• En Inde, un Etat marxiste se heurte au pouvoir central dans la lutte contre le virus
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    Dépistage du coronavirus à Ernakulam, dans l’Etat indien de Kerala, le 6 avril 2020. STRINGER / REUTERS

    Le Kerala se targue d’avoir maîtrisé la propagation du Covid-19 par le déblocage de fonds publics et la mise en place d’un confinement drastique.

    Entrée mercredi 22 avril dans sa cinquième semaine de confinement, l’Inde avance à tâtons face au coronavirus. Le géant d’Asie du Sud, en dépit d’une population de plus de 1,3 milliard d’habitants, ne déplore actuellement que 22 728 cas recensés de contamination et seulement 723 morts. Lundi 20 avril, certaines activités ont pu reprendre, au bon vouloir de chacun des vingt-huit Etats et des huit territoires fédérés qui composent le pays. En fonction, aussi, de la progression de la pandémie dans chacun des 736 districts administratifs qui découpent son territoire.

    Certains endroits sont érigés en modèle. Ainsi de Bhilwara, une ville d’un demi-million d’habitants située à une centaine de kilomètres au nord-est d’Udaipur (Rajasthan), l’un des premiers foyers infectieux où l’application d’un confinement extrêmement strict a permis de stopper très rapidement la propagation du virus. Ainsi également de Goa, petit Etat de 2 millions d’habitants sur la côte ouest du sous-continent, où sept personnes avaient été déclarées positives et où les autorités ont annoncé dimanche 19 avril qu’il n’y avait « plus aucun malade du Covid-19 » .

    Mais c’est le Kerala, dernière région de l’Inde à être dirigée par un gouvernement marxiste, qui est cité en exemple par un grand nombre d’experts. Dans cet Etat de l’extrême sud de 35 millions d’habitants, connu pour afficher le taux d’alphabétisation le plus élevé du pays (94 % contre une moyenne nationale de 74 %), mais aussi la plus forte densité de population (860 habitants au kilomètre carré, contre 382 en moyenne en Inde), les pouvoirs publics ont réussi à contrôler la pandémie et à rapidement aplatir la courbe des contaminations, grâce à une anticipation précoce : chaque Kéralais infecté n’a jusqu’ici transmis le virus qu’à 0,4 personne, alors qu’en moyenne un Indien infecté en contamine 2,6 autres.

    « Enquêtes extrêmement rigoureuses »

    Pour l’instant, la région n’a enregistré que 437 cas, 70 % des patients ont guéri et deux seulement sont morts. C’est pourtant ici que les premières contaminations de l’Inde ont été repérées, dès le 30 janvier, chez des étudiants qui rentraient de Wuhan, berceau chinois de la pandémie. « La préparation est la clé de notre succès et la leçon à tirer de notre expérience », a longuement expliqué il y a quelques jours au journal Indian Express le ministre des finances du Kerala, Thomas Isaac.

    « Notre force majeure est notre système de santé publique. Il a connu ces dernières années une augmentation de 40 milliards de roupies [485 millions d’euros] des investissements en infrastructures et en équipements, et il a bénéficié de la création de 5 775 postes », rappelle ce membre du comité central du Parti communiste indien (marxiste).

    « Le Kerala est un modèle parce qu’il a fixé très haut la barre des tests de #dépistage et mené dès le début des #enquêtes extrêmement rigoureuses de traçage des personnes ayant pu être en contact avec les contaminés, pour casser les chaînes de contagion » , estime Amit Singh, chercheur d’origine indienne spécialiste des droits de l’homme à l’université de Coimbra, au Portugal. Le gouvernement local, ajoute-t-il, a immédiatement instauré des quarantaines « plus longues qu’ailleurs » (28 jours au lieu de 14), imposé le confinement avant que Delhi ne le généralise à tout le pays, construit des hébergements d’urgence « pour les travailleurs migrants bloqués » sur place et distribué « des millions de plats cuisinés » à ceux qui en avaient besoin.

    Dès le 19 mars, le chef de l’exécutif local, Pinarayi Vijayan, a débloqué 2,4 milliards d’euros de crédits pour soutenir l’hôpital public, verser les petites retraites avec deux mois d’avance et rembourser les prêts à la consommation des plus démunis. Ramenée à chaque habitant, cette enveloppe représente cinq fois plus que ce que le premier ministre Narendra Modi mobilisera une semaine plus tard, à travers un plan d’urgence national doté de 20 milliards d’euros.

    Capacité de réaction

    Le Kerala a en fait tiré les enseignements de deux événements survenus chez lui coup sur coup en 2018 : une épidémie de nipah, virus sans vaccin ni traitement transmis par la chauve-souris, qui avait semé la terreur dans les villages, et des inondations dramatiques qui avaient détruit 20 000 logements durant la mousson.

    La capacité de réaction de la population avait alors été testée à grande échelle. Elle s’était avérée d’autant plus efficace qu’au Kerala, le système des « panchayats » fonctionne à l’extrême. Ces #assemblées_locales, comparables à des communautés de communes, ont la possibilité de prendre des décisions au plus près du terrain, sans avoir à en référer à la capitale, Trivandrum.

    Tout ceci irrite au plus haut point la droite nationaliste et centralisatrice au pouvoir à Delhi. Lundi 20 mars, alors que les communistes kéralais venaient de décider de la réouverture des ateliers de confection, salons de coiffure, restaurants et librairies, ainsi que de la reprise des transports publics par autobus, le gouvernement Modi leur a aussitôt intimé l’ordre de faire marche arrière et d’attendre ses consignes.

    La semaine précédente, le climat s’était déjà tendu entre les deux parties à propos de la situation de la diaspora indienne vivant aux Emirats arabes unis (3,3 millions d’ouvriers du BTP et d’employés de maison, dont un tiers originaires du Kerala). M. Vijayan dénonce les conditions de confinement et de quarantaine « inadéquates » offertes sur place à cette population. Avec l’appui des autorités de Dubai, il demande à M. Modi d’organiser des rapatriements, en vain. Selon nos informations, Delhi avait envisagé fin mars de faire revenir par avion 26 000 ressortissants indiens mais y a finalement renoncé, en raison du risque de contagion que ces derniers représenteraient à leur arrivée en Inde.

    #Covid_19 #investissement_collectif #maillage_local (sans smartphones)