• Il est temps de déclassifier l’ensemble des documents portant sur les relations Nixon-Kissinger-Pinochet

    Le 25 août 2023, la Central Intelligence Agency (CIA) a discrètement publié sur son site web deux documents sur le coup d’Etat militaire au Chili. Ils avaient été classés top secret pendant un demi-siècle. Il s’agissait du President’s Daily Brief-PDB [document présenté chaque matin au président des Etats-Unis, faisant le résumé d’informations classifiées liées à la « sécurité nationale »] du matin du 11 septembre 1973 – le jour du coup d’Etat – et du 8 septembre 1973, moment où l’armée chilienne finalisait ses plans pour renverser le gouvernement démocratiquement élu du socialiste Salvador Allende. Les documents nouvellement publiés se sont avérés pratiquement impossibles à trouver et à lire sur le site web de la CIA, car noyés parmi des dizaines d’autres PDB précédemment déclassifiés. Le département d’Etat a fini par envoyer un communiqué indiquant les liens. La publication des PDB était « conforme à notre engagement en faveur d’une plus grande transparence », selon ce communiqué. « Nous restons déterminés à travailler avec nos partenaires chiliens pour tenter d’identifier d’autres sources d’information afin de mieux faire connaître les événements marquants de notre histoire commune. »

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/28/il-est-temps-de-declassifier-lensemble-des-doc

    #international #chili #usa

  • Hors d’atteinte : Anima Sola #16
    Récit poétique à partir d’images créées par procuration.

    https://liminaire.fr/palimpseste/article/hors-d-atteinte

    Un épais brouillard envahit peu à peu les rues de la ville, modifiant ses proportions sous ce nuage gris, par nappes douces et persistantes. Les murs se grisent. Les fenêtres s’obscurcissent. Les perspectives se réduisent. Les passants ne sont plus que de pâles silhouettes qui s’effacent dans l’air, sans qu’on parvienne à les reconnaître, à déceler les traits de leur visage anonyme aux contours énigmatiques. Ils avancent dans la rue comme des fantômes.

    (...) #Écriture, #Langage, #Poésie, #Lecture, #Photographie, #Littérature, #Art, #AI, #IntelligenceArtificielle, #Dalle-e, #Récit, #Portrait, #Corps, #Ville (...)

    https://liminaire.fr/IMG/mp4/anima_sola_16.mp4

  • L’Ukraine et l’ordre mondial

    Alors que la guerre froide commençait à s’estomper, le multipolarisme est devenu le cri de ralliement de tous ceux qui en avaient assez de la politique des superpuissances, des impasses nucléaires et du bipolarisme ordinaire de la désinformation soviétique et de la propagande américaine.

    Cette « ascension du reste du monde » a été préfigurée par le mouvement des non alignés en 1961, par le nouvel ordre économique mondial de l’ONU dans les années 1970, par la montée en puissance des économies de l’Asie de l’Est et du marché unique européen dans les années 1980 et par la coopération entre les pays du Sud dans les années 1990. Au début des années 2000, notamment grâce à quelques articles de Morgan Stanley, le groupe du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud (BRICS) a été baptisé puis institutionnalisé [1].

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/28/lukraine-et-lordre-mondial

    #international #ukraine

  • En Australie, pour le retour d’Assange à la mère patrie, la mobilisation monte.
    http://www.argotheme.com/organecyberpresse/spip.php?article4514

    Les soutiens internationaux à Julian Assange bloquent peut-être son extradition aux États-Unis où il est condamné à 175 ans d’emprisonnement. Ils ne suffisent pas pour sa libération de l’arbitraire, sa détention au Royaume-Uni est loin d’être acquise. Même, elle risque de satisfaire l’exigence des USA qui comptent mettre la main dessus pour accusation d’espionnage. Actualité, événement, opinion, intérêt général, information, scoop, primauté

    / #USA,_Maison_Blanche,_CIA, journaliste, poète, livre, écrits, censure, presse, journaux, dictature, expressions, liberté, #Journalisme,_presse,_médias, #Wikileaks, Internet, Web, cyber-démocratie, communication, société, (...)

    #Actualité,_événement,_opinion,_intérêt_général,_information,_scoop,_primauté #_journaliste,_poète,_livre,_écrits #censure,_presse,_journaux,_dictature,_expressions,_liberté #Internet,_Web,_cyber-démocratie,_communication,_société,_médias

  • Après 22 ans, le géant de l’intérim Adecco jugé pour fichage racial
    https://www.streetpress.com/sujet/1695805410-geant-interim-adecco-juge-fichage-racial-discrimination-emba

    Adecco et deux ex-responsables vont être jugés le 28 septembre 2023 pour « #fichage_racial » et discrimination à l’embauche. Entre 1997 et 2001, une agence faisait un tri entre ses #intérimaires noirs et non-noirs. Plongée dans un système raciste.
    « Je tiens à vous signaler qu’au sein de l’agence #Adecco, […] on procède à un tri ethnique des intérimaires. En effet, les intérimaires sont classés en fonction de leur couleur de peau. Une distinction est faite entre les noirs et les non-noirs. » C’est par ces mots que commence la lettre explosive envoyée par Gérald Roffat le 1er décembre 2000 à l’association SOS Racisme. À l’époque, il est étudiant en licence de ressources humaines à l’université Paris Créteil. Le jeune homme, métisse, vient de faire un stage de six mois dans l’agence Adecco de Montparnasse, dans le 14ème arrondissement de Paris (75). Ce qu’il a vu l’a révolté. « Le pire, c’est que le stagiaire qui m’a expliqué ce que j’allais faire, était noir », se souvient le volubile Gérald Roffat, aujourd’hui âgé de 47 ans. « Les gens autour de moi se racontaient des histoires pour se justifier, mais moi je trouvais ça malsain. Ce courrier est la porte de sortie que j’ai trouvée. »

    Ce 28 septembre 2023, après une procédure exceptionnellement longue, les délits racistes dénoncés par le lanceur d’alerte vont finalement être jugés. Le groupe d’#intérim Adecco et deux anciens directeurs de l’agence Paris-Montparnasse ont été renvoyés en correctionnelle le 25 juillet 2021 par la Cour d’appel de Paris pour « fichage à caractère racial » et discrimination à l’embauche. 500 intérimaires du secteur de l’#hôtellerie-restauration en Île-de-France entre 1997 et 2001 en auraient été victimes. Ils sont aujourd’hui quinze à se porter partie civile. StreetPress a eu accès aux documents judiciaires dans lesquels quatorze chargés de recrutement ou de clientèle témoignent de leur participation au fichage.
    Les blancs recevaient des appels, les noirs faisaient la queue. Dans sa lettre, l’ex-stagiaire Gérald Roffat déroule : « Pour chaque intérimaire, le chargé de recrutement indique la mention PR1 ou PR2. Il ajoute la mention PR4 quand il s’agit d’une personne de couleur. (…) Lorsqu’un client d’Adecco demande un intérimaire, il peut tout naturellement demander un BBR [pour “bleu blanc rouge”, NDLR] ou un non-PR4. » Résultat : les intérimaires noirs sont servis en dernier et souvent cantonnés à la plonge, loin des regards des clients.

    [...]
    « On ne voyait pas ce qu’il y avait derrière leur bureau, mais on le sentait », raconte quant à elle Adrienne Djokolo, 59 ans. La Française née en République du Congo avait 31 ans lorsqu’elle a commencé à faire des missions d’intérim pour Adecco en 1995. « On partait très tôt le matin à 7h s’asseoir à l’agence pour attendre une mission. On repartait bredouille s’il n’y avait rien. Il n’y avait que des noirs, des arabes, des indiens… » C’est quand Adrienne arrivait dans les restaurants qu’elle voyait les intérimaires « blancs » d’Adecco. « Ils nous disaient qu’eux n’avaient pas besoin d’aller à l’agence. On les appelait directement chez eux pour les missions », rembobine la grand-mère, aujourd’hui en CDI dans une entreprise de #restauration collective

    • oui, la longueur de la procédure est ahurissante. à croire que l’emploi est plus sacré encore qu’un président de la république.

      c’est pas un racisme idéologique mais un souci de productivité du placement. à gérer trop de contrats, Adecco s’est auto piégé, fallait ne rien écrire, ses contenter dune visualisation des photos pour décider de la mise en relation avec un employeur.
      de toute façon, c’est les donneurs d’ordre qui décident : les « blancs » en salle, arabes et asiatiques compris éventuellement, les trop colorés en coulisse et en soute. à vu de pif, depuis 2000, cette répartition n’a évoluée qu’à la marge .

      une entreprise ne contracte pas avec une boite d’intérim qui envoie des candidats qu’elle juge irrecevables. en bar, hôtel, restau, on a aucune raison et pas le temps d’organiser des entretiens qui doivent échouer, comme c’est le cas, au vu des contraintes légales pesant sur les modalités de recrutement, avec les candidats profs de fac, ou diverses institutions culturelles, par exemple.
      la boite d’intérim est censé garantir l’appariement immédiat du salarié au poste, c’est sa fonction. et des critères subjectifs ("raciaux" par exemple, mais aussi d’âge, de présentation) président évidement à l’embauche, spécialement de qui est « au contact du client »

      intérim ou pas, dans le secteur, réaliser un chiffre d’affaire passe par le fait de produire une image. ça relève désormais y compris, pour les bars, de ce que certains nomment « direction artistique » (des prestataires vendent la définition de « concepts » : déco, type de produits, accessoires, éclairage, choix du personnel).

      ou bien, plus prosaïquement, de nombreux cafés tabac parisiens repris par des asiatiques, s’organisent sur une double logique entreprise familiale-communautaire (fiabilité assurée, verser des salaires) tout en prenant soin de s’adjoindre des collaborateurs qui soient suffisamment proches ("caucasiens", comme disent les flics yankee) d’une clientèle parisienne.
      pour assurer le chiffre ça bricole. aujourd’hui j’ai vu deux kabyles qui ont récemment repris un bar près du marché où je fais mes courses, sans employer personne. ils ont éprouvé le besoin d’afficher en terrasse un petit drapeau français...

      #donneur_d'ordre #patron (s) #placement #client #image #embauche

  • À Vladivostok, un objecteur de conscience condamné à une peine de prison
    À Vladivostok, un mobilisé qui a refusé de se battre en raison de ses convictions religieuses a été envoyé dans une colonie pénitentiaire.

