• « la Bêtise a beaucoup d’avenir. Mais ce sont des devenirs que réclame le penseur », Pour Gilles Deleuze, penseur du déclic, Gilles Chatelet
    http://www.liberation.fr/tribune/1996/04/06/pour-gilles-deleuze-penseur-du-declic_168765

    Car Gilles, mieux que quiconque, savait que son ennemi ­la #Bêtise­ qu’elle soit hargneuse ou grassouillette et « pluraliste », ne fait et ne fera jamais de cadeau. Il ajouterait peut-être : la Bêtise a beaucoup d’avenir. Mais ce sont des devenirs que réclame le penseur, des expériences réelles ­très différentes des possibles anticipés ou des « pour et des contre » indéfiniment pesés­, des rencontres, avec la virulence du Dehors, presque toujours dangereuses... Il y a quelquefois des rencontres-siestes, des rencontres-orgies (la rencontre avec la Kermesse héroïque de Bacon-Rubens), mais aussi, bien plus souvent, des rencontres-rhumatismes ou des rencontres-torticolis... Ce sont ces rencontres qui donnent « l’impulsion d’un mouvement infini qui nous dessaisit en même temps du pouvoir de dire Je » .
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    C’est pourquoi, selon Gilles, il était si urgent de répondre à la question de Spinoza : que peut un corps ? C’est toujours le corps qui doit prendre sur lui, accuser le coup en forgeant une élasticité nouvelle ­une plasticité­ pour se ramasser, se ressaisir et bondir armé d’un levier plus puissant, d’une articulation à la fois plus tendre et plus fine et donc plus subtile.

    C’est toujours la Bêtise qui ne sait pas « prendre son temps » ou plus exactement qui le perd en oscillant toujours entre l’impatience et l’accablement. Elle ignore le ressort parce qu’elle confond la force et la pétulance : ivre d’elle-même, elle croit bondir et ne fait que ricaner et gesticuler pour « faire l’intéressante »... ce qui, bien sûr, lui fait manquer toutes les rencontres... Nous touchons ici un des points sensibles sur lesquels Gilles ne concédait rien : ne jamais confondre la force et la volonté d’anéantir, la penser toujours comme susceptible d’un tact, comme une main à serrer mais jamais à apprivoiser, de la force, il s’agit de capter un geste ­le geste acéré du danseur et du funambule­ sans jamais succomber aux excentricités et aux tonitruances des grands dadais du performatif. Il faut jouer la gymnastique contre la musculation. Gilles aimait les « embryons larvaires », non parce qu’ils sont promesses de papillons, mais parce qu’il y a beaucoup à apprendre de leur sobriété et de leur plasticité et peut-être surtout parce qu’ils savent comme l’herbe pousser par le milieu. Gilles répétait sans cesse : pensez au milieu et pensez le milieu comme le coeur des choses et comme coeur de la pensée, quitter la pensée-arbre avec ses hauts et ses bas, ses alphas et ses omégas, devenez un penseur-brin d’herbe qui pousse et pense ! Vous serez plus véloce que les lévriers les mieux dressés à la course ! On entend déjà grommeler la Bêtise : « Mais enfin, où est-il donc votre foutu milieu ? » Il est peut-être partout, mais jamais à la moyenne d’extrémités qui sont déjà là. La moyenne affaiblit toujours... Le « milieu » de Gilles n’est pas un « point » ­ou alors ce serait un « point métaphysique », comme disait Leibniz­ mais plutôt un axe, une charnière commandant tout un champ de forces de « virtualités ». Il y a même du chimique dans le milieu ; c’est un catalyseur : sans être un constituant, il déclenche la transformation.

    #intellectuel_de_gauche (cf actuellement, Le Monde, Libération, L’Observateur qui font leur simili cure après avoir Onfrayfinkelkrautisé à perpéte...) #Gilles_Deleuze #Gilles_Chatelet