait-il gage de tendances réactionnaires, comme l’ont laissé entendre plusieurs générations d’historiens et, moins directement mais sans pitié, un sociologue célèbre et lui aussi très médiatisé ?

    Pensée bourgeoise et pensée critique

    D’abord, on comprend les deux géographes redresseurs de torts. Il y a mille et une raisons, à commencer par le mode de fonctionnement de la télévision (format, durée des débats, modalité de sélection des personnalités invitées sur les plateaux, etc.), de clouer au pilori les scientifiques surmédiatisés, qui donnent à qui veut l’entendre leur avis sur tout et n’importe quoi, sans se soucier de sortir de leur champ de compétence. On pourrait même imaginer une mesure de salubrité publique : à partir d’un certain nombre de passages à la télévision, disons trois par an, tout économiste, philosophe, politologue ou autre spécialiste des sciences cognitives devrait se soumettre à une cérémonie publique de passage au goudron et aux plumes pour expier son attitude narcissique et, partant, en contradiction flagrante avec les règles de base de la production scientifique.

    Mais cette charge contre le texte de Thomas Piketty – au-delà d’un débat chiffré impossible à trancher ici – donne surtout le sentiment de relever d’une certaine vision de la #recherche. Aurélien Delpirou et Martin Vanier invoquent la rigueur intellectuelle – indispensable, aucun doute, même si la tentation est grande de les accuser de couper les cheveux en quatre – pour reléguer les #sciences_sociales à leur supposée #neutralité. Géographes, économistes ou sociologues seraient là pour fournir des données, éventuellement quelques théories, le cas échéant pour prodiguer des conseils techniques à la puissance publique. Mais, au nom de leur nécessaire neutralité, pas pour intervenir dans le débat politique – au sens où la politique ne se résume pas à des choix stratégiques, d’aménagement par exemple.

    Cette posture ne va pas de soi. En 1937, #Max_Horkheimer propose, dans un article clé, une distinction entre « #théorie_traditionnelle » et « #théorie_critique ». Le fondateur, avec #Theodor_Adorno, de l’#École_de_Francfort, y récuse l’idée cartésienne d’une science sociale détachée de son contexte et fermée sur elle-même. Contre cette « fausse conscience » du « savant bourgeois de l’ère libérale », le philosophe allemand défend une science sociale « critique », c’est-à-dire un outil au service de la transformation sociale et de l’émancipation humaine. L’une et l’autre passent par la #critique de l’ordre établi, dont il faut sans cesse rappeler la contingence : d’autres formes de société, guidées par la #raison, sont souhaitables et possibles.

    Quarante ans plus tard, #David_Harvey adopte une posture similaire. Lors d’une conférence donnée en 1978 – Nicolas Vieillecazes l’évoque dans sa préface à Géographie de la domination –, le géographe britannique se démarque de la géographie « bourgeoise ». Il reproche à cette dernière de ne pas relier les parties (les cas particuliers étudiés) au tout (le fonctionnement de la société capitaliste) ; et de nier que la position sociohistorique d’un chercheur ou d’une chercheuse informe inévitablement sa pensée, nécessitant un effort constant d’auto-questionnement. Ouf, ce n’est donc pas la géographie qui est de droite, pas plus que la chimie ou la pétanque.

    Neutralité vs #objectivité

    Il y a un pas, qu’on ne franchira pas, avant de voir en Thomas Piketty un héritier de l’École de Francfort. Mais son texte a le mérite d’assumer l’entrelacement du scientifique – tenter de mesurer les inégalités et objectiver leur potentielle creusement – et du politique – relever collectivement le défi de ces injustices, en particulier sur le plan de la #stratégie_politique.

    S’il est évident que la discussion sur les bonnes et les mauvaises manières de mesurer les #inégalités, territoriales ou autres, doit avoir lieu en confrontant des données aussi fines et rigoureuses que possible, ce n’est pas manquer d’objectivité que de revendiquer un agenda politique. On peut même, avec Boaventura de Sousa Santos, opposer neutralité et objectivité. Le sociologue portugais, pour des raisons proches de celles d’Horkheimer, voit dans la neutralité en sciences sociales une #illusion – une illusion dangereuse, car être conscient de ses biais éventuels reste le seul moyen de les limiter. Mais cela n’empêche en rien l’objectivité, c’est-à-dire l’application scrupuleuse de #méthodes_scientifiques à un objet de recherche – dans le recueil des données, leur traitement et leur interprétation.

    En reprochant à Thomas Piketty sa #superficialité, en parlant d’un débat pris « en otage », en dénonçant une prétendue « bien-pensance de l’indignation », Aurélien Delpirou et Martin Vanier désignent l’arbre de la #rigueur_intellectuelle pour ne pas voir la forêt des problèmes – socioéconomiques, mais aussi urbanistiques – menant à l’embrasement de banlieues cumulant relégation et stigmatisation depuis un demi-siècle. Ils figent la pensée, en font une matière inerte dans laquelle pourront piocher quelques technocrates pour justifier leurs décisions, tout au plus.