    Le fond de l’affaire ?
    Vladislav Reznichenko, 24 ans, originaire du Primorsky Krai (Extrême-Orient russe), a été condamné à deux ans et demi de colonie pénitentiaire pour avoir refusé de participer à des opérations de combat.
    À l’automne dernier, Reznichenko a été mobilisé, mais le jeune homme a refusé d’aller combattre en Ukraine en raison de ses convictions religieuses et a voulu exercer son droit à un service civil alternatif. Le tribunal le lui a refusé et l’a envoyé dans une colonie.
    Vladislav s’est retrouvé avec un fils de quatre mois à la maison.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/08/14/memorial-publie-un-rapport-sur-la-situation-des-prisonniers-politiques-en-russie-en-2022/#comment-58926

    #international #russie

  • Démocratie : je t’aime, je te hais
    https://laviedesidees.fr/Democratie-je-t-aime-je-te-hais

    Comment les Allemands de l’Est peuvent-ils se détourner de la #démocratie après avoir lutté pour la conquérir ? Le sentiment d’être méprisés, exclus de la vie politique et économique, explique leur défiance et la montée de l’extrême droite.

    #International #Allemagne #exclusion
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20230927_allemagnedelest.pdf
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20230927_allemagnedelest.docx

  • République tchèque (Dictionnaire du peuple Rrom)

    La façon dont sont traités les Tsiganes représente le vrai test, non seulement pour une démocratie mais d’abord pour une société civile. Vaclav Havel

    Le nombre de Rroms vivant en République tchèque est estimé à 250 000 même si, aux termes du recensement de 2011, seulement 13 150 personnes se sont déclarées comme telles, sur une population de 10,5 millions.

    La plupart des Rroms sont originaires des régions qui constituent aujourd’hui la Slovaquie. En effet, les Rroms tchèques entre 1939-1945 ont subi une extermination quasi-totale. Avant la guerre, il y aurait eu sur le territoire tchèque près de 8 000 Rroms, après la guerre, il n’y en avait plus que 600. Après la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de Rroms de Hongrie et de Roumanie ont migré sur le territoire de la Tchécoslovaquie. Venus de villages de l’Est de la Slovaquie ils se sont d’abord installés dans des régions limitrophes tchèques ; puis, à l’initiative du gouvernement, ils ont été dispersés dans les régions industrielles de Bohême et de Moravie pour y être employés en tant que main-d’œuvre bon marché.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/27/republique-tcheque-dictionnaire-du-peuple-rrom

    #international #rrom #tchequie

  • Le syndicat Priama Diia (Action directe) pour la démocratie étudiante

    Déclaration du syndicat

    Au début du mois, les étudiants de l’université nationale S. Z. Hzhytskyi de Lviv, un établissement d’enseignement supérieur de Lviv, ont protesté contre la nomination d’un nouveau recteur intérimaire par décret du ministère de l’éducation et de la science. Les étudiants ont expulsé le nouveau recteur de la salle de classe et ont exigé des élections démocratiques avec la participation des étudiants.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/20/un-nouveau-tract-daction-directe/#comment-58925

    #international #ukraine

  • Appel urgent à l’aide médicale

    Le syndicat libre des travailleurs médicaux d’Ukraine lance un appel au mouvement syndical pour une aide urgente.

    Le syndicat libre des travailleurs médicaux d’Ukraine (VPMPU) lance un appel à l’aide pour un hôpital situé dans une région minière de l’ouest de l’Ukraine, qui doit faire face aux graves problèmes posés par l’invasion russe.

    Les services de santé ukrainiens manquaient de ressources avant l’invasion, le personnel était sous-payé et les hôpitaux ne bénéficiaient pas des investissements nécessaires. Dans le même temps, le syndicat des travailleurs médicaux a fait campagne pour défendre le système de santé contre les réformes néolibérales.

    Aujourd’hui, la pression sur cet hôpital s’est accrue : des milliers de personnes déplacées à l’intérieur de la ville, un afflux important de patients, dont plus de la moitié sont des victimes de la guerre qui ont besoin d’être rééduquées.

    Un grand nombre de ces victimes étaient elles-mêmes des mineurs et des membres du Syndicat indépendant des mineurs.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/26/appel-urgent-a-laide-medicale

    #international #ukraine

  • Haut-Karabakh, la mort d’une république rebelle

    Le 19 septembre 2023 à la mi-journée, l’armée azerbaïdjanaise a lancé une attaque massive et non provoquée sur l’ensemble de la ligne de front avec les forces arméniennes dans la république rebelle et non reconnue du Haut-Karabakh. Des drones turcs et israéliens ont attaqué les défenses aériennes du Karabakh, des missiles balistiques LORA fabriqués par Israël ont été tirés contre des positions d’artillerie, puis les forces azéries ont avancé pour couper les routes à l’intérieur du Karabakh, isolant les villes et les villages. Après une journée de combats intenses, les dirigeants du Haut-Karabakh ont accepté une reddition sans condition, dans le cadre d’un accord négocié par les « soldats de la paix » russes déployés dans la région.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/26/haut-karabakh-la-mort-dune-republique-rebelle

    #international #armenie #azerbaidjan

  • ★ Parti libertaire ? - GLJD Le Libertaire

    (...) Ce n’est pas la première fois que certains politiciens essaient de récupérer les termes « libertaire » et « anarchiste ». De l’extrême-gauche française aux extrêmes-droites du continent américain, il n’y a rien de nouveau. Certains écrivains français se disent même anarchiste de droite, ce qui est un non-sens.
    C’est pour cela que les anarchistes ont tout intérêt à affirmer leurs invariants : fédéralisme libertaire, anti-étatisme, égalité économique et sociale, écologie sociale et libertaire, antimilitarisme, anti-autoritaires, athéisme, humanisme libertaire, gestion directe, action directe… Les gauchistes et les fascistes ne pourront alors tromper personne hormis les sots et les gens mal intentionnés.

    #anarchisme #autogestion #émancipation #écologie
    #antimilitarisme #anticléricalisme #fédéralisme_libertaire #feminisme #antiétatisme #anticapitalisme #antifascisme #internationalisme...

    ▶️ Lire la suite...
    https://le-libertaire.net/parti-libertaire

  • En Kanaky-Nouvelle-Calédonie, 170 ans de colonisation

    24 septembre 1853 / 24 septembre 2024

    Ce dimanche 24 septembre 2023 marque un triste anniversaire : cela fait 170 ans aujourd’hui que la Nouvelle-Calédonie vit sous tutelle de la France. C’est en effet le 24 septembre 1853, à Balade, dans l’extrême nord de la Grande terre, que le contre-amiral Febvrier-Despointes prenait officiellement possession du territoire au nom de l’empereur Napoléon III.

    L’anniversaire de cette prise de possession intervient alors que la Kanaky-Nouvelle-Calédonie se trouve, à nouveau, dans une inquiétante impasse politique. L’exécutif macroniste entend s’appuyer sur les trois récentes consultations d’autodétermination qui, de 2018 à 2021, se sont soldées par autant de victoires numériques du « non » à l’indépendance – pour bâtir un « nouveau projet », celui de la « Nouvelle-Calédonie dans la République » dixit le Président de la République lors d’un discours prononcé à Nouméa le 26 juillet dernier devant une foule quasi exclusivement blanche, chantant la Marseillaise et agitant des drapeaux bleu-blanc-rouge. Les indépendantistes avaient refusé de venir.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/26/en-kanaky-nouvelle-caledonie-170-ans-de-coloni

    #international #kanaky #colonisation

  • Interview de Paul Rocher, auteur de « Que fait la police ? Et comment s’en passer » - La Grappe
    https://lagrappe.info/spip.php?article348

    Les évènements récents, qui ont bouleversé l’actualité de notre pays suite à la mort de Nahel, ont rappelé la nécessité de pousser la critique de l’institution policière et ce jusqu’au questionnement concernant la poursuite de son existence même. Paul Rocher, déjà auteur en 2020 de « Gazer, mutiler, soumettre. Politique de l’arme non-létale » aux éditions La Fabrique, de passage il y a peu à Bordeaux, a accepté de répondre à nos questions. Voici la présentation de son travail et de sa pensée abolitionniste.

    […]

    Pour le démontrer, je mobilise une série de travaux académiques qui montrent que seulement une toute petite partie du temps de travail d’un policier concerne les affaires criminelles, entre 10 et 1%.

    […]

    Se pose donc la question de ce que fait réellement la police. Pour y répondre, un examen du contexte dans lequel la police moderne voit le jour est édifiant. Il est alors frappant de constater que la fondation de cette institution dans la 2e moitié du 19e siècle n’est pas une réponse à une augmentation de la criminalité. Cette dernière n’augmente pas à ce moment. C’est une réponse à la formation de la classe ouvrière, dont la classe dominante se méfie. Autrement dit, la police est une institution indissociable au capitalisme et des rapports de classe qui en résultent. Elle a été fondée pour maintenir un ordre qui est constamment menacé par sa propre progéniture : la vaste majorité des perdants systématiques.

    #police #violences_policières #histoire #Paul_Rocher #interview

  • Si vous voulez la paix, la Crimée doit faire partie de l’Ukraine

    Lorsque l’invasion de l’Ukraine par la Russie a commencé en février 2022, le monde a eu du mal à comprendre comment il était possible que la guerre soit revenue en Europe au XXIe siècle.

    Dix-huit mois plus tard, le monde veut savoir comment tout cela va se terminer.

    Dans les deux cas, on a besoin d’historiens. Et beaucoup se sont tournés vers le célèbre historien de Yale Timothy Snyder, auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’Europe et de l’Ukraine.

    Son livre « The Road to Unfreedom : Russia, Europe, America » offre à ses lecteurs une meilleure compréhension des raisons pour lesquelles la Russie a initialement annexé la Crimée et envahi l’est de l’Ukraine en 2014. Ce livre aide sans aucun doute à comprendre la situation actuelle en Ukraine.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/25/si-vous-voulez-la-paix-la-crimee-doit-faire-pa

    #international #ukraine

  • Deepfakes of Chinese influencers are livestreaming 24/7 | MIT Technology Review
    https://www.technologyreview.com/2023/09/19/1079832/chinese-ecommerce-deepfakes-livestream-influencers-ai

    Scroll through the livestreaming videos at 4 a.m. on Taobao, China’s most popular e-commerce platform, and you’ll find it weirdly busy. While most people are fast asleep, there are still many diligent streamers presenting products to the cameras and offering discounts in the wee hours.

    But if you take a closer look, you may notice that many of these livestream influencers seem slightly robotic. The movement of their lips largely matches what they are saying, but there are always moments when it looks unnatural.

    These streamers are not real: they are AI-generated clones of the real streamers. As technologies that create realistic avatars, voices, and movements get more sophisticated and affordable, the popularity of these deepfakes has exploded across China’s e-commerce streaming platforms.

