Selon une enquête réalisée en 2017 sur un échantillon représentatif de 1009 personnes, 80% des femmes en couple préparent le dîner chaque jour en semaine, 92% ont le sentiment d’être responsables du foyer et 95% se sentent plus responsables des enfants que les hommes.
Sans surprise, la période des fêtes ne fait qu’amplifier la charge mentale que les femmes subissent déjà quotidiennement. Qu’il s’agisse d’établir la liste des courses, d’acheter les cadeaux de toute la famille, de piétiner pendant des heures au rayon jouets, de décorer la maison pour en faire un havre de paix qui sent le pain d’épices, d’organiser jeux et activités pour occuper les enfants, de préparer les valises en cas de départ en vacances, de dresser la table, de cuisiner pendant des heures (liste hélas non exhaustive), la somme des choses à faire semble s’étirer jusqu’à l’infini. Un labeur évidemment non rémunéré, qui profite à toute la famille et notamment aux hommes.
Qui n’a jamais observé les femmes de sa famille s’affairer en cuisine – le saumon fumé ! la dinde aux marrons ! la bûche au chocolat ! – pendant que les hommes conversent nonchalamment autour d’un verre est non seulement chanceux.euse, mais a également raté une expérience sociologique essentielle.
La période de Noël n’est pas le seul moment lors duquel la force de travail et la charge émotionnelle des femmes sont réquisitionnées. Mariage, anniversaire, célébrations diverses : tous les événements qui rythment la vie sont généralement pensés, élaborés et organisés par les femmes, qui y voient l’occasion de mettre en œuvre les compétences relationnelles, d’organisation et de soin à autrui qu’elles ont spécifiquement acquises (note pour les néophytes : non, ce n’est pas inné).
Mais ce n’est pas la seule raison.
En réalité, ce n’est pas tant que les femmes se plient de bonne grâce à ces marathons organisationnels – il y a plus fun que d’organiser une cérémonie de mariage de A à Z ou de préparer un repas de réveillon pour 20 personnes, par exemple.
C’est aussi et surtout une affaire de traditions genrées et d’attentes sociales, si solidement établies qu’il peut être difficile d’y échapper.
Les femmes sont en effet jugées sur leurs capacités (et leur motivation) à être une bonne « maîtresse de maison » – même si plus personne ne se risquerait à employer une expression aussi désuète, pour ne pas dire sexiste. Plus globalement, la société les déclare responsables des événements familiaux, de l’atmosphère du foyer et du bien-être de ses membres – et qu’importe si elles doivent sacrifier le leur au passage.
Il est donc attendu qu’elles endossent sans mot dire le rôle qui leur a été assigné, celui d’une G.O (gentille organisatrice) enthousiaste et infatigable. C’est à elles qu’il revient de rendre les membres du foyer heureux, de désamorcer les potentiels conflits, de s’assurer de la bonne ambiance générale, et de combler les besoins gustatifs, esthétiques et récréationnels de leurs convives. C’est sur elles que pèse le devoir d’occuper les fonctions de cheffe cuisinière, décoratrice, organisatrice d’événement, médiatrice et lubrifiant social. Le tout gratuitement et sans se départir de leur bonne humeur, bien sûr.
Ces normes sociales sont particulièrement difficiles à combattre car elles sont implicites, sous-jacentes, et profondément ancrées. Leur invisibilité est un piège, puisque ce qui n’est pas nommé n’existe pas.