    Qu’ils le veuillent ou non – et c’est certainement à leur corps défendant – c’est bien la frange réactionnaire de la twittosphère, en lutte contre le « socialisme », le « wokisme » et la « culture de l’excuse », qui se repait de leur mise au point.

    https://blogs.mediapart.fr/geographies-en-mouvement/blog/010823/la-geographie-cest-de-droite

  • « Les banlieues qui s’enflamment ont beaucoup plus en commun avec les bourgs et les villages abandonnés que ce que l’on s’imagine », Thomas Piketty

    Pour analyser les émeutes urbaines de 2023 – de loin les plus graves depuis celles de 2005 – et les incompréhensions politiques qu’elles suscitent, il est indispensable de revenir aux sources du malaise territorial français. Les banlieues qui s’enflamment aujourd’hui ont beaucoup plus en commun avec les bourgs et les villages abandonnés que ce que l’on s’imagine parfois. Seul le rapprochement politique de ces différents territoires défavorisés permettra de sortir des contradictions actuelles.

    Revenons en arrière. Entre 1900-1910 et 1980-1990, les inégalités territoriales ont diminué en France, aussi bien du point de vue des écarts de produit intérieur brut [PIB] par habitant entre départements que des inégalités de richesse immobilière ou de revenu moyen entre communes et entre départements.

    C’est tout l’inverse qui s’est produit depuis les années 1980-1990 (Julia Cagé et Thomas Piketty, Une histoire du conflit politique, Seuil, 832 pages, 27 euros). Le ratio entre le PIB par habitant des cinq départements les plus riches et les plus pauvres, qui était passé de 3,5 en 1900 à 2,5 en 1985, est ainsi remonté à 3,4 en 2022.

    On assiste au passage à une concentration inédite du PIB au sein de quelques départements de l’Ile-de-France (notamment #Paris et les #Hauts-de-Seine), en lien avec l’expansion sans précédent du secteur financier et des états-majors des grandes entreprises, et au détriment des centres industriels provinciaux. Cette évolution spectaculaire a été exacerbée par la dérégulation financière et la libéralisation commerciale, ainsi que par des investissements publics faisant la part belle à la région capitale et aux grandes métropoles (TGV contre trains régionaux).

    Défis spécifiques

    On retrouve des évolutions similaires au niveau des inégalités entre communes. Le ratio entre la richesse immobilière moyenne des 1 % des communes les plus riches et les plus pauvres est passé de 10 en 1985 à 16 en 2022. A Vierzon (Cher), à Aubusson (Creuse) ou à Château-Chinon (Nièvre), la valeur moyenne des logements est d’à peine 60 000 euros. Elle dépasse les 1,2 million d’euros dans le 7e arrondissement de Paris, ainsi qu’à Marnes-la-Coquette (Hauts-de-Seine), à Saint-Jean-Cap-Ferrat (Alpes-Maritimes) ou à Saint-Marc-Jaumegarde (Bouches-du-Rhône).

    Le ratio entre le revenu moyen des 1 % des communes les plus riches et les plus pauvres est passé quant à lui de 5 en 1990 à plus de 8 en 2022. Le #revenu moyen est d’à peine 8 000 à 9 000 euros par an et par habitant à Creil (Oise), à Grigny (Essonne), à Grande-Synthe (Nord) ou à Roubaix (Nord). Il atteint 70 000 à 80 000 euros à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), au Vésinet (Yvelines) ou au Touquet (Pas-de-Calais). Il dépasse même les 100 000 euros par habitant (y compris les enfants !) dans les 7e et 8e arrondissements de la capitale.

    Le point central est que l’on observe des inégalités considérables entre communes sur l’ensemble du territoire, aussi bien à l’intérieur des grandes agglomérations que des bourgs et des villages. Au sommet de la hiérarchie territoriale se trouvent les banlieues les plus riches des grandes métropoles, une partie des centres-villes, ainsi qu’un certain nombre de bourgs et de villages huppés. Tout en bas de la pyramide, les banlieues les plus pauvres ont été lourdement frappées par la désindustrialisation. Elles sont désormais tout aussi pauvres que les bourgs et les villages les plus pauvres, ce qui n’était pas le cas historiquement.

    Ces différents territoires défavorisés font certes face à des défis spécifiques. Les banlieues #pauvres ont une beaucoup plus forte expérience de la diversité des origines et des discriminations avérées face aux pratiques policières, ou à l’accès au logement et à l’emploi. Il est urgent que la puissance publique se donne enfin les moyens d’objectiver et de mesurer rigoureusement l’évolution de ces discriminations – dont l’existence est démontrée par une multitude de travaux de recherche.

    L’argent public exacerbe les inégalités au lieu de les corriger

    Les différents territoires défavorisés se caractérisent également par des insertions spécifiques dans la structure productive. Les banlieues pauvres comprennent un grand nombre d’employés des services (commerce, restauration, nettoyage, santé, etc.) qui continuent de voter pour la gauche. A l’inverse, les bourgs et villages pauvres comprennent désormais davantage d’ouvriers exposés à la concurrence internationale. Beaucoup se sont sentis abandonnés par les gouvernements de gauche et de droite des dernières décennies (accusés d’avoir tout misé sur l’intégration européenne et commerciale à l’échelle mondiale, sans limites et sans règles) et ont rejoint le Rassemblement national (anciennement Front national).