    Today, livestreaming is the dominant marketing channel for traditional and digital brands in China. Influencers on Taobao, Douyin, Kuaishou, or other platforms can broker massive deals in a few hours. The top names can sell more than a billion dollars’ worth of goods in one night and gain royalty status just like big movie stars. But at the same time, training livestream hosts, retaining them, and figuring out the technical details of broadcasting comes with a significant cost for smaller brands. It’s much cheaper to automate the job.

    The technology has mostly been known for its problematic use in revenge porn, identity scams, and political misinformation. While there have been attempts to commercialize it in more innocuous ways, it has always remained a novelty. But now, Chinese AI companies have found a new use case that seems to be going quite well.

    Back then, Silicon Intelligence needed 30 minutes of training videos to generate a digital clone that could speak and act like a human. The next year, it was 10 minutes, then three, and now only one minute of video is needed.

    And as the tech has improved, the service has gotten cheaper too. Generating a basic AI clone now costs a customer about 8,000 RMB ($1,100). If the client wants to create a more complicated and capable streamer, the price can go up to several thousands of dollars. Other than the generation, that fee also covers a year of maintenance.

    Once the avatar is generated, its mouth and body move in time with the scripted audio. While the scripts were once pre-written by humans, companies are now using large language models to generate them too.

    Now, all the human workers have to do is input basic information such as the name and price of the product being sold, proofread the generated script, and watch the digital influencer go live. A more advanced version of the technology can spot live comments and find matching answers in its database to answer in real time, so it looks as if the AI streamer is actively communicating with the audience. It can even adjust its marketing strategy based on the number of viewers, Sima says.

    These livestream AI clones are trained on the common scripts and gestures seen in e-commerce videos, says Huang Wei, the director of virtual influencer livestreaming business at the Chinese AI company Xiaoice. The company has a database of nearly a hundred pre-designed movements.

    “For example, [when human streamers say] ‘Welcome to my livestream channel. Move your fingers and hit the follow button,’ they are definitely pointing their finger upward, because that’s where the ‘Follow’ button is on the screen of most mobile livestream apps,” says Huang. Similarly, when streamers introduce a new product, they point down—to the shopping cart, where viewers can find all products. Xiaoice’s AI streamers replicate all these common tricks. “We want to make sure the spoken language and the body language are matching. You don’t want it to be talking about the Follow button while it’s clapping its hands. That would look weird,” she says.

    Spun off from Microsoft Software Technology Center Asia in 2020, Xiaoice has always been focused on creating more human-like AI, particularly avatars that are capable of showing emotions. “Traditional e-commerce sites just feel like a shelf of goods to most customers. It’s cold. In livestreaming, there is more emotional connection between the host and the viewers, and they can introduce the products better,” Huang says.

    After piloting with a few clients last year, Xiaoice officially launched its service of generating under-$1,000 digital clones this year; like Silicon Intelligence, Xiaoice only needs human streamers to provide a one-minute video of themselves.

    And like its competitors, Xiaoice clients can spend more to fine-tune the details. For example, Liu Jianhong, a Chinese sports announcer, made an exquisite clone of himself during the 2022 FIFA World Cup to read out the match results and other relevant news on Douyin.

    A cheap replacement for human streamers

    These generated streamers won’t be able to beat the star e-commerce influencers, Huang says, but they are good enough to replace mid-tier ones. Human creators, including those who used their videos to train their AI clones, are already feeling the squeeze from their digital rivals to some extent. It’s harder to get a job as an e-commerce livestream host this year, and the average salary for livestream hosts in China went down 20% compared to 2022, according to the analytics firm iiMedia Research.

    But the potential for companies to complement human work by keeping the livestream going during the hours when fewer people are watching means it’s hard to justify the cost of hiring real streamers.

    That’s already happening. In the post-midnight hours, many of the streaming channels on popular e-commerce platforms like Taobao and JD feature these AI-generated streamers.

    Previous examples have shown that deepfake technologies don’t need to be perfect to deceive viewers. In 2020, a scammer posed as a famous Chinese actor with the aid of crude face-swapping tools and still managed to get thousands of dollars from unsuspecting women who fell in love with his videos.

    “If a company hires 10 livestream hosts, their skill levels are going to vary. Maybe two or three streamers at the top would contribute to 70% to 80% of the total sales,” says Chen Dan, the CEO of Quantum Planet AI, a company that packages technologies like Xiaoice’s and sells them to corporate clients. “A virtual livestream host can replace the rest—six or seven streamers that contribute less and have lower ROI [return on investment] rates. And the costs would come down significantly.”

    Chen says he has witnessed a lot more interest from brands in AI streamers this year, partly because everyone is looking to “降本增效”—lower costs and improve efficiency, the new buzzword among Chinese tech companies as the domestic economy slows down.

    Chen has over 100 clients using Xiaoice’s service now, and these virtual streamers have brokered millions of dollars in sales. One Xiaoice streamer brought in over 10,000 RMB ($1,370) in revenue in just one hour.

    There are still drawbacks, he says. For example, many of his clients are furniture brands, and although the AI is clever enough to speak and use gestures, it can’t really sit on a sofa or lie in a bed, so the streams lack the appeal of real users testing the products.

    The rising popularity of AI-generated livestreams has also caught the attention of video platforms like Douyin, the Chinese version of TikTok, as well—though it’s taking a different approach than other tech giants. It’s seemingly more concerned with transparency and it said in a May document that all videos generated by AI should be labeled clearly as such on the platform, and that virtual influencers need to be operated by real humans. The platform has always banned the use of recorded videos as livestreams. AI-generated livestreaming, with no recorded footage but also little real-time human input, straddles the line on that rule.

    The Chinese government made several laws in the past two years on synthetic media and generative AI that would apply to the use in e-commerce streaming. But the effects of government and platform regulations remain to be seen, because the technology is still too new to have met serious enforcement.

    For Silicon Intelligence, its next step is to add “emotional intelligence” to the AI streamers, Sima says: “If there are abusive comments, it will be sad; if the products are selling well, it will be happy.” The company is also working on making AI streamers interact and learn from each other.

    The company has had a fascinating and sort of terrifying goal since its beginning: it wants to create “100,000,000 silicon-based laborers” by 2025. For now, Sima says, the company has generated 400,000 virtual streamers. There’s still a long way to go.

    #Intelligence_artificielle #Médias_de_synthèse #Chine #Streamers
    #Commerce_electronique

  • Khrys’presso du lundi 25 septembre 2023
    https://framablog.org/2023/09/25/khryspresso-du-lundi-25-septembre-2023

    Comme chaque lundi, un coup d’œil dans le rétroviseur pour découvrir les informations que vous avez peut-être ratées la semaine dernière. Tous les liens listés ci-dessous sont a priori accessibles librement. Si ce n’est pas le cas, pensez à activer … Lire la suite­­

    #Veille #Claviers_invités #GAFAM #Internet #Revue_de_web #Revue_hebdo #Surveillance #veille #webrevue
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  • L’islamophobie, rejet instinctif d’une cruauté politique et transfrontalière.
    http://www.argotheme.com/organecyberpresse/spip.php?article4513

    Des dirigeants musulmans non représentatifs qui sont les plus désireux de faire taire les critiques envers leur croyance, cherchent par ailleurs à accentuer les blâmes aux autres religions. Cette confrontation est tellement fréquente quand les chiffres démontrent que la pratique est plus vaste en islam que chez d’autres divinités. Les prières sont plus suivies que pour les chrétiens à raison de 20 musulmans contre 1 catholique. international, suivi, grand événement, internationaux, monde, continent, Etats, conflits, paix,

    / #UE_-_Union_Européenne, Afrique, Monde Arabe, islam, Maghreb, Proche-Orient,, #Internet,_Web,_cyber-démocratie,_communication,_société,_médias, fait divers, société, fléau, délinquance, religion , #France_justice_politique_scandale_PS_PCF, Terrorisme , islamisme , Al-Qaeda , (...)

    #international,suivi,_grand_événement,_internationaux,_monde,_continent,_Etats,_conflits,_paix, #Afrique,_Monde_Arabe,_islam,_Maghreb,_Proche-Orient, #fait_divers,_société,_fléau,_délinquance,_religion #Terrorisme_,islamisme,Al-Qaeda,politique,_

  • Justice et liberté pour Alexandre Iarashuk !

    Rappelons à nos lecteurs qu’Alexandre Iarashuk est le dirigeant historique du BKDP, le Congrès Bélarusse des Syndicats Indépendants, héritage des grèves des masse des années 1989-1993, pendant trois décennies seul espace de liberté civile sous la dictature de Loukashenko, qui s’est affirmé dans les grèves de masse pour la démocratie et le respect du résultat des élections en 2020, et que le pouvoir a interdit depuis la guerre ouverte engagée en février 2022. Le BKDP a établi une direction en exil à Brême, en Allemagne, avec l’aide de la solidarité syndicale internationale.

    A. Iarashuk a été condamné à 4 ans l’an dernier, et nous donnons ci-dessous la traduction du bélarusse – faite avec les moyens de bord, des approximations sont possibles – d’informations inquiétantes : le régime le met à l’isolement au péril de sa santé, le transférant d’une « colonie pénitentiaire » à une prison composée de cachots indépendants.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/24/justice-et-liberte-pour-alexandre-iarashuk

    #international #belarus

  • États-Unis : Les attaques contre le droit à l’avortement sont des attaques contre tous les travailleur·euses

    Entretien avec Sara Nelson, présidente du syndicat des agent·es de bord – CWA

    Au cours de l’année écoulée, les travailleuses ont vu leur vie changer de manière irrévocable. L’arrêt historique Dobbs de la Cour suprême a vidé de sa substance un droit fondamental à l’autonomie corporelle et plongé des millions de personnes dans la crise et l’incertitude. Presque immédiatement, une litanie d’histoires d’horreur a émergé. Des médecins refusant des soins vitaux par crainte de représailles ; des femmes victimes d’agresseurs ou tuées pour avoir eu accès à l’avortement.

    Depuis cet arrêt, 14 États ont interdit totalement l’avortement et plusieurs autres travaillent sans relâche à en restreindre l’accès. Non contents de cette attaque sans précédent contre l’autonomie reproductive, certains Républicains sont rapidement passés à leur prochaine cible : le contrôle des naissances. Il est tout à fait clair que ces attaques se poursuivront sans relâche jusqu’à ce que nous soyons suffisamment forts en tant que mouvement pour les arrêter. Alors, comment diable y parvenir ?

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/24/etats-unis-les-attaques-contre-le-droit-a-lavo

    #international #avortement #usa

  • Immigration : une autre voie est possible, nécessaire, urgente

    « Ne pas accueillir », et « empêcher les gens d’arriver » : à l’heure où, par la voix de #Gérald_Darmanin, la France s’illustre encore dans le #repli, le #rejet et le manquement à ses obligations éthiques et légales les plus élémentaire, il apparait urgent de déverrouiller un débat trop longtemps confisqué. Quelques réflexions alternatives sur la « #misère_du_monde » et son « #accueil », parce qu’on ne peut plus se rendre complice de cinq mille morts chaque année.

    « Ne pas accueillir », et « empêcher les gens d’arriver » : à l’heure où, par la voix de Gérald Darmanin, la France s’illustre encore dans le repli, le rejet et le manquement à ses obligations éthiques et légales les plus élémentaires, et alors que s’annonce l’examen parlementaire d’un projet de loi plus brutal et liberticide que jamais, signé par le même Darmanin, il apparait urgent de déverrouiller un débat trop longtemps confisqué. C’est ce à quoi s’efforce Pierre Tevanian dans le texte qui suit. Dans la foulée de son livre « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort->, co-signé l’an passé avec Jean-Charles Stevens, et à l’invitation de la revue Respect, qui publie le 21 septembre 2023 un numéro intitulé « Bienvenue » et intégralement consacré à l’accueil des migrants, Pierre Tevanian a répondu à la question suivante : de quelle politique alternative avons-nous besoin ? De son article intitulé « Repenser l’accueil, oser l’égalité », le texte qui suit reprend les grandes lignes, en les développant et en les prolongeant.

    *

    Lorsqu’en juillet 2022 nous mettions sous presse notre ouvrage, « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort, l’association Missing Migrants recensait 23801 morts en méditerranée pour la décennie passée, ainsi que 797 morts aux frontières Nord et Est de la « forteresse Europe ». Un an plus tard, l’hécatombe s’élève à 20 089 morts en méditerranée et 1052 au Nord et à l’Est [Chiffres produits le 20 septembre 2023]. Soit 5340 vies de plus en un an, fauchées par une politique concertée qui, adossée à ce simple dicton sur la « misère du monde », s’arroge insolemment le monopole de la « raison » et de la « responsabilité ».

    C’est de là qu’il faut partir, et là qu’il faut toujours revenir, lorsqu’on parle d’ « immigration » et de « politique d’immigration ». C’est à ce « reste » consenti de la « gestion » technocratique des « flux migratoires » que nous revenons constamment, opiniâtrement, dans notre livre, afin de ré-humaniser un débat public que cinq décennies de démagogie extrémiste – mais aussi de démagogie gouvernante – ont tragiquement déshumanisé.

    L’urgence est là, si l’on se demande quelle politique alternative doit être inventée, et tout le reste en découle. Il s’agit de libérer notre capacité de penser, mais aussi celle de sentir, de ressentir, d’être affectés, si longtemps verrouillées, intimidées, médusées par le matraquage de ce dicton et de son semblant d’évidence. Ici comme en d’autres domaines (les choix économiques néolibéraux, le démantèlement des services publics et des droits sociaux), le premier geste salutaire, celui qui détermine tous les autres mais nécessite sans doute le principal effort, est un geste d’émancipation, d’empowerment citoyen, de sortie du mortifère « TINA » : « There Is No Alternative ».

    Le reste suivra. L’intelligence collective relèvera les défis, une fois libérée par ce préalable nécessaire que l’on nomme le courage politique. La question fatidique, ultime, « assassine » ou se voulant telle : « Mais que proposez-vous ? », trouvera alors mille réponses, infiniment plus « réalistes » et « rationnelles » que l’actuel « pantomime » de raison et de réalisme auquel se livrent nos gouvernants. Si on lit attentivement notre livre, chaque étape de notre propos critique contient en germe, ou « en négatif », des éléments « propositionnels », des pistes, voire un « programme » alternatif tout à fait réalisable. On se contentera ici d’en signaler quelques-uns – en suivant l’ordre de notre critique, mot à mot, du sinistre dicton : « nous » - « ne pouvons pas » - « accueillir » - « toute » - « la misère du monde ».

    Déconstruire le « nous », oser le « je ».

    Tout commence par là. Se re-subjectiver, diraient les philosophes, c’est-à-dire, concrètement : renouer avec sa capacité à penser et agir, et pour cela s’extraire de ce « on » tellement commode pour s’éviter de penser (« on sait bien que ») mais aussi s’éviter de répondre de ses choix (en diluant sa responsabilité dans un « nous » national). Assumer le « je », c’est accepter de partir de cette émotion face à ces milliers de vies fauchées, qui ne peut pas ne pas nous étreindre et nous hanter, si du moins nous arrêtons de l’étouffer à coup de petites phrases.

    C’est aussi se ressouvenir et se ré-emparer de notre capacité de penser, au sens fort : prendre le temps de l’information, de la lecture, de la discussion, de la rencontre aussi avec les concernés – cette « immigration » qui se compose de personnes humaines. C’est enfin, bien entendu, nourrir la réflexion, l’éclairer en partant du réel plutôt que des fantasmes et phobies d’invasion, et pour cela valoriser (médiatiquement, politiquement, culturellement) la somme considérable de travaux scientifiques (historiques, sociologiques, démographiques, économiques, géographiques [Lire l’Atlas des migrations édité en 2023 par Migreurop.]) qui tous, depuis des décennies, démentent formellement ces fantasmagories.

    Inventer un autre « nous », c’est abandonner ce « nous national » que critique notre livre, ce « nous » qui solidarise artificiellement exploiteurs et exploités, racistes et antiracistes, tout en excluant d’office une autre partie de la population : les résidents étrangers. Et lui substituer un « nous citoyen » beaucoup plus inclusif – inclusif notamment, pour commencer, lorsqu’il s’agit de débattre publiquement, et de « composer des panels » de participants au débat : la dispute sur l’immigration ne peut se faire sans les immigré·e·s, comme celle sur la condition féminine ne peut se faire sans les femmes.

    Ce nouveau « nous » devra toutefois être exclusif lui aussi, excluant et intolérant à sa manière – simplement pas avec les mêmes. Car rien de solidement et durablement positif et inclusif ne pourra se construire sans un moment « négatif » assumé de rejet d’une certaine composante de la « nation française », pour le moment « entendue », « comprise », excusée et cajolée au-delà de toute décence : celle qui exprime de plus en plus ouvertement et violemment son racisme, en agressant des migrant·e·s, en menaçant des élu·e·s, en incendiant leurs domiciles. Si déjà l’autorité de l’État se manifestait davantage pour soutenir les forces politiques, les collectifs citoyens, les élus locaux qui « accueillent », et réprimer celles qui les en empêchent en semant une véritable terreur, un grand pas serait fait.

    Reconsidérer notre « impuissance »… et notre puissance.

    Nous ne « pouvons » pas accueillir, nous dit-on, ou nous ne le pouvons plus. L’alternative, ici encore, consisterait à revenir au réel, et à l’assumer publiquement – et en premier lieu médiatiquement. La France est la seconde puissance économique européenne, la sixième puissance économique du monde, et l’un des pays au monde – et même en Europe – qui « accueille », en proportion de sa population totale, le moins de réfugié·e·s ou d’étranger·e·s. Parmi des dizaines de chiffres que nous citons, celui-ci est éloquent : 86% des émigrant·e·s de la planète trouvent refuge dans un pays « en développement ». Ou celui-ci : seuls 6,3% des personnes déplacées trouvent refuge dans un pays de l’Union européenne [Ces chiffres, comme les suivants, sont cités et référencés dans notre livre, « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». En finir avec une sentence de mort, op. cit.].

    Reconsidérer notre puissance, c’est aussi, on l’a vu, se rendre attentif au potentiel déjà existant : publiciser les initiatives locales de centres d’accueil ou de solidarités plus informelles, dont il est remarquable qu’elles sont rarement le fait de personnes particulièrement riches. C’est aussi défendre cette « puissance d’accueil » quand elle est menacée par des campagnes d’extrême droite, la valoriser au lieu de la réprimer. C’est donc aussi, très concrètement, abroger l’infâme « délit de solidarité » au nom duquel on a persécuté Cédric Herrou et tant d’autres. Aucun prétexte ne tient pour maintenir ce dispositif « performatif » (qui « déclare » l’accueil impossible, par l’interdit, afin de le rendre impossible, dans les faits). « Filières mafieuses », sur-exploitation des travailleurs sans-papiers, « marchands de sommeil » : tous ces fléaux sociaux pourraient parfaitement être combattus avec un arsenal légal délesté de ce sinistre « délit de solidarité » : le Droit du travail, le Droit du logement, et plus largement tout l’appareil pénal qui réprime déjà toute forme de violence, d’extorsion et d’abus de faiblesse.

    Repenser l’accueil, oser l’égalité.

    Si notre livre combat le rejet et valorise la solidarité, il critique pourtant la notion d’accueil ou celle d’hospitalité, telle qu’elle est mobilisée dans notre débat public. Pour une raison principalement : en entretenant la confusion entre le territoire national et la sphère domestique, le paradigme de l’hospitalité encourage les paniques sociales les plus irrationnelles (à commencer par le sentiment d’ « invasion »), mais aussi les régressions autoritaires les plus nocives (ce fameux « On est chez nous ! », qui assimile les étranger·e·s, fussent-ils ou elles titulaires d’un logement qui leur est propre, d’un bail ou d’un titre de propriété, à des intrus qui nous placent en situation de « légitime défense »). Ce qui est ainsi évacué du débat, c’est ni plus ni moins qu’un principe constitutionnel : le principe d’égalité de traitement de toutes et tous sur le territoire d’une république démocratique. Plusieurs dispositifs légaux, ici encore, seraient à abroger, parce qu’ils dérogent à ce principe d’égalité : la « double peine » , les « emplois réservés » – sans parler de la citoyenneté elle-même, qui gagnerait à être, comme dans la majorité des pays européens, ouvertes au moins partiellement aux résident·e·s étranger·e·s.

    Enfin, bien en deçà de ces mesures tout à fait réalisables, une urgence s’impose : avant de se demander si l’on va « accueillir », on pourrait commencer par laisser tranquilles les nouveaux arrivants. À défaut de les « loger chez soi », arrêter au moins de les déloger, partout où, avec leurs propres forces, à la sueur de leur front, ils ou elles élisent domicile – y compris quand il s’agit de simples tentes, cabanons et autres campements de fortune.

    Repenser le « tout », assumer les droits indivisibles

    Là encore la première des priorités, celle qui rend possible la suite, serait une pédagogie politique, et avant cela l’arrêt de la démagogie. Car là encore tout est connu, établi et documenté par des décennies de travaux, enquêtes, rapports, publiés par des laboratoires de recherche, des institutions internationales – et même des parlementaires de droite [Nous citons dans notre ouvrage ces différents rapports.].