    Mais, contrairement à ce que s’imaginent les responsables politiques du bloc nationaliste, ces électeurs attendent avant tout des réponses socio-économiques à leurs problèmes et non pas une stratégie de l’affrontement identitaire, qui ne correspond nullement à l’état réel de la société française, comme le montrent les niveaux très élevés de mixité et d’intermariages.

    La vérité est que les banlieues pauvres et les bourgs et villages pauvres ont beaucoup de points communs par rapport à tout ce qui les sépare des territoires les plus riches, notamment en matière d’accès aux services publics et de budgets communaux. La raison en est simple : les ressources dont disposent les collectivités publiques dépendent avant tout des bases fiscales locales, et les dispositifs nationaux supposément mis en place pour faire face à ces inégalités abyssales n’en ont jamais réduit qu’une petite partie.

    Finalement, le budget par habitant est plus élevé dans les communes riches que dans les communes pauvres, si bien que l’argent public exacerbe les inégalités initiales au lieu de les corriger, en toute bonne conscience. Les propositions faites en 2018 par le rapport Borloo pour objectiver cette réalité et y mettre fin ont été abandonnées, et le bloc libéral continue d’expliquer aujourd’hui qu’aucune redistribution supplémentaire n’est envisageable. Face aux impasses des deux autres blocs, c’est au bloc de gauche qu’il appartient aujourd’hui de rassembler les territoires défavorisés autour d’une plate-forme commune.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/08/thomas-piketty-les-banlieues-qui-s-enflamment-ont-beaucoup-plus-en-commun-av

    la périphérie est (presque) partout

    #émeutes #banlieues #fiscalité #salaire #territoire

  • Atlas Social du Mans. Enjeux d’#aménagement et #inégalités_territoriales


    De nouvelles planches thématiques seront régulièrement proposées à la lecture. Découvrez :

    - Les Élections municipales : entre pandémie et abstention

    – Les Restructurations industrielles et le recul des effectifs de la classe ouvrière sur l’agglomération mancelle

    – Les ateliers ferroviaires : un symbole de l’évolution économique et sociologique de la ville

    – L’hégémonie de l’#automobile dans l’aire urbaine du Mans

    – La Sarthe, l’Huisne et la ville du Mans

    – L’enceinte romaine du Mans, recherches archéologiques et valorisation touristique

    – La « #bioéconomie_circulaire » peut-elle changer le Mans (Métropole) ?

    – Les #déchets : une longue histoire d’inégalités écologiques et environnementales

    – Le #zonage commercial aux portes du Mans : permanence ou fin d’un modèle ?

    https://atlas-social-du-mans.fr

    #Le_Mans #atlas #atlas_social #urban_matter

  • There’s a link between an increase in the non-UK born population, and rising prosperity, according to new research looking at economic and population change in places across the UK.

    https://twitter.com/MigrationYorks/status/1363156515436306433

    #économie #diversité #démographie #étrangers #prospérité

    –—

    ajouté à la métaliste sur le lien entre #économie (et surtout l’#Etat_providence) et la #migration... des arguments pour détruire l’#idée_reçue : « Les migrants profitent (voire : viennent POUR profiter) du système social des pays européens »... :

    https://seenthis.net/messages/971875

    ping @isskein @karine4

    • LEVEL BEST: Diversity, Cohesion and the Drive to Level Up

      #Levelling_up has become a core part of the political vocabulary in Britain, although it can still mean very different things to different people. Its central thrust, however, is tackling regional inequality by creating economic growth and investing in infrastructure in “left behind” areas – primarily towns.

      This matters in the fight against the far right for a number of reasons – most obviously because, as our previous work has consistently shown, there’s a strong link between hopelessness and decline at the local level and vulnerability to far right narratives. We should welcome investment in communities. Spending on infrastructure and sustainable economic activity in those towns at the sharp end of regional inequality is a big step in the right direction.

      However, our previous research has also shown that hostility towards migration and multiculturalism is often more pronounced in places with majority white populations, which may be diversifying for the first time. In our new report, Level Best, we show that areas that have seen the biggest rises in prosperity over the last decade also tend to have also seen the biggest increases in diversity.

      In rebuffing the typical far right narrative of immigration being a drag on employment and prosperity, these findings are also a challenge to anti-racists and anti-fascists: how do we “level up” in a way that drives resilience and optimism rather than waiting for the growing pains?

      https://www.hopefultowns.co.uk/level-best

      pour télécharger le #rapport:
      https://c38b684e-8f15-4ff8-b290-3b8ce6267869.filesusr.com/ugd/078118_8a8f1baf858b48178f1c35f2f12bc38b.pdf

      –->

      In our new report, #Level_Best, we show that areas that have seen the biggest rises in prosperity over the last decade also tend to have also seen the biggest increases in diversity.