    Il suffirait donc que ce savoir soit publicisé et utilisé pour éclairer le débat, en lieu et place de l’obscurantisme d’État qui fait qu’actuellement, des ministres continuent de mobiliser des fictions (le risque d’invasion et de submersion, le « coût de l’immigration », mais aussi ses effets « criminogènes ») que même les élus de leurs propres majorités démentent lorsqu’ils s’attèlent à un rapport parlementaire sur l’état des connaissances en la matière. Nous l’avons déjà dit : à l’échelle de la planète, seules 6,3% des personnes déplacées parviennent aux « portes de l’Europe » – et encore ce calcul n’inclut-il pas la plus radicale des « misères du monde », celle qui tue ou cloue sur place des populations, sans possibilité aucune de se déplacer. Cette vérité devrait suffire, si l’on osait la dire, pour congédier toutes les psychoses sur une supposée « totalité » miséreuse qui déferlerait « chez nous ».

    À l’opposé de cette « totalité » factice, prétendument « à nous portes », il y a lieu de repenser, assumer et revendiquer, sur un autre mode, et là encore à rebours de ce qui se pratique actuellement, une forme de « totalité » : celle qui sous-tend l’universalité et l’indivisibilité des droits humains, et du principe d’égalité de traitement : « tout » arrivant, on doit le reconnaître, a droit de bénéficier des mêmes protections, qu’il soit chrétien, juif ou musulman, que sa peau soit claire ou foncée, qu’il vienne d’Ukraine ou d’Afghanistan. Le droit d’asile, les dispositifs d’accueil d’urgence, les droits des femmes, les droits de l’enfant, le droit de vivre en famille, les droits sociaux, et au-delà l’ensemble du Droit déjà existant (rappelons-le !), ne doit plus souffrir une application à géométries variables.

    Il s’agit en l’occurrence de rompre, au-delà des quatre décennies de « lepénisation » qui ont infesté notre débat public, avec une tradition centenaire de discrimination institutionnelle : cette « pensée d’État » qui a toujours classé, hiérarchisé et « favorisé » certaines « populations » au détriment d’autres, toujours suivant les deux mêmes critères : le profit économique (ou plus précisément le marché de l’emploi et les besoins changeants du patronat) et la phobie raciste (certaines « cultures » étant déclarées moins « proches » et « assimilables » que d’autres, voire franchement « menaçantes »).

    Respecter la « misère du monde », reconnaître sa richesse.

    Il n’est pas question, bien sûr, de nier la situation de malheur, parfois extrême, qui est à l’origine d’une partie importante des migrations internationales, en particulier quand on fuit les persécutions, les guerres, les guerres civiles ou les catastrophes écologiques. Le problème réside dans le fait de réduire des personnes à cette appellation abstraite déshumanisante, essentialisante et réifiante : « misère du monde », en niant le fait que les migrant·e·s, y compris les plus « misérables », arrivent avec leurs carences sans doute, leurs traumas, leurs cicatrices, mais aussi avec leur rage de vivre, leur créativité, leur force de travail, bref : leur puissance. Loin de se réduire à une situation vécue, dont précisément ils et elles cherchent à s’arracher, ce sont de potentiels producteurs de richesses, en tant que travailleurs et travailleuses, cotisant·e·s et consommateurs·trices. Loin d’être seulement des corps souffrants à prendre en charge, ils et elles sont aussi, par exemple, des médecins et des aides-soignant·es, des auxiliaires de vie, des assistantes maternelles, et plus largement des travailleurs et des travailleuses du care – qui viennent donc, eux-mêmes et elles-mêmes, pour de vrai, accueillir et prendre en charge « notre misère ». Et cela d’une manière tout à fait avantageuse pour « nous », puisqu’ils et elles arrivent jeunes, en âge de travailler, déjà formé·es, et se retrouvent le plus souvent sous-payé·es par rapport aux standards nationaux.

    Là encore, la solution se manifeste d’elle-même dès lors que le problème est bien posé : il y a dans ladite « misère du monde » une richesse humaine, économique notamment mais pas seulement, qu’il serait intéressant de cultiver et associer au lieu de la saboter ou l’épuiser par le harcèlement policier, les dédales administratifs et la surexploitation. L’une des mises en pratique concrète de ce virage politique serait bien sûr une opération de régularisation massive des sans-papiers, permettant (nous sommes là encore en terrain connu, éprouvé et documenté) de soustraire les concerné·e·s des « sous-sols » de l’emploi « pour sans-papiers », véritable « délocalisation sur place », et de leur donner accès aux étages officiels de la vie économique, ainsi qu’au Droit du travail qui le régit.

    Il y a enfin, encore et toujours, ce travail de pédagogie à accomplir, qui nécessite simplement du courage politique : populariser le consensus scientifique existant depuis des décennies, quelles que soit les périodes ou les espaces (états-unien, européen, français, régional), concernant l’impact de l’immigration sur l’activité et la croissance économique, l’emploi et les salaires des autochtones, l’équilibre des finances publiques, bref : la vie économique au sens large. Que ces études soient l’oeuvre d’institutions internationales ou de laboratoires de recherche, elles n’ont cessé de démontrer que « le coût de l’immigration » est tout sauf avéré, que les nouveaux arrivant·e·s constituent davantage une aubaine qu’une charge, et qu’on pourrait donc aussi bien parler de « la jeunesse du monde » ou de « la puissance du monde » que de sa « misère ».

    Redevenir moraux, enfin.

    Le mot a mauvaise presse, où que l’on se trouve sur l’échiquier politique, et l’on devrait s’en étonner. On devrait même s’en inquiéter, surtout lorsque, comme dans ce « débat sur l’immigration », il est question, ni plus ni moins que de vies et de morts. Les ricanements et les postures viriles devraient s’incliner – ou nous devrions les forcer à s’incliner – devant la prise en considération de l’autre, qui constitue ce que l’on nomme la morale, l’éthique ou tout simplement notre humanité. Car s’il est à l’évidence louable de refuser de « faire la morale » à des adultes consentants sur des questions d’identité sexuelle ou de sexualité qui n’engagent qu’elles ou eux, sans nuire à autrui, il n’en va pas de même lorsque c’est la vie des autres qui est en jeu. Bref : l’interdit de plus en plus impérieux qui prévaut dans nos débats sur l’immigration, celui de « ne pas culpabiliser » l’électeur lepéniste, ne saurait être l’impératif catégorique ultime d’une démocratie saine.

    Pour le dire autrement, au-delà de la « misère » que les migrant·e·s cherchent à fuir, et de la « puissance » qu’ils ou elles injectent dans la vie économique, lesdit·es migrant·e·s sont une infinité d’autres choses : des sujets sociaux à part entière, doté·e·s d’une culture au sens le plus large du terme, et d’une personnalité, d’une créativité, irréductible à toute appellation expéditive et englobante (aussi bien « misère » que « richesse », aussi bien « charge » que « ressource »). Et s’il n’est pas inutile de rappeler tout le potentiel économique, toute l’énergie et « l’agentivité » de ces arrivant·e·s, afin de congédier les fictions anxiogènes sur « l’invasion » ou « le coût de l’immigration », il importe aussi et surtout de dénoncer l’égoïsme sordide de tous les questionnements focalisés sur les coûts et les avantages – et d’assumer plutôt un questionnement éthique. Car une société ne se fonde pas seulement sur des intérêts à défendre, mais aussi sur des principes à honorer – et il en va de même de toute subjectivité individuelle.

    Le réalisme dont se réclament volontiers nos gouvernants exige en somme que l’on prenne en compte aussi cette réalité-là : nous ne vivons pas seulement de pain, d’eau et de profit matériel, mais aussi de valeurs que nous sommes fiers d’incarner et qui nous permettent de nous regarder dans une glace. Personne ne peut ignorer durablement ces exigences morales sans finir par le payer, sous une forme ou une autre, par une inexpugnable honte. Et s’il est précisément honteux, inacceptable aux yeux de tous, de refuser des soins aux enfants, aux vieillards, aux malades ou aux handicapé·e·s en invoquant leur manque de « productivité » et de « rentabilité », il devrait être tout aussi inacceptable de le faire lorsque lesdit·es enfants, vieillards, malades ou handicapé·e·s viennent d’ailleurs – sauf à sombrer dans la plus simple, brutale et abjecte inhumanité.

    https://blogs.mediapart.fr/pierre-tevanian/blog/220923/immigration-une-autre-voie-est-possible-necessaire-urgente

    #complicité #Pierre_Tevanian #mourir_aux_frontières #morts_aux_frontières #migrations #réfugiés #asile #déshumanisation #There_is_no_alternative (#TINA) #alternative #courage_politique #intelligence_collective #raison #réalisme #re-subjectivation #émotion #fantasmes #phobie #invasion #fantasmagorie #nationalisme #résidents_étrangers #nous_citoyen #racisme #xénophobie #impuissance #puissance #puissance_d’accueil #délit_de_solidarité #solidarité #extrême_droite #performativité #égalité #hospitalité #paniques_sociales #principe_d'égalité #double_peine #emplois_réservés #citoyenneté #hébergement #logement #pédagogie_politique #fictions #obscurantisme_d'Etat #droits_humains #égalité_de_traitement #lepénisation #débat_public #discrimination_institutionnelle #discriminations #déshumanisation #richesse #régularisation #sans-papiers #économie #morale #éthique #humanité #agentivité #potentialité_économique #valeurs
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    • « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » : la vraie histoire de la citation de #Michel_Rocard reprise par #Macron

      Le président de la République a cité, dimanche 24 septembre, la célèbre phrase de Rocard. L’occasion de revenir sur une déclaration à laquelle on a souvent fait dire ce qu’elle ne disait pas.

      C’est à la fois une des phrases les plus célèbres du débat politique français, mais aussi l’une des plus méconnues. Justifiant la politique de fermeté vis-à-vis des migrants arrivés à Lampedusa, Emmanuel Macron a déclaré hier : « On a un modèle social généreux, et on ne peut pas accueillir toute la misère du monde. »

      https://twitter.com/TF1Info/status/1706009131448983961

      La citation est un emprunt à la déclaration de Michel Rocard. La droite aime à citer cette phrase, ce qui est une manière de justifier une politique de fermeté en matière d’immigration en citant un homme de gauche. Tandis que la gauche a souvent tendance à ajouter que le Premier ministre de François Mitterrand avait ajouté un volet d’humanité en rappelant que la France devait aussi « prendre sa part » (ou « s’y efforcer »), et donc que sa formule, loin d’être un appel à la fermeture des frontières, était en réalité un appel à l’accueil.