      #inégalités_territoriales #inégalités_régionales #croissance_économique #multiculturalisme #opportunité #fardeau #travail #emploi #prospérité #salaire

    • « Nous avons besoin d’établissements universitaires à taille humaine, structurés en petites entités autonomes »

      Pour répondre à l’augmentation du nombre d’étudiants et à la crise sanitaire, un collectif d’universitaires propose, dans une tribune au « Monde », un plan d’urgence pour 2021. Et recommande notamment l’ouverture de trois nouvelles universités dans des villes moyennes.

      A l’université, la rentrée prend des airs de cauchemar. Nous payons le fait qu’en dix ans, l’ensemble des instances locales de délibération et de décision, qui auraient été les plus à même d’anticiper les problèmes, ont été privées de leurs capacités d’action au profit de strates bureaucratiques.

      Le pouvoir centralisé de celles-ci n’a d’égal que leur incapacité à gérer même les choses les plus simples, comme l’approvisionnement en gel hydroalcoolique et en lingettes. Le succès instantané du concept de « démerdentiel » est un désaveu cinglant pour ces manageurs qui ne savent que produire des communiqués erratiques jonglant entre rentrée en « présentiel » et en « distanciel ».

      On sait pourtant à quelles conditions les universités, au lieu de devenir des foyers de contagion, auraient pu contribuer à endiguer la circulation du virus : des tests salivaires collectifs pour chaque groupe de travaux dirigés (TD), à l’instar de ce qui est mis en place à Urbana-Champaign, aux Etats-Unis ; la mise à disposition de thermomètres frontaux ; une amélioration des systèmes de ventilation de chaque salle et de chaque amphi, avec adjonction de filtres à air HEPA et de flashs UV [des rayons désinfectants] si nécessaire ; l’installation de capteurs de qualité de l’air dans chaque pièce, avec un seuil d’alerte ; la réquisition de locaux vacants et le recrutement de personnel pour dédoubler cours et TD, partout où cela est requis.

      Un budget insuffisant

      Les grandes villes ne manquent pas d’immeubles sous-exploités, souvent issus du patrimoine de l’Etat, qui auraient pu être très vite transformés en annexes universitaires. De brillants titulaires d’un doctorat capables d’enseigner immédiatement à temps plein attendent, par milliers, un poste depuis des années. Tout était possible en l’espace de ces huit derniers mois, rien n’a été fait.

      De prime abord, on serait tenté d’attribuer ce bilan au fait que la crise sanitaire, inédite, a pris de court les bureaucraties universitaires, très semblables à celles qui, depuis vingt ans, entendent piloter les hôpitaux avec le succès que l’on a vu.

      Mais une autre donnée vient éclairer cette rentrée : les universités accueillent 57 700 nouveaux étudiants, sans amphithéâtre ni salle supplémentaire, sans le moindre matériel, sans le plus petit recrutement d’universitaires et de personnel administratif et technique. Ces trois dernières années, le budget des universités a crû de 1,3 % par an, ce qui est inférieur à l’effet cumulé de l’inflation et de l’accroissement mécanique de la masse salariale.

      Certains se prévaudront sans doute de l’« effort sans commune mesure depuis 1945 » qu’est censée manifester la loi de programmation de la recherche en discussion au Parlement. Las : le projet de budget du gouvernement ne prévoit qu’un accroissement, pour les universités, de 1,1 % en 2021… Du reste, les 8,2 milliards d’euros d’abondement sur dix ans du budget de l’université proviennent des 11,6 milliards d’euros qui seront prélevés dans les salaires bruts des universitaires, en application de la réforme des retraites.

      Réquisitions et réaménagements

      Il y a quinze ans, les statistiques prévisionnelles de l’Etat annonçaient que la population étudiante allait croître de 30 % entre 2010 et 2025 (soit 400 000 étudiants en plus), pour des raisons démographiques et grâce à l’allongement de la durée des études. On aurait donc largement pu anticiper ces 57 700 nouveaux étudiants. Mais rien n’a été fait là non plus, hormis annoncer des « créations de places » jamais converties en moyens.

      Le pic démographique n’est pas derrière nous ; nos étudiants sont là pour plusieurs années, et les gestes barrières pourraient devoir être maintenus durablement. Le ministère ne peut pas persévérer comme si de rien n’était, voire arguer qu’il est déjà trop tard.

      Face à cette situation désastreuse, nous demandons une vaste campagne de recrutement de personnels titulaires dans tous les corps de métiers, tout en amorçant les réquisitions et réaménagements de locaux, afin d’aborder la rentrée 2021 dans des conditions acceptables.

      Parallèlement, si nous ne voulons pas être en permanence en retard d’une crise, un saut qualitatif est nécessaire. Nous demandons donc, outre un plan d’urgence pour 2021, la création rapide de trois universités expérimentales de taille moyenne (20 000 étudiants), correspondant à ce qui aurait dû être fait pour accueillir 57 700 étudiants dans de bonnes conditions. Cela requiert le recrutement sous statut de 4 200 universitaires et 3 400 personnels d’appui et de soutien supplémentaires, soit un budget de 500 millions d’euros par an.