      En réalité, comme Libération l’avait expliqué en détail il y a quelques années, les choses sont moins simples. Contrairement à ce que la gauche aime dire, cette déclaration de Michel Rocard n’était, initialement, pas vraiment humaniste, et était invoquée par le responsable socialiste pour justifier la politique draconienne vis-à-vis de l’immigration du gouvernement d’alors.

      On retrouve la trame de cette formule dans un discours prononcé le 6 juin 1989 à l’Assemblée nationale (page 1 797 du document) : « Il y a, en effet, dans le monde trop de drames, de pauvreté, de famine pour que l’Europe et la France puissent accueillir tous ceux que la misère pousse vers elles », déclare ce jour-là Michel Rocard, avant d’ajouter qu’il faut « résister à cette poussée constante ». Il n’est nullement question alors d’un quelconque devoir de prendre part à cet afflux.

      A l’époque, le climat est tendu sur la question de l’immigration. L’exclusion d’un collège de Creil de trois élèves musulmanes ayant refusé d’ôter leur foulard a provoqué, en octobre 1989, un vif débat national. En décembre, le FN écrase la législative partielle de Dreux. Les discours sur l’immigration se durcissent. Celui du PS n’échappe pas à la règle, d’autant que la gauche se voit reprocher d’être revenue sur les lois Pasqua. François Mitterrand déclare dans une interview à Europe 1 et Antenne 2, le 10 décembre 1989, que le « seuil de tolérance » des Français à l’égard des étrangers « a été atteint dans les années 70 ». Se met en place le discours qui va être celui du PS pendant quelques années. D’un côté, une volonté affichée de promouvoir l’intégration des immigrés réguliers en place (c’est en décembre 1989 qu’est institué le Haut Conseil à l’intégration). De l’autre côté, un objectif affirmé de verrouiller les flux migratoires, avec un accent mis sur la lutte contre l’immigration clandestine, mais pas seulement. Dans la même interview à France 2 et Europe 1, Mitterrand explique ainsi que le chiffre de « 4 100 000 à 4 200 000 cartes de séjour » atteint selon lui en 1982 ne doit, « autant que possible, pas être dépassé ».

      C’est dans ce contexte, le 3 décembre 1989, que Michel Rocard prononce la formule qui restera dans les mémoires. Michel Rocard est l’invité d’Anne Sinclair dans l’émission Sept sur sept sur TF1. Il précise la nouvelle position de la France en matière d’immigration et le moins qu’on puisse dire c’est que ses propos sont musclés. La France se limitera au respect des conventions de Genève, point final, explique-t-il : « Nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. La France doit rester ce qu’elle est, une terre d’asile politique […] mais pas plus. […] Il faut savoir qu’en 1988 nous avons refoulé à nos frontières 66 000 personnes. 66 000 personnes refoulées aux frontières ! A quoi s’ajoutent une dizaine de milliers d’expulsions du territoire national. Et je m’attends à ce que pour l’année 1989 les chiffres soient un peu plus forts. »

      Après l’émission, Michel Rocard décline la formule à l’envi lors de ses discours les mois suivants, pour justifier de sa politique d’immigration. Le 13 décembre 1989, il déclare ainsi à l’Assemblée nationale : « Puisque, comme je l’ai dit, comme je le répète, même si comme vous je le regrette, notre pays ne peut accueillir et soulager toute la misère du monde, il nous faut prendre les moyens que cela implique. » Et précise les moyens en question : « Renforcement nécessaire des contrôles aux frontières », et « mobilisation de moyens sans précédent pour lutter contre une utilisation abusive de la procédure de demande d’asile politique ».

      Il la répète quelques jours plus tard, le 7 janvier 1990, devant des socialistes d’origine maghrébine réunis à l’occasion d’un colloque sur l’immigration. « J’ai beaucoup réfléchi avant d’assumer cette formule. Il m’a semblé que mon devoir était de l’assumer complètement. Aujourd’hui je le dis clairement. La France n’est plus, ne peut plus être, une terre d’immigration nouvelle. Je l’ai déjà dit et je le réaffirme, quelque généreux qu’on soit, nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde », martèle-t-il devant un parterre d’élus pas très convaincus. Avant de conclure : « Le temps de l’accueil de main-d’œuvre étrangère relevant de solutions plus ou moins temporaires est donc désormais révolu. » Le reportage de France 2 consacré au colloque insiste sur le silence qui s’installe alors dans l’auditoire, avec un gros plan sur le visage dubitatif de Georges Morin, en charge du Maghreb pour le PS et animateur des débats.

      Le Premier ministre recycle son élément de langage dans un discours sur la politique d’immigration et d’intégration prononcé dans l’hémicycle le 22 mai 1990 : « Nous ne pouvons pas – hélas – soulager toutes les misères de la planète. » Le gouvernement reprendra aussi à son compte la petite phrase rocardienne, à l’image de Lionel Stoléru, secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre chargé du Plan, qui, face à Jean-Marie Le Pen sur la Cinq le 5 décembre 1989, déclare : « Le Premier ministre a dit une phrase simple, qui est qu’on ne peut pas héberger toute la misère du monde, ce qui veut dire que les frontières de la France ne sont pas une passoire et que quel que soit notre désir et le désir de beaucoup d’êtres humains de venir nous ne pouvons pas les accueillir tous. Le problème de l’immigration, c’est essentiellement ceux qui sont déjà là… » On retrouve le double axe de la politique que revendique le gouvernement : effort pour intégrer les immigrés qui sont présents et limitation au maximum de toute nouvelle immigration.

      Il faudra attendre le 4 juillet 1993 pour une rectification tardive de Michel Rocard, en réaction à la politique anti-immigration de Charles Pasqua, raconte Thomas Deltombe, auteur d’un essai sur l’islamophobie dans les médias, dans un article du Monde diplomatique : « Laissez-moi lui ajouter son complément, à cette phrase », déclare alors Rocard dans Sept sur sept. « Je maintiens que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde. La part qu’elle en a, elle prend la responsabilité de la traiter le mieux possible. »

      Trois ans plus tard, dans une tribune publiée dans le Monde du 24 août 1996 sous le titre « La part de la France », l’ex-Premier ministre assure que sa formule a été amputée et qu’elle s’accompagnait à l’époque d’un « [la France] doit en prendre fidèlement sa part ». Ce qu’il répète dans les pages de Libé en 2009, affirmant ainsi que sa pensée avait été « séparée de son contexte, tronquée, mutilée » et mise au service d’une idéologie « xénophobe ». Pourtant, cette seconde partie — censée contrebalancer la fermeté de la première — reste introuvable dans les archives, comme le pointait Rue89 en 2009. Une collaboratrice de Michel Rocard avait alors déclaré à la journaliste : « On ne saura jamais ce qu’il a vraiment dit. Lui se souvient l’avoir dit. En tout cas, dans son esprit, c’est ce qu’il voulait dire. Mais il n’y a plus de trace. On a cherché aussi, beaucoup de gens ont cherché mais on n’a rien. »

      Quelques années plus tard, en 2013, le chroniqueur de France Inter Thomas Legrand (désormais à Libération) a reposé la question à Michel Rocard, qui a alors assuré avoir retrouvé le texte d’un discours prononcé en novembre 1989 lors du cinquantenaire de la Cimade (Comité inter-mouvement auprès des évacués) . C’est là, affirme le Premier ministre, que la phrase aurait été prononcée. Voici ce que Rocard dit avoir déclaré : « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, raison de plus pour qu’elle traite décemment la part qu’elle ne peut pas ne pas prendre. » Sauf que le verbatim de son discours n’a jamais été publié. Le site Vie publique ne donne qu’un résumé très sommaire de son intervention (« mise en cause du détournement du droit d’asile et importance de la rigueur dans l’admission des réfugiés »).

      Mais que ces mots aient été, ou pas, prononcés, devant la Cimade, ne change rien au fait qu’entre 1989 et 1990, la phrase a bien été assénée par Michel Rocard sans cette seconde partie, comme une justification de sa fermeté vis-à-vis de l’immigration. Et non comme un encouragement à l’accueil des immigrés.

      https://www.liberation.fr/checknews/on-ne-peut-pas-accueillir-toute-la-misere-du-monde-la-vraie-histoire-de-l
      #Emmanuel_Macron

  • Congrès du TUC : Une victoire pour la solidarité avec l’Ukraine, une victoire pour la vérité

    Le 12 septembre, le Congrès des syndicats, qui réunit des syndicats représentant plus de 5,5 millions de travailleurs et travailleuses membres de 48 syndicats, a adopté à une écrasante majorité une politique de solidarité avec l’Ukraine.

    Ce vote a été obtenu malgré une campagne de désinformation acharnée menée par celles et ceux qui cherchent à saper le soutien à l’Ukraine.

    Une large coalition de solidarité a rendu cette victoire possible ; Solidarité Ukraine exprime sa gratitude aux syndicats ukrainiens, aux sociaux-démocrates et aux socialistes démocratiques qui nous ont aidés malgré leurs propres difficultés. Les syndicats GMB, ASLEF et NUM ont joué un rôle central dans la construction du soutien, tout comme nos amis du Parti travailliste parlementaire.

    Le texte intégral de la politique adoptée est reproduit ci-dessous. Il s’agit d’une réussite historique et il est désormais crucial de redoubler d’efforts pour accroître la solidarité directe du mouvement.

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/23/congres-du-tuc-une-victoire-pour-la-solidarite

    #international #ukraine

  • Les femmes autochtones défilent à Brasilia pour revendiquer leurs terres et la fin de la violence

    Des milliers de représentant(e)s des peuples autochtones de tout le pays se sont rendu(e)s dans la capitale fédérale pour la troisième Marche des femmes autochtones.