      S’extraire du cauchemar

      Nous avons besoin d’établissements à taille humaine, structurés en petites entités autonomes, mises en réseau confédéral, si besoin grâce au numérique ; d’établissements qui offrent à notre jeunesse maltraitée des perspectives d’émancipation vis-à-vis du milieu d’origine et de la sclérose intellectuelle qui frappe le pays ; d’établissements qui permettent une recherche autonome, collégiale et favorisant le temps long, ce qui nous a manqué dans l’anticipation et la prévention de la pandémie.

      Pour cela, nous préconisons l’installation de ces trois universités dans des villes moyennes, hors des métropoles, en prenant appui sur le patrimoine bâti abandonné par l’Etat et sur les biens sous-utilisés des collectivités. En effet, celles-ci possèdent d’anciens tribunaux, des garnisons, voire des bâtiments ecclésiastiques qui tombent aujourd’hui en déshérence.

      Réinvesti par l’université, ce patrimoine retrouverait une utilité sociale. Sur la base des dépenses de l’« opération Campus » [un plan lancé en 2008 en faveur de l’immobilier universitaire], la construction de ces pôles dotés de résidences étudiantes en nombre suffisant nécessiterait un milliard d’euros d’investissement, à quoi il faudrait ajouter cent millions d’euros de frais de maintenance et d’entretien. C’est le prix pour s’extraire du cauchemar. Le virus se nourrit de nos renoncements. Pour sortir les campus de l’ornière, nous devons retrouver l’ambition d’une université forte, exigeante, libre et ouverte.

      Stéphane André, professeur en ingénierie à l’université de Lorraine ; Bruno Andreotti, professeur en physique à l’université de Paris ; Pascale Dubus, maîtresse de conférences en histoire de l’art à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne ; Julien Gossa, maître de conférences en informatique à l’université de Strasbourg ; Jacques Haiech, professeur honoraire de biotechnologie à l’université de Strasbourg ; Pérola Milman, directrice de recherche en physique quantique au CNRS ; Pierre-Yves Modicom, maître de conférences en linguistique allemande à l’université Bordeaux-Montaigne ; Johanna Siméant-Germanos, professeure en sciences politiques à l’Ecole normale supérieure.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/28/nous-avons-besoin-d-etablissements-universitaires-a-taille-humaine-structure

    • Comment la loi de programmation de la recherche aggrave les inégalités entre territoires en France

      La loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPR) qui est actuellement en débat au Parlement et crispe le monde universitaire français s’inscrit dans le prolongement de réformes menées en France depuis 20 ans.

      Au-delà des alternances politiques, les lois successives ont eu pour point commun de se fonder sur ce que certains chercheurs ont appelé des croyances inspirées pour la plupart de modèles macro-économiques prônant la compétition et la destruction créatrice. Elles peuvent être résumées à l’aide d’un petit nombre d’axiomes, ces vérités admises sans démonstration.

      La recherche française est en déclin et n’arrive pas à faire face à la concurrence mondiale.

      Il découle de ce premier axiome la nécessité d’imposer des réformes au nom de l’intérêt national.

      La concentration des moyens de la recherche publique autour de quelques grands pôles est plus efficace que leur équipartition entre l’ensemble des établissements.

      Ce second axiome a justifié la mise en place successive d’une dizaine de conglomérats (PRES, COMUE ou IDEX) supposés répondre le mieux aux critères d’excellence et de taille.

      La compétition est le moteur principal de la performance, tant au niveau des individus que des établissements de recherche ou des territoires qui les accueillent.

      Ce dernier axiome justifie, d’une part, la mise en place d’avantages spécifiques pour les individus réputés les plus performants (accès au statut de membre de l’Institut Universitaire de France (IUF), obtention d’un poste de tenure tracks) et, d’autre part, un cumul de crédits au profit des établissements de recherche qui en ont obtenu antérieurement (notamment avec l’accroissement du préciput dans la LPR).

      Mais ces axiomes sont-ils démontrés ? Et quel est l’impact de leur application en matière d’aménagement du territoire ?
      La position de la recherche française dans les réseaux internationaux

      En 2016, d’après le dernier rapport de l’OST-HCERES, la France se situait au 8e rang mondial en production et au 5e rang en part de citations reçues par sa production. Malgré une augmentation continue du volume de ses publications internationales, la place relative de la France a baissé depuis le début des années 2000 ce qui contribue à alimenter l’idée d’un déclin… sauf que sur la même période, la Chine est passée du 8e au 2e rang mondial et l’Inde du 12e au 6e. Aussi, cette évolution traduit bien davantage la montée en puissance des pays émergents qu’une crise spécifique à la France.

      Le fait même de totaliser le volume de recherche par pays tend à masquer le fonctionnement réel de la recherche qui s’opère en réseau. L’examen détaillé des dynamiques de coopération scientifique montre d’ailleurs le rôle croissant joué par les petites villes universitaires françaises dans la production mondiale.

      Cette évolution résulte du rôle croissant des établissements d’enseignement supérieur dans la recherche mondiale. Les universités s’étant multipliées et diffusées dans l’armature urbaine au cours du XXᵉ siècle, la recherche est devenue plus polycentrique et l’on peut sans exagérer affirmer qu’elle n’est plus exclusivement le fait de quelques savants concentrés dans quelques hauts lieux de la connaissance, et a fortiori pour le cas de la France, à Paris.

      Sur le plan international, la France est bien intégrée au réseau scientifique mondial du fait des nombreux liens de coopération plutôt que de compétition qu’elle a su tisser et qui bénéficient à la fois de proximités spatiales et linguistiques, en témoignent encore une fois les derniers rapports de l’OST-HCERES.
      Concentration et rendements décroissants

      La recherche s’opérant à travers un réseau de villes universitaires, est-il pertinent comme le propose la LPR de concentrer les moyens dans quelques établissements des grandes métropoles françaises ?

      Un ensemble de travaux repris dans un dossier de La Vie des Idées montrent le rôle contre-productif de la concentration des crédits de recherche sur une petite élite et suggèrent que la meilleure recherche ne se fait ni nécessairement dans les plus grosses équipes, ni dans les plus grandes villes.

      Comme l’écrivait déjà la géographe Madeleine Brocard en 1991 dont les propos n’ont pas été démentis depuis :

      « La notion de “pôle d’excellence scientifique” revient régulièrement dans les discours concernant la recherche publique, puisqu’il s’agit de répartir les moyens de l’État. Elle s’appuie sur l’idée qu’il existe des effets de seuil : au-delà d’un certain seuil quantitatif de chercheurs dans une discipline donnée, la concentration de matière grise et d’équipements déclencherait l’étincelle. Cela n’a jamais été prouvé. »

      Les politiques menées depuis le début des années 2000 se sont pourtant employées à créer de grands pôles universitaires au prétexte de remonter les universités françaises dans le classement de Shanghai.

      En observant les dynamiques de recherche françaises entre 1980 et 2017, on observe cependant que les villes ayant bénéficié des financements issus des politiques d’excellence n’ont pas, suite à l’application de ces politiques, participé davantage que les villes petites et moyennes à la production scientifique du pays. Depuis la fin des années 1970, on assiste au contraire à une déconcentration et à une diversification des espaces de production du savoir, quelle que soit l’échelle d’analyse.
      L’importance des petits centres et des réseaux de proximité

      Créative, de qualité, la recherche menée dans les petits sites est en mesure de se connecter aux réseaux de recherche internationaux comme aux tissus locaux par le biais de coopérations avec des entreprises, d’actions de médiations et de valorisation des savoirs.

      On peut prendre le cas de la Fédération de recherche en chimie durable connue sous le nom du réseau INCREASE, dont le siège se trouve à Poitiers, qui mobilise des industriels locaux et internationaux, ainsi que des équipes de recherche en pointe réparties dans plusieurs villes de l’arc atlantique, et qui organise tous les deux ans un grand colloque international dans la ville de La Rochelle.

      Priver des universités de taille modeste comme Poitiers ou La Rochelle de moyens pour faire de la recherche, c’est risquer de nuire à la capacité de production académique du pays dans son ensemble, à la vitalité des territoires, et de fragiliser les réseaux de recherche tel que le réseau INCREASE. Or, nous l’avons vu, la circulation des idées que ce réseau permet entre villes de différentes régions ainsi qu’entre scientifiques de différentes spécialités et nationalités alimente les avancées scientifiques.

      Analyse prospective des effets démographiques et économiques de la LPR

      L’aménagement du territoire, cette « ardente obligation » selon le mot du général de Gaulle, semble bien mis à mal par la concentration croissante des moyens publics de recherche et d’enseignement supérieur au profit d’un très petit nombre de campus et d’initiatives d’excellences.

      En concentrant les populations de jeunes diplômés dans quelques points du territoire, la LPR risque d’amplifier la décroissance démographique des espaces périphériques ou des villes petites et moyennes. Elle va également accentuer les inégalités entre les régions et à l’intérieur de celle-ci.

      Une étude réalisée pour le Parlement européen sur les régions en décroissance et ultérieurement complétée par un ouvrage de synthèse en français permet de situer les effets prévisibles de la LPR par rapport trois types de stratégies d’aménagement du territoire et de décentralisation.

      La stratégie de métropolisation correspond à une politique de laissez-faire dénoncée en 2017 par un rapport du Sénat :

      « le développement économique se concentre essentiellement autour de quelques pôles métropolitains. Par contraste, de nombreux territoires connaissent un sentiment d’abandon et de « décrochage »).

      Or, notre analyse montre que les impacts négatifs de cette politique en termes de cohésion sociale et territoriale ne semblent nullement compensés par une efficacité économique supérieure.

      La stratégie de sacrifice territorial correspond davantage à la stratégie d’université d’excellence développée en Allemagne où le réseau urbain est moins polarisé par la capitale nationale. Mais il permet d’anticiper en France les effets de la LPR dans les nouvelles régions fusionnées issues des réformes territoriales de 2014-2015.

      Les anciennes régions affaiblies par la perte de leur capitale régionale (Champagne-Ardennes, Lorraine, Auvergne, Limousin, Poitou-Charentes, Picardie…) risquent de voir leur tissu scientifique et économique destructurés au profit d’une nouvelle métropole éloignée concentrant les crédits de recherche.