    Une mobilisation historique. C’est ainsi que l’on peut définir la troisième Marche des femmes autochtones, qui a rassemblé environ 6 000 participants à Brasilia, entre le lundi 11 et le mercredi 13 septembre, pour débattre des défis et proposer de nouveaux dialogues dans le cadre de la politique autochtone du Brésil. Parmi les principaux points abordés figuraient la démarcation des terres et la fin de la violence à l’encontre des peuples autochtones .

    https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/09/23/les-femmes-autochtones-defilent-a-brasilia-pou

    #international #bresil

  • A Beaucaire, bastion du RN, la difficile intégration de Sud-Américains corvéables à merci
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/09/23/a-beaucaire-bastion-du-rn-la-difficile-integration-de-sud-americains-corveab

    A Beaucaire, bastion du RN, la difficile intégration de Sud-Américains corvéables à merci
    Par Alexandre Duyck, avec Eric Besatti
    Depuis une dizaine d’années, Equatoriens, Colombiens, Vénézuéliens sont les forçats des exploitations de fruits de Beaucaire, une ville du Gard dirigée par le Rassemblement national. Cette communauté grandissante reste en marge alors qu’elle contribue à faire vivre l’économie locale.
    Ils sont des centaines, un samedi soir d’été. Nous sommes en Provence, le Rhône ne coule pas loin. Une sorte d’immense parking perdu tout au bout d’une piste cabossée, impossible à trouver si on ne connaît pas. Tout le monde parle espagnol, les corps dansent au son d’une musique latine balancée par des haut-parleurs.(...)
    La bière, blonde et légère, coule à flots, les gamins jouent, tout le monde parle fort. Sur quatre terrains improvisés, on joue au volley-ball, à trois contre trois, tel qu’il se pratique en Equateur. Plus loin, deux équipes de football s’affrontent, les jaunes finissent par l’emporter aux tirs au but et posent pour la photo accompagnés d’un énorme pitbull. Entre eux, ils nomment ce lieu la Cancha, le « terrain ». Il y a quatre ans encore, la fête hebdomadaire se déroulait sur le grand parking du champ de foire de la ville de Beaucaire (Gard). Mais le maire Rassemblement national (RN), Julien Sanchez, leur a demandé de partir. Le 8 septembre, la mairie d’Arles (Bouches-du-Rhône), dont dépend le terrain vague, les a aussi sommés de se mettre en conformité avec la réglementation sous peine d’être expulsés. « Ce lieu, c’est notre moment de retrouvailles et de joie chaque semaine, c’est très important pour nous de venir ici », explique en espagnol le capitaine de l’équipe de foot victorieuse, prénommé Soto, 25 ans, dont huit passés en France.
    Le soleil commence à décliner, une armada de moustiques surgit, mais ne décourage pas le père Ronald Niño, aumônier de la communauté latina, de célébrer en espagnol la messe en plein air. L’autel est kitsch, arche de fleurs en plastique, portrait géant de Jésus sur fond rose pastel. Le padre, qui parle un français impeccable, est arrivé de Colombie il y a trois ans. En septembre 2022, l’évêque de Nîmes le nomme à Beaucaire.
    Pile en face, sur l’autre rive du Rhône, Tarascon (Bouches-du-Rhône), elle aussi, compte son château et son curé sud-américain, venu du Venezuela. A la différence de nombre de leurs confrères, aucun des deux n’a de mal à remplir son église… Depuis une dizaine d’années, les deux villes voient s’installer une population venue d’Amérique du Sud toujours plus nombreuse.
    Beaucaire surtout, et ses seize mille habitants, où l’on croise, en fin de journée, de nombreux Equatoriens mais aussi des Colombiens ou des Péruviens qui rentrent du travail. Le maire, Julien Sanchez, vice-président du RN, élu en 2014, admet ne pas connaître leur nombre. « Les services de l’Etat eux-mêmes n’en ont aucune idée. Avant la pandémie, ils pensaient qu’il y avait de soixante-dix à quatre-vingts personnes en centre-ville. Au moment du Covid-19, nous avons eu une estimation à environ huit cents Sud-Américains. » Principal opposant politique (gauche sans étiquette) à l’équipe municipale, Luc Perrin semble plus près des vrais chiffres en parlant de « peut-être trois mille ou quatre mille personnes ». « Dans certaines écoles, je pense qu’il y a au moins 30 % d’enfants latinos », ajoute-t-il. L’immense majorité des adultes travaillent dans les champs à ramasser abricots, pêches, nectarines, raisins, tomates et dans les ateliers de conditionnement.
    A la fin de l’année 1999, le secteur bancaire et financier équatorien s’effondre. Le pays (peuplé aujourd’hui de dix-huit millions d’habitants) perd 15 % de sa population, qui migre massivement en Espagne. Aussi, dix ans plus tard, quand les producteurs de fruits du sud-est de la France annoncent qu’ils manquent de bras, les sociétés espagnoles de travail temporaire spécialisées dans l’agriculture, comme Terra Fecundis et Laboral Terra, font venir par bus, année après année, des dizaines de milliers de Sud-Américains. Santiago Pichazaca Pinguil, arrivé en Espagne il y a trente-trois ans, a ainsi débarqué à Beaucaire parmi les premiers, en 2013. Tee-shirt de l’équipe de France de football sur le dos, il explique qu’à l’époque les Sud-Américains se comptaient sur les doigts des deux mains. « Nous n’étions que des hommes, aucune famille. Puis une est venue, puis deux, puis trois… »
    Attablée en terrasse au pied du château de Beaucaire, Consuelo, qui ne souhaite pas donner son nom, 36 ans, est arrivée le 7 janvier 2020. Sa mère était déjà là, elle aussi immigrée, arrivée par Terra Fecundis. « Elle me disait que Beaucaire, comparée à l’Espagne, c’était plus vert, que l’architecture y était plus jolie, la ville plus ancienne, il y avait du travail, les Français payaient mieux, se comportaient bien avec nous. » Elle travaille dans une entreprise de fruits. Contrairement à une majorité de ses compatriotes qui ont fini par obtenir la nationalité espagnole, et donc le droit de travailler n’importe où au sein de l’Union européenne, elle ne détient pas de titre de séjour et sa demande de régularisation a été rejetée par la préfecture du Gard. Une obligation de quitter le territoire d’ici à novembre lui a été signifiée. Elle n’en dort plus la nuit, s’inquiète pour l’avenir de ses deux garçons, 10 et 16 ans, qui parlent couramment le français trois ans après leur arrivée.
    Le plus jeune, Julian, voudrait devenir policier ou vétérinaire : « J’aime l’école, on se fait des amis, on apprend beaucoup de choses et ce que je préfère c’est le calcul. » Ses parents l’ont scolarisé dans une école privée pour qu’il ne soit pas tenté de parler espagnol à la récréation. Consuelo s’en remet désormais à Dieu pour échapper à l’expulsion : « J’espère qu’Il va illuminer les gens de la préfecture. Je crois aux miracles. Mais j’ai du mal à comprendre : je travaille, je cotise, je ne fais rien de mal, les enfants vont à l’école… Pourquoi ne pouvons-nous pas rester ? » A ses proches restés en Equateur qui eux aussi aimeraient venir, elle répond que la France « est un pays très agréable pour vivre et travailler, mais compliqué pour les papiers. Alors qu’ils ont besoin de nous ».
    Dans certaines entreprises de la région spécialisées dans les fruits, on ne compte aucun Français parmi les employés, à l’exception des dirigeants. L’élu d’opposition Luc Perrin, ancien exploitant agricole, proteste : « Ici, on dit à ces gens : “Vous pouvez venir travailler, mais qu’on ne vous voie pas !” On les maintient à l’abri des regards. Je n’arrête pas de dire au maire : “Arrêtez de tourner le dos à cette population, intégrez-la !” »
    A une quinzaine de minutes du centre-ville, sur la commune de Jonquières-Saint-Vincent (Gard), des centaines de Sud-Américains travaillent dans l’entreprise Mas rouge, codirigée par Salvatore Zoroddu, aux faux airs de Lino Ventura. C’est son père, venu de Sardaigne, qui s’est lancé dans la culture des fruits, en 1974, en achetant là 8 hectares. Les champs courent aujourd’hui sur 350 hectares et la société emploie, en haute saison, jusqu’à cinq cents personnes, dont au moins 75 % d’étrangers.
    Dans l’immense atelier où les employés déposent et vérifient les nectarines dans des cagettes, on ne parle qu’une seule langue, l’espagnol, que le patron maîtrise couramment. « Je crois que j’ai été le premier à faire travailler des Latinos, se souvient Salvatore Zoroddu. Au début des années 2000, on a eu une grosse pénurie de main-d’œuvre, j’appelais Pôle emploi, qui me disait déjà “on n’a personne”. » Il travaille alors avec les entreprises espagnoles d’intérim, surtout implantées dans la région de Murcie (Sud-Est). « Et puis l’inspection du travail a mis son nez dans les affaires, c’est devenu compliqué et j’ai arrêté de passer par ces intermédiaires. Ça fait plus de dix ans que je recrute tous les salariés en direct », assure-t-il.
    Salvatore Zoroddu, à la tête d’une société de production de fruits, a longtemps travaillé avec des sous-traitants espagnols qui lui assuraient une main-d’œuvre sud-américaine pour la récolte.Il garantit que tous ses employés sont en règle, dotés de la nationalité espagnole ou, pour les Marocains, d’un document délivré par l’Office français de l’immigration et de l’intégration. « Toutes les heures supplémentaires sont payées. Attention, c’est dur comme travail ! Mais regardez, à la fin, pour certains, ça fait ça… » Il montre une fiche de paye : 3 032 euros net pour deux cent quarante-sept heures travaillées dans le mois (soit environ dix heures de travail par jour, six jours sur sept). Le salaire moyen en Equateur est de 475 euros. « C’est comme partout, il y a de tout, mais, dans l’ensemble, ce sont des gens très travailleurs et consciencieux. » Il assure que certains matins, des personnes arrivant directement d’Espagne viennent sonner à la porte de l’entreprise avec leurs valises encore dans la voiture.
    Beaucaire est une ville-musée, riche de sublimes hôtels particuliers de style Renaissance. Mais la cité a perdu sa splendeur d’antan. Si le bord du canal est plutôt vivant, on ne compte pas les boutiques fermées rue Nationale, l’artère principale, où se trouvent deux commerces qui, eux, marchent bien : le restaurant colombien Sabor latino, où l’on mange notamment un plat à base de porc, de crevettes, de riz et de poivrons, où l’on boit des boissons sud-américaines, comme le Pony malta ; et l’épicerie Tienda latina, où l’on trouve piments, avocats, bananes plantain, manioc, glaces au fromage, préparations instantanées et toutes les sauces possibles et imaginables.