      La stratégie du polycentrisme en réseau supposerait au contraire la mise en place de réseaux scientifiques à la fois territoriaux et thématiques visant à maximiser les synergies locales et les connexions nationales et internationales. Leur objectif consisterait tout d’abord à développer d’authentiques politiques régionales de mise en réseau des acteurs de la recherche et de l’innovation. Mais également à mettre en place des fédérations de recherche d’échelle nationale et internationale autour de domaines scientifiques ou d’enjeux industriels précis, à l’exemple de la chimie.

      Une politique aveugle au fonctionnement des territoires et des réseaux

      En l’absence d’une concertation suffisante avec les représentants légitimes des territoires et de toute consultation des citoyens, la Loi de programmation pluriannuelle de la recherche tourne résolument le dos à plus d’un demi-siècle de politique d’aménagement du territoire en France.

      Aveugle à l’espace, cette politique remet en cause la politique de décentralisation et risque par là même de renforcer le mécontentement des citoyens face aux nouvelles régions ou métropoles issues de la loi MAPTAM. À l’intérieur des grandes métropoles, elle va pourrait également contribuer au renforcement de la ségrégation sociale en opposant les étudiants des établissements universitaires sélectifs à des universités périphériques ouvertes à tous mais paupérisées.

      Rejoignant les conclusions du rapport sénatorial de 2017 nous constatons que la conséquence de la « passivité » de l’État est un accroissement sans précédent des inégalités entre les territoires et le sentiment pour une partie de la population d’être « oubliée de la République ».

      Et par ailleurs que :

      « La seule issue serait d’engager une nouvelle politique d’aménagement du territoire forte et volontariste impliquant des évolutions institutionnelles et l’ensemble des parties prenantes (élus, administrations locales et centrales, acteurs privés, etc.). »

      A contrario de la LPR, le plan « Université 2000 » (1990-1995) puis le plan « Université du 3ᵉ millénaire » (1999-2000) avaient permis d’assurer un rééquilibrage qualitatif et quantitatif de l’offre de formation à tous les niveaux urbains. Face à des décisions qui vont engager l’avenir des territoires français, il apparaît nécessaire d’examiner plus précisément les conséquences prévisibles de la LPR en matière d’aménagement du territoire et de décentralisation. Et d’explorer la possibilité de mettre en place d’autres stratégies n’impliquant pas la destruction supposée « créatrice » des réseaux scientifiques et territoriaux.

      https://theconversation.com/comment-la-loi-de-programmation-de-la-recherche-aggrave-les-inegali

  • Spatial inequalities of COVID-19 in Italy

    A critical analysis was conducted on data relating to the COVID 19 infection in Italy. Looking at the official figures in our country, regional differences make data comparison and interpretation quite challenging. Differing health policy strategies (hospital assistance vs. local health assistance, swab tests to very specific population groups vs. screening of larger groups) add another layer of complexity when comparing data. The different levels of susceptibility to the infection among Italian regions can be partially explained by analysing many factors. We have grouped such factors into two subject areas (Social policies and healthcare strategies; Climate and geography) and listed some of the causes that could have led to different levels of susceptibility to the infection. Reflection on and awareness of the mistakes made will allow us to prevent the re-occurrence of health protection inequalities.

    http://www.j-reading.org/index.php/geography/article/view/258

    Pour télécharger le pdf :
    http://www.j-reading.org/index.php/geography/article/download/258/209

    #inégalités_territoriales #Italie #Covid-19 #coronavirus #statistiques #taux_de_mortalité #contaminations
    ping @simplicissimus

  • Assistantes maternelles, crèche, à domicile… Des modes de garde inégaux pour les moins de 3 ans

    Près d’un quart des parents n’ont pas accès à la solution qu’ils souhaitent pour faire garder leur enfant. 230 000 places supplémentaires seraient nécessaires dans les cinq ans à venir.

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/09/09/assistantes-maternelles-creche-a-domicile-des-modes-de-garde-inegaux-pour-le
    #inégalités #gardes_d'enfants #crèches #France #inégalités_territoriales #cartographie #visualisation #enfants #enfance

  • Le #Défenseur_des_droits s’inquiète du recul des #services_publics et évoque « la fatigue d’être usager »
    https://www.banquedesterritoires.fr/le-defenseur-des-droits-sinquiete-du-recul-des-services-publics

    Le rapport annuel présenté ce 12 mars par Jacques Toubon montre que pas moins de 93% des réclamations traitées par le Défenseur des droits sont liées aux services publics. Il pointe la réduction du périmètre de ces services, leur logique comptable peu compatible avec la #précarisation d’une partie des usagers, la complexité des démarches... Le Défenseur jette par ailleurs un jugement sévère sur la « politique de renforcement de la #sécurité ».

    #libertés_fondamentales #déontologie_de_la_sécurité #droit_des_étrangers #immigration #inégalités_territoriales #État #Sécurité_sociale #aide_sociale #restrictions_budgétaires #relations_administration_usagers #dématérialisation #exclusion_numérique #discrimination #handicap #éducation #droit

    Le rapport : https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/raa-2018-num-19.02.19.pdf

  • La revanche des #villages

    Opposer la #richesse des #villes à la #pauvreté des #campagnes, c’est en fait ne pas comprendre la réalité des #inégalités_territoriales. Les villages sont aujourd’hui souvent plus attractifs qu’un grand nombre de #villes_moyennes, qui connaissent des difficultés démographiques et économiques majeures.


    https://laviedesidees.fr/La-revanche-des-villages.html
    #géographie_rurale #villes #urban_matter #attractivité

  • #Guyane : la crise et le « vivre ensemble »
    https://www.mediapart.fr/journal/france/010417/guyane-la-crise-et-le-vivre-ensemble

    Depuis que le premier rond-point a été bloqué à Kourou il y a onze jours, la crise guyanaise revêt une dimension populaire inédite. Le territoire, habituellement éclaté, ne semble faire qu’un. Alors que les ministres des outre-mer et de l’intérieur discutent depuis mercredi, le cahier de revendications ne cesse de s’épaissir.

    #France #grève #INÉGALITÉS_TERRITORIALES

  • La #ville_intelligente n’aime pas les #pauvres ! | InternetActu
    http://internetactu.blog.lemonde.fr/2017/02/25/la-ville-intelligente-naime-pas-les-pauvres

    « Mais si on parle beaucoup de la Smart City, force est de constater qu’on parle assez peu des pauvres », rappelle Paul Citron. A qui sont réservées ces solutions technologiques ? En ville, les réseaux concernent-ils tout le monde, même les plus pauvres… Quels vecteurs de démocratisation proposent ces nouveaux outils ?

    Dominique Alba se fait un peu mordante, en soulignant que le réseau de fibre optique se déploie à l’Ouest de Paris, mais pas à l’Est, hormis notamment autour de Plaine Commune. Les opérateurs ne s’intéressent pas aux gens qui n’ont pas les moyens de se raccorder. Le risque, c’est le développement d’#inégalités_territoriales au regard de l’accès lui-même. La Smart City n’aime pas la #pauvreté sociale. Qu’offre-t-on comme services au bout de la fibre aux gens, à part d’être chez eux avec leur bouquet de chaîne télé ? On propose des produits finis à des habitants qui n’ont pas d’espace pour bricoler. Ouvrir une capacité de résistance, de résilience, dans un monde qui semble en proposer de moins en moins, c’est certainement ce qui explique le succès de l’#urbanisme transitoire que propose le plateau urbain. Reste que si elle ouvre des possibilités, elle ne résout pas le risque de développement et de renforcement de l’inégalité territoriale.

  • « #Pokémon_Go » : les multiples facteurs des inégalités géographiques
    http://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/08/03/pokemon-go-les-multiples-facteurs-des-inegalites-geographiques_4977738_44089

    Toutes les communes françaises ne sont pas égales devant Pokémon Go, le jeu en réalité augmentée à succès qui permet de chasser les petits « monstres de poche » dans la réalité grâce à son téléphone. Pour jouer, l’utilisateur de Pokémon Go doit régulièrement s’arrêter à des « pokéstops », des emplacements qui distribuent les pokéballs nécessaires pour attraper les Pokémons et divers bonus.

    Mais ces pokéstops ne sont pas distribués de manière égalitaire sur le territoire. Il y en a beaucoup plus en ville qu’à la campagne, et certaines communes en sont largement dépourvues. Les communes et quartiers pauvres en disposent souvent moins que les plus riches. A tel point que l’éditeur du jeu, Niantic, a été accusé de contribuer à la #ségrégation_sociale.

    Pour comprendre pourquoi ces #inégalités_territoriales existent dans le jeu, il faut se pencher sur le fonctionnement d’un autre jeu vidéo, #Ingress. Egalement développé par Niantic, Ingress est le prédécesseur de Pokémon Go : les joueurs y cherchent des « portails », le plus souvent situés à un endroit « intéressant » (statue, fresque urbaine, bâtiment historique…).

    #analyse_spatiale

  • Attributions d’HLM : l’opacité persiste à tous les étages
    https://www.mediapart.fr/journal/france/140416/attributions-d-hlm-l-opacite-persiste-tous-les-etages

    Présenté le 13 avril en conseil des ministres, le projet de loi sur l’égalité et la citoyenneté s’engage à rendre plus « transparente » l’attribution des logements sociaux. C’était déjà l’une des priorités de la loi Alur, alors défendue par #Cécile_Duflot. Pourtant, deux ans après son adoption, les objectifs sont loin d’être atteints, faute d’une législation contraignante. État des lieux.

    #France #Habitat #HLM #INÉGALITÉS_TERRITORIALES #logement #logement_social

  • L’égalité toujours au ban de l’école (Libération)
    http://www.liberation.fr/societe/2014/07/08/l-egalite-toujours-au-ban-de-l-ecole_1060032

    Inégalités territoriales, entre établissements, entre classes, absence de mixité sociale, ségrégation scolaire... L’école de la République n’est plus la même pour tous.

    #éducation #école #inégalités #système_scolaire #inégalités_territoriales #mixité_sociale #ségrégation #déterminisme_social