    Pablo Abad Cuenca a ouvert sa boutique, la première latina de la ville, il y a sept ans. Avant, il travaillait dans des plantations de café en Equateur. « On m’avait dit qu’à Beaucaire il y avait plein de compatriotes, mais aucun magasin pour eux. » Son épicerie ne désemplit jamais, séduisant aussi des clients français attirés par le choix de fruits et de légumes.« Le problème, c’est que c’est trop petit. J’ai 90 mètres carrés ici, il faut que je m’agrandisse. J’avais l’accord de la banque pour un local de 200 mètres carrés dans la rue, mais la mairie s’y est opposée, ils ont préempté le lieu. Ils disent qu’ils ne veulent pas d’autres commerces latinos alors qu’il y a tellement de magasins fermés dans le centre ! » Le maire élude : « Je ne sais pas de quoi vous parlez. »
    Y aurait-il deux populations à Beaucaire, ville que le Rassemblement national a choisie pour y tenir sa rentrée politique le week-end du 16 septembre en présence de Marine Le Pen et de Jordan Bardella ? En trop grand nombre, pas assez intégrés, buvant trop… certains Beaucairois ne sont pas tendres avec les Sud-Américains. « Quand nos parents sont arrivés, il n’y avait rien, déplore un fils de harkis. Encore aujourd’hui, tu dis que tu manges hallal, c’est mal vu. Alors qu’eux, à l’Intermarché, ils disposent d’un rayon immense avec tous leurs produits. » Dans la pharmacie de Saïd Ouhdouch, au bord du canal, des clients expriment leur colère à voix basse : « On a un maire qui appartient à un parti qui ne veut plus d’étrangers alors qu’ici il n’y en a jamais eu autant. Comment est-ce possible ? » Une femme explique qu’elle a beaucoup aidé, bénévolement, les premiers arrivés, mais qu’aujourd’hui « il y a trop de soucis, ils font trop de bruit, ils jettent tout par terre, ils boivent… Pas tous, bien sûr. Les familles récemment arrivées s’intègrent bien et les enfants parlent de mieux en mieux le français. » Sa fille est plus radicale : « Faut tous les faire partir ! » En attendant, elle s’est installée à l’autre bout de la France. « Je n’en pouvais plus de Beaucaire. » Saïd Ouhdouch se veut plus nuancé : « Oui, il y a des problèmes. Des vols dans ma boutique, de la prostitution, des hommes qui boivent beaucoup trop. Des gens qui pensent que nous sommes obligés de parler espagnol. En même temps, tout le monde n’est évidemment pas comme ça, beaucoup sont très gentils. Et puis, il faut dire les choses, ils font vivre les commerces du centre-ville. »
    Par exemple, le studio de photographie de la rue Nationale. Issu d’une famille d’origine espagnole, son patron, David Bascuñana, se plaint lui aussi d’incivilités. Des personnes entrent, selon lui, dans la boutique sans un mot de politesse, en lançant seulement « Foto ! ». D’autres boivent dès le matin sur son perron. Il habite sur le canal et assiste presque quotidiennement à des scènes d’ivresse sur la voie publique. « Mais je ne veux surtout pas généraliser. Il y a aussi une minorité qui parle bien le français, fait beaucoup d’efforts, participe à la vie de la société et veut donner une meilleure image de la communauté. » Le fait que certains partent travailler en Espagne en hiver et perçoivent quand même les allocations chômage revient aussi souvent. « Je vais vous dire la vérité, prévient Salvatore Zoroddu. J’entends évidemment, et de plus en plus souvent, dire tout ça. Que certains perçoivent le chômage les mois où ils ne travaillent pas chez moi, alors qu’en vrai ils bossent ailleurs, cela me choque. Mais c’est la faute du système, pas des gens. Pour le reste, c’est un processus d’immigration comme tant d’autres avant. Et puis, surtout, heureusement qu’ils sont là ! Sans ces gens, plus personne ne mangerait un fruit. »
    Un employé marocain croisé dans les vignes, sous un soleil à défaillir, en sourit : « Les Français, quand ils viennent, ils restent un jour, deux parfois, et le troisième ils ne sont plus là. » Le Gard compte pourtant parmi les départements les plus frappés par le chômage en France. Selon Pôle emploi, fin juin, on dénombrait neuf mille sept cent trente-six demandeurs d’emploi inscrits sur le bassin de Beaucaire. Alors qu’en un an les offres de postes dans l’agriculture y ont augmenté de 108,3 %. Un métier en tension qui pourrait profiter de la régularisation des sans-papiers prévue dans le futur projet de loi immigration qui hérisse le RN.
    En attendant, beaucoup profitent de la précarité de la situation de ces travailleurs immigrés. A commencer par les entreprises espagnoles qui se chargent de les recruter, de les conduire en France et de leur fournir un emploi, parfois sans contrat de travail. Un marché souvent organisé dans des conditions inhumaines et qui leur rapporte des centaines de millions d’euros. En 2011, au Domaine des Sources, au sud d’Avignon, Iban Elio Granda Maldonado, 33 ans, meurt de déshydratation sur le lieu de son travail. Les associations, la presse locale, notamment la revue d’enquête L’Arlésienne ou Le Ravi, les services de l’Etat recueillent un nombre incalculable de témoignages accablants sur les conditions de travail dans les exploitations agricoles. Ils racontent l’interdiction de prendre la moindre pause pour aller aux toilettes, de se redresser pour soulager son dos meurtri, les heures supplémentaires non payées…
    En 2020, des clusters de Covid-19 sont découverts parmi les ouvriers agricoles de la région. Interrogé à l’époque par Le Monde, un d’entre eux s’emporte : « On est traités comme des animaux ! » En 2021, Terra Fecundis (devenue Work for All) est condamnée par le tribunal de Marseille à 500 000 euros d’amende et à des peines de prison avec sursis à l’encontre de plusieurs de ses dirigeants ou ex-dirigeants pour ne pas avoir respecté la réglementation européenne sur le travail détaché. Puis, l’année suivante, à plus de 80 millions d’euros de dommages et intérêts à verser à l’Urssaf pour compenser le préjudice lié au non-paiement de cotisations sociales. Dans la région ou en Camargue, on voit désormais arriver massivement d’autres travailleurs, africains cette fois-ci, trimballés à leur tour depuis l’Espagne. « Ces entreprises [d’intérim] sont toujours là, sous d’autres identités et d’autres formes, c’est de l’esclavagisme moderne », se désole Luc Perrin.
    Dans l’immense atelier du Mas rouge, Maritza Delgado, 39 ans, vérifie l’état des nectarines placées dans des cagettes. Arrivée d’Equateur en Espagne, où elle a obtenu la nationalité espagnole, elle s’est ensuite installée dans la région, il y a dix ans. Elle ne regrette pas sa décision d’avoir quitté son pays et sa terrible crise économique. (..) Au milieu des vignes, Luis Tuarez, 49 ans, depuis douze ans en France, travaillait dans le textile en Equateur, où il a laissé son épouse et leurs trois enfants. Il rentre chez lui une fois par an, parfois une fois tous les deux ans. Ni Maritza ni Luis ne sont réellement intégrés à la vie de Beaucaire. Aucun des deux ne parle français. Si les enfants parviennent à maîtriser la langue en à peine un an, l’immense majorité des adultes ne la pratique pas, ou très mal, même après des années de présence. Les hommes, surtout. « Certaines semaines, nous avons tout de même cent cinquante personnes à la fois à nos cours de français, explique Marie Sanchez, responsable du Secours catholique de Tarascon. Mais je me mets à leur place. Quand tout le monde, vos collègues, vos chefs, parlent espagnol ; que vous avez travaillé dix heures dans la journée à ramasser des fruits, vous n’avez pas forcément la force ou le temps d’apprendre une langue étrangère. J’ai des élèves qui viennent quand même et qui, littéralement, tombent de sommeil sur la table. »
    En Uruguay, Santiago Pichazaca Pinguil était professeur dans un collège. A 63 ans, il ramasse des fruits, souvent six jours par semaine. Depuis un an, il apprend le français : « Le principal obstacle que j’ai rencontré dans ma vie, c’est la langue, pas le travail. » En 2016, avec d’autres, il crée l’association Latinos sin fronteras. « Nous faisons face à de nombreux obstacles : problèmes de logement, ouverture de compte à la banque, couverture sociale… Peu nombreux et isolés, nous n’avions pas d’impact. Quand on sollicitait les autorités locales, la seule réponse à nos questions était : “On va vous écrire.” » Il l’assure : les choses ont changé. La nouvelle génération arrivée pour travailler, et dont les enfants vont à l’école, apprend le français et ne voudra pas repartir. Mais elle a besoin d’aide. « Il nous faudrait un local où l’on pourrait recevoir des cours de langue en échange, par exemple, de cours de danse, de couture, de cuisine… On pourrait inventer plein de choses, veut croire Santiago Pichazaca Pinguil. Nous ne voulons plus être considérés seulement comme des outils de production. Nous demandons à faire pleinement partie de la société dans cette ville. » Face aux banques, aux agences immobilières ou aux compagnies d’assurances qui affichent sur leurs vitrines en français et en espagnol « merci de venir impérativement avec un traducteur si vous ne parlez pas la langue », certains habitants se font payer plusieurs dizaines d’euros pour jouer les traducteurs durant quelques minutes et plusieurs centaines pour remplir un dossier administratif ou accompagner quelqu’un à la préfecture. L’opposition au conseil municipal réclame la mise en place de traducteurs, d’écrivains publics, de médiateurs… Qu’un dialogue s’installe pour mettre fin aux bagarres qui se produisent régulièrement le vendredi ou le samedi soir le long du canal, dans le centre-ville, quand certains Latinos abusent de l’alcool.
    Le maire se défend de ne rien faire : « Avec une équipe de bénévoles, la mairie propose des cours de français aux Latinos qui souhaitent s’intégrer, à mon initiative. Cela n’a aucun coût pour la collectivité, car je considère que la gestion de la politique d’immigration n’a pas à incomber à la commune. » Que répond-il aux entreprises qui disent ne pas avoir d’autre choix que de recourir à cette main-d’œuvre étrangère, faute de devoir fermer boutique ? Ne faudrait-il pas accueillir dignement les salariés et leurs familles ? « Personne ne peut nier la pénurie de travailleurs français dans le domaine agricole. Néanmoins, ce n’est pas une fatalité. Comment se satisfaire de devoir importer des travailleurs manuels ? C’est juste dingue ! »
    En attendant, le comité de quartier animé par Saïd Ouhdouch, le pharmacien, a organisé un concours de la meilleure soupe, « pour rapprocher les habitants » (...). Fin septembre, le père Niño a célébré une messe en deux langues avec un curé français. Il a aussi obtenu de la mairie que ses ouailles soient impliquées dans les fêtes de la Madeleine, patronne de la ville, à l’été 2024. « Peut-être faudrait-il en effet plus d’échange », dit-il dans un euphémisme. Il y a quelques mois, Latinos sin fronteras a aussi proposé d’organiser un concert gratuit. La mairie n’a pas donné suite. A la place, cet été, les Beaucairois ont pu applaudir Les Forbans, formation de rockabilly qui connut son heure de gloire il y a quarante ans et se produit volontiers dans les municipalités dirigées par l’extrême droite.